Celle qu’on ne peut plus rattraper – ( RC )
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Tu vois, je t’ai écrit,
Enfin , après des années,
Et des feuillets éparpillés,
Des jardins de papier,
Des ratures et des gros mots…
Je suis allé boire à la source,
Remonter le cours des histoires,
Et les pieds mouillés,
Face à mon miroir,
Je t’ai perçue par-derrière,
Happant mon reflet,
Les cheveux en bataille,
Prenant dans tes mains diaphanes,
La danse de mon âme,
Leurrée par ton regard.
Et j’ai trempé la parole dans l’encre,
Maladroit, et incertain,
Encore ahuri de la nuit, ce matin,
Répandant sur les pages blanches,
Les empreintes de mes mots.
Un temps sans cruauté,
Où les phrases jaillissaient
Avec difficulté.
Une petite récolte, glanée,
Reconquise à ta mémoire.
Mais finalement,
Après quelques essais,
Et ces pages rassemblées,
Je ressentais déjà le parcours de tes yeux,
Etreignant mes lignes.
Tu vois, je t’ai écrit,
J’ai fini le reste de la cafetière,
Le temps s’était dilué
Avec le fil du récit,
Qui t’était destiné.
Je n’ai plus que quelques pas à faire,
Pour achever l’entreprise,
Et glisser dans la boîte,
Cette lettre.
Après une dernière hésitation…
J’ai entendu le petit floc ! ,
Une fois lâchée…
Je ne pourrais plus alors
Interrompre son voyage .
….Une parole émise, qui se déplace,
Et qu’on ne peut plus rattraper.
RC – avril 2014
Cribas – Sur la colline du 24ème siècle
Sur la colline du 24ème siècle
Le soleil monte sur la colline encore un peu rouge
Je sais que tout à l’heure
Mon ombre y dessinera à nouveau son tombeau
J’étais parti sans partir
Je reviens sans revenir
Mais je dois rejoindre les rayons brûlants de son halo
Je dois retrouver mon chemin qui a rencontré le chaos
Je dois retourner au bord du précipice
Tout au bord de ma voie suspendue
Je reviens là où continue le vide
Où s’est arrêtée la folie
Inerte et vaincue.
On en fait des détours et des tours
Avec ou sans aide on refait le grand tour
Mais on revient toujours sur le lieu du crime
Un lac, un parking, un souvenir
L’amour en morse gueule depuis l’antenne de secours
On revient toujours, après mille lieues, mille heures du même parcours
On revient effondré
Haletant et déjà à nouveau assoiffé
On revient une fois encore
Comme toujours
Sur la ligne de départ de ses amours dopées
On revient comme un cheveu blanc, gavé du gras des années de grisailles, un écheveau sans projets sur le fil du rasoir
Avec des mots, et dans sa bouche ses propres yeux,
Et dans sa poche
Des oreilles pleines de guerres
Comme des prières secrètes qu’on ne peut plus taire
Des sourdines qui tombent comme un cheval mort sur la soupe
Avec un os rongé jusqu’à la moelle dans la gueule, et un reste de tord-boyau somnifère qui n’a pas servi
On fait mine
En posant un genou à terre dans les starting-blocks
D’être déjà prêt,
C’est reparti pour un tour, une course dans la nuit sous la lune étoilée
Avec en point de mire une vie de moins en moins murgée
Sobre et contemplant la grande ourse
Comme inerte et vaincue
Et de calme gorgée.
La colline vire au bleu
Je sais que tout à l’heure
Je l’aurai entièrement remontée
Ma petite vie en retard
Mon existence d’esthète à remontrances automatiques
Cribas 07.07.2013
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Sous les yeux fertiles du temps ( RC )
A tous les rivages et au murmure des vagues
Les paroles croisées, le bonheur d’une inspiration
Ainsi, le ressac régulier, et l’écume
Qui prend et donne, reprend encore
L’appel des sirènes s’est perdu dans la brume
———Personne n’en propose de traduction.
Le pays s’est usé de son voisinage,
Pour tatouer la mer de rochers,
C’est une lente métamorphose,
Qui transporte les éléments
Sous les yeux fertiles du temps
Au-delà du plein chant du soleil
Les falaises parait-il reculent
Et cèdent au liquide des arpents de prés,
Les remparts de la ville s’approchent du bord
Et seront un jour emportés,
Comme le sont les siècles
Aux haleines des brises et tempêtes.
Faute d’apprivoiser le temps
Il faut faire avec son souffle
Et le berger pousse ses troupeaux sur la plaine
Puis les plateaux, qui offrent
A toutes les transhumances, leurs drailles séculaires
D’un parcours recommencé, au cycle des saisons.
RC – 14 octobre 2012
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Paolo Ruffilli – Tunnel

peinture: Tunnel_of_Wealth_by_UnidColor – Patrik Hjelm, (Presidia)
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TUNNEL
C’est à l’improviste, à l’intérieur d’un tunnel qui ne finit jamais, dans l’air mort qui chatouille la gorge. Toutes les fois que j’y suis passé déjà. Et pourtant, non, cela ne sert à rien que je le rappelle, l’anticipe encore. Je frappe dans le mur et là me rends compte, à l’intérieur du parcours aveugle et pareil miroir de moi à mes restes, de ce qui a été de comment, au fond et contre toute ma volonté, je suis changé.
È all'improvviso, dentro il tunnel che non finisce mai, nell'aria morta che pizzica alla gola. Tutte le volte che ci sono già passato. Eppure, no, non vale che lo ricordi, lo anticipi una sola. Picchio nel muro e lì mi rendo conto, dentro il percorso cieco e uguale specchio di me a una mia spoglia, di ciò che è stato di come, in fondo e contro ogni mia voglia, io sia cambiato.