Petite mère (4) , fantômes (Susanne Derève)

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Je n’ai nul besoin de fantômes.
Petite Mère arpente pour moi les couloirs
du temps à pas menus,
frôlant d’autres spectres aux mains vides.
Les rives du Léthé sont des jardins
d’ombres arides, d’épaves chancelantes,
essarts de blanche hermine ensemencés
d’oubli.
.
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Retour de la marelle – ( RC )

Attention de ne pas lancer trop loin
la pierre revêche dans les airs.
Si elle ne revient pas
c’est qu’elle aura rebondi
au-delà des limites de l’atmosphère.
Tu vois ce que c’est
de pousser trop loin
le galet à la marelle :
ça va de la terre au ciel
directement sans s’arrêter
aux cases tracées
à la craie sur le trottoir.
Après , il s’agit de ne pas faire
le parcours à l’envers
car la pierre peut retomber
de façon inopinée
dans le puits
sans fond de l’oubli:
Prends garde où tu mets les pieds
car si par malchance
tu la reçois sur la tête
le jeu est terminé
les cases retournent sur elles-mêmes
la partie est finie,
c’est ainsi que se clôt le poème…
RC
Encore – (Susanne Derève) –

Encore dit la pluie, encore me dit le vent
et leur plainte
dans les rameaux de cendre de l’hiver,
dans le lit assoiffé du torrent sonne
comme un long cri où s’éboulent les pierres.
Roses fanées de Décembre : les doigts du givre
ce matin façonnaient leurs corolles sèches
de délicates enluminures.
C’est ainsi le temps s’emploie à nous duper.
La main d’où volait la semence des blés,
le geste auguste : ensevelis, abandonnés
aux strates de l’oubli, à leur sceau blanc
de neige ensommeillée.
Au long des prés, les passereaux volages
désertent les sentiers.
Mais les miens, mes moineaux égayés,
je leur tiens au chaud un nid de paille
sous la grange.
Pour peu qu’ils y reviennent, je chanterai
leur louange, encore.
esquisse trempée d’encre verte – ( RC )

peinture Jane Cornwell
une esquisse rapide,
dans ce lavis liquide
un pinceau qui court,
sans souci du détail
ni des contours,
trempé d’encre verte à tout hasard,
plus une touche de grisaille
le tout sans symétrie,
mais c’est ton regard
qui y est inscrit
toujours interrogatif:
chaque fois que j’ouvre ce cahier,
je pense à cet instant furtif,
l’essence d’un secret,
ce moment passager
que je vais conserver
pour toujours, à l’abri de l’oubli…
Pour compléter la playlist – ( RC )

Tout commence en ouvrant les dossiers.
Je cherche de la musique,
pour compléter la playlist.
Je trouve des trucs pour la soirée.
Faut c’qui faut…
Cocktails en tout genre,
boules de lumière
fauteuils profonds, rideaux de velours
ambiance soft, affiches de cinéma,
cadres à l’ancienne sans photos d’ancêtres…
ça commence bien,
ça déménage et monte en puissance…
batterie, solos de guitare,
le chat rayé qui détale,
une bouteille renversée,
un verre cassé,
la tache sur le tapis
qui s’élargit.
C’est juste avant le slow,
vite, des papiers journaux !
Je tombe sur ta voix,
je ne l’avais pas reconnue.
La voilà qui se dresse
appelle le silence,
et tout est avalé, le moindre son,
le cramoisi du velours,
les cocktails évaporés,
le chat collé au plafond,
l’électricité coupée,
les cadres rétrécis…
mais seulement la voix
verticale au milieu du salon
qui provient d’on se sait où.
Tout le monde est saisi
n’esquisse plus un geste,
tout devient gris
rentre dans le passé,
immobilisé dans le papier glacé
à même la photographie,
juste avant l’oubli…
Une photo des plus ordinaires – ( RC )

photo – anonymus-project
Faut-il sauver la brocante et les greniers ?
Fermer la porte à tout jamais,
descendre l’escalier avec de vieux papiers,
y mettre le feu , les regarder se dissiper
dans un petit nuage gris
de poussière et d’oubli ?
Je suis retourné sur les pas
des heures du passé
et ai découvert par terre
un album photo des plus ordinaires :
la plupart ne vous parleront pas
et ne pourraient vous intéresser.
Ce n’est pas la peine
de feuilleter cet album:
pas de cérémonie mondaine
mais seulement des images pâlies :
on y voit un homme
sur un canapé gris
aux motifs fleuris.
Il s’est allongé et endormi.
Un petit sujet en plastique,
grosse tête , habits à carreaux
tourne les yeux vers une lampe éteinte
où quelques plantes peintes
montent à l’assaut,
sans préoccupation esthétique.
L’ensemble a quelque chose
de familier et pourtant d’incongru
car la lumière du flash ne réveille pas l’inconnu,
qui, peut-être prend la pose
dans cette pièce nue :
photo sans intérêt quand on y pense
mais seulement en apparence.
Il y a des chances que la scène
corresponde aux années soixante :
le pantalon à pinces, la chemise à carreaux
rappelle une pièce modeste à l’américaine
à la décoration absente
où même la lampe et son chapeau
ont l’air d’objets factices
et ne nous donnent aucun indice.
Mais gardons la photographie
dans l’album et le placard,
( c’est d’une actualité en retard
que l’on va sauver de l’oubli ):
—> on change tout pour une vue actuelle
on fait poser une demoiselle
pour une marque d’habits,
négligemment endormie.
Mais je garde la figurine,
et le canapé gris :
pour un magazine,
le mur sera d’une teinte indéfinie;
la lumière vient du côté droit
douce et vaporeuse
la pose est avantageuse,
et les bas du modèle , en soie.
Tirée à des milliers d’exemplaires
ce sera une publicité
pour de petits souliers verts
que l’on voit sur le côté,
une photographie à la Bourdin
sans attrait particulier
( à part la couleur vive des souliers
posés sur le coussin).

photo publicitaire – Guy Bourdin pour Charles Jourdan
La réparation de la photographie – ( RC )

L’atelier de réparation
n’a rien pu pour l’image:
c’est vers l’horizon
que l’on va sans dommage.
( J’ai juste repeint le fond
en cherchant la couleur qu’il faut,
sans tenir compte des nuages…)
Il faut dire que la taille du pinceau
ne permettait pas de faire des ronds
– même l’eau est restée grise
en bordure de plage,
comme si elle était prise
par le gel des sels d’argent -.
L’essentiel est sauvé,
car les petits personnages
semblent avoir traversé le temps
et sont sortis de l’oubli:
ils marchent à petits pas,
bientôt , seront à côté de toi…
tu vas pouvoir leur décrire
ce qu’est devenue ta vie
après quelques décennies;
peut-être qu’ils vont rire
de leur rêve en couleur pastel:
ils ont oublié que la photographie
toujours leur rappelle
quelques souvenirs
parce que leurs émotions
sont enfouies dans le passé :
l’atelier de réparation
ne les a donc pas effacées…
Aurélia Lassaque – le rêve d’Eurydice

Nous creuserons de nouveaux sillons
que nous couvrirons de cendre.
Nous verrons mourir le vent qui charrie l’oubli.
J’aurai des pommes dans ma poche
volées à plus pauvre que moi.
Nous les pèlerons avec des épées.
Et avec les restes de nos rêves
Nous en bâtirons d’autres
Par delà les feux
Et la frontière du regard.
Francis Blanche – Toi que voilà –

J'ai tout donné au soleil sauf mon ombre... Guillaume Apollinaire
Laisse couler le temps sous les doigts de l’horloge... J’ai bu l’oubli dans un verre brisé... Le lustre semble un grand chagrin cristallisé et l’heure - ô l’heure!... - est un miroir qui m’interroge... Chaque date est un anniversaire oublié et - souvent sans que tu le saches - au creux de chaque jour se cache un souvenir... presque un regret si n’est brisé le lien secret par lequel tout à tout s’attache... Et c’est par vagues que revient l’image des hiers si proches... si lointains! Le nez collé à la fenêtre tu regardes tomber la neige... Tout autour montent les maisons.. Te voilà marchant à tâtons dans les souterrains du collège. Je te retrouve même dans l'arrière-salle d’un bistrot (le dôme Saint-Paul... te souviens-tu ?...) pendant la classe de philo, tu manges des croissants avec un café crème... et Claude, qui veut être avocat, te parle en son langage des droits contractuels issus du mariage... Dans un auditorium où luisent des « silence » te voilà devant un micro qui broie tes mots et qui les lance aux quatre vents de la France... Puis par un matin de fin août quelqu'un que tu aimais bien sans le savoir, est mort tout à coup... Un soir d'été, tu quittes toutes les choses familières... À l'horizon, une mitrailleuse s’exaspère... Et le pays se plie en deux comme une porte à glissière Te voilà filant à soixante à l’heure derrière un camion où rient des aviateurs qui n'ont plus leurs avions... Ils mangent du jambon rose comme l'aurore. En trombe on traversait Rabastens-de-Bigorre... Tu as laissé dans un vallon de la Dordogne un peu de ton espoir, de ton sourire... Il pleut... Un autogire t’a sauvé la vie près de Périgueux. Te voilà rédacteur d’un journal comme il faut où les linotypistes ont tous un pied bot - et chaque jour, ciseaux en main, vers midi tu fais de la dentelle avec les quotidiens de Paris... Et le temps passe... ton destin se joue sur les rythmes d’automobiles ou de trains ... et puis, volant partout comme des papillons de flamme, tous ces regards tendres de filles femmes... Qu’ils soient rieurs ou tristes, gais ou mélancoliques, ce sont les reflets des instants qui sont gravés tout entiers dans le temps... Quels qu’ils soient, ne les renie à aucun moment car tous ces souvenirs ne te trahiront jamais... Ils seront toujours là comme ils étaient... ... et même celui-là... ce regard presque bleu ces cheveux presque blonds, ce rire presque triste... comme un roman mort-né qui se mélancolise, tout cela a la douceur des espoirs pas tout à fait perdus... et c’est tout ce qu'on demande aux reflets des miroirs... Le souvenir, ce n’est qu’un regret apaisé qui vient flotter comme un parfum de sauge... Laisse couler le temps sous les doigts de l'horloge... J ai bu l'oubli dans un verre brisé...
Francis Blanche
MON OURSIN ET MOI
Le Castor Astral
Toussaint – Susanne Derève –

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Ne parle pas de chrysanthèmes
c’est Toussaint
Ne me parle pas des pierres
c’est cimetière
La mort est un jour sans fin
et la faim me tenaille de vivre
encore
A Toussaint autrefois
c’était toujours Dimanche
parmi les fleurs
Maman se serrait contre moi
j’étais la chaleur des corps ensevelis
contre le sien un bouclier ardent
Je faisais face au poids charnel
du chagrin aux servitudes de l’oubli
Nos pas crissaient dans les allées
et les fleurs immobiles taisaient
lentement leurs couleurs
Moi, pendue à son bras
spectateur du tendre passé
je ne voulais pas que s’étiole l’amour
Je priais qu’il dure toujours
.
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Causses – (Susanne Derève)-

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Ondulant à perte de vue dans la lumière,
les courbes blondes des prairies
griffées de la pierre grise du calcaire,
le sillon brun des labours
et les vertes dolines
.
où le vent frais balaie la chaleur de midi,
berce dans les sous-bois les strates accumulées
d’anciens automnes.
.
Résonne de loin en loin
l’écho d’un pas,
le craquement assourdi du bois mort …
.
Soleil.
Le long dimanche de fiançailles
d’une fin d’été
avant les noces blanches d’hiver.
.
On se prend à rêver de chemins effacés,
de villages engloutis sous la neige,
du tintement des pelles sur les seuils,
de ciels de cire ponctués de fumées grises,
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comme si l’oubli n’était en toute saison
le cœur de ce pays, son âme claire
sa terre promise
.
Marc Hatzfeld – l’attente

L’amie l’attente
Laisse ignorer son nom
Toujours seconde
Derrière la pompe et l’or des grandes émotions.
Souvent heureuse
L’attente
Ne porte pas d’autres visages
Que ceux mélangés des images
Qui glissent dans l’oubli
Et se brisent enfin
Sur la fin d’un soupir.
Mais elle revient
Malicieuse et modeste
Elle réclame ses restes
S’immisce sous ton ombre
Et te parle
Te regarde: elle veut rire avec toi
L’attente
Elle te croque les ongles
Elle te mouche
Et prend les formes tièdes
D’un monde sans importance
Elle se fait mur. elle se fait pain
Elle devient le stylo ou la main
Ou le bruit d’un pas qui résonne et repasse
Mais ne finit jamais plus par frapper à la porte
Devenue sourde.
extrait du recueil de Marc HATZFELD « GIROUETTE »
La maison de l’ombre – ( RC )

J’ai touché l’ombre de mes doigts,
et elle n’a pas bougé.
La maison était dans une couronne de ronces,
ses fenêtres closes ne parlaient plus .
Ouvertes , elles n’auraient pu qu’être muettes
dans l’oubli des étés et des rires.
Qu’elle gémisse de fatigue dans ses fers
– de rouille – , écrasée par le poids du ciel,
qui n’est qu’indifférence…
J’ai touché du doigt
son triste corps de pierre.
Elle ne m’a pas répondu.
Si j’étais resté plus longtemps,
elle m’aurait mordu
me lançant ses ronces au visage .
RC – nov 2020
Guy Goffette – dans ce petit creux d’ombre et d’oubli

Et tu finis par ranger le livre, là-haut,
à sa place exacte, ce petit creux d’ombre et d’oubli
comme le coin de terre qui te revient.
Tu reviens toi aussi
à ta place, devant la fenêtre, la table,
ce carré de neige que nul encore n’a forcé
et qui va dans tous les sens comme ta vie
parmi les mots, les morts.
Tu sais bien qu’aucun signe ne guérit de l’absence,
pas plus que le merle en tombant ne renverse
l’axe de la terre, mais tu persiste, ô scribe,
à soudoyer les anges :
un peu d’or dans la boue, dites, que la nuit reste ouverte.
extrait de « La Vie Promise, » 1991
Gerard Pons – que nous reste-t-il ?
Que nous restera-t-il
sur l’autre rive
qui attendrisse notre exil ?
Sur les rives de nos fleuves
ne tomberont à l’automne
que feuilles de repentir
et sur nos monuments
encadrés par les ronces
d’autres feuilles d’oubli.
Fragments ( autour d’Anselm Kiefer) – Susanne Derève

Die Bösen Mütter -Anselm Kiefer
Chaises vides chaises blanches qui portez les bûchers
qui portez des silences d’éternité

Das goldene vlies – 1997
Robes jetées comme des voiles aux ailes froides de l’absence
dites-nous, dites-nous l’errance dites-nous le poids du passé
Lots Frau – Anselm Kiefer, 1989
Et si les rails s’amenuisent
pour se fondre dans le néant
c’est que les Dieux ont déserté
jusqu’aux retables des églises
dans les méandres du couchant
aux confins de ces plaines grises
de ces villages abandonnés
ont-ils rejoint l’enfer bu cette neige
atone qui collait à leurs pieds
Sous les miens ne résonne que le fracas
des pierres
pas même un cœur qui bat
une peau qui frissonne
lorsque les blés s’envolent au vent d’hiver
avec l’innocence des hommes
Liens :
Anselm Kiefer au Centre Pompidou 2015-2016
Anselm Kiefer: Remembering the Future
Immortelles – Rendez-vous de Novembre ( SD/RC)
- Chrysanthèmes – photo C. Coulais
Ce sont des fleurs glacées
qu’on offre par brassées
à des jardins de pierres
ces cimetières frileux
antichambres aux adieux
des drames ordinaires
ces fleurs que la Camarde
accueille goguenarde
au coin d’un marbre noir
qu’on abandonne au vent
au grésil aux tourments
d’un sombre purgatoire
ce sont les fleurs perdues
des amours éperdues
hommages dérisoires
tendus comme des mains
aux souvenirs défunts
aux ponts de la mémoire
corolles sans parfum
sans pétales et sans tain
que la lumière captive
d’un Novembre morose
habille d’ors et de roses
tel un baiser de givre
une douleur éclose
au parterre où reposent
dans l’étreinte du soir
ces blanches immortelles
des regrets éternels
comme des encensoirs SD 02 2017
C’est le rendez-vous de novembre,
celui des rendez-vous manqués.
On dépose sur le marbre,
des brassées de chrysanthèmes
et parfois des roses
devant les stèles grises :
peut-être que les morts
comprennent le langage des fleurs
ou voudraient prolonger leur vie,
d’où la couleur s’enfuit.
Une offrande ultime:
D’autres se décomposent en résine.
Le jardin de pierres,
se rappelle des vivants d’hier
Les tombes sont des demeures de silence,
elles se fichent des assauts du lierre,
des allées de gravillons blancs,
comme des saisons sur la terre .
Pour se rafraîchir la mémoire,
on a gravé les patronymes :
Il y a comme un arbre généalogique,
qui se penche sur la famille,
des ancêtres
jusqu’aux lointaines cousines…
Tout cela bien aligné
dans les allées numérotées.
En ce qui me concerne
je ne serai pas locataire
d’un caveau six pieds sous terre…
et si tu viens un jour de novembre
tu pourras t’en retourner,
il y a longtemps que je serai parti en fumée :
je ne participe pas au décor :
pas de crime, pas de corps :
même la police, en automne
ne trouvera pas d’indices de notre homme :
si tu en cherches la raison , la clef est dans ce poème (car j’ai toujours détesté les chrysanthèmes)…
RC 02 2018
Alain Paire – Soif inquiète
La terre serait soif inquiète. Il n’y aurait plus
que la nuit de l’oubli, des formes sombres
à peine terrestres, le silence de la lumière.
Et parmi les fruits de la veille, comme une ressemblance,
le sourd battement d’une âme, tout au moins le pardon de l’image,
la détresse d’une main qui se blesse ou bien qui aime.
(Un rossignol accueillait chaque nuit l’eau bue par la lumière.)
extrait de « la maison silencieuse »
Franck André Jamme – La récitation de l’oubli

Taloi Havini – From Refugee to Exile
Les fleurs ? Pour une autre fois.
Toutes les fleurs de sable de la
ville. Sur les fenêtres, dans les
cheveux de jais des femmes, au
cou des suiveurs de chariots. Et
tous les champs : les carrés blonds,
le vent, frissons sertis de flaques
blanches. Mille insectes s’agitent,
gerbe d’or, petits pas. Terra Nostra !
Un jour sans mots – (Susanne Derève)

Imogen Cunningham – Jacinthes d’eau
Je ferai d’aujourd’hui
un jour sans mots
un jour pour rien
un jour d’oubli
Le gel a brodé de ses noires dentelles
mes roses de Noël
mes roses vertes
mes roses sève
Elles qui fleurissaient
mon cœur de vase bleue
empli de tourbe et de fumée
J’ai refermé les mots de la souffrance
avec une clé de métal froissé
Il faut prendre garde à l’errance
J’ai tant rêvé n’en reste
que le silence comme un vide
propice rayon de miel
du miel des mots ceux
dérobés à la conscience
Je n’irai pas les soustraire au matin
au brouillard à la nuit
je n’irai pas les puiser à la mer
la mer fait relâche aujourd’hui
c’est marée basse l’estran dévoilé
comme on dévoile un cœur de tourbe
et de fumée sans pudeur
et le chanfrein de l’heure bleue
où la lumière bascule
celle où le jour recule
voix sans timbre grain de vie
étouffé
chuchotements le froid
devers la nuit soudain tombé
et sur mes hellébores
cette noire dentelle
ce mortel baiser
Oubli (2) – Susanne Derève
LE BA DANG Lotus (1953 – encre )
Cendres légères
cendres du passé
de l’innocence aveugle
Ces richesses que j’étreins
que j’embrasse entre veille et sommeil
sont-elles nées du rêve sans cesse formé
et reformé
d’un bonheur qu’on s’apprête à cueillir
comme les fleurs d’un très ancien voyage
ce souvenir que j’entrelace
comme un ruban entre les doigts
avec les mots que tu m’envoies
Un corps qui ploie sur l’eau
la barque silencieuse
la main effeuille les lotus roses
à fleur d’eau
Sous la roche suintante
l’écho
peut-être de ta voix que j’invente
Les rames glissent en ombres grises
au-delà du miroir
surface sans reflet que les nuages
le grain des pierres
un livre ouvert sur des images
dont je trace le cours pas à pas
Cendres légères
Est-ce une rêverie que tu as désarmée
l’innocence solaire
que tu m’offres à mains nues
que je recueille avec les vestiges
des nuits passées
Aurores bues
de tendresse de douceur
de ces mots tus
que je t’adresse
avant qu’ils ne se figent
et que tu me retournes
comme le bouquet vivace
d’une promesse de bonheur
C’est juste le hasard, qui m’a placé là – ( RC )
Je n’ai qu’à ouvrir les yeux,
après la nuit,
pour me lancer dans l’aventure,
– car j’ai tout oublié d’avant – ,
et chaque matin
est un nouvel apprentissage,
une nouvelle enfance.
C’est avec elle, que je dois progresser,
apprendre à marcher .
J’essaie de reconnaître les choses,
qui se penchent sur moi,
je leur donne des noms,
qui semblent venir d’une autre langue,
et ne sais qu’en faire.
C’est juste le hasard,
qui m’a placé là .
–
RC – janv 2018
Oubli (Susanne Derève)
André Marchand, 1907-1997, Paysage de neige, 1940,
Cendres légères
rêveries désarmées
mémoire.
Cendres du passé
De l’innocence aveugle.
Richesses
vous ai-je crues dans un autre autrefois
solaires
inépuisables
et de vie à trépas
vous voilà à mains nues
tristement balayées
effacées abolies
Sel blanc sel entre les doigts flutés
sable sec des larmes inutiles.
Spoliés
dépossédés nous sommes
des ivresses de l’amour
des tendresses égarées de l’âme
enfouies dans ces images monochromes
du souvenir
liquéfiées dissoutes.
Nuits du sommeil intolérable
nuits d’insomnie
où le vertige
de ce que nous avons vécu
ce que nous avons laissé échapper
s’enfuir
ce que nous avons cédé à l’oubli
pamoison inutile vaine
nous laisse agonisant
de l’irréparable douleur de la perte.
Comme le noyé sur la grève
échoué à la frange des vagues
entre deux eaux
entre deux mondes
entre veille et sommeil.
Que l’emportent que nous emportent les voiles
du passé
s’il faut finir
alors n’attendons plus vivons
Connais-tu la fin de l’histoire ? – ( RC )
photos perso montage – musée archéologique de Lisbonne
Connais-tu la fin de l’histoire,
puisqu’il en manque de grands morceaux ?
On peut toujours combler les manques,
en déduire des trajectoires,
en tout ce qui s’est perdu
dans la grande fosse de l’oubli .
Pour ceux qui vivent ici,
c’est au présent,
qu’ils cultivent leur jardin.
Leur origine s’est diluée
dans les générations.
Les racines de l’arbre vont si loin,
et se ramifient tellement,
que les suivre se fait en pure perte.
Ce qu’il en émerge est la partie visible
de l’iceberg des siècles.
Pour en revenir à celui qui cultive son arpent,
le voila qui remonte au jour
des fragments de marbre.
Un voisin en a trouvé d’autres.
Ce sont des mains finement sculptées,
qui tiennent entre leurs doigts
de drôles d’objets,
mais il manque le corps
auxquel elles correspondent.
Sauras-tu me dire ce que signifient
ces lambeaux d’une mémoire
à jamais enfouie
sous une épaisseur de terre ?
Nous en avions oublié, même l’existence
dans le désastre de l’abandon des aubes .
Celles-ci ne nous ont pas vu naître.
Peut-être que le vieux faune endormi s’en souvient .
S’il n’était pas de marbre, > il nous répondrait peut-être…
–
RC – juin 2018
Thomas Vinau – Quelque chose
Il y a quelque chose en lui
d’un enfant mort
qui se battrait
avec un vieux chat
Quelque chose de poussière et de cendre
de murmure et d’oubli.
il y a quelque chose en lui
qui chante
comme un Indien s’en va.
Quelque chose
de la bête qui fuit
de l’ironie d’un ciel
d’une petite brûlure
quelque chose
d’un méandre qui gonfle
d’un complot qui s’ourdit
D’une tempête perdue
dans les yeux d’une fille.
quelque chose de tendre
qui crie .
Jacques Lovichi – Piazzale Michelangelo