Pierre Garnier – Heureux les oiseaux, ils vont avec la lumière

ce sont orthographes nouvelles :
abeille s’écrit abeil
soleil s’écrit soleille
les abeils habitent les abbayes
les soleilles sont désormais des sources
le féminin s’empare du soleille
le masculin s’empare de l’abeil
pendant cet instant la route de la mort
est barrée
l’abeil, la soleille
c’est la meilleure orthographe
apesant
le poète modifie le monde
la pomme devient poème
l’abeille courte devient abeil
les abeils et les soleilles se rapprochent
du presbytère
on y voit plus clair quand le poète
fait son orthographe
les abeils semblables à la lumière
et aux dentels –
les abeils, les abbés, les abbayes
proches maintenant
de la soleille
l’enfant regard’ le mur de l’écol’
par où passent triangles, losanges et sphères –
ainsi les papillons, les abeil’, les libellules –
le Vieil homme ne perd rien en perdant la vie
– il a atteint la cielle et l’abeil
origine : editions des Vanneaux
Méduse et boîte de conserve – ( RC )

Frasques flasques
en reflets sur galets –
matière confuse d’une méduse
mauvais rêve à flanc de grève…
hydre molle dans l’attente
de marée montante;
faut-il qu’on l’apprivoise ?
Qui ferait collection
de bulles , de tentacules
vers de vase
ou vieux poissons
épinglés comme papillons ?
Je reste sur la réserve
des images oniriques .
( mon quant-à soi
privilégie la matière opaque ) ,
– oublier le ressac
– ouvrir une boîte de conserve :
un en-cas assez pratique
à défaut d’être romantique
…pour le pique-nique …
Thomas Vinau – Sun/sun

C’est pour ça que des hommes parlent fort.
Hurlent. Courent.
Et travaillent.
S’épuisent chaque soir.
C’est parce que c’est vide et c’est noir dedans.
C’est pour ça qu’on a appris à lire.
À écrire et à compter.
À souder et à conduire.
C’est pour remplir le noir dedans.
C’est pour ça qu’on court après un ballon.
Qu’on escalade une montagne.
Qu’on répertorie les papillons.
C’est pour ça que des hommes ont inventé dieu
et les ampoules électriques.
Ont construit des églises et des appartements.
C’est parce que c’est noir dedans.
Angèle Paoli – une part d’ombre
peinture: Edvard Munch » Starry night »
.Viendra un jour où la beauté du ciel
se dérobera à ton visage
la part d’ombre qui gît en toi
envahira l’espace clos de ton regard
quels sourires papillons de nuit dernières lucioles
volèteront sous tes paupières closes yeux éteints
retenir le temps entre tes doigts ne se peut
il va
pareil à l’eau du torrent qui roule vers sa fin
bolge de remous
où se mêlent les eaux
Cécile Sauvage – Le vallon
dessin perso RC
Le cœur tremblant, la joue en feu,
J’emporte dans mes cheveux
Tes lèvres encore tièdes.
Tes baisers restent suspendus
Sur mon front et mes bras nus
Comme des papillons humides.
Je garde aussi ton bras d’amant,
Autoritaire enlacement,
Comme une ceinture à ma taille.
Cécile Sauvage.
Paul Gravillon – un feu d’artifice suspendu
Un feu d’artifice suspendu
s’enfonce dans le passé de la nuit
et l’illumine
Il jette des pièces d’argent
qui ont toutes les couleurs de la nacre
tous les mariages de la nuit et du jour
auxquels font contrepoint les basses
des mains entr’ouvertes
aux gris diaphanes
et des doigts demi joints
aux velours mauve
les bois s’estompent
à la lisière du soir
et tu t’avances
derrière ton masque de dentelles
froissées
ton œil pervenche
ta joue ambrée
ta moiteur crépusculaire
deux gouttes blanches
jaillissent de ton bouquet de plumes
des chauves-souris aux cris orange
fixées dans le vol
par le cerf-volant mordoré de leur beauté
déchirent un duvet rosé
leur élan vert
zigzague derrière elles
comme les veines du ciel
et de ton ventre
un doux tourbillon de papillons
saumon et pourpre
palpite
dans la transparence marine
où je m’enfonce
–
P G
Abritant des agents indésirables – ( RC )
–
Les doigts papillons,
multiplient les approches veloutées.
Je ne sais pas faire des histoires longues.
Peut-être, les insectes les grignotent ,
avant qu’elles ne puissent prendre de la consistance.
Ces petites bêtes restent bien petites … quelques larves, des moustiques, des petites mouches inoffensives, et des papillons bruns, de ceux qu’on trouve dans les céréales.
Elles ont juste comme tendance à se multiplier, de se répandre sur mes récits,
Dès que j’ai le dos tourné. Copulant dans les coins, elles parcourent joyeusement les phrases, et se nourrissent de ce qu’elles trouvent.
C’est une famille qui se porte bien, en apparence, et qui fait la fête souvent.
Je dois , en multipliant des mots, leur apporter autant de nourriture qu’elles le désirent .
Je les emporte sans doute en moi, quelque part,
à la manière des fleurs, trop aimables, qui s’ouvrent aux vents, pour que les insectes viennent y chercher le pollen.
En échange, ils déposent leurs œufs.
——– ( C’est une offrande intéressée…)
Ceux-ci restent à l’abri, au cœur même du fruit qui s’est conçu. Ils ont la nourriture assurée et le logement sur place .
L’idée même du récit s’effrite,
en quelques miettes, qu’il m’arrive de me remémorer,
le matin suivant. – presque des confettis, qu’il faudrait se résoudre à assembler par couleur, pour reconstituer l’étoffe originale, une trame tissée bien fragile, attirant tôt la petite faune .
Si, à la place de coucher les mots sur le papier, j’avais l’audace de les prononcer, une nuée de ces insectes viendrait avec,
ne tarderait pas à former un nuage, d’où même la lumière aurait du mal à s’immiscer.
Les paroles auraient un son mat, comme celui là, même des mots,
déchiquetées, et souvent incompréhensibles, à qui n’en saisit pas le fil, la logique interne ( si par hasard, il y en a une ).
——> Il vaudrait mieux que je garde tout ça pour moi
— car on a connu des cas,
où l’écriture, comme la parole, à petites doses, pouvaient s’avérer contagieuses, si une part de l’esprit rentre dans celui de l’autre, et dépose à son tour, quelques œufs, ou de simples bactéries.
Spontanément elles s’activent… c’est souvent à ce moment, je présume,
que se crée un « terrain d’entente ».
– ( on dira que tout n’est donc pas à considérer de façon négative ) –
Si la science se penche dessus, il y aurait toutes les conditions réunies, pour que cela continue son chemin, d’une autre façon … ainsi la vie sur notre planète…
—
Une simple vue de l’esprit ?
Un esprit parasité par des agents indésirables ?
Ou qui contribuent à sa propagation…
–
RC – déc 2014
Papiers-pleins , pensées plates – ( RC )
—
Il y avait sur le mur,
Plein d’ailes portées par le papier.
Oiseaux et papillons se multipliant
Identiques … – papiers pleins
– Conséquence d’anciennes générations,
Jungle de gestations d’encre.
Ils ont même voulu,
De l’épaisseur plate de leurs pensées
Sauter le pas, jusqu’au plafond
– ( ce ciel leur tendait l’espace )
Et camoufler innocemment,
Tout ce qui faisait obstacle .
Mais il est difficile d’aller
Jusque dans les recoins.
L’ombre ne souhaitant pas trahir ses meubles .
L’idéal aurait été que tout fut plat,
Et même notre corps ,
Notre cerveau, se mettant à penser plat :
( optimisation d’espace ) .
L’illusion serait parfaite
Nous allons peupler un décor,
Et l’être aussi .
Voilà donc , cette pensée plate :
Livrée , prête à encoller…
…. Lés alignés , de décors des corps .
–
RC – nov 2014
–
Coeur volcan – ( RC )

photo: Alain Gerente piton de la Fournaise
–
Brûlant cratère,
Fumant de ses entrailles,
S’écoulant de ses failles,
La terre secoue sa crinière,
S’ouvre en son coeur,
Où les pierres se confondent,
Tout au corps du monde,
Et mélangent leur saveur…
Il n’y a plus, sous tes paupières,
Que ton volcan embrase, et brave,
Et son torrent de lave,
Rien d’autre qu’une rivière,
Qui emporte tout sur son passage,
Et mélange l’argile et les rires,
Tout ce qu’il faut pour écrire,
Des arabesques en messages,
Virevoltant , tels des papillons,
Se formant en un seul poème,
Aux seuls mots de je t’aime,
Lancés en ta destination.
RC – mars 2014
—
sur l’incitation poétique de Patricia Fort
(
…
Rien d’autre.
Le torse ouvert en deux hémisphères
Et l’or sous mes paupières.
Rien d’autre
Intarissable rivière
Roulant ses galets dans le brûlant cratère
Rien de plus
Le calame et l’argile
Et le mot empêtré de sublime
… )
Moins que des natures mortes – ( RC )
–
Un jour, – que je m’aventurais
A visiter les salles des musées,
Suivant les galeries des portraits,
Les enfilades de parquets cirés,
Princes et généraux,
Ducs et cardinaux,
Chacun en habits d’époque,
Qui de sa toque,
Qui de son manteau de renard,
Ou de son pourpoint,
Toisant l’assistance d’un regard,
Pour la postérité – avec dédain…
–
Pourtant l’histoire oscille,
Au rythme des années,
…. Ce sont des objets futiles,
Que l’on a conservés.
C’est une triste cohorte,
Figée derrière son vernis
Ce sont moins que des natures mortes,
Leur vie s’est évanouie…
… – Et recroquevillée…
Ils ne représentent plus rien,
Ils ont été oubliés,
( on a perdu le lien )
–
Un peu comme ces papillons,
Du musée d’histoire naturelle,
Faisant partie de la collection,
– couleurs , élégance des ailes –
Epinglés sur leur support ,
Avec dessous un nom latin ,
Ce n’est que celui d’un mort…
En habits de satin .
Les natures mortes, elles,
» Still living » , in english,
D’où la lumière ruisselle,
Associent aux fruits, une fraîche miche.
–
Au bal des coquilles vides,
Les musées fourmillent,
De portraits insipides,
De vieilles familles,
Il fallait orner les demeures,
Attester de l’origine, de la lignée,
La comtesse et sa belle-soeur,
Leurs descendants, tous alignés,
Sous les perruques poudrées …
Le peintre ayant posé une lumière,
Subtilement cendrée …
Maintenant avalée par la poussière.

portraits au château de Bussy-Rabutin
–
Ces familles satisfaites ,
A l’attitude altière,
En habits de fête,
Ruban à la boutonnière
Chapeaux de plume , ou armures…
– Les couches de peinture jaunie,
Enfermées sous cadres et dorures,
Sont maintenant ternies.
Des symboles de pouvoir,
Ces objets désuets,
Ne sauraient nous émouvoir….
– Ils sont maintenant muets .
–
RC – février 2014
Deux femmes en chapeau et leur enfant – (RC )

peinture: Claude Monet, les coquelicots d’Argenteuil – 1873, Musée d’Orsay Paris
–
– Deux femmes en chapeau et leur enfant,
Dans une peinture de Monet
D’une musique légère et virevoltante,
Chasse aux papillons, parmi les hautes herbes,
Une fenêtre ouverte sur le beau temps,
Mais rétrécie par le cadre lourd,
Des dorures inutiles,
–
Il fait chaud dans ce musée,
Les gens se pressent, dans l’exposition,
Les pas résonnent, sur le parquet verni,
Et sous la verrière, on voit des nuages gris,
Qui parlent de la ville,
Des immeubles qui se pressent,
Et des rues revêches, et des passants en imperméables.
–
La fenêtre de l’insouciance,
Ouvre sur la campagne.
Elle est riante, et tourne le dos,
Aux nouvelles des journaux,
A l’ère industrielle, qui s’étend,
Aux fumées des usines,
Envahissant bientôt l’horizon.
–
La campagne est riante,
C’est bien sûr le printemps,
Elle sonne , comme nostalgie,
D’un paradis perdu,
Oubliant les songes noirs,
Les anges qui blasphèment,
Et les grondements des avions.
–
Deux femmes en chapeau et leur enfant,
Dans une pente douce….
Il y a une musique légère, en robes longues
Des pianistes aux jambes fines et doigts d’araignées,
… C’est juste avant la ville,
( Enfin, quand je sors du musée,
Pour reprendre le métro ).
–
RC – 7 septembre 2013
–
Bassam Hajjar – Mets une girafe dans un bol, un poisson dans un jardin

peinture Petite Lap de Cat Painting
METS UNE GIRAFE DANS UN BOL,
UN POISSON DANS UN JARDIN
Habitons-nous dans le nuage bleu
que Marwa dessine à côté de mon nom ?
Quand le fracas se rapproche de la fenêtre
quand les meubles s’accroupissent dans les coins
ou que les rideaux prennent peur,
ni le nuage ne pleut,
ni mon nom n’embellit le monde.
Alors toi ma fille, dors,
et quand je somnolerai un peu
Je te promets de rêver de toi
de vider mon crâne de sa lourde quincaillerie
et de penser au nuage bleu
a la maison
au seuil
aux fruits qui ressemblent aux papillons
aux papillons qui ressemblent aux fruits
Uniquement quand tu les dessines.
Je te demande alors :
pourquoi ne dessines-tu pas le monde entier
pour qu’il lui soit donné de ressembler à quelque chose ?
Mets une girafe dans un bol
un poisson dans un jardin
mets un oiseau et un rhinocéros dans la même cage
et crois qu’ils vont s’aimer
parce que tu le veux ainsi
avec l’entêtement qui te fait considérer le sommeil
comme de fausses vacances.
Mets, quand tu dessines mon visage,
un peu de fatigue sur mes traits
une seule ligne sur mon front
pour que je considère que je suis au milieu de la vie
et non à la fin.
Mets une lueur de la couleur de ton choix
pour que la sécheresse ne s’attarde pas dans mes yeux
mets de l’eau en quantité
pour qu’il me reste deux mains énergiques
des moustaches
et un coeur rabougri, tant le vide fait siffler ma poitrine.
N’oublie pas les lits pour dormir
les bouches pour sourire
et un peu de larmes
seulement
pour nous rappeler de temps en temps
avant de l’oublier
comment un homme pleure comme une femme
comment une femme pleure comme une femme
comment ils pleurent, tant les pleurs les rassemblent.
Habitons-nous dans la petite boîte
que tu meubles avec des bouts de papier
des allumettes et des cuillers ?
Et puis arrive ta fille, jolie comme une poupée,
pour nous apprendre comment les poupées sont heureuses
sans parler
délicates, sans que personne ne leur manque.
Puis tu fermes la porte,
tandis que l’homme se souvient qu’il est un homme
et la femme qu’elle est une femme,
ils se souviennent qu’ils s’éloignent ensemble
chacun tout seul,
vers une obscurité redoutable.
Mets une étagère pour la lampe
une patère pour mon manteau ou mon chapeau
mets une nuit tiède après chaque jour
et des voyageurs
qui ne manquent pas leurs rendez-vous
ni de frapper à la porte
et de t’entendre courir
et jubiler derrière la porte.
–
(Paris, fin décembre 1986)
–
extrait de « tu me survivras » Actes/sud
Mémoire debout ( RC )
C’est une pierre
Qui s’endort
Sous le soleil
Lourde de mémoire
Ce sont des hommes
Qui la réveillent
Et la charrient
Contre les pentes
C’est une pierre,
Un esprit, une sentinelle
Qui est dressée, solitaire
Contre le vent
C’est une énigme
Sa présence, jetant un défi
A la physique de Newton
Mais tu t’endors,
A son ombre, et à la tienne
Les papillons se posent
Comme ils se sont posés
Sur le menhir dressé
Juste à côté.
RC – 15 Juillet 2012
–