Pourquoi je dors dans le couloir – (RC )
Je dors à même le sol,
dans le couloir de l’hôtel.
L’air a été meurtri de couches diffuses
de tabac froid.
J’imagine qu’il y a
derrière les portes de chambres,
des lumières falotes,
et une photo défraîchie
d’une baie, quelque part,
en méditerranée.
C’est étonnant comme les choses immobiles
traversent les années.
Si le bâtiment s’écroule,
et qu’on voie comme si une tronçonneuse
était passée au travers
il y aura de chambre en chambre,
ce papier peint identique
à rayures verticales,
ces photos de la baie,
et la trace en clair, sur le mur
des armoires hautaines,
ayant déposé leur ombre,
puis qui ont basculé
avec les étages
avec une pluie de gravats.
–
Je dors à même le sol,
dans le couloir de l’hôtel.
Je n’ai pas voulu entrer
dans la chambre
que j’ai réservée ,
où l’on ne dort
que d’un sommeil anonyme.
Mais j’entends tous les bruits.
Mes voisins qui ronflent,
l’armoire noire qui baille
attendant le bon moment
pour libérer les serpents.
Ils ne vivent que la nuit
et répandent leur venin
obséquieux dans les rêves
de citadins de passage
qui traversent les voyageurs .
La ville coasse encore
sous l’effet de la brume
et des lampes à iode :
une atmosphère de fête
qui plaît aux rongeurs.
Ils grouillent de partout
pénètrent dans les moindres interstices
et prennent le pouvoir:
leurs reflets dans leurs yeux,
sont comme de petites lucioles
Ils sortent même des lambris,
renversent les brosses à dents
et dévorent les tapis.
Vous devez maintenant savoir
pourquoi je dors dans le couloir.
–
RC – janv 2019
Les yeux des tournesols – ( RC )
montage perso à partir de mise en scène de théâtre ou d’opéra
—
Je ne sais plus ce qu’il faut penser des plantes .
Elles semblent être dans l’attente,
pourtant elles grandissent trop vite,
sans qu’on les y invite.
Vois-tu ce champ de céréales
sous le soleil vertical ?
Il semble secouer des têtes heureuses,
mais peut-être sont-elles vénéneuses…
C’est sans doute par leur couleur,
que se distille le malheur,
qui se glisse en traître,
à travers la palette.
Van Gogh ne nous en dira rien,
au partage des chemins ,
sous un ciel de tempête ,
qui résonna dans sa tête….
Quand je traverse un champ de tournesols,
d’autres oiseaux prennent leur envol :
on en voit plein à la ronde ,
et les fleurs m’observent de leur pupille ronde.
Toute une foule sur plus d’un hectare,
tourne vers moi son regard :
elle se concerte et m’espionne
chaque oeil dans sa corolle jaune .
Ils ont un langage que je ne peux comprendre :
j’imagine déjà leurs murmures se répandre
entre leurs têtes lourdes
comme une musique sourde :
Je vois bien qu’ils se sont détournés de l’horizon,
du soleil et des nuages de coton
pour se pencher de façon perfide
vers moi, ( me croyant stupide ) .
Ils ont dressé un mur végétal,
une sorte d’espace carcéral ,
leurs feuilles rugueuses, des volutes,
s’étalant de minute en minute
resserrant leur étreinte
en formant un labyrinthe
d’où il sera difficile de m’extraire
tant j’ai perdu mes repères…
Je ne vois plus que la poussière et le sol,
– j’aurais dû emporter une boussole,
puisqu’à l’aube d’un désastre
il ne faut plus compter sur les astres
et que l’horizon est bouché – .
Trop de plantes que je ne peux arracher,
trop de racines qui dépassent
et envahissent l’espace.
La foule de ces yeux qui rient
provient de la tapisserie :
et de ce cauchemar , en noir
se détache l’ombre du placard .
Mes rêves se sont enfuis
au plus profond de la nuit :
les tournesols devenus sages en dessins
( répétés à intervalles réguliers sur le papier peint ) .
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RC – juin 2018