L’oeil éteint du gardien invisible – ( RC )

Je suis entré dans le palais désert,
les portes se sont ouvertes
sans que je les pousse,
un gardien invisible portait un masque :
un visiophone ouvert
sur l’indifférence…
J’étais seul dans un univers sans issue,
entouré de somptueux tableaux,
protégés par d’épais panneaux de verre.
Un sol de marbre lisse
renvoyait leur reflet.
Des sculptures aux gestes figés
tentaient de prendre leur envol,
mais le poids exagéré de la pierre
les maintenait au sol :
aucune n’avait de couleur.
Elles avaient dû la perdre
dans leur effort
pour s’échapper ainsi de l’espace clos,
où seule une lumière grisâtre
parvenait du plafond.
Mes pas , tournant sur eux-mêmes,
ont résonné
dans le dédale des salles,
Je me suis aperçu
qu’elles s’ouvraient sur celles
que j’avais déjà parcourues.
Je n’ai croisé aucun visiteur,
à qui j’aurais pu demander
la sortie.
J’ai fini par confondre
tous les tableaux,
toutes les couleurs,
sous l’oeil éteint
du gardien invisible :
pressentant que jamais,
je ne sortirais du palais…
Le ciel se ressoude, la mémoire s’en va … – ( RC )

Allons nous asseoir sur les dunes,
de là, nous verrons en rêve
se lever les rideaux de brume
déchirer des morceaux de ciel;
il y aura peut-être les colombes,
qui survoleront les palais,
pour se réfugier dans les tilleuls,
ou bien ce sera le soir,
à l’heure où le soleil tire sa révérence.
Rappelle-toi de ces oiseaux
courant, sautillant sur la plage,
ignorant les hommes
le vent, les herbes sauvages.
( Nous aurons contourné
ce bunker renversé,
qui lentement s’enfonce
dans le passé ),
comme ce château de sable…
Y aura-t-il des lendemains
à l’histoire enchantée
où tout passé s’efface ?
Le ciel se reforme,
se ressoude, la mémoire s’en va :
la ville ne laissera pas de trace.
Seuls, quelques gravats
seront poussés par le ressac
et la marée .
Sous les étoiles liquides – ( RC )
- variation sur « Ondine » de Gaspard de la Nuit de Aloysius Bertrand

En ton palais fluide,
ta robe de moire
s’orne d’ocelles:
que forment , au fond du lac ,
les ombres frêles des poissons.
Le chemin qui mène à ta demeure
serpente au gré des courants :
c’est un sentier changeant ,
bien oublieux
d’une terre qui se meurt.
De mornes rayons de lune
caressent en nuances de bleu
le balcon de ta nuit étoilée :
éclats de rires diffus
des losanges de ta fenêtre.
Verras-tu mon visage
se penchant sur l’eau ,
à contre-jour
à travers ces vitraux
dont tu ignores les contours ?
Pleureras-tu des larmes de sel
– giboulées légères ;
toi, mortelle emmurée
dans ce temple maudit
au lointain de ton continent englouti ?
Théo Léger – les dieux

Les beaux, les nobles, ce sont eux sans nul doute
qui nous donnèrent le feu et la rapide roue au caisson du char.
Le globe qui traverse en volant la Neige et l’Avril,
à l’Homme et à l’Abeille ils l’ont donné.
Sur le rivage de la mer des Ténèbres où. la Terre se noie
ils édifièrent leur palais. La demeure, ils la bâtirent
dans la flamme et le sifflement des vipères
pour que dansent la danse des masques, les sauvages.
Ils donnent mesure au Temps aérien, ils font rouler les soleils
mais ils ne savent rien des puissants ateliers
enclos dans la goutte de rosée aux ramures de l’Arbre de Mai
qui forgent sans répit la création du Monde.
(Théo Léger- 1960)
Rabindranath Tagore – cette enfant
photo Ayashok
Ce n’est encore qu’une enfant, Seigneur.
Elle court autour de ton palais , s’amuse, elle essaie de faire de toi aussi un joujou.
Elle ne prend pas garde ses cheveux décoiffés, ou à ses vêtements négligés
qui traînent dans la poussière.
Mlle s’endort sans répondre quand tu lui parles — la fleur que tu lui donnes le matin,
lui glissant des mains, tombe dans la poussière.
Lorsque la tempête éclate et que le ciel est plongé dans l’obscurité, elle ne dort plus;
ses poupées éparpillées sur le sol, elle s’accroche à toi, de terreur.
Elle craint de ne pas bien te servir.
Mais tu la regardes jouer en souriant.
Tu la connais.
Cette enfant assise dans la poussière est l’épouse qui t’est destinée;
ses jeux s’apaiseront, se feront plus graves, deviendront amour.
Anise Kolz – langage de stuc
Que me voulez-vous avec votre langage
stuc
richement orné
qui s’émiette à mon palais
Je veux des paroles comme des éperviers
volant
fonçant
ivres de soleil
sanguinaires
sans pardon
W Shakespeare – Que chaque fée vagabonde à travers cette maison.
illustration: Mark Ryden
Que chaque fée vagabonde à travers cette maison.
Nous irons au plus beau des lits nuptiaux
Et il sera par nous béni:
Et la lignée qui y sera créée
Sera heureuse à tout jamais.
Ainsi ces trois couples toujours
Seront fidèles en amour;
Et les flétrissures de la nature
Devront épargner leur progéniture.
Ni tache, bec-de-lièvre ou cicatrice,
Aucune des marques funestes
Que l’on redoute à la naissance,
Ne doit atteindre leurs enfants.
Que chaque fée vienne répandre
Cette rosée sacrée des champs,
Et qu’elle bénisse chaque chambre du palais
D’une douce paix,
Et que le maître en soit béni.
William Shakespeare, Le songe d’une nuit d’été –
édition bilingue (coll. Folio Théatre/Gallimard, 2003)
traduction de l’anglais par Jean-Michel Déprats
Perfections et symétries – ( RC )
Tu mesures les formes parfaites,
où tous les côtés se répondent,
et obéissent aux mesures identiques .
Ainsi le constructeur tend vers l’utopie
de la vision où la mathématique
prend le dessus de la vie .
Les rosaces des cathédrales,
tournent en mouvements figés ,
aux soleils fractionnés,
Les mosaïques aux jeux complexes,
zelliges enchevêtrés
excluent l’humain dans le décoratif.
Des palais imposants,
forçant la symétrie,
se mirent à l’identique
avec le double inversé,
du bavardage pompeux
des images de l’eau .
Se multiplie la dictature
de la géométrie des formes
répondant à leur abstraction ,
comme des planètes qui seraient
cuirassées dans une sphère lisse
d’où rien ne dépasse.
… Des formes si lisses,
voulues à tout prix,
qu’elles génèrent l’ennui
excluant la fantaisie
le désordre
et le bruit.
Les formes parfaites
s’ignorent entre elles
définitives, excluant la vie
comme des pièces de musée,
pierres précieuses,
diamants de l’inutile
dont finalement
la froid dessin, clos sur lui-même
finit par encombrer .
Dans le passé, on ajoutait
à un visage de femme trop régulier
un grain de beauté, une mouche,
quelque chose pour lui apporter
une différence, un cachet
sa personnalisation, un « plus » de charme
une irrégularité, une surprise,
portant dans son accomplissement
la griffure du vivant
Elle se démarque du cercle fermé
de la beauté idéalisée par quelque chose
contredisant la perfection
Celle-ci demeure une vue de l’esprit,
bien trop lointaine
pour qu’on puisse s’en saisir.
–
RC – août 2016
Il se pourrait, il suffirait – ( RC )
Il se pourrait que tu regardes
Ce qu’il reste d’une flamme éteinte,
Un pétale humide, laissant son empreinte,
Dans ce livre aimé, sous la page de garde…
Une trace décolorée,
Un parfum évanoui,
Un sourire enfui,
Une porte dorée….
Il se pourrait que tu pleures,
Et que tes yeux se lâchent,
Les pages en garderont des taches,
Presque invisibles , du coeur…
Changent les saisons,
Le printemps s’est éteint,
Tu as suivi d’autres chemins,
Emportée par les vents, contre la raison…
Il se pourrait que tu lises,
D’anciennes lettres, d’anciennes missives,
Egarées sur d’autres rives,
Que c’est loin, le temps de Venise…
Les détours des ruelles,
Les ponts sur le Rialto
Comme ses palais, notre amour a pris l’eau,
Celui, qu’on pensait éternel.
Il se pourrait que tu trouves,
Dans toute cette paperasse,
Dans ce qui ne s’est pas dissous, un lien, tenace,
Qui dans ces pages couve…
Pour redonner un espoir
Ressouder les mains,
Et permettre aux lendemains,
De repeindre le soir.
Il suffirait que tu viennes,
Pour redonner des couleurs,
A ces anciennes fleurs,
Si tu es toujours magicienne.
Il n’y a pas de danger,
Pas de risque de drame,
Même, à activer la flamme,
…Tu vois, je n’ai pas changé.
–
RC – 23 novembre 2013
–
Le défilé des images ( RC )
–
En suivant les traces du temps
Comme des empreintes laissées dans la boue,
Il y a, sur ce fil,
Le défilé des images
De celles qui marquent un instant
Et finissent par pâlir,
Cartes postales oubliées au fond des tiroirs,
Restes d’affiches de campagnes électorales,
Catalogues fournis pour produits d’antan,
Et aussi les albums épais,
Des photos de famille.
Je parcours le tout,
Où se transforme,
En épisodes chronologiques,
L’univers, même réduit au dehors,
Bordé de maisons proches,
Qui s’enhardissent de grues,
Et deviennent immeubles.
La famille rassemblée,
Au pied de l’escalier,
S’est agrandie d’un nourrisson,
Maintenant debout sous un chapeau de paille,
Puis, regardant sur la droite,
Le chat gris faisant sa toilette,
Que l’on retrouve seul, enroulé sur lui-même.
Ensuite, c’est une tante de passage,
Dans ses bras, une petite soeur arrivée…
> Tout le monde est gauche,
Dans ses habits du dimanche,
Après le repas,
Peut-être suivant le baptême;
…. Il fait très beau dehors.
Ce sont donc des photos du jardin,
Les enfants jouent au ballon,
. Le tilleul a étiré son ombre,
Au-delà de la grille voisine.
Plus tard, toujours sur l’escalier,
Les habits suivent une autre mode,
….Dix ans se sont écoulés.
Le grand-père n’est plus,
Les allées sont cimentées,
La perspective est close,
D’un nouveau garage,
Occupé d’une voiture,
Brillant de ses chromes,
Elle apparaît sombre,
Peut-être verte…
Un autre album,
Tourne la page d’une génération,
Le format des images a changé,
Issues d’un nouvel appareil.
C’est maintenant la couleur,
Témoignant des années soixante.
L’extravagance des coiffures,
Et des motifs géométriques,
S’étalant sur les murs,
Le règne du plastique,
Et du formica, qui jalonne encore,
Les meubles rustiques en bois.
Quelques pages plus loin,
Les teintes sucrées,
De photos polaroïd,
Donnent dans la fantaisie,
Des portraits déformés,
Pris de trop près,
Et surtout le voyage à Venise.
Gondoles et palais,
Trattorias et reflets…
Les lieux soigneusement mentionnés,
Au stylo à bille ….
> Le beau temps tourne à l’orage,
—– On suppose une dispute,
Car l’album s’arrête là,
En mille-neuf-cent-quatre-vingt,
Sur la photo de l’amie,
Partie sous d’autres horizons,
Rageusement déchirée,
Puis, maladroitement recollée,
Les souvenirs ne sont plus de mise,
Et restent clos dans le tiroir.
Le défilé des images, lui, s ‘immobilise.
–
RC – 10 et 11 août 2013
–
Théo Léger – Le courtisan
–
LE COURTISAN
Pareil à la sculpture indispensable aux palais
à l’architecture d’une salle de bal
Virtuose des redoutes,
Cicérone des alcôves de la cour,
tel le voilà! si léger qu’il tourne à tout vent.
Il s’exerce à la danse : art très utile
Aux temps du carnaval
d’un tour de valse il fait tomber dans la disgrâce
des tribus tout entières.
Rompu aux méandres du jeu, il suffit qu’au moment juste
un nom lui tombe des lèvres entre deux airs,
avant que sa main ne marque la nouvelle cadence
un bouquet de têtes ennemies
déjà s’est fané aux potences.
Il est tout agilité, mémoires de balcons secrets,
d’un toucher de prophète si parfait
qu’en te serrant la main
il connaîtra ta place au banquet de l’an prochain.
Il peut si nécessaire (on ne soupçonne les amoureux)
s’éprendre d’une Juliette
traînant tête vide une clameur de ragots
qui lui dira le temps précis d’abandonner des murs branlants
et d’attendre que pâlissent les traces de sang.
Puis, à l’heure où les maîtres nouveaux regardent
écœurés d’ail, obèses de choucroute, nostalgiques
l’île déserte d’un morne trône, le revoilà!
{Théo Léger) (1963)
–
la verte menace du supérieur aux oiseaux (RC )
art A Wölfli
–
Notes assemblées, collées,
passages soulignés, paragraphes décalés,
—- Secrets d’alcôve de palais vénitiens
Ce calme précaire suspendu dans les airs,
- intérieur à la flamande,
La toilette de la mariée se détourne ,en carrelage froid.
Le somptueux , voisine l’éventail rosi
– chevelure fantasque,
Comme le plumage onctueux d’orange, se profile
L’œil fixe, me cloue, – rapace – de face.
Peu à peu le récit se cristallise de métaphores lisses,
Décrites d’ombres nettes, vers le double encadré.
Epinglé, et qui n’est pas miroir.
Lance brisée, sous la verte menace du supérieur aux oiseaux,
Et l’arlequin déguisé, rentré là, comme par effraction.
Rien n’est dit , du robinet qui goutte,
( On l’entend plus qu’on ne le montre, )
Contre le temps qui s’écoule, cascade
La coiffure , d’un gnome aux quatre seins,
Avorton oublié là, sans qu’on paraisse y prêter attention,
Au seuil de l’inquiétude.
–
RC – 28 avril 2013
–
Philosophie délirante – ( RC )
A la philosophie vivante,
j’associe la délirante
A l’amour magicien
Chacun y met du sien
Dans son beau palais
Cléopatre fait des siennes
Elle a fermé les persiennes
César en faux con maltais
On lui a grillé les neurones
Il monte la garde au fond du Rhône
Caché longtemps dans l’abri liquide
D’une eau pas très limpide
Il eût été inspiré de rester à Rome
Sans courir après les fantômes
Ni convertir les celtiques
Par la langue de bois politique
On aurait préféré l’amour magicien
A l’habileté du politicien
Et qu’il laisse ses bataillons
Manger cornichons et graillons.
A force de courser Cléopâtre
Et son profil d’albâtre
Il a loupé l’été, la plage
Le soleil, et le bronzage
Et les pieds en éventail
Plutôt qu’un champ de bataille…
cet article est une réponse complément à celui de JoBougon : voir http://jobougon.wordpress.com/2011/10/12/philosophie-vivante/#comment-2438