Justo Jorge Padron – la visite de la mer

Sur l’oxydation verte des rochers
je me réserve, je le sais, une merveille.
l’eau en images va et vient.
Son écume bâtit des temples diaphanes.
Des régions de diamants
éclatent miettes dures contre le basalte noir
laissant la brise constellée
d’amandiers neigeux et tremblants.
Leurs émaux à peine tournoient
dans le miroir prodigue du soleil
et retournent à l’eau comme pluie fourvoyée.
Reviennent les chevaux en incessants suicides.
Formant une unité parfaite. Un voisinage.
Une haleine les guide, cristalline,
qui s’avance vers moi, ailée et majestueuse.
Toutes couleurs se découvrant elle me dit :
“Moi aussi je t’attendais.
Prenons le temps de nous parler,
mais d’abord rêve et vis pour moi cette journée, la tienne,
chez les hommes… ”
Viktor Kagan – je réapprendrai à parler
peinture: David Bates – Anhinga 1986
Je réapprendrai à parler .
Mais pour l’instant je commence ma vie à zéro,
ne me permettant pas encore de savoir
que je vais marcher, parler, rire
comme je le faisais hier et le jour d’avant
et toujours, mais sachant seulement que demain sera différent.
Laisse moi être…
Mais si vous pouvez simplement
vous asseoir à côté de moi et m’écouter
re germant de moi-même,
à une larme roulant sur ma joue,
à mon ombre mesurant le temps
comme si je ressortais de moi-même –
simplement ne rien dire et écouter –
alors s’il vous plaît restez.
–
I shall learn to talk again.
But for now I begin my life from scratch,
not yet allowing myself to know
that I will walk, talk, laugh
as yesterday and the day before
and always, but knowing only that tomorrow will be different.
Leave me be…
But if you can simply sit next to me and listen
to me sprouting from myself,
to a tear rolling down my cheek,
to my shadow measuring time as I grow out of myself —
simply saying nothing and listening —
then please stay.
Je ne sais plus parler le langage des songes – ( RC )
–
Je ne sais plus parler
Le langage des songes,
Et les partager avec toi,
C’est une vague,
Elle déferle, lointaine,
Et mélange ses images,
Vue aux lointains,
La vague des rêves,
Une parmi d’autres,
Se fond en léger frisottis,
A la surface des océans.
C’est vrai, il faudrait plonger,
Dans les profondeurs,
Pour suivre les courants,
Et les bancs des poissons.
Ces poissons de rêves,
Que tu chevauches peut-être,
Vers des horizons sous-marins :
Il ne serait pas question
D’en parler, ou seulement,
De façon muette,
Ce serait alors,
Sous les remous,
Sous les bateaux,
Notre façon de traverser,
Les étendues d’eau,
Les étendues de mots,
Et l’on décrirait sans le dire,
Toutes les couleurs,
Des coraux,
Qui peuplent notre esprit.
–
Jean Follain – parler seul
–
Il arrive que pour soi
l’on prononce quelques mots
seul sur cette étrange terre
alors la fleurette blanche
le caillou semblable à tous ceux du passé
la brindille de chaume
se trouvent réunis
au pied de la barrière
que l’on ouvre avec lenteur
pour rentrer dans la maison d’argile
tandis que chaises, table, armoire
s’embrasent d’un soleil de gloire.
Jean Follain,
Exister, Anthologie de la poésie française du XXème siècle, Poésie/Gallimard
–
Robert Piccamiglio – la petite forêt à crédit
peinture: Camille Pissarro ; la route de Louveciennes 1871
–
j’avais acheté
une forêt entière
à crédit
une petite forêt
avec seulement un seul chemin
pour la traverser
je croyais
que les arbres
ça parlait mieux
que les hommes
parce que moi
je n’avais personne
à qui parler
je me suis appuyé
contre eux
en posant ma tête
contre leurs troncs
rien
pas un seul de ces arbres
ne répondait
entre eux
ils devaient bien se parler
se dire des trucs
d’hommes ou d’arbres
avec moi
rien ne sortait
Alors j’ai acheté
une tronçonneuse
j’ai coupé tous les arbres
barré le chemin
regardé le ciel
une dernière fois
et j’ai posé la lame
contre ma gorge
—
extrait de « le jour, la nuit, ou le contraire »
ed Jacques Bremond
–
Miquel Marti i Pol – Vingt-sept poèmes en trois temps

photo: troupes franquistes arrivant à Barcelone – février 1939