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Justo Jorge Padron – la visite de la mer


photo perso côte d’Iroise fev 2021

Sur l’oxydation verte des rochers
je me réserve, je le sais, une merveille.
l’eau en images va et vient.
Son écume bâtit des temples diaphanes.
Des régions de diamants
éclatent miettes dures contre le basalte noir
laissant la brise constellée
d’amandiers neigeux et tremblants.
Leurs émaux à peine tournoient
dans le miroir prodigue du soleil
et retournent à l’eau comme pluie fourvoyée.
Reviennent les chevaux en incessants suicides.
Formant une unité parfaite. Un voisinage.
Une haleine les guide, cristalline,
qui s’avance vers moi, ailée et majestueuse.


Toutes couleurs se découvrant elle me dit :
“Moi aussi je t’attendais.
Prenons le temps de nous parler,
mais d’abord rêve et vis pour moi cette journée, la tienne,
chez les hommes… ”


Viktor Kagan – je réapprendrai à parler


 

David Bates        Anhinga      1986   .jpg

peinture: David Bates –        Anhinga   1986

 

 

Je réapprendrai à parler .
Mais pour l’instant je commence ma vie à zéro,
ne me permettant pas encore de savoir
que je vais marcher, parler, rire
comme je le faisais hier et le jour d’avant
et toujours, mais sachant seulement que demain sera différent.

Laisse moi être…
Mais si vous pouvez simplement
vous asseoir à côté de moi et m’écouter
re germant de moi-même,
à une larme roulant sur ma joue,
à mon ombre mesurant le temps
comme si je ressortais de moi-même –

simplement ne rien dire et écouter –
alors s’il vous plaît restez.

I shall learn to talk again.
But for now I begin my life from scratch,
not yet allowing myself to know
that I will walk, talk, laugh
as yesterday and the day before
and always, but knowing only that tomorrow will be different.
Leave me be…
But if you can simply sit next to me and listen
to me sprouting from myself,
to a tear rolling down my cheek,
to my shadow measuring time as I grow out of myself —
simply saying nothing and listening —
then please stay.


Je ne sais plus parler le langage des songes – ( RC )


gravure maritime  ancienne -  extraite de manuscrit

–                           gravure maritime ancienne – extraite de manuscrit

Je ne sais plus parler

Le langage des songes,

Et les partager avec toi,

C’est une vague,

Elle déferle, lointaine,

Et mélange ses images,

Vue aux lointains,

La vague des rêves,

Une parmi d’autres,

Se fond en léger frisottis,

A la surface des océans.

C’est vrai, il faudrait plonger,

Dans les profondeurs,

Pour suivre les courants,

Et les bancs des poissons.

Ces poissons de rêves,

Que tu chevauches peut-être,

Vers des horizons sous-marins :

Il ne serait pas question

D’en parler, ou seulement,

De façon muette,

Ce serait alors,

Sous les remous,

Sous les bateaux,

Notre façon de traverser,

Les étendues d’eau,

Les étendues de mots,

Et l’on décrirait sans le dire,

Toutes les couleurs,

Des coraux,

Qui peuplent notre esprit.

RC- 5 décembre  2013 bowlsuite-c


Jean Follain – parler seul


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Il arrive que pour soi
l’on prononce quelques mots
seul sur cette étrange terre
alors la fleurette blanche
le caillou semblable à tous ceux du passé
la brindille de chaume
se trouvent réunis
au pied de la barrière
que l’on ouvre avec lenteur
pour rentrer dans la maison d’argile
tandis que chaises, table, armoire
s’embrasent d’un soleil de gloire.

Jean Follain,
Exister, Anthologie de la poésie française du XXème siècle, Poésie/Gallimard


Robert Piccamiglio – la petite forêt à crédit


Résultat de recherche d'images pour "pissarro route louveciennes"peinture:    Camille Pissarro ;        la route de Louveciennes         1871

 

j’avais acheté

une forêt entière

à crédit

une petite forêt

avec seulement un seul chemin

pour la traverser

je croyais

que les arbres

ça parlait mieux

que les hommes

parce que moi

je n’avais personne

à qui parler

je me suis appuyé

contre eux

en posant ma tête

contre leurs troncs

rien

pas un seul de ces arbres

ne répondait

entre eux

ils devaient bien se parler

se dire des trucs

d’hommes ou d’arbres

avec moi

rien ne sortait

Alors j’ai acheté

une tronçonneuse

j’ai coupé tous les arbres

barré le chemin

regardé le ciel

une dernière fois

et j’ai posé la lame

contre ma gorge

 

extrait   de  « le jour, la nuit, ou le  contraire »

ed Jacques Bremond


Miquel Marti i Pol – Vingt-sept poèmes en trois temps


photo:            troupes franquistes arrivant à Barcelone   – février  1939

Vingt-sept poèmes en trois temps (1972)
Cette rumeur que l’on entend n’est pas de pluie.
Il y a longtemps qu’il ne pleut plus.
Les sources sont taries et la poussière s’accumule
dans les rues et les maisons.
Cette rumeur que l’on entend n’est pas le vent.
Ils ont interdit le vent pour qu’il ne soulèvent pas
la poussière qu’il y a partout
et que l’air ne devienne – disent-ils – irrespirable.
Cette rumeur que l’on entend n’est pas de mots.
Ils ont interdit les mots pour qu’ils ne mettent en danger
la fragile immobilité de l’air.
Cette rumeur que l’on entend n’est pas de pensées.
Elles ont été bannies pour que ne soit engendrée
la nécessité de parler
et que ne survienne inévitablement la catastrophe.
Cependant la rumeur persiste.
(Traduction de J.P. Taurinya)
Et par rapport à ceci, je conseille  l’excellent  film «  la langue des papillons »   –  la lengua de las mariposas,de José Luis Cuerda, en rapport avec l’ouvrage  « ¿Qué me Quieres, Amor? » de Manuel Rivas —  dont il est malheureusement difficile  de trouver une version DVD  sous titrée  en français.