Quatre ans déjà – ( RC )
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Et toi, saupoudrée d’encre, ta page, celle qui m’est destinée,
suivant des parallèles, avec ces boucles calligraphiées,
parfois un peu tremblantes….. je pensais aussi aux temps,
où il fallait nourrir la plume métallique,
d’encre violette – ( elle y laissait aussi des reflets mordorés) .
Le fil des récits de ta vie là bas, accompagné de minuscules éclaboussures
– la résistance du fil du papier –
sous la lumière vacillante du chandelier, arabesques s’envolant,
se liant en fantaisie. Tu y joins un pétale de rose.
L’écriture appliquée, court ainsi sur plusieurs feuillets, régulière,
et les mots sur la page, posés sans effort,
….ce qu’il faut en quelque temps pour te dire, fluide et posée.
Et si la place vient à manquer, resserrer les lettres,
introduire une remarque entre les lignes,
qui parfois s’échappe en travers, ou bien donne dans l’angle droit,
sur la marge.
Ces paroles, à défaut de les entendre, nourries du geste souple de ta main,
conservées telles quelles, dans ta missive,
pliée en trois dans une enveloppe, couleur saumon,
ouverte par sécurité, dit-on.
Et les premiers mots de notre fils, les boucles hésitantes des mots gravitant
entre la rigidité des lignes grises , accompagnant le dessin d’un bonhomme tétard,…
çà doit être moi…
il y a écrit « Papa »… premiers mots à franchir les murs de la prison.
Quatre ans déjà.
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RC- 12 septembre 2013
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Claudia Serea – J’écris pour des fantômes
- peinture: Natalia Goncharova piliers de sel
peinture: Natalia Gonchavora: piliers de sel
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I write for ghosts
I write for you, old women
who sit at the gates, spin yarn
and knit socks for the dead.
My every gesture is mirrored
by a thousand hands.
I carry these faces inside me,
on my back,
on my feet.
The ghosts don’t let me sleep.
They gather on windowsills and roofs,
in the moon’s breath,
and chat
with chattering teeth.
I write for my father
who still hangs on in Skype,
to reach him,
fill the gap with words.
Hang on, Daddy, hang on.
Here’s a rope ladder.
Here are the words, Daddy.
Here’s the blood,
the new heart,
the straw.
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— ( ma traduction )
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J’écris pour des fantômes
J’écris pour vous, les femmes âgées
qui sont assises aux seuils de portes,
à faire tourner le fil
et tricoter des chaussettes pour les morts.
–
Chaque geste est reflété
par mille mains.
Je porte ces visages à l’intérieur de moi,
sur mon dos,
sur mes pieds.
Les fantômes ne me laissaient pas dormir.
Ils se rassemblent sur les appuis de fenêtre et les toits,
dans le souffle de la lune,
et discutent
en claquant des dents.
–
J’écris pour mon père
qui est encore pendu à Skype,
pour l’atteindre,
combler l’écart avec les mots.
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Accroche-toi, papa, accroche-toi
Voici une échelle de corde.
Voici les mots, papa.
Voici le sang,
le nouveau cœur,
la paille.
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la version roumaine:
Scriu pentru stafii
Scriu pentru voi, femei batrane
ce stati la porti, toarceti
si impletiti ciorapi pentru morti.
Fiecare gest mi-e oglindit
de o mie de maini.
Port aceste fete in mine,
pe picioare,
in spate.
Stafiile nu ma lasa sa dorm.
Se strang pe pervazuri si acoperisuri,
in rasuflarea lunii,
si palavragesc
clantanind din dinti.
Scriu pentru tatal meu
ce inca asteapta pe Skype,
sa ajung la el, sa umplu
golul cu cuvinte.
Stai asa, tata, asteapta-ma,
uite scara de franghie.
Uite cuvintele, tata.
Uite sangele
si-o inima noua,
si-un pai
de care sa te agati.
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Claudia Serea est une poétesse roumaine, qui a immigré aux USA en 1995 U.S. elle est l’auteur de l’éternité de l’orthographe (Finishing Line Press, 2007)