Michel Pierre – un seul mot

À l’intérieur d’un seul mot vous ne respirez plus. La phrase vous laisse l’oxygène indispensable pour en revenir à l’idée, elle-même ombre du paradoxe qui retenait vos poings liés à la page blanche. Sinon des animaux sauvages s’emparent de votre délire. Vous parcourez toutes les savanes, remontez les déluges, appliquez à votre mémoire le vide circonstancié qui aspire faits et gestes anciens, lesquels couturent votre calotte ou, si vous préférez, votre bonnet d’enfance. Suffirait de bégayer dans l’oreille d’un imbécile qui vous prend illico pour un fieffé poète. Alors, ce qui doit être dit, laissez-le raconter par le plus prestigieux d’entre nous, celui dont la panse est couverte de médailles surannées, triste devant la connaissance qui rend obèse, aspire l’inspiration, asphyxie les phénomènes grammaticaux, l’ensemble prêt à rendre les ours comestibles. Bref, souriez sans réfléchir. Toute bulle vous conduit au firmament de l’impossible. Vos voisins sont des bâtisseurs et déjà vous n’apercevez plus la mer qui gronde, ignorez la torpeur des marais, n’entretenez plus le geste qui sauve et que, pourtant, vous avez déniché dans le bréviaire sacré de votre solitude. Et ce livre, écrit à l’intérieur d’un seul mot, ne sera jamais ouvert à la page de la moindre illumination.
Michel Pierre, L’enfer vaut l’endroit = ( publication des éditions des vanneaux )
Décapiter les fleurs du jardin – ( RC )

Tu as tenu dans tes bras le bouquet de l’été,
Que le vent tiède a fleuri ,
et lentement , coupées de leurs racines,
les têtes ont fléchi.
Tu as tenu dans tes bras ton ventre arrondi,
que l’amour a fleuri ,
mais éloigné de ses racines ,
ton corps s’est flétri .
Il n’y a eu que sécheresse
et le froid, l’hiver
et la détresse
et la bouche amère.
Il y a un mot pour décrire
celui qui n’a plus de parents
mais il n’y en a pas pour dire
une mère perdant son enfant.
Comment interroger le destin,
quand , fleur après fleur
se perd dans le lointain
la plus petite lueur ?
La mort était-elle dans ton sein
pour qu’ainsi, elle vienne
décapiter les fleurs du jardin
et les priver d’oxygène … ?
–
d’après un texte de Marina Tsvétaieva
RC – août 2016
Décapiter les fleurs du jardin – ( RC )
Tu as tenu dans tes bras le bouquet de l’été,
Que le vent tiède a fleuri ,
et lentement , coupées de leurs racines,
les têtes ont fléchi.
Tu as tenu dans tes bras ton ventre arrondi,
que l’amour a fleuri ,
mais éloigné de ses racines ,
ton corps s’est flétri .
Il n’y a eu que sécheresse
et le froid, l’hiver
et la détresse
et la bouche amère.
Il y a un mot pour décrire
celui qui n’a plus de parents
mais il n’y en a pas pour dire
une mère perdant son enfant.
Comment interroger le destin,
quand , fleur après fleur
se perd dans le lointain
la plus petite lueur ?
La mort était-elle dans ton sein
pour qu’ainsi, elle vienne
décapiter les fleurs du jardin
et les priver d’oxygène … ?
–
RC – août 2016
–
en liaison avec « poème à l’orphelin » de M Tsvetaieva
Malika Farah – Papillon

papillon azuritis
Deux extraits de l’ensemble de textes intitulé « papillon », de Malika Farah, visible dans le recueil « dans tous les sens » ed La Passe Du Vent Parution : 17/05/2001
Hissez là-haut ! Encore plus de recul !
Portées au-delà de l’ennui, sérénité et lucidité s’élèvent.
Dans ce lieu rêvé, l’âme est en sursis.
Rêve, papillon, de lumière d’étoiles.
Papillonne au-delà de la simple jungle terrienne et menaçante !
Rien autour du débordement de la vie,
Que le va et vient du vent
Portant un air de désir inassouvi,
Vole, papillon, les ailes déchirées.
Survole l’horreur,
Survit ! le mal s’enlise seul.
Sous la lumière divine, l’envol est possible.
——————–
Arbre de l’humanité, l’esprit en chacune de tes feuilles.
Quand le corps se décompose en une poussière d’ange.
Plane au-dessus des branches d’oxygène,
Pour nous pauvres mortels.
L’automne arrive au gré du vent, on vole et se régénère
En des âmes profondes !
Malika FARAH
–
Serge Mathurin Thebault – Toussaint

Choix de Chrysanthèmes…(aussi le symbole de l’Empereur du Japon.)
La mort des hommes me concerne
Depuis quelques temps
Je lis la page nécrologie
Pour prendre connaissance
Si un quidam de mon entourage
N’a pas pris la poudre d’escampette
Sans avoir eu la politesse de m’avertir
C’est une habitude qui va avec l’âge
Plus on vieillit plus jalonne la route
La disparition d’êtres humains
Qui à défaut d’avoir partagé le pain
Avons en toute insouciance
Becqueter l’oxygène
L’élément indispensable
De la respiration
Ce n’est pas que mourir
M’angoisse particulièrement
Le joueur d’échec sait toujours
Qu’il y a fin de partie
Soit dit quand même
Je ressens injustice
De voir homme ou femme
De ma génération
Et parfois plus jeunes
Fauchés blés
Au beau milieu
De leur déjeuner
Avec l’existence
La mort de l’autre
C’est toujours un peu la sienne
Quand je m’échinais dramaturge d’état
Dans le thème obsédant du mal être
Chaque suicidé était un peu de ma peau
Qui pourrissait sans avoir eu
Son comptant d’enchantements
La lumière cisèle un rai
Au milieu de mes rideaux
Cela éclaire mon carnet
De quelques visages radieux
Que ma mémoire soupçonneuse
Croyait avoir oublié
C’est sentiment prenant
Frisson dans la couenne du dos
Larmes que j’aurai mal à retenir
Si je savais pleurer
Mais voilà le sensible
Ne connaît pas les pleurs
C’est façon à survivre
Pour pépier en toute liberté
Les détails et les grandeurs
De cette pérégrination ordinaire
Qui ma foi
Pour n’être pas de première main
Autorise de griffonner ces mots
Qui font du bien à ceux
Qui les écrivent
Et j’espère aussi à ceux
Qui les lisent
Soleil de Toussaint
Sur le coin de la table
Pourtant quelque part dodeline
Dans la couette mélancolique
Des nuages
Un cerceau de lune
Où s’attarder entier
Dans la soie de l’enfance.
Voilà ce qui me fallait écrire
Aujourd’hui sur la mort des autres
Qui est toujours mienne.