Louis GUILLAUME – Ville haute

Dureté du jour qu’aiguisait le soir :
le cri d’un enfant vibre au long d’un square.
On ne sait pas si c’est la vie, cette lumière,
ce mélange de boue, de pierre et de brouillard.
On ne sait plus si c’est la vie ou le reflet
d’une misère d’autrefois ou d’un rêve à recommencer.
Images de l’oubli, pâtés de sable,
un homme assis caresse un livre ouvert,
une statue soudain se mettait à danser.
Paris triste jusqu’aux soupentes
tordait ses cheveux dans le fleuve.
Aux morts qui garnissaient les bancs
souriait un petit enfant.
Dureté du jour isolant le soir,
les années se noient telles des étoiles,
toutes les péniches s’éteignent.
Auprès d’un vagabond un platane s’allonge.
Une chenille lumineuse
d’une rive à l’autre simule un diadème fugitif.
Image de l’oubli mêlée au sable,
tu peux ouvrir tes doigts obscurs,
plus un moineau ne s’en échappe.
Un vin de nuit coulait sur les comptoirs,
un cheval s’endormait au bruit de ses sabots,
une ombre au cœur de la mansarde
tissait des voiles de fatigue.
Pureté du jour quand le soir abandonne
son livre moisi sur les quais.
On ne sait pas si c’est du bonheur, cette attente.
Lorsque leurs mains se rejoignirent,
deux arbres crurent en mourir.
On ne sait plus si c’est l’amour, cette lueur
suintant au fond des cours.
Image de l’oubli dans la ville immergée,
les ponts sont lourds qui enjambent le noir.
Un enfant, du haut des étages,
poursuit le sifflement d’un train.
Le même ciel, le même vent, tous les oiseaux
jonchent les toits de leur poussière.
Paris sombrait chargé de calcaire et de brume.
Poèmes choisis
ROUGERIE
Quelques notes de piano au fond de la bassine – ( RC )
C’est un triste matin
dans un Paris déserté
où l’on s’imagine voyager
au-delà des toits de zinc:
un de ces longs jours d’hiver
si pluvieux
qu’on ne peut espérer mieux
que les pensées d’hier
Elles nous jouent cet air
la chanson perpétuelle
de l’eau qui ruisselle:
la chanson de la gouttière
( quelques notes de piano
au fond de la bassine … )
une chanson citadine
à défaut de concerto .
–
RC – mars 2020
–
à partir d’un texte de Susanne Derève: » Ce pourrait être »
Une note
je dirais de piano
Un toit de zinc
l’eau
Ce pourrait être la mer
la mer n’est jamais loin
Ce pourrait être un air
de flûte
un concerto en ut
Ce n’est que la gouttière
à l’angle du perron
par un matin d’hiver
pluvieux
pluvieux
pluvieux
qui chante la triste chanson
des adieux
Natasha Kanapé Fontaine – Réserve II
peinture: T C Cannon
Ecoutez le monde
s’effondrer
ponts de béton
routes d’asphalte
Aho pour la joie
Aho pour l’amour
Surgit la femme
poings serrés
vers la lumière
Voici que migrent
les peuples sans terres
nous récrirons la guerre
fable unique
Qui peut gagner sur le mensonge
construire un empire de vainqueurs
et le croire sans limites
Ce qui empoisonne
ne méritera pas de vivre
ce qui blesse ne méritera pas le clan
cinq cents ans plus tard
sept générations après
Tous ces châssis pour barrer les routes
tous ces murs érigés entre les nations
tous ces bateaux d’esclaves
ces bourreaux n’auront eu raison de rien
Si j’étais ce pigeon qui vomit
sur les hommes de bronze
fausses idoles carnassiers ivres
se tâtant le pectoral gauche
avec la main droite
lavée par les colombes
Qui d’autre est capable
de provoquer l’amnésie
octroyer la carence
à ceux qu’il gouverne
Qui d’autre sait appeler union
ce qui est discorde
pour s’arracher le premier
pour s’arracher le meilleur
des confins de toutes les colonies
qui d’autre sait appeler croissance
ce qui est régression
construction
ce qui est destruction
les peuplades pillées à bon escient
au nom du roi et de la reine
au nom du peuple qui meurt de faim
à Paris
à Londres
à Rome
à New York
à Dubaï
à Los Angeles
à Dakar
au nom du peuple
qui se bâtit par douzaine
à Fort-de-France
à Port-au-Prince
à La Havane
à Caracas
à Santiago
à Buenos Aires
Aho pour la joie
Aho pour l’amour
Qui d’autre sait nommer le mensonge
pour le voiler
La ville persiste en moi
assise sur l’avenue des Charognards
je guette l’allégresse
la haine qui me pousse à hurler
Je guette le nom des ruelles
de la grande mer
qui laisse passer les pauvres
à l’abri des vautours
La guerre est en moi comme partout.
–
Pour écouter les poèmes de NKF sur lyrikline rendez-vous ici…
Pierre Béarn – les passantes – Anna
peinture : Paul Delvaux – le train bleu
Anna ne fut qu’odeur de gare
fuyant l’horaire et ses soucis
pour s’oublier hebdomadaire
à Paris…
Anna m’attendait sur un quai
tel un bagage du dimanche.
Je la perdis avec la pluie.
Louis Aragon – Les roses de Noël
photo perso – Chanac
LES ROSES DE NOËL (extrait)
Quand nous étions le verre qu’on renverse
Dans l’averse un cerisier défleuri
Le pain rompu la terre sous la herse
Ou les noyés qui traversent Paris
Quand nous étions l’herbe ]aune qu’on foule
Le blé qu’on pille et le volet qui bat
Le chant tari le sanglot dans la foule
Quand nous étions le cheval qui tomba
Quand nous étions des étrangers en France
Des mendiants sur nos propres chemins
Quand nous tendions aux spectres d’espérance
La nudité honteuse de nos mains
Alors alors ceux-là qui se levèrent
Fût-ce un instant fût-ce aussitôt frappés
En plein hiver furent nos primevères
Et leur regard eut l’éclair d’une épée
Noël Noël ces aurores furtives
Vous ont rendu hommes de peu de foi
Le grand amour qui vaut qu’on meure et vive
À l’avenir qui rénove autrefois
Oserez-vous ce que leur Décembre ose
Mes beaux printemps d’au-delà du danger
Rappelez-vous ce lourd parfum des roses
Quand luit l’étoile au-dessus des bergers
Louis ARAGON « La Diane française »(éd. Seghers)
Jean Blot – Les cosmopolites
–
A force de courir le monde…
la vie devient étrange et plus docile à l’espace qu’au temps…
C’était Paris, Londres, New York, ou Genève, mais était-ce avant ou bien après ?
En chaque ville, quand on la retrouve, la durée se ressoude, son tissu se refait, comme si l’absence avait été une blessure et le retour une guérison.
Qui vit en un lieu suit le temps dans sa marche et épouse son mouvement.
Mais le vagabond reprend à chaque étape le jour qu’il avait laissé là, qui s’était endormi et qu’il réveille en revenant. Ou bien, au contraire, un fil relié sans cause des lieux éloignés et telle conversation commencée à New York se poursuit à Genève, rebondit à Londres, et se conclut à Paris.
Cet ami rencontré sur la 5è avenue, on le retrouve sur le pont du Mont-Blanc, on le quitte dans un café de Montparnasse.
Ou encore on oublie le lieu, le temps: l’amitié seule demeure.
Il semble parfois qu’il n’est ni passé, ni avenir; ni lieux distincts, mais un seul présent aux facettes nombreuses qui résistent au classement et n’obéissent
qu’aux lois secrètes du sentiment.
Voyages départs et retours font que la vie prend de l’épaisseur, mais qu’elle ne coule pas comme elle devrait.
Quand on revient, on dirait que le temps se fait réversible: tout recommence…
Les cosmopolites ( Gallimard)
Marina Tsvetaieva – mon autographe dans la figure
texte extrait des « écrits de Vanves »
—
Partis nulle part, ni toi ni moi
Perdues pour nous toutes les plages.
Propriétaires d’un sou, été brûlant,
Pas dans nos prix les océans,
De la misère – goût toujours sec,
Tourne la croûte sèche dans la bouche,
Plat – bord de l’eau, mangé l’été !
Espace de pauvres, poches retournées.
Anthropophages de Paris
Replets, joufflus, panse luisante
Vous tous, mangeurs de poésie,
Ripailles de graisse, un franc l’entrée
Et pour la bouche, lotions-poèmes,
Refrains, sonates et versets,
Voûtes célestes, fronts étoiles.
Eau de toilette – le chant aux lèvres.
Mangé l’été, Paris ! Plages sèches !
Pour vous – soyez maudits
Pour vous la honte ! Recevez
Mon autographe dans la figure :
De mes cinq sens – cinq doigts signant,
Meilleurs souvenirs, bons sentiments.
(Paris- La Favière 1932-1935.)
Francis Combes – Le cerisier du Japon
Le cerisier du Japon
J’ai fait la connaissance d’un cerisier du Japon,
(un sakura autrement nommé prunus serrulata),
planté sur la terrasse
au sommet de la Tour Périscope
avenue d’Italie
dans le treizième arrondissement.
Assis dans la salle de réception du dernier étage
nous sommes entourés de baies vitrées qui dominent Paris,
Paris qui se cache tout en bas
dans un brouillard gris et doré
comme si le monde entier
souffrait de cataracte.
A côté de nous, une piscine
à l’œil bleu et clair, dort,
transparente et tranquille,
sans une vague.
Nous sommes loin du tsunami,
loin du tremblement de terre
et de l’accident nucléaire…
Pendant la lecture de poésie,
je regarde le prunus à travers la vitre épaisse.
Ses branches lourdes de fleurs roses en grappes serrées,
que bousculent les bourrasques et les giboulées…
Le prunus tient bon
au milieu des courants d’air contraires, dans le vent des hauteurs.
Ambassadeur, malgré lui, d’un pays qu’il ne connaît pas.
Et je me dis, même si certains le nient,
que nous sommes bien sur le même bateau,
chahuté par la tempête.
La planète comme la barque de bois clair
que nous porte le serveur du restaurant de sushis
et nous,
qui nous serrons à bord.
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.
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C’est le matin à Paris – ( RC )

photo: Jerôme Dumoux: voir son site
Le matin arrive sur la ville qui dort,
On devine juste le clocher de la cathédrale,
Qui dépasse d’entre les nuées pâles,
Tout est indistinct encore,
Les rues sont encore couvertes de sommeil
Avant la dissipation des brumes matinales…
Les trottoirs présentent leur côté sale
En attendant la traversée du soleil,
Il peine à trouver son chemin,
( C’est, il est vrai, un grand voyage ),
Pour finalement s’immiscer d’entre les nuages,
Et réduire les gris comme peau de chagrin.
En répandant l’alphabet des couleurs,
De l’or liquide, en cascades,
Eclaboussant les façades,
S’éveillant au fil des heures.
La nuit s’est faite oublier,
Sa main pesante s’est retirée,
On peut voir, de nouveau, éparpillés ,
Des éclats clairs, sur mes souliers.
Tout ce qui est blanc m’éblouit,
La lumière multiplie ses taches,
La journée est en ordre de marche…
L’odeur des croissants frais me ravit.
C’est le matin à Paris.
–
RC – mars 2014
Roger Bodart -Le Chevalier à la charrette.
–
( extrait du Chevalier à la charrette.)
… Pour les uns, je fus curé.
Pour les autres, je fus le diable.
Je suis l’homme las d’errer
Dans un grand pays de sable.
J’ai perdu beaucoup de temps ;
Pour gagner maigre pécule,
Fait dix métiers ridicules ;
Rêver me semblait tentant.
J’ai connu des monastères,
Eu des amis francs-maçons,
Dieu, pour moi, voulant sur terre
Chacun juste à sa façon.
Au temps de l’exode amer,
J’ai possédé trois arpents
Quatre rats et un serpent,
Au canal d’entre-deux-mers.
J’ai vu Paris envahir ;
J’ai vu chez moi la police
Et quelques amis mourir
Dans le verger des supplices.
De ces nuits et de ces jours,
Il me reste un grand amour
Pour les choses d’ici-bas ;
Je n’ai livré nul combat ;
J’ai laissé passer la haine,
Saluant toujours très bas
Celui qui ne m’aimait pas
J’aime toute âme humaine.
Je me suis souvent trompé
J’ai commis des choses troubles,
Plus que nul autre étant double.
Parfois j’ai trouvé la paix.
Quels sont ceux qui m’ont compris ?
Deux ou trois passants peut-être.
Une table, une fenêtre,
Le pain qu’on broie : c’est le Christ.
A beaucoup je dis pardon
D’être passé sur leur porte
Sans avoir reçu leur don.
L’âme fait souvent la morte.
Et moi-même, me connais-je ?
Ai-je été ce qu’il fallait ?
Tant de mauvais sortilèges
Ont fait de moi leur valet.
Qu’ai-je aimé? Qu’ai-je souffert ?
Ce sont là choses secrêtes.
Ne croyant guère à l’Enfer,
Au grand rêve je m’apprête.
Une femme est près de moi
Depuis que je suis un homme
Nous nouerons encore nos doigts
Quand nous ferons le grand somme.
Près de moi sont deux enfants
Que notre douceur défend.
Pour m’avoir donné ceci
Mon Dieu, je vous dis merci.
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Roger Bodart. « Le Chevalier à la charrette ».
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Pinceau de la ville ( RC )
- peinture: Nicolas de Staël: toits de Paris – 1952
–
Faire que le tout s’étale
A grands coups de spatule
Et que la peinture s’écrase
Poussant de petits monticules
La matière de surfaces agitées;
—————– La couleur décalée
Sous le gris se profile le rouge,
Nicolas , et les toits de Paris
Cliquetant des éclats d’argent
Lorsque filtre un pinceau de lumière
Au gré du vent, sur la ville
Ses écailles qui brillent
Une nasse fragmentée d’envers,
…. Immobile d’hivers
–
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RC – 24 novembre 2012
–
voir aussi l’article précédent intitulé simplement Nicolas de Staël