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Maurice Chappaz – bêtes sauvages


« Elle (la beauté) me saisit tellement quand je surprends les bêtes sauvages
– biches, cerfs, chamois ici même, qui traversent
avec un tel incognito les pentes, s’effacent toujours.
Elles ont un abîme devant les yeux
dès qu’elles nous aperçoivent et se sauvent.

Se sauvent, oui. Qu’est-ce qu’elles emportent ?
Un autre monde et la beauté introuvable
dont elles nous ont laissé l’impression par cette allure où s’est profilée la peur…
et une si inviolable indifférence.

Dès qu’elles s’apprivoisent, c’est fini.
Il leur manque le grand frisson du paradis antérieur.
Où on ne mourait pas car on ne savait pas qu’on mourrait. ..
Nous, c’est cette connaissance que nous leur apportons.
On a perdu le miracle de vivre, d’être toujours dans l’éternel.
Et ainsi la beauté, comme l’amour, est liée à la mort.

Et tout est lié à la mort nous masquant quelque chose qui a eu lieu avant elle.


Maurice Chappaz « de tout ce que je déteste » in  La pipe qui prie et fume ( mars 2009, ed. de la revue Conférence)


Juliette – Aller sans retour


Ce que j´oublierai c´est ma vie entière, 

La rue sous la pluie, le quartier désert,
La maison qui dort, mon père et ma mère
Et les gens autour noyés de misère
En partant d´ici
Pour quel paradis
Ou pour quel enfer?
J´oublierai mon nom, j´oublierai ma ville
J´oublierai même que je pars pour l´exil

Il faut du courage pour tout oublier
Sauf sa vieille valise et sa veste usée
Au fond de la poche un peu d´argent pour
Un ticket de train aller sans retour
Aller sans retour
J´oublierai cette heure où je crois mourir
Tous autour de moi se forcent à sourire
L´ami qui plaisante, celui qui soupire
J´oublierai que je ne sais pas mentir

Au bout du couloir
J´oublierai de croire
Que je vais revenir
J´oublierai, même si ce n´est pas facile,
D´oublier la porte qui donne sur l´exil

Il faut du courage pour tout oublier
Sauf sa vieille valise et sa veste usée
Au fond de sa poche un peu d´argent pour
Un ticket de train aller sans retour
Aller sans retour

Ce que j´oublierais… si j´étais l´un d´eux
Mais cette chanson n´est qu´un triste jeu
Et quand je les vois passer dans nos rues
Étranges étrangers, humanité nue
Et quoi qu´ils aient fui
La faim, le fusil,
Quoi qu´ils aient vendu,
Je ne pense qu´à ce bout de couloir
Une valise posée en guise de mémoire…


Roland Dauxois – la jouissance toujours féconde de l’esprit


Je n’ai jamais voulu filer
avec les fileuses du temps
ni voulu me prendre les pieds
dans les filets du verbe,
je n’ai voulu vider mes yeux de leurs visions
je n’ai voulu brûler sous nul soleil
ni priver mon corps de ces mystérieux élans,
ni me perdre sur la ligne faillible de l’horizon.

J’aimerai sombrer
dans les profondeurs de mes draps froissés,
vagues blanches, torrents d’écume
qui rageusement m’emporteraient,
loin de ces rives où l’astre de feu inconsolé
annoncerait sa politique de cœur brûlé.

Je n’ai jamais voulu croire
en cette joie terne des jours travaillés
en cet immense laminoir
qui ne se lasse d’avaler les êtres
et de les rejeter en fumées,
je ne parle ici de camps de la mort
mais de ces usines
dont l’absence même est pleurée.
Je n’ai jamais voulu croire
en ces visions de paradis matériels
qui nous font oublier nos âmes
je n’ai jamais voulu croire
aux paroles de ces fanatiques
qui renient leur corps
pour trouver des dieux
qui justifient leurs tyrannies.

Je n’ai jamais voulu cesser de croire
en ces nuits
où guidé par des lampes merveilleuses
mon corps visitait les régions invisibles,
dialoguait avec le monde
des herbes et des écorces,
frottait sa peau blanche à l’arbre millénaire,
apprenait par le sexe
la jouissance toujours féconde de l’esprit.


Emily Dickinson – Poème 739


//

montage RC – à partir de document publicitaire

C’est une Joie d’avoir mérité la Souffrance –
Et de mériter qu’elle s’Arrête –
Une Joie d’avoir péri à chaque pas –
Pour Embrasser le Paradis –

Pardon – de contempler ton visage –
Avec ces Yeux passés de mode –
Il se pourrait – que pour cela – ils surpassent des neufs –
Achetés pourtant au Paradis –

Car ils t’ont contemplé avant –
Et tu les as contemplés –
Prouvez-Moi – Mes Témoins Noisette
Que les traits sont bien les mêmes –

Si fugace, quand tu étais là –
Si infini – une fois parti –
Apparition Orientale –
Renvoyée à la Juridiction matinale –

La Haute taille je m’en souviens –
Egale à celle des Collines –
La Profondeur fut gravée dans mon Âme –
Comme les Inondations – marquent le Blanc des Roues –

Tu vas me Hanter – jusqu’à ce que le Temps lâche
Sa dernière Décade,
Et cette Hantise en fait – va durer
Au moins – l’Eternité –


Georges Castera – Extraits –


Le paradis terrestre, Wilson Bigaud (1931-2010), Musée d’art haïtien

 

( L‘encre est ma demeure – Acte Sud )

Certitude     

Ce n’est pas avec de l’encre
que je t’écris
c’est avec ma voix de tambour
assiégé par des chutes de pierres

Je n’appartiens pas au temps des grammairiens
mais à celui de l’éloquence
étouffée
Aime-moi comme une maison qui brûle

Dédicace de la page du milieu

femme démesurément femme
dans la cassure du présent
les jours de solitude inhabitable
s’il t’arrive de t’interroger
sur les choses informulées
souviens-toi
dans la plus pure errance de la parole
que je suis entré dans ton sourire
pour habiter ton doute.

 

Le trou du souffleur – Editions Caractères 

J’ai ouvert aux mots …

J’ai ouvert aux mots

l’espace de ton désir

pour tout prendre

pour tout voir

prendre la terre par ses racines

le soleil par ses branches

carnivores qui enjambent

la nuit

voir au travers du vertige

et boire au goulot

des syllabes bavardes de ta bouche

notre amour a la témérité

de franchir le vide à pied

en jetant au loin

la clef de l’épouvante

la belle clef qui piège

la raison

 

Petit récit d’affirmation

J’avais une corde dans la main

et ne trouvais pas l’arbre

fort robuste

ni la branche assez haute

pour laisser flotter mes pieds

je suis parti vers la mer

elle n’avait plus assez d’eau

je me suis assis pour attendre

que l’arbre ait des branches

et que la mer se remplisse

d’eau

à force d’attendre

j’ai longtemps habité les mots

en solitaire

tu passais par là par hasard

intarissable de beauté

et de bonté curieusement

j’ai raté ma mort

 

Georges Castera – ( 27/12/1936 Port au Prince -24/01/2020 Pétion-ville) : voir 

https://www.babelio.com/auteur/Georges-Castera/269229

Poèmes dits : 


Le jour où on a vendu le monde – ( RC )


Quand je me suis réveillé,
je me rappelle que j’avais chuté
d’un escalier aux marches se perdant dans l’infini.

Un homme est venu, à l’accent synthétique.
Il m’a dit qu’il ne pensait pas me revoir,
car j’étais mort depuis longtemps .

Il m’a dit être mon ami,
ce qui était possible dans le passé,
puisque toutes les années s’étaient effacées.

Beaucoup de choses se sont transformées,
et ont changé de mains.
Tout évolue à une vitesse folle.

L’homme qui se disait mon ami,
m’a dit qu’on avait fait beaucoup de profit.
Même Dieu n’en a plus le contrôle….

J’ai ri, en sachant que, revenant de la mort,
le temps avait perdu ses repères,
et qu’ainsi, je serai bientôt de retour sur terre.

L’homme a voulu me serrer la main ;
la sienne, je l’ai trouvée bien molle,
comme en matière plastique .

Il m’a indiqué qu’au niveau économique,
j’avais intérêt à me procurer des parts
dans une planète voisine, bourrée de pétrole.

Son regard était tourné en dedans,
comme s’il ne me voyait pas,
et pourtant ses paroles ont ruisselé sur mes épaules.

Je voulais rentrer chez moi,
reconnaître le monde qui m’avait abandonné
et laissé mourir seul.

Mais tout avait changé :
on avait commencé à vendre les plaines,
puis les mers, et tout ce qui était rentable .

Les habitants n’étaient pas au courant 
sauf ceux qui lisaient les journaux financiers,
les autres, errant, sans but apparent;

ça faisait quelque temps que la planète était endettée,
et, de par sa position, très convoitée,
alors des hommes comme celui qui se disait mon ami

l’ont vendue par petit bouts :
ils ont dit qu’on n’avait pas le choix,
et que nulle part on ne serait plus chez soi,

les autres planètes étant par ailleurs hors de prix,
j’aurais dû rester au paradis,
– mais on l’avait vendu aussi…-

Quand je me suis retourné,
l’homme qui se disait mon ami était reparti,
en me laissant un papier .

Il se pourrait que ce qu’il m’a dit
coïncide avec ma longue chute d’un escalier,
dont les marches se perdaient dans l’infini…


Les clefs de la maison – ( RC )


Des générations se sont succédé,
dans la vieille maison.
Imagine alors les décennies,
où des portes se sont ouvertes et closes,

les secrets scellés,
derrière le silence
ou les coffres muets
aux serrures bien huilées.

On a perdu bien des choses,
comme les arômes des roses,
et des outils
dont on ne connaît plus l’usage.

Dans un fond du tiroir du vaisselier,
se sont entassées toutes sortes de clefs,
qui ont résisté au passé,
mais ne permettent plus de l’ouvrir.

J’en ai trouvé de toutes sortes:
des lourdes et des longues,
des fines et des plates,
de toutes petites aussi.

J’ai pensé que certaines s’adaptaient
à un cadenas, une autre à un coffret à bijoux.
Clefs rouillées, clefs égarées,
qu’est-ce qui vous rassemble ?

Aucune d’elles n’a plus d’utilité :
je les imagine dans un tableau de Magritte,
ne permettant d’entrer
que dans les nuages .

Je trouve, parmi toutes ces clefs,
celles que des amis m’avaient confié,
avant qu’ils ne déménagent
pour leur dernier voyage….

Peut-être trouverai-je parmi
celles qui me restent
la clef du paradis
( on m’y aurait réservé une place ).

Reste à savoir laquelle
aura des ailes ,
quand ce sera mon tour
un petit tour, et puis s’en va ….

Faut s’en faire une raison :
je n’aurai pas besoin , pour la maison
de la fermer à double tour ,
( je garderai toujours la clef de ton amour ) .

Armand Pierre Fernandez
Art : accumulation de Arman
clefs spirales
ou bien en idée de mobile…


Lutte avec l’ange – ( RC )


peinture: E Delacroix:  lutte  de Jacob avec l’Ange

j’ai oublié ce qui m’a poussé

à franchir les frontières :

juste le défilé des années

pour avancer de quelques pas

hésitants , sur les sentiers ombrageux :

(   on dit qu’un ange veille sur moi 

me construit peu à peu ,

me défie,  vocifère  )

          comme il  me provoque en duel ,

me confisque parfois la lumière :

>  ma conscience  alors se rebelle ;

ce que  j’écris

est un chemin tracé

à l’encre de la nuit,

       –   je m’y suis  engagé ;

 

Il y a le poème,

et puis il y a l’image :

       je trouverai la même

       sous un autre  éclairage.

C’est je  crois

d’une pareille nature

que l’ombre de la croix

sur l’écriture.

Je ne sais pas qui a gagné :

….  peut-être  qu’habilement

le cimetière des idées,

est un sol jonché  d’ossements:

où elles s’amoncellent …

–        mais je suis  toujours en vie,

         bien que  dépourvu d’ailes, 

et chassé du paradis :

 

je n’avais pas le choix

avec , toujours cette lutte  avec l’ange

tel que l’a peint  Delacroix.

RC- août 2020


Robert Vigneau – la vigne


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Au blé, accordez les plaines,
Il vous apporte le pain.
Offrez l’ombre des fontaines
Aux légumes des jardins.
À moi, la part indigente
Dont personne ne voudra :
Le gravier brûlé des pentes,
Le roc sec, le sable ingrat.

Je m’y nourrirai du ciel.
Mes vins garderont vivants
Le rouge, l’or des soleils
Et les ivresses du vent.
J’élèverai dans ma sève
L’alcool aveugle : il conduit
Les extases — et vos rêves
Vers enfer ou paradis.

Qu’ai-je besoin de la terre?
Racinée dans le divin,
Je fleuris par la prière
À la bouche du devin.

Noé s’endort en famille
Dans mes berceaux de sarments
Et Dionysos dans mes vrilles
S’enroule éternellement.
Mon raisin, Messie des anges,
Vous verse à boire les cieux
Par le jus de ma vendange
Devenu le sang de Dieu.


James Joyce – musique de chambre III: ( pâles portes de l’aurore)


 

peinture: Stephane  Halbout
III
A l’heure où tout repose encore silencieux,
O toi qui restes seul à surveiller les cieux,
Entends-tu dans la nuit le vent et les soupirs
Des harpes suppliant Amour de réouvrir
Les pâles portes de l’aurore ?

Quand tout est en repos, toi seul es-tu levé
Pour écouter jouer les harpes nuancées
Sur le chemin d’Amour qu’elles vont précédant,
Et le vent de la nuit donnant le contre-chant
Jusqu’à ce que passe la nuit ?

Harpes invisibles, jouez donc pour Celui
Dont le chemin s’en va brillant au Paradis
A l’heure où va et vient quelque tendre lumière,
Une douce musique flotte dans les airs
Et joue ici bas sur la terre.

III
At that hour when all things have repose,
O lonely watcher of the skies,
Do you hear the night wind and the sighs
Of harps playing unto Love to unclose
The pale gates of sunrise ?
When ail things repose, do you alone
Awake to hear the sweet harps play
To Love before him on his way,
And the night wind answering in antiphon
Till night is overgone ?
Play on, invisible harps, unto Love,
Whose way in heaven is aglow
At that hour when soft lights corne and go,
Soft sweet music in the air above
And in the earth below.


Robert Ganzo – Orénoque (extraits)


 

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 Jean Fautrier – Paysage

 

 

Orénoque, fleuve qui roule

parfums et clameurs, à travers

des paradis et des enfers,

avec ton nom de femme soûle

et tes couleurs de mascarade,

mais pur encore, et loin de vous,

Indes, théâtre pour les fous,

Europe triste, Orient fade !

 

 

Déversoir scintillant des Andes

pour le chaotique troupeau

des monts qui, blessés sous leur peau,

saignent en toi comme des viandes.

Mais quand la nuit souffle tes bords,

un éventail glisse, s’allume,

soudain se ferme et c’est alors

la mort sous des baisers de plume.

 

 

                                ***

 

 

Je ne sais pas jusqu’où je plonge

et ne sais plus où tu finis

lorsque le chaud sommeil allonge

nos corps étroitement unis.

 

Tu t’éloignes vers quelle rive,

oiseau que je retiens encor,

et qu’un envol étrange rive

à moi, vivant et déjà mort ?

 

La nuit organise ton rêve,

où de grands arbres tout vidés

dressent leur tronc, sans chair ni sève,

comme des squelettes fardés.

 

Dans l’ombre, autour de nous, sans doute,

flotte le vampire géant,

tandis que sur ta peau j’écoute

ton cœur me sauver du néant.

 

 

Jean Fautrier - planche pour Orénoque

Jean Fautrier – Planche pour Orénoque

 


Yanka Diaghiléva – Nous attendons les temps nouveaux


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photo: Boris Wilensky

 Nous attendons les temps nouveaux
Qui vont tomber du ciel,
Mais nous ne voyons que des cordes
En attendant.
Il va venir pourtant,
Il va venir nous consoler,
Nous comprendre et nous sauver,
Donner à chacun son dû
Puis tous nous vendre
Pour une poignée de roubles.
Il va nous rendre notre joie,
Suffit de se remettre en rangs :
Enveloppés dans un drap
Les pieds dans la rosée
Le nez dans le sens du vent
Tous nous serons recomptés –
Depuis les idées stériles
         jusqu’aux ossements inutiles,
Depuis les portes fermées
         jusqu’aux bêtes inhumées,
Depuis les oreilles assourdies
         jusqu’aux chassés du paradis,
Depuis les invités au bal
        jusqu’aux nuques percées d’une balle.

 

 

quelques informations  sur  l’auteur


Philipp Larkin – à propos de l’album de photos d’une jeune femme


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Enfin vous m’avez laissé voir cet album qui,
Une fois ouvert, m’affola. Tous vos âges
En mat et en brillant sur les épaisses pages !
Trop riches, trop abondantes, ces sucreries
Je me gave de si nourrissantes images.

Mon œil pivote et dévore pose après pose –
Cheveux nattés, serrant un chat pas très content,
Ou vêtue de fourrure, étudiante charmante,
Ou soulevant un lourd bouton de rosé
Sous un treillage, ou portant chapeau mou

(Un peu gênant, cela, pour diverses raisons) –
De toutes parts, vous m’assaillez, les moindres coups
Ne venant pas de ces types troublants qui sont
Vautrés à l’aise autour de vos jours révolus :

Dans l’ensemble, ma chère, un peu indignes de vous.

Mais ô photographie semblable à nul autre art,
Fidèle et décevante, toi qui nous fais voir
Morne un jour morne et faux un sourire forcé,
Qui ne censures pas les imperfections
– Cordes à linge et panneaux de publicité –

Mais montres que le chat n’est pas content, soulignes
Qu’un menton est double quand il l’est, quelle grâce
Ta candeur confère ainsi à son visage ,
Comme tu me convaincs irrésistiblement
Que cette jeune fille et ce lieu sont réels !

Dans tous les sens empiriquement vrais ! Ou bien
N’est-ce que le passé ? Cette grille, ces fleurs,
Ces parcs brumeux et ces autos sont déchirants
Simplement parce qu’ils sont loin ;

En semblant démodée, vous me serrez le cœur,

C’est vrai ; mais à la fin, sans doute, nous pleurons
D’être exclus, mais aussi parce que nous pouvons
Pleurer à notre aise, sachant que ce qui fut
Ne nous priera pas de justifier notre peine,
Même si nous hurlons très fort en traversant

Ce vide entre l’œil et la page. Ainsi, je reste
A regretter (sans nul risque de conséquences)
Vous, appuyée contre une barrière, à vélo,
A me demander si vous noteriez l’absence
De celle-ci où vous vous baignez ; en un mot,

A condenser un passé que nul ne peut partager,
A qui que ce soit votre avenir; au calme, au sec,
II vous contient, paradis où vous reposez
Belle invariablement,
Plus petite et plus pâle année après année.

Philipp LARKIN
« The Less Deceived  »
(The Marvel Press, 1955)  Traduction in « Poésie 1 » n° » 69-70


Blaise Cendrars – Pâques à New-York


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art: Evangiles de Loisel Reims, IXe siècle

 

Seigneur, c’est aujourd’hui le jour de votre Nom,
J’ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion
Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles
Qui pleurent dans un livre, doucement monotones.
Un moine d’un vieux temps me parle de votre mort.
Il traçait votre histoire avec des lettres d’or
Dans un missel, posé sur ses genoux,
Il travaillait pieusement en s’inspirant de Vous.
A l’abri de l’autel, assis dans sa robe blanche,
Il travaillait lentement du lundi au dimanche.
Les heures s’arrêtaient au seuil de son retrait.
Lui, s’oubliait, penché sur votre portrait.
A vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour,
Le bon frère ne savait si c’était son amour
Ou si c’était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père
Qui battait à grands coups les portes du
monastère.
Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet.
Dans la chambre à côté, un être triste et muet

Attend derrière la porte, attend que je l’appelle !
C’est Vous, c’est Dieu, c’est moi, – c’est l’Eternel.
Je ne Vous ai pas connu alors, – ni maintenant.
Je n’ai jamais prié quand j’étais un petit enfant.
Ce soir pourtant je pense à Vous avec effroi.
Mon âme est une veuve en deuil au pied de votre Croix ;
Mon âme est une veuve en noir, – c’est votre Mère Sans larme et sans
espoir, comme l’a peinte Carrière.
Je connais tous les Christs qui pensent dans les musées ;
Mais Vous marchez, Seigneur, ce soir à mes côtés.
Je descends à grands pas vers le bas de la ville,
Le dos voûté, le cœur ridé, l’esprit fébrile.
Votre flanc grand-ouvert est comme un grand soleil
Et vos mains tout autour palpitent d’étincelles.
Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang
Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang,
D’étranges mauvaises
fleurs flétries, des orchidées,
Calices renversés ouverts sous vos trois plaies.
Votre sang recueilli, elles ne l’ont jamais bu.
Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul.
Les fleurs de la passion sont blanches comme des cierges,
Ce sont les plus douces fleurs au Jardin de la Bonne Vierge.
C’est à cette heure-ci, c’est vers la neuvième heure
Que votre tête, Seigneur, tomba sur votre Cœur.
Je suis assis au bord de l’océan
Et je me remémore un cantique allemand,
Où il est dit, avec des mots très doux, très simples, très purs,
La beauté de votre Face dans la torture.
Dans une église, à Sienne, dans un caveau,
J’ai vu la même Face, au mur, sous un rideau.
Et dans un ermitage, à Bourrié-Wladislasz,
Elle est bossuée d’or dans une châsse.
De troubles cabochons sont à la place des yeux
Et des paysans baisent à genoux
Vos yeux.
Sur le mouchoir de Véronique
Elle est empreinte
Et c’est pourquoi Sainte Véronique est votre sainte.
C’est la meilleure relique promenée par les champs,
Elle guérit tous les malades, tous les méchants.
Elle fait encore mille et mille autres miracles,
Mais je n’ai jamais assisté à ce spectacle.
Peut-être que la foi me manque, Seigneur, et la bonté
Pour voir ce rayonnement de votre Beauté.
Pourtant, Seigneur, j’ai fait un périlleux voyage
Pour contempler dans un béryl l’intaille de votre image.
Faites, Seigneur, que mon visage appuyé dans les mains
Y laisse tomber le masque d’angoisse qui m’étreint.
Faites, Seigneur, que mes deux mains appuyées sur ma bouche
N’y lèchent pas l’écume d’un désespoir farouche.
Je suis triste et malade. Peut-être à cause de Vous,
Peut-être à cause d’un autre. Peut-être à cause de Vous.
Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le Sacrifice
Est ici, parquée, tassée, comme du bétail, dans les hospices.
D’immenses bateaux noirs viennent des horizons
Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.
Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,
Des Russes, des Bulgares, de Persans, des Mongols.
Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens.
On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens.
C’est leur bonheur à eux que cette sale pitance.
Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance.
Seigneur, dans le ghetto, grouille la tourbe des Juifs
Ils viennent de Pologne et sont tous fugitifs.
Je le sais bien, ils ont fait ton Procès ;
Mais je t’assure, ils ne sont pas tout à fait mauvais.
Ils sont dans des boutiques sous des lampes de cuivre,
Vendent des vieux habits, des armes et des livres.
Rembrandt aimait beaucoup les peindre dans leurs défroques.
Moi, j’ai ce soir marchandé un microscope.
Hélas! Seigneur,
Vous ne serez plus là, après Pâques !
Seigneur, ayez pitié des Juifs dans les baraques.
Seigneur, les humbles femmes qui vous accompagnèrent à Golgotha
Se cachent.
Au fond des bouges, sur d’immondes sophas,
Elles sont polluées de la misère des hommes.
Des chiens leur ont rongé les os, et dans le rhum Elles cachent leur vice endurci qui s’écaille.
Seigneur, quand une de ces femmes parle, je défaille.
Je voudrais être Vous pour aimer les prostituées.
Seigneur, ayez pitié des prostituées.
Seigneur, je suis dans le quartier des bons voleurs,
Des vagabonds, des va-nu-pieds, des receleurs.
Je pense aux deux larrons qui étaient avec vous à la Potence,
Je sais que vous daignez sourire à leur malchance.
Seigneur, l’un voudrait une corde avec un nœud au bout,
Mais ça n’est pas gratis, la corde, ça coûte vingt sous.
Il raisonnait comme un philosophe, ce vieux bandit.
Je lui ai donné de l’opium pour qu’il aille plus vite en paradis.
Je pense aussi aux musiciens des rues,
Au violoniste aveugle, au manchot qui tourne l’orgue de Barbarie,
A la chanteuse au chapeau de paille avec des roses de papier ;
Je sais que ce sont eux qui chantent durant l’éternité.
Seigneur, faites-leur l’aumône, autre que de la lueur des becs de gaz,
Seigneur, faites-leur l’aumône de gros sous ici-bas.
Seigneur, quand vous mourûtes, le rideau se fendit,
Ce qu’on vit derrière, personne ne l’a dit.
La rue est dans la nuit comme une déchirure
Pleine d’or et de sang, de feu et d’épluchures.
Ceux que vous avez chassé du temple avec votre fouet,
Flagellent les passants d’une poignée de méfaits.
L’Etoile qui disparut alors du tabernacle,
Brûle sur les murs dans la lumière crue des spectacles.
Seigneur, la Banque illuminée est comme un coffre-fort,
Où s’est coagulé le Sang de votre mort.
Les rues se font désertes et deviennent plus noires.
Je chancelle comme un homme ivre sur les trottoirs.
J’ai peur des grands pans d’ombre que les maisons projettent. j’ai peur. Quelqu’un me suit. Je n’ose tourner la tête.
Un pas clopin-clopant saute de plus en plus près.
J’ai peur. J’ai le vertige. Et je m’arrête exprès.
Un effroyable drôle m’a jeté un regard Aigu, puis a passé, mauvais comme un poignard. Seigneur, rien n’a changé depuis que vous
n’êtes plus Roi. Le mal s’est fait une béquille de votre Croix.
Je descends les mauvaises marches d’un café Et me voici, assis, devant un verre de thé.
Je suis chez des Chinois, qui comme avec le dos Sourient, se penchent et sont polis comme des magots.
La boutique est petite, badigeonnée de rouge
Et de curieux chromos sont encadrés dans du bambou.
Ho-Koussaï a peint les cent aspects d’une montagne.
Que serait votre Face peinte par un Chinois?
Cette dernière idée, Seigneur, m’a d’abord fait sourire.
Je vous voyais en raccourci dans votre martyre.
Mais le peintre pourtant, aurait peint votre tourment Avec plus de cruauté que nos peintres d’Occident.
Des lames contournées auraient scié vos chairs,
Des pinces et des peignes auraient strié vos nerfs,
On vous aurait passé le col dans un carcan,
On vous aurait arraché les ongles et les dents,
D’immenses dragons noirs se seraient jetés sur Vous,
Et vous auraient soufflé des flammes dans le cou,
On vous aurait arraché la langue et les yeux,
On vous aurait empalé sur un pieu.
Ainsi, Seigneur, vous auriez souffert toute l’infamie,
Car il n’y a pas plus cruelle posture.
Ensuite, on vous aurait forjeté aux pourceaux

Qui vous auraient rongé le ventre et les boyaux.
Je suis seul à présent, les autres sont sortis,
Je suis étendu sur un banc contre le mur.
J’aurais voulu entrer, Seigneur, dans une église ;
Mais il n’y a pas de cloches, Seigneur, dans cette ville.
Je pense aux cloches tues : – où sont les cloches anciennes ?
Où sont les litanies et les douces antiennes ?
Où sont les longs offices et où les beaux cantiques ?
Où sont les liturgies et les musiques ?
Où sont les fiers prélats, Seigneur, où tes nonnains ?
Où l’aube blanche, l’amict des Saintes et des Saints ?
La joie du Paradis se noie dans la poussière,
Les feux mystiques ne rutilent plus dans les verrières.

L’aube tarde à venir, et dans le bouge étroit

Des ombres crucifiées agonisent
aux parois.
C’est comme un Golgotha de nuit dans un miroir

Que l’on voit trembloter en rouge sur du noir.
La fumée, sous la lampe, est comme un linge déteint

Qui tourne, entortillé, tout autour de vos reins.
Par au-dessus, la lampe pâle est suspendue,
Comme votre Tête, triste et morte et exsangue.
Des reflets insolites palpitent sur les vitres…
J’ai peur, – et je suis triste, Seigneur, d’être si triste.
« Dic nobis, Maria, quid vidisti in via ? »
– La lumière frissonner, humble dans le matin.
« Dic nobis, Maria, quid vidisti in via ? »
– Des blancheurs éperdues palpiter comme des mains.
« Dic nobis, Maria, quid vidisti in via ? »
– L’augure du printemps tressaillir dans mon sein.

Seigneur, l’aube a glissé froide comme un suaire

Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.
Déjà un bruit immense retentit sur la ville.
Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.
Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.
Les ponts sont secoués par les chemins de fer.
La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées,
Des sirènes à vapeur rauques comme des huées.
Une foule enfiévrée par les sueurs de l’or

Se bouscule et s’engouffre dans de longs corridors.

Trouble, dans le fouillis empanaché de toits,
Le soleil, c’est votre Face souillée par les crachats.

Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne…
Ma chambre est nue comme un tombeau…
Seigneur, je suis tout seul et j’ai la fièvre…
Mon lit est froid comme un cercueil…
Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents…
Je suis trop seul. J’ai froid. Je vous appelle…
Cent mille toupies tournoient devant me yeux…
Non, cent mille femmes… Non, cent mille violoncelles…

Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses…
Je pense, Seigneur, à mes heures en allées…
Je ne pense plus à Vous. Je ne pense plus à Vous.
Les Pâques à New-York.
Joyeux Norouz à tous mes amis Iraniens !

 


Colette Fournier – Apprends-moi à danser


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Photo :  Emmanuelle  Gabory

 

 

Apprends-moi à danser
Je veux retrouver le soleil
Flirter sur un rayon de miel
Brûler la pointe de mon cœur
Sur des épines d’arc-en ciel
J’ai besoin du velours de la voix
Feutrant ses frissons de soie
J’ai besoin de la couleur du vin
Fleuve de rubis où tout chavire
J’ai besoin du nectar des abeilles
Des parfums du paradis
Des ailes de tous les anges
J’ai besoin de devenir archange
De me transmuter, de m’alchimiser
J’ai eu si mal dans mon corps
Irradié et somesthesique
Que ce soir je veux danser
Libre, nue, échevelée
Ivre comme une bacchante
Et quelque part folle à délier
Avant que ne descende sur moi
La lente douceur du soir…


Novalis – O Mère, celui qui t’a vue


 

XIV

Sculpture  Vierge à l’enfant, Musée Unterlinden  Colmar

O Mère, celui qui t’a vue

pour toujours échappe à l’Enfer.

Il souffre d’être loin de toi,

il t’aime d’amour éternel,

et le souvenir de tes grâces

donne des ailes à son âme. (…)

Tu sais, ô Reine bien-aimée,

que je suis à toi tout entier.

N’ai-je pas, depuis tant d’années,

joui de tes faveurs secrètes ?

A peine éclos à la lumière,

j’ai bu le lait de ton sein bienheureux.

Mille fois tu m’es apparue ;

je t’adorais d’un cœur d’enfant ;

ton Enfant me tendait ses mains

pour mieux me reconnaître un jour.

Tu souriais avec tendresse,

tu m’embrassais — instants divins !

Il est bien loin, ce paradis.

A présent, le chagrin m’accable.

J’ai longtemps erré, triste et las.

T’ai-je donc si fort offensée ?

Humble comme un enfant, je m’attache à ta robe :

éveille-moi de ce rêve angoissant.

Si l’enfant seul peut voir ta face

et compter sur ton sûr appui,

délivre-moi des liens de l’âge,

fais de moi ton petit enfant.

L’amour et la foi de l’enfance

Depuis cet âge d’or restent vivants en moi.

NOVALIS « Cantiques »


Un commentaire de Rubens – ( RC )


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peinture : Rubens: le jugement  dernier

 

Il se passe beaucoup de choses, dans le cadre doré
Un entremêlement de gens, grandeur nature
Sont le prétexte de la peinture
accrochée, un peu au-dessus du parquet ciré.

           C’est une oeuvre de Rubens,
peuplée d’êtres qui s’entassent,
des dames toujours assez grasses,
          que lui commande un prince…

Ces personnages forment une pyramide
dans une mêlée quelque peu confuse
on distingue même,        si je ne m’abuse
au plus haut niveau,        ceux qui décident.

On a fixé l’instant le plus tragique :
celui où on fait grand tri
( ne pas surpeupler le paradis ,
                                     vous diront les nostalgiques ).

Ceux-ci n’en sont pas revenus,      mais ont évité le pire
a ce qu’il paraît ;    on nous rapporte beaucoup d’histoires
                                            que l’on voudrait nous faire croire ;
on peut prendre le parti d’en rire.

Devant le tableau, quelques visiteurs
se sont arrêtés pour parfaire leur culture  :
                 C’est toujours de bon augure
d’écouter le commentateur .

Va-t-il décrire l’étape suivante
Et sans aucun doute,
          comme pour les matches de foot,
nous faire une analyse savante ?

Nous livrer des statistiques,
                révéler des choses intraduisibles
                contenues dans la Bible
d’un point de vue artistique ?

Bien qu’il se soit écoulé pas mal d’années
depuis qu’elle a été peinte
on pense toujours entendre les plaintes
des âmes damnées .

                      C’est une oeuvre baroque :
On n’y entre pas de plain pied
sans y être convié
              ( et surtout sans habits d’époque ) .

Nos amateurs d’art voudraient peut-être
participer à la mêlée,
                  voir de plus près les êtres ailés
                  et assister à la fête…

Ils peuvent toujours tenter l’escalade
Se faire greffer des ailes,
utiliser une échelle
Ils seront empêchés par le cadre …

Le tableau a beau être immense,
il a aussi des dimensions limitées
On ne vient pas à l’intérieur sans y être invité
et pour entrer dans la danse…

                         La réalité est ingrate :
elle nous ramène toujours à son illusion ;
on ne peut sauter dans cette dimension,
….       la peinture restant obstinément plate.


RC – sept 2016


Catherine Pozzi – Vale


Christophe Possum  rêve de ver.jpg

peinture  aborigène: Clifford Possum  1997

La grande amour que vous m’aviez donnée
Le vent des jours a rompu ses rayons —
Où fut la flamme, où fut la destinée
Où nous étions, où par la main serrée
Nous nous tenions

Notre soleil, dont l’ardeur fut pensée
L’orbe pour nous de l’être sans second
Le second ciel d’une âme divisée
Le double exil où le double se fond

Son lieu pour vous apparaît cendre et crainte,
Vos yeux vers lui ne l’ont pas reconnu
L’astre enchanté qui portait hors d’atteinte
L’extrême instant de notre seule étreinte
Vers l’inconnu.

Mais le futur dont vous attendez vivre
Est moins présent que le bien disparu.
Toute vendange à la fin qu’il vous livre
Vous la boirez sans pouvoir être qu’ivre
Du vin perdu.

J’ai retrouvé le céleste et sauvage
Le paradis où l’angoisse est désir.
Le haut passé qui grandi d’âge en âge
Il est mon corps et sera mon partage
Après mourir.

Quand dans un corps ma délice oubliée
Où fut ton nom, prendra forme de cœur
Je revivrai notre grande journée,
Et cette amour que je t’avais donnée
Pour la douleur.


Vale

Del gran amor que tú me habías dado
El viento de los días los rayos destrozó —
Donde estuvo la llama, donde estuvo el destino
Donde estuvimos, donde, las manos enlazadas,
Juntos estábamos

Sol que fue nuestro, de ardiente pensamiento
Para nosotros orbe del ser sin semejante
Segundo cielo de un alma dividida
Exilio doble donde el doble se funde

Ceniza y miedo para ti representa
Su lugar, tus ojos no lo han reconocido
Astro encantado que con él se llevaba
De nuestro solo abrazo el alto instante
Hacia lo ignoto.

Pero el futuro del que vivir esperas
Menos presente está que el bien ausente
Toda vendimia que él al final te entregue
La beberás mientras te embriaga el
Vino perdido..

Volví a encontrar lo celeste y salvaje
El paraíso en que angustia es deseo
Alto pasado que con el tiempo crece
Es hoy mi cuerpo, mi posesión será
Tras el morir.

Cuando en un cuerpo mi delicia olvidada
En que estuvo tu nombre se vuelva corazón
Reviviré los días que fueron nuestro día
Y aquel amor que yo te había dado
Para el dolor.

Versión de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán


Octavio Paz – Place de l’Ange


peinture – Francesco Pesellino & Filippo Lippi

sur la Place de l’Ange les femmes
cousaient et chantaient avec leurs enfants,
et l’alarme sonna et fusèrent les cris,paradis,invulnérable,hérédité
les maisons s’agenouillaient dans la poussière,
tours fendues, fronts sculptés
et l’ouragan des moteurs, imagine:
les deux se dénudèrent et s’aimèrent
pour défendre notre portion d’éternité,
notre ration de temps et de paradis,
toucher notre racine et nous recouvrer,
recouvrer notre hérédité arrachée
par des voleurs de vie d’il y a mille siècles,
les deux se dénudèrent et s’embrassèrent
parce que les nudités enlacées
bondissent par-dessus le temps et sont invulnérables,
rien ne les touche, elles reviennent au commencement,
il n’y a pas de toi ni de moi, pas de demain, pas d’hier ni de noms,
la vérité des deux en un corps et une âme seulement,
ô être total…
chambres à la dérive
entre des villes qui vont à pic,
chambres et rues, noms comme des plaies
la chambre avec fenêtre donne vers d’autres chambres
avec le même papier décoloré
où un homme en chemise lit le journal
où repasse une femme, la chambre claire
que visitent les branches d’un pêcher;
l’autre chambre: dehors il pleut toujours
et il y a une cour et trois enfants oxydés
les chambres sont des vaisseaux qui se bercent
dans une baie de lumière; ou des sous-marins:
le silence s’espace en vagues vertes,
tout ce que nous touchons devient phosphorescent;
mausolées de luxe, déjà rongés
les portraits, déjà rongés les tapis;
trappes, cellules, cavernes enchantées,
volières et chambres numérotées,
tous se transfigurent, tous s’envolent,
chaque moulure est nuage, chaque porte
donne sur la mer, sur les champs, sur l’air, chaque table
est un festin; fermés comme des coquillages
le temps inutilement les assiège,
il n’y a pas de temps, non, ni de mur: l’espace, l’espace
ouvre sa main, choisis cette richesse,
coupe les fruits, mange une tranche de vie,
étends-toi au pied de l’arbre, bois l’eau!

tout se transfigure et devient sacré,
c’est le centre du monde en chaque chambre,
c’est la première nuit, le premier jour,
le monde naît quand deux s’embrassent,
goutte de lumière née des entrailles transparentes
la chambre comme un fruit s’entrouvre
ou explose comme un astre taciturne
et les lois rongées par les rats,
les grilles des banques et des prisons,
les grilles de papier, les fils de fer barbelés,
les timbres et les épines et les piquants,
le sermon monocorde des armes,
le scorpion mielleux avec un bonnet,
le tigre avec un haut de forme, président
du Club Végétarien et de la Croix Rouge,
l’âne pédagogue, le crocodile
devenu rédempteur, père des peuples,
le Chef, le requin, l’architecte
de l’avenir, le porc en uniforme,
le fils béni de l’Eglise
qui lave sa noire dentition
avec de l’eau bénite et prend des cours
d’anglais et de démocratie, les parois
invisibles, les masques pourris
qui divisent l’homme des hommes,
contre l’homme de lui-même,
ils s’abattent
en un instant immense et nous entrapercevons
notre unité perdue, la détresse
d’être des humains, la gloire d’être des humains
et de partager le pain, le soleil, la mort,
l’oubli effrayant d’être des vivants;

aimer c’est combattre, si deux s’embrassent
le monde change, ils incarnent les désirs,
la pensée incarnée, des ailes poussent
au dos de l’esclave, le monde
est réel et tangible, le vin est vin,
le pain retrouve le goût du pain, l’eau est eau,
aimer c’est combattre, c’est ouvrir des portes,
c’est en finir enfin d’être fantôme avec un matricule
à perpétuité condamné aux chaînes
par un maître sans visage;
le monde change
si deux se regardent et se reconnaissent,
aimer c’est se dénuder des noms:
³laisse-moi être ta putain² ,sont les mots
d’Héloïse, mais il céda aux lois,
la prit pour épouse et en prime
on finit par le castrer;
mieux vaut le crime
les amants suicidés, l’inceste
des frères comme deux miroirs
amoureux de leur ressemblance,
mieux vaut manger le pain envenimé,
l’adultère dans des lits de cendre,
les amours féroces, le délire,
le lierre empoisonné, le sodomite
qui porte un oeillet à la boutonnière
un crachat, mieux vaut être lapidé
sur les places publiques que laisser se retourner la roue du destin
qui presse jusqu’à la pulpe la substance de la vie,
l’éternité se change en heures creuses,
les minutes en prisons, le temps
en monnaie de cuivre et en merde abstraite;

mieux vaut la chasteté, fleur invisible
qui se balance dans les tiges du silence,
ce difficile diamant des saints
qui filtre les désirs, rassasie le temps,
noces de la quiétude et du mouvement,
la solitude chante dans sa corolle,
chaque heure est un pétale de cristal,
le monde se dépouille de ses massacres
et en son centre, vibrante transparence,
celui qu’on nomme Dieu, l’être sans nom,
se contemple dans le rien, l’être sans visage
émerge de lui-même, soleil d’entre les soleils,
plénitude d’entre les présences et les noms;

je poursuis mes divagations, chambres, rues,
je marche à tâtons au travers les couloirs
du temps et je gravis et descends ses marches
et ses murs, je tâtonne et ne bouge pas,
je reviens d’où j’ai commencé, je cherche ton visage,
je marche au travers les rues de moi-même
sous un soleil sans âge, et toi à mes côtés
tu marches comme un arbre, comme un fleuve
tu marches et me parles comme un fleuve,
tu croîs comme un épi entre mes mains,
tu frémis comme un écureuil entre mes mains,
tu voles comme mille oiseaux, ton rire
m’a couvert de mousse, ta tête
est un astre si petit entre mes mains,
le monde reverdit si tu souris
en mangeant une orange,
le monde change
si deux, vertigineux et enlacés,
tombent dans l’herbe: le ciel descend,
les arbres s’élancent, l’espace
seul est lumière et silence, seul l’espace
s’ouvre dans la pupille de l’oeil,
passe la blanche tribu des nuages,
le corps rompt les amarres, l’âme s’élance,
nous perdons nos noms et flottons
à la dérive entre le bleu et le vert,
temps total où rien ne se passe
rien que son propre passage heureux,

rien ne se passe, tu te tais, tu cilles des paupières
(silence: un ange a traversé cet instant
grand comme la vie de cent soleils),
rien ne se passe, seulement ce cillement?
– et le festin, le désert, le premier crime,
la mâchoire de l’âne, le bruit opaque
et le regard incrédule du mort
en tombant dans la surface cendrée,
Agamemnon et son beuglement immense
et le cri répété de Cassandre
plus fort que les cris des vagues,
Socrate enchaîné (le soleil naît, mourir
est se réveiller: ³Criton, un coq
pour Esculape, et me voilà guérit à vie²);
le chacal qui déserta entre les ruines
de Ninive, l’ombre qui vit Brutus
avant la bataille, Moctezuma
dans le lit d’épines de son insomnie,
le voyage dans la grande route vers la mort
– le voyage interminable, mais raconté
par Robespierre minute après minute,
sa mâchoire cassée entre les mains -,
Churruca dans sa barrique telle un trône
écarlate, les pas déjà comptés
de Lincoln en sortant au théâtre,
le rôle de Trotski et ses gémissements
de sanglier, Madère et son regard
auquel nul n’a répondu: pourquoi me tuent-ils?,
les injures, les soupirs, les silences
du criminel, le saint, le pauvre diable,
cimetière de phrases et d’anecdotes
que les chiens rhétoriques fouillent,
l’animal qui meurt et le sait,
savoir commun, inutile, bruit obscur
de la pierre qui tombe, le son monotone
des os brisés dans le combat
et la bouche d’écume du prophète
et son cri et le cri du bourreau
et le cri de la victime…
ce sont des flammes
les yeux et ce sont des flammes ce qu’ils regardent,
flamme est l’oreille, le son est flamme,
braise les lèvres et tison la langue,
le toucher et ce qu’il touche, la pensée,
et le pensé, flamme est celui qui pense
tout se consume, l’univers est flamme
il brûle ce même rien qui n’est pas rien
sinon un penser en flammes, enfin la fumée:
il n’y a ni bourreau ni victime…
et le bruit
dans le soir du vendredi? et le silence
qui se couvre de signes, le silence
qui dit sans dire, il ne dit rien?,
ils ne sont rien les cris des hommes?,
il ne se passe rien quand passe le temps?,

– il ne se passe rien, seul un cillement
de soleil, un mouvement à peine, rien,
il n’y a pas de rédemption, il ne revient pas en arrière le temps,
les morts restent figés dans leur mort
et ne peuvent mourir d’une autre mort,
intouchables, cloués en leur geste,
depuis leur solitude, depuis leur mort
sans sursis ils nous regardent sans nous regarder,
leur mort c’est la statue de leur vie,
un toujours être déjà rien pour toujours,
chaque minute est rien pour toujours,
un roi fantôme régit ses battements de coeur
et ton geste final, ton dur masque
moulé sur ton visage changeant:
nous sommes le monument d’une vie
étrangère et non vécue, à peine notre

-la vie, quand fut-elle réellement notre?
quand sommes-nous réellement ce que nous sommes?
nous ne sommes jamais bien regardés, jamais nous ne sommes
en tête à tête sinon vertige et vide,
grimaces dans le miroir, horreur et vomissure,
jamais la vie est nôtre, elle est aux autres,
la vie n’est à personne, nous sommes tous
la vie -pain de soleil pour les autres,
je suis autre quand je suis, mes actes
sont davantage miens s’ils sont aussi à tous,
pour que je puisse être il me faut être autre,
sortir de moi, me chercher parmi les autres,
les autres qui ne sont pas si moi je n’existe pas,
les autres qui me donnent pleine existence,
je ne suis pas, il n’y a pas de je, toujours nous sommes autres,
la vie est autre, toujours ailleurs, très loin,
hors de toi, de moi, toujours à l’horizon,
vie qui nous dévit et nous aliène,
vie qui nous invente un visage et le pourrit,
faim d’être, ô mort, pain de tous,

Héloïse, Perséphone, Marie,
montre enfin ton visage pour que je voie
ma véritable figure, celle de l’autre,
ma figure de ce nous pour toujours à tous,
figure d’arbre et de boulanger,
de chauffeur et de nuage et de marin,
figure de soleil et de ruisseau et de Pierre et Paul,
figure de solitaire collectif,
réveille-moi, oui, je nais:
vie et mort
signent un pacte en toi, dame de la nuit,
tour de clarté, reine de l’aube,
vierge lunaire, mère de l’eau mère,
corps du monde, maison de la mort,
je tombe sans fin depuis ma naissance,
je tombe dans moi-même sans toucher mon fond,
recueille-moi dans tes yeux, assemble la poussière
dispersée et réconcilie mes cendres,
attache mes os divisés, souffle
sur mon être, enterre-moi dans ta terre,
ton silence de paix vers la pensée
contre elle-même aérée;
ouvre la main,
dame des moissons que sont les jours,
le jour est immortel, il s’élève, croît,
vient de naître et ne cesse jamais,
chaque jour est à naître, chaque lever de jour
est une naissance et je me réveille,
nous nous réveillons tous, il se lève
le soleil figure de soleil, Jean se réveille
avec sa figure de Jean figure de tous,
porte de l’être, réveille-moi, lève-toi,
laisse-moi voir le visage de ce jour,
laisse-moi voir le visage de cette nuit,
tout communie et se transfigure,
arc de sang, pont des battements de coeur,
emmène-moi de l’autre côté de cette nuit,
là où je suis toi nous sommes nous-mêmes,
au rein des prénoms enlacés,

porte de l’être; ouvre ton être, réveille-toi,
apprends à être aussi, moule ta figure,
travaille tes traits, sois un visage
pour regarder mon visage et qu’il te regarde,
pour regarder la vie jusque dans la mort,
visage de mer, de pain, de roche et de fontaine,
source qui dissout nos visages
dans le visage sans nom, dans l’être sans visage,
indicible présence d’entre les présences…

je veux poursuivre, aller plus loin, et je ne peux pas:
l’instant se précipite en un autre et un autre,
j’ai dormi des rêves de pierre que je n’ai pas rêvé
et à la fin des ans comme des pierres
j’ai entendu chanter mon sang emprisonné,
avec une rumeur de lumière la mer chantait,
une à une cédaient les murailles,
toutes les portes se démolissaient
et le soleil entrait en trombe par mon front,
décillait mes paupières fermées,
décollait mon être de son enveloppe,
m’arrachait à moi, me séparait
de mon sommeil rude de siècles de pierre
et sa magie de miroirs revivait
un saule de cristal, un peuplier d’eau sombre,
un haut jet d’eau que le vent arque,
un arbre bien planté mais dansant,
un cheminement de fleuve qui s’incurve,
avance, recule, fait un détour
et arrive toujours:

– EHÉCATL

 

 Octavio Paz

 


Gregory Colbert – Cendres et neige


dessin perso -

dessin perso –

 

Traduction très libre des quelques lettres de Gregory Colbert dans « Ashes and snow »
Variation sur « Cendres et neige » – Philippe Vekens

 

photo: Gregory Colbert

photo:             Gregory Colbert


 

Si tu me rejoins à « ce moment », tes minutes deviendront des heures, tes heures deviendront des jours et ces jours deviendront une vie.
A la Princesse des Éléphants
J’ai disparu il y a 1 an exactement.
Jours pendant lesquels j’ai reçu une lettre.
Elle me rappelait au lieu où ma vie auprès des éléphants a commencé.
Je te prie de m’excuser pour le silence demeuré entre nous pendant une année.
Cette lettre rompt ce silence.
Elle marque les 365 lettres que je t’ai écrites, une par jour de silence.
Jamais je n’ai été autant moi-même que dans ces lettres
Elles sont les tracés du chemin de l’oiseau
Et sont tout ce que je sais être vrai.
Tu te souviendras de tout, tout sera comme avant, au début des temps.
Le ciel sera empli d’éléphants volants.
Chaque nuit ils seront couchés à la même place dans le ciel, avec un œil ouvert.
Lorsque tu regardes le ciel, tu regardes cet œil d’éléphant qui dort avec cet ouvert qui nous protège et prend soin de nous…
Depuis que ma maison a brûlé
je vois la lune plus clairement
J’ai regardé tous les édens qui étaient tombés en moi
J’ai vu un éden que j’ai tenu entre mes mains
mais que j’ai laissé partir
J’ai vu les promesses que je n’ai pas tenues
Les douleurs que je n’ai pas apaisées
Les blessures que je n’ai pas soignées
Les larmes que je n’ai pas versées
J’ai vu les morts que je n’ai pas pleurées
Les prières auxquelles je n’ai pas répondu
Les portes que je n’ai pas ouvertes
Les portes que je n’ai pas fermées
Les amoureux que j’ai laissés derrière
Et les rêves que je n’ai pas vécus
J’ai vu tout ce qui m’a été offert
et que je ne pouvais accepter
J’ai vu les lettres que j’avais espérées
Mais que je n’ai jamais reçues
J’ai vu tout ce qui aurait pu être
Mais qui jamais ne sera

Un éléphant avec sa trompe levée
Est une lettre aux étoiles
Une brèche faite par une baleine est une lettre
Des profondeurs de la mer
Ces images sont une lettre pour mes rêves
Ces lettres sont mes lettres pour toi
Mon coeur est comme une vieille maison
Dont les fenêtres n’ont pas été ouvertes depuis des années
Mais maintenant j’entends les fenêtres s’ouvrir
Je me rappelle les grues flottant au-dessus
Des neiges fondantes de l’Himalaya
Sommeillant sur les queues de lamantins
Les chansons des phoques barbus
Le cri du zèbre
Le cliquetis du sable
Les oreilles des caracals Le balancement des éléphants Les brèches des baleines
Et la silhouette de l’élan
Je me souviens de la boucle des orteils du suricate
Flottant sur le Gange
Navigant sur le Nil
Montant les marches de …
Je me souviens errer dans les couloirs
D’Hatchepsout et du visage des ces nombreuses femmes
Mer sans fin et milliers de kilomètres de rivière
Je me souviens de tout
Mais je ne me souviens pas avoir quitté, jamais
Souviens-toi de tes rêves
Souviens-toi de tes rêves
Souviens-toi de tes rêves
Souviens-toi
Au plus je regarde les éléphants de la Savane
Au plus j’écoute, au plus j’ouvre,
Ils me rappellent qui je suis
Puisse le gardien des éléphants entendre mon souhait
De collaborer avec tous les musiciens de l’orchestre de la nature
Je veux voir par l’oeil de l’éléphant
Je veux rejoindre la danse qui n’a pas de pas
Je veux devenir la danse
Je ne peux te dire si tu te rapprocheras ou si tu t’éloigneras
Du long de cette sérénité que j’ai trouvée
Lorsque je pose mon regard sur ton visage
Peut-être si ce visage pouvait me revenir maintenant
Ce visage qu’il me semblait avoir perdu
Et le refaire mien
De la plume au feu
du feu au sang
du sang à l’os
de l’os à la moelle
de la moelle aux cendres
des cendres à la neige
De la plume au feu
du feu au sang
du sang à l’os
de l’os à la moelle
de la moelle aux cendres
des cendres à la neige
De la plume au feu
du feu au sang
du sang à l’os
de l’os à la moelle
de la moelle aux cendres
des cendres à la neige
De la plume au feu
du feu au sang
du sang à l’os
de l’os à la moelle
de la moelle aux cendres
des cendres à la neige
De la plume au feu
du feu au sang
du sang à l’os
de l’os à la moelle
de la moelle aux cendres
des cendres à la neige
De la plume moelle, dansephoques, lamantins,
ce qui est écrit sur la page
Ce qui importe, est
ce qui est écrit dans le coeur.
Donc brûle les lettres
Et pose leurs cendres sur la neige
Au bord de la rivière
Lorsque le printemps arrive et que la neige fond
Et que la rivière monte
Retourne aux bords de la rivière
Et relis mes lettres avec les yeux fermés
Laisse les mots et les images
Laver ton corps telles des vagues
Relis les lettres
Avec tes mains sur les oreilles
Écoute les chants du paradis
Page après page après page
Envole-toi tel l’oiseau
Vole…
vole…
vole. 


Ticket pour un monde meilleur – ( RC )


photographe non identifié

photographe non identifié

 

Il faut entrer à pas feutrés,
Ne pas faire craquer
Les marches d’escalier,
Nous n’avons pas de ticket …
L’entrée est surveillée
Par des hommes aux aguets.

Dans ce monde meilleur,
Pas de resquilleurs !
On les dit , de confiance,
Des sortes de cerbères,
Marqués d’arrogance.

On y voit Saint-Pierre,
C’est le gars musclé,
Une sorte de magicien,
Celui qui a les clefs,
( c’est lui le gardien),
Voyez comme qu’il se morfond !

Il prend racine comme l’arbre,
Les yeux au plafond,
Dans sa robe de marbre,
Dressé contre une colonne,
Pour y prendre appui,
Faut dire qu’il n’a vu personne,
Et cultive son ennui.

Et il y a Saint Paul,
Posé tout de guingois,
Dressé sur ses guiboles,
A lire le mode d’emploi,
Du parfait prieur,
Réglant les destinées,
( à apprendre par coeur),
Cà, vous l’aviez deviné…

N’étant pas très concentrés,
Sur leur mission,
On voit au fond, l’entrée,
– ce qu’on appelle une omission –
Et personne pour donner l’alerte,
…..Je vous assure
Que la porte est grande ouverte,
Les clefs ne rentrent pas dans la serrure,

Entre la foi et le doute,
Il y a si longtemps,
Que nous sommes en route,
Personne ne nous attend,
Après ce long voyage,
Qui nous aurait dit,
Qu’après ce carrelage,
S’ouvrait le paradis ?

C’est peut-être bizarre,
Mais, au terme de notre mission,
– c’est sans doute dû à notre retard –
J’ai une drôle d’impression…
Non mais sans déconner,
On ne voit pas de nonnes,
Cet endroit est-il abandonné ?
On ne voit personne …

Nous sommes les heureux élus,
…. Pas de remords…
On entre ici, et on ne sort plus,
Ce qui se passe dehors,
Maintenant, on s’en fiche !
Vois donc les statufiés,
Collés dans leur niche,
( Que leur nom soit sanctifié !).

Bon, ça manque de confort….
Je verrais bien un peu d’rénovation,
Le ménage n’est pas leur fort..
Les saints manquent d’ambition.
Faut dire que les prières,
Les ont un peu éloignés,
Des choses de la terre,
Ce qui plaît bien aux araignées.

Ou, je sais, c’est un détail,
Il faut pas trop s’en faire,
Les pieds en éventail…
Déjà nous avons évité l’enfer,
Et nos gardiens, même avec des habits mités,
Ou vieux comme ceux d’Hérode,
On voit qu’ils sont ici, pour l’éternité,
Avec leur tenue passée de mode.

Maintenant, dans ce lieu,
Qui ressemble à un couvent,
On dit …..que c’est la maison de Dieu,
On va le croiser – c’est pas si souvent …!
Nous en sommes déjà fiers,
Cela nous conviendrait
Même à se laisser couvrir de poussière,
Dans le file d’attente,                      s’il faut un ticket .

RC- sept  2014


Amnésie volontaire ( RC )


 

jeu  moral à moins 0  gélule   fd vert

 

 

 

 

 

Si tu perds la mémoire,

Et que ton passé soit un trou noir,

Il y a                    des médicaments,

>             Pour réparer l’accident   ;

Et de plus,            en couleurs …

Tout le contenu du bonheur,

Est                   en gélules,

Et petites pilules,

 

On en a tout un stock

( C’est ce qu’a dit le doc )

Qui permettent de mieux aimer,

Quand on se sent paumé…

C’est par là,          c’est par ici…

(           Oh la jolie pharmacie !     ),

C’est quand même une belle   chose,

De voir la vie                         en rose ,

 

De franchir le mur du son,

Comme     les avions le font !

De sauter      par-dessus les toits,

En croyant toujours          en soi.

De garder son équilibre,

En                    croyant être libre …

…Bien sûr, toute chose a son prix,

Et aussi le paradis,

 

Qu’il soit artificiel,

Et             multiplie les ciels,

Pour perdre de vue,

Le lointain       des avenues.

Juste    un peu de monnaie,

Pour ce petit sachet,

Ne pas dépasser les doses,

Sauf          si tu te sens morose,

 

Cà, on ne sait jamais,

Mon petit poulet,

Le numéro d’équilibriste,

Je l’ajoute à la liste

Le grand saut                    dans l’espace,

Impair                            et puis passent   ,

Des bonbons comme   s’il en pleuvait,

Et                            du chocolat au lait,

 

C’est comme dans Candy Crush

Si tu as dans ta poche ,

Tout ce qu’il faut pour oublier,

L’esprit et les mains liées,

C’est quand même bien pratique …

Ne cède pas à la panique

Pour        retrouver ta mémoire,

>           Et celle du désespoir.

 

 

RC – avril 2014

 

 


Hors de chez toi, la conscience ( RC )


Photo by Rafa Samano/Cover/Getty Images

Hors de chez toi,          la conscience,
Vois les flammes sombres des arbres,
Vois la sphère habitée, les routes  qui l’enserrent,

Traverse les rues qui bousculent, les langues étrangères,
>           Le monde qui s’éloigne.
Est-ce toi qui ne le comprends  plus ?

Ou bien de ce ventre dont tu es issu,
…Tu as clos le cordon nourricier,
Pour des paradis toujours ailleurs,
Injectés à la sauvette.

RC -21 juillet 2013


Dylan Thomas – La colline des fougères


peinture: manuscrit ( art de l'Inde - Urdu), sur papier

peinture:         manuscrit   ( art de l’Inde – Urdu),      sur papier

 

Fernhill

(la colline des fougères)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Insouciant sous les pommiers en fleurs
Jadis, Je fus un enfant
Heureux car l’herbe était verte
Auprès de la maison joyeuse
Et la nuit recouvrait le vallon étoilé…
Ô temps, laisse-moi regrimper pour saluer toutes choses
Et recouvrer, glorieux, l’âge d’or de mon regard
Quand les chariots étaient carrosses
Et les pommeraies villes dont j’étais prince
Et que jadis, avant le commencement du temps,
Je gouvernais les arbres et les  feuilles
Et suivais, dans les rivières de la clarté,
Le sillage des épis et des marguerites.

Jeune pousse verdoyante, célèbre dans les granges,
M’approchant de ma ferme et de ma cour joyeuse,
je chantais.
j’allais dans le soleil qui n’est jeune qu’une fois.
Ô temps, que je rayonne sur le chemin de grâce,
Chasseur et puis berger, vêtu d’or et de vert.
Les veaux me répondaient quand je sonnais du cor,
Les clairs aboiements frais des renards des collines
Et tintaient lentement comme les cloches du dimanche
Tous les galets des saints ruisseaux.

Merveilleuse mélodie des jours,
les foins hauts comme la maison,
Le chant des cheminées,
le vent adorable dansant avec le pluie
Le feu, vert comme l’herbe
Et la nuit sous les simples étoiles,
Comme je glissais dans le sommeil
Les chouettes transportaient  la ferme au loin
Et j’entendais voler sous la lune
Bénies par les bêtes des étables
Les engoulevents avec les meules de foin
Et devinais l’éclair des chevaux dans la nuit.

Et puis me réveiller et retrouver la ferme
Comme un errant dans la blancheur de l’aube
Qui regagne enfin son pays,
Un coq perché sur son épaule.
Le monde était alors comme le jardin d’Eden,
le ciel venait d’éclore,
Le soleil de jaillir, tout comme au premier jour,
La pure lumière d’être tissée.
Les chevaux ensorcelés
Quittaient la chaleur hénnissante des étables
Pour la gloire des prairies.

Et honoré parmi les renards et les faisans,
Près de la maison joyeuse,
Sous les nuages nouveaux nés,
Et heureux tant que le coeur était fort,
Dans le soleil renouvelé,
je courais parmi les chemins insouciants,
Mes voeux lancés dans le foin
Aussi hauts que la maison,
Et je me moquais bien dans mon commerce avec le bleu du ciel
Que le temps n’accorde, dans son cycle mélodieux,
Que si peu de ces chants matinaux
Avant que les enfants verdoyants et dorés
Ne le suivent hors de la grâce.

J’ignorais en ces jours candides comme des agneaux
Que le temps m’emporterait bientôt dans ce grenier
Rempli d’hirondelles à l’ombre de ma main,
Dans la lune toujours montante
Et que, galopant vers le sommeil
Je l’entendrais voler par les moissons
Et m’éveillerais dans la ferme
Chassé à jamais du paradis de l’enfance
Oh ! Je fus un enfant rayonnant sur le chemin de grâce
Et le temps me retenait verdoyant loin de la mort
Tandis que je chantais dans mes chaînes
Comme la mer.

N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit

N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit,
Le vieil âge devrait brûler et s’emporter à la chute du jour ;
Rager, s’enrager contre la mort de la lumière.

Bien que les hommes sages à leur fin sachent que l’obscur
est mérité,
Parce que leurs paroles n’ont fourché nul éclair ils
N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes bons, passés la dernière vague, criant combien
clairs
Leurs actes frêles auraient pu danser en une verte baie
ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.

Les hommes violents qui prirent et chantèrent le soleil
en plein vol,
Et apprennent, trop tard, qu’ils l’ont affligé dans sa
course,
N’entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes graves, près de mourir, qui voient de vue
aveuglante
Que leurs yeux aveugles pouraient briller comme
météores et s’égayer,
Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.

Et toi, mon père, ici sur la triste élévation
Maudis, bénis-moi à présent avec tes larmes violentes,
Je t’en prie.
N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit.
Rage, enrage contre la mort de la lumière.

(Dylan Thomas, « Vision et Prière » et autres poèmes, traduction et présentation d’Alain Suied, NRF, Poésie/Gallimard)

Fern Hill

Now as I was young and easy under the apple boughs
About the lilting house as the grass was green,
The night above the dingle starry,
Time let me hail and climb
Golden in the heydays of his eyes,
And honoured amoung wagons I was prince of the apple towns
And once below a time I lordly had the trees and leaves
Trail with the daisies and barley
Down the rivers of the windfall light.

And as I was green and carefree, famous amoung the barns
About the happy yard ans singing as the farm was home,
Il the sun that is young once only,
Time let me play and be
Golden in the mercy of his means,
And green and golden I was huntsman and herdsman, the calves
Sang to my horn, the foxes on the hills barked clear and cold,
And the sabbath rang slowly
In the pebbles of the holy streams.

All the sun long it was running, it was lovely, the hay
Fields high as the house, the tunes from the chimneys, it was air
And playing, lovely and watery
And fire green as grass.
And nightly under the simple stars
As I rode to sleep the owls were bearing the farm away,
All the moon long I heard, blessed amoung stables, the nightjars
Flying with the ricks, and the horses
Flashing into the dark.

And then to awake, and the farm, like a wanderer white
With the dew, come back, the cock on his shoulder : it was all
Shining, it was Adam and maiden,
The sky gathered again
And the sun grew round that very day.
So it must have been after the birth of the simple light
In the first, spinning place, the spellbound horses walking warm
Out of the whinnying green stable
On to the fields of praise.

And honoured among foxes and pheasants by the gay house
Under the new made clouds and happy as the heart was long,
In the sun born over et over,
I ran my heedless ways,
My wishes raced through the house high hay
And nothing I cared, at my sky blue trades, that time allows
In all his tuneful turning so few and such morning songs
Before the children green and golden
Follow him out of grace.

Nothing I cared, in the lamb white days, that time would take me
Up to the swallow thronged loft by the shadow of my hand,
In the moon that is always rising,
Nor that riding to sleep
I should hear him fly with the high fields
And wake to the farm forever fled from the childless land.
Oh as I was young and easy in the mercy of his means,
Time held me green and dying
Though I sang in my chains like the sea.

 


Guy Goffette – Maintenant c’est le noir


peinture:       Franck Stella

Guy Goffette, Solo d’ombres (1983)« Maintenant c’est le noir »
Maintenant c’est le noir
Les mots c’était hier
dans le front de la pluie
à la risée des écoliers qui
traversent l’automne et la
littérature
comme l’enfer et le paradis
des marellesTu prêchais la conversion pénible
des mesures agraires
à des souliers vernis
des sabreuses de douze ans
qui pincent le nez des rues
et giflent la pudeur
des campagnes étroites

Tu prêchais dans les flammes
du bouleau du tilleul
à des glaciers qui n’ont
pas vu la mer encore
et qui la veulent tout de suite
et qui la veulent maintenant

Maintenant c’est le noir tu
changes un livre de place
comme s’il allait dépendre
de ce geste risible en soi
que le chant hyperbole de la poésie
–›  »maintenant c’est le noir »
–› impuissance créatrice,
d’où l’hésitation
entre poésie et prose te revienne
et détourne enfin
avec la poigne de la nuit
le cours forcé
de ta biographie


Louis Aragon – tant que j’aurai le pouvoir de frémir


peinture           Patricia Watwood:                Flora

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tant que j’aurai le pouvoir de frémir

Et sentirai le souffle de la vie

Jusqu’en sa menace

Tant que le mal m’astreindra de gémir

Tant que j’aurai mon cœur et ma folie

Ma vieille carcasse

 

Tant que j’aurai le froid et la sueur

Tant que ma main l’essuiera sur mon front

Comme du salpêtre

Tant que mes yeux suivront une lueur

Tant que mes pieds meurtris ne porteront

Jusqu’à la fenêtre

 

Quand ma nuit serait un long cauchemar

L’angoisse du jour sans rémission

Même une seconde

Avec la douleur pour seul étendard

Sans rien espérer les désertions

Ni la fin du monde

 

Quand je ne pourrais veiller ni dormir

Ni battre les murs quand je ne pourrais

Plus être moi-même

Penser ni rêver ni me souvenir

Ni départager la peur du regret

Les mots du blasphème

 

Ni battre les murs ni rompre ma tête

Ni briser mes bras ni crever les cieux

Que cela finisse

Que l’homme triomphe enfin de la bête

Que l’âme à jamais survivre à ses yeux

Et le cri jaillisse

 

Je resterai le sujet du bonheur

Se consumer pour la flamme au brasier

C’est l’apothéose

Je resterai fidèle à mon seigneur

La rose naît du mal qu’a le rosier

Mais elle est la rose

 

Déchirez ma chair partagez mon corps

Qu’y verrez-vous sinon le paradis

Elsa ma lumière

Vous l’y trouverez comme un chant d’aurore

Comme un jeune monde encore au lundi

Sa douceur première

 

Fouillez fouillez bien le fond des blessures

Disséquez les nerfs et craquez les os

Comme des noix tendres

Une seule chose une seule chose est sûre

Comme l’eau profonde au pied des roseaux

Le feu sous la cendre

 

Vous y trouverez le bonheur du jour

Le parfum nouveau des premiers lilas

La source et la rive

Vous y trouverez Elsa mon amour

Vous y trouverez son air et sont pas

Elsa mon eau vive

 

Vous retrouverez dans mon sang ses pleurs

Vous retrouverez dans mon chant sa voix

Ses yeux dans mes veines

Et tout l’avenir de l’homme et des fleurs

Toute la tendresse et toute la joie

Et toutes les peines

 

Tout ce qui confond d’un même soupir

Plaisir et douleur aux doigts des amants

Comme dans leur bouche

Et qui fait pareil au tourment le pire

C’est chose en eux cet étonnement

Quand l’autre vous touche

 

Égrenez le fruit la grenade mûre

Égrenez ce cœur à la fin calmé

De toute ses plaintes

Il n’en restera qu’un nom sur le mur

Et sous le portrait de la bien-aimée

Mes paroles peintes

peinture:          Patricia Watwood  –          le  rêve  de l’amant du poète

Le roman inachevé,

Poésie / Gallimard.


Laissés pour compte ( RC )


peinture:   R Magritte – pluie de personnages ( le généreux donateur)

 

 

Il pleut  des personnages, en habit de ville

Raides comme des soldats de plomb

En contre-jour de lampes d’un destin immobile

Ne traçant que vers le plus long

 

Les hommes s’étalent dans l’alcool

Et ne cessent  de revenir en arrière

A même la dure surface de béton, du sol

Tatouages bleutés de leur mémoire de chair.

 

L’humanité a la gueule  de bois,

La parole creuse, mais prolifique

…  elle nous revient  de guingois,

Au lent bal des années pathétiques.

 

Il pleut des personnages, clones de camarades

Egalité, éternité, fraternité

Et fête en marmelade

C’est ce qui fait la liberté

 

De tous les laissés pour compte

Ceux aux habits raidis

Au rendez-vous de la honte

De leur vie, le taudis

 

Au bal de la soupe  populaire

Qui n’ a , au goût de paradis

Que l’amer de l’en- terre

Cercle de misère, et des maudits.

 

 

RC      10 juin 2012