Raymond Queneau – leçon de choses

Venez, poussins
asseyez-vous
je vais vous instruire
sur l’œuf
dont tous
vous venez, poussins
L’œuf est rond
mais pas tout à fait
Il serait plutôt
ovoïde
avec une carapace
Et vous en venez tous, poussins
Il est blanc
pour votre race
crème ou même orangé
avec parfois collé
un brin de paille mais ça
c’est un supplément
A l’intérieur il y a
Mais pour y voir faut le casser
et alors d’où – vous, poussins – sortiriez ?
Raymond QUENEAU « Le Chien à la mandoline » (Gallimard)
Louba Astoria – le la de mes étés

L’océan mouvant des épis s’est asséché
Juillet fauché
La paille des blés
A l’odeur sèche et drue
Des hérissons jaunis qu’elle a dressés dans les champs
Les soirs se laissent envoûter
Au ciel, d’étoiles pailletées
Ici-bas, d’une humidité serpentine, grimpante
Entre les vapeurs persistantes et dorées
Séduite par cet entrelacs d’odeurs
Les grésillements des grillons et les grelots des jeunes grenouilles
L’obscurité languissante
S’affaisse et enveloppe les derniers parfums de ces journées grouillantes
Repues de soleil et de poussière
Dans un voile de repos bien mérité
Alors un vent léger déroule sa tresse
Entre les feuilles déjà grillées des cerisiers
Disperse lentement les odeurs de ma jeunesse
Et caresse la nuit pour ne pas l’effrayer
Depuis je m’endors à la belle étoile
Pour goûter encore l’ivresse de ces soirs de moisson
Perdus
Le temps où les éclats du quatorze-juillet
Culminaient en ces enchantements béats
Et donnaient le la de mes étés
Esther Tellermann – Choucas
photo perso fresque de l’église de JANAILHAC
Ils sont tiens
les choucas
les Dieux peints
les tissus refroidis
la sueur
et la grille
Ils sont tiens
les lits durs
les goûts de paille
l’usure
des soulèvements
***
Car
rien ne donne la réponse
ni dômes surgis
ni masques de terre
Pistes s’égrènent en copeaux
en nuits balayées par les torches
Etions accoutrés d’os
faisant commerce de braise
***
Le défilé des images ( RC )
–
En suivant les traces du temps
Comme des empreintes laissées dans la boue,
Il y a, sur ce fil,
Le défilé des images
De celles qui marquent un instant
Et finissent par pâlir,
Cartes postales oubliées au fond des tiroirs,
Restes d’affiches de campagnes électorales,
Catalogues fournis pour produits d’antan,
Et aussi les albums épais,
Des photos de famille.
Je parcours le tout,
Où se transforme,
En épisodes chronologiques,
L’univers, même réduit au dehors,
Bordé de maisons proches,
Qui s’enhardissent de grues,
Et deviennent immeubles.
La famille rassemblée,
Au pied de l’escalier,
S’est agrandie d’un nourrisson,
Maintenant debout sous un chapeau de paille,
Puis, regardant sur la droite,
Le chat gris faisant sa toilette,
Que l’on retrouve seul, enroulé sur lui-même.
Ensuite, c’est une tante de passage,
Dans ses bras, une petite soeur arrivée…
> Tout le monde est gauche,
Dans ses habits du dimanche,
Après le repas,
Peut-être suivant le baptême;
…. Il fait très beau dehors.
Ce sont donc des photos du jardin,
Les enfants jouent au ballon,
. Le tilleul a étiré son ombre,
Au-delà de la grille voisine.
Plus tard, toujours sur l’escalier,
Les habits suivent une autre mode,
….Dix ans se sont écoulés.
Le grand-père n’est plus,
Les allées sont cimentées,
La perspective est close,
D’un nouveau garage,
Occupé d’une voiture,
Brillant de ses chromes,
Elle apparaît sombre,
Peut-être verte…
Un autre album,
Tourne la page d’une génération,
Le format des images a changé,
Issues d’un nouvel appareil.
C’est maintenant la couleur,
Témoignant des années soixante.
L’extravagance des coiffures,
Et des motifs géométriques,
S’étalant sur les murs,
Le règne du plastique,
Et du formica, qui jalonne encore,
Les meubles rustiques en bois.
Quelques pages plus loin,
Les teintes sucrées,
De photos polaroïd,
Donnent dans la fantaisie,
Des portraits déformés,
Pris de trop près,
Et surtout le voyage à Venise.
Gondoles et palais,
Trattorias et reflets…
Les lieux soigneusement mentionnés,
Au stylo à bille ….
> Le beau temps tourne à l’orage,
—– On suppose une dispute,
Car l’album s’arrête là,
En mille-neuf-cent-quatre-vingt,
Sur la photo de l’amie,
Partie sous d’autres horizons,
Rageusement déchirée,
Puis, maladroitement recollée,
Les souvenirs ne sont plus de mise,
Et restent clos dans le tiroir.
Le défilé des images, lui, s ‘immobilise.
–
RC – 10 et 11 août 2013
–
Claudia Serea – J’écris pour des fantômes
- peinture: Natalia Goncharova piliers de sel
peinture: Natalia Gonchavora: piliers de sel
–
I write for ghosts
I write for you, old women
who sit at the gates, spin yarn
and knit socks for the dead.
My every gesture is mirrored
by a thousand hands.
I carry these faces inside me,
on my back,
on my feet.
The ghosts don’t let me sleep.
They gather on windowsills and roofs,
in the moon’s breath,
and chat
with chattering teeth.
I write for my father
who still hangs on in Skype,
to reach him,
fill the gap with words.
Hang on, Daddy, hang on.
Here’s a rope ladder.
Here are the words, Daddy.
Here’s the blood,
the new heart,
the straw.
—
— ( ma traduction )
————–
J’écris pour des fantômes
J’écris pour vous, les femmes âgées
qui sont assises aux seuils de portes,
à faire tourner le fil
et tricoter des chaussettes pour les morts.
–
Chaque geste est reflété
par mille mains.
Je porte ces visages à l’intérieur de moi,
sur mon dos,
sur mes pieds.
Les fantômes ne me laissaient pas dormir.
Ils se rassemblent sur les appuis de fenêtre et les toits,
dans le souffle de la lune,
et discutent
en claquant des dents.
–
J’écris pour mon père
qui est encore pendu à Skype,
pour l’atteindre,
combler l’écart avec les mots.
–
Accroche-toi, papa, accroche-toi
Voici une échelle de corde.
Voici les mots, papa.
Voici le sang,
le nouveau cœur,
la paille.
—
la version roumaine:
Scriu pentru stafii
Scriu pentru voi, femei batrane
ce stati la porti, toarceti
si impletiti ciorapi pentru morti.
Fiecare gest mi-e oglindit
de o mie de maini.
Port aceste fete in mine,
pe picioare,
in spate.
Stafiile nu ma lasa sa dorm.
Se strang pe pervazuri si acoperisuri,
in rasuflarea lunii,
si palavragesc
clantanind din dinti.
Scriu pentru tatal meu
ce inca asteapta pe Skype,
sa ajung la el, sa umplu
golul cu cuvinte.
Stai asa, tata, asteapta-ma,
uite scara de franghie.
Uite cuvintele, tata.
Uite sangele
si-o inima noua,
si-un pai
de care sa te agati.
—_____________________________________
Claudia Serea est une poétesse roumaine, qui a immigré aux USA en 1995 U.S. elle est l’auteur de l’éternité de l’orthographe (Finishing Line Press, 2007)
Bernard Noël – Grand arbre blanc
Grand arbre blanc
à l’Orient vieilli
la ruche est morte
le ciel n’est plus que cire sèche
sous la paille noircie
l’or s’est couvert de mousse
les dieux mourants
ont mangé leur regard
puis la clef
il a fait froid
il a fait froid
et sur le temps droit comme un j
un œil rond a gelé
grand arbre
nous n’avons plus de branches
ni de Levant ni de Couchant
le sommeil s’est tué à l’Ouest
avec l’idée de jour grand arbre
nous voici verticaux sous l’étoile
et la beauté nous a blanchis
mais si creuse est la nuit
que l’on voudrait grandir
grandir
jusqu’à remplir ce regard
sans paupière grand arbre
l’espace est rond
et nous sommes
Nord-Sud
l’éventail replié des saisons
le cri sans bouche
la pile de vertèbres grand arbre
le temps n’a plus de feuilles
la mort a mis un baiser blanc
sur chaque souvenir
mais notre chair
est aussi pierre qui pousse
et sève de la roue
grand arbre
l’ombre a séché au pied du sel
l’écorce n’a plus d’âge
et notre cour est nu
grand arbre
l’œil est sur notre front
nous avons mangé la mousse
et jeté l’or pourtant
le chant des signes
ranime au fond de l’air
d’atroces armes blanches qui tue
qui parle le sang
le sang n’est que sens de l’absence
et il fait froid grand arbre
il fait froid
et c’est la vanité du vent
morte l’abeille
sa pensée nous fait ruche
les mots
les mots déjà
butinent dans la gorge
grand arbre
blanc debout
nos feuilles sont dedans
et la mort nous lèche
est la seule bouche du savoir
*
.Bernard Noël
–
Francis Dannemark – Autrement dit, l’amour
Autrement dit, l’amour
pour F.
Il y a,
il y a des jours de raisins doux, de pommes d’or,
de quoi faire taire notre vieille soif.
Et l’eau qui court, torrents, rivières,
court sous la peau, enrobe nos cœurs, calme nos doigts.
Rien ne manque, rien n’est mieux,
et quand la nuit vient, elle affiche pour nous deux
un jeu complet d’étoiles.
Il y a des jours de fruits amers,
quand les pépins écrasés
nous blessent un peu la langue,
nous font former des mots moins beaux.
Il y a des jours de courte paille
où trois fois l’on tire la plus courte.
Les enfants sont un peu trop loin
pour qu’on entende leurs rires
et le chien qui murmure des rêves moroses
semble ne plus nous reconnaître.
Il y a des jours où tu m’aimes,
des jours où tu m’aimes bien.
Ainsi nous avançons, nous souvenant
et oubliant, marée haute, marée plate,
que le bonheur est un mélange
et que jamais il ne ressemble
ni tout à fait à ce que nous croyons
ni à lui-même,
–
Le petit grain de sable (RC)
C’est une histoire de paille
Juste un petit détail
Qui change l’atmosphère
Et met l’monde à l’envers
L’histoire qui begaye
Le fusil qui s’enraye
Choisir la mauvaise mise
Et plonger dans la crise
Une toute petite faille,
Et le train déraille.
On n’aurait pas cru capable
Ce petit grain de sable
De quelle origine ?
– bloquant la machine
Se produit l’évènement
A notre grand étonnement
Plonger dans le noir
Le courant de l’histoire
C’était trop négliger
L’évènement « léger »
Qui a fait semis
D’un p’tit tsunami
A risques minimisés
Dont on a abusé.
— RC 2 avril 2012 –
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Dédié à toutes les errances de l’histoire (guerres et politiques) et catastrophes, naturelles, on non:
Seveso,AZF, Fukushima,,Exon Valdès,Tchernobyl …………….. et les autres
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