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Nous n’avons pas affaire à une statue, dont la bouche reste muette – ( RC )


photo RC – temple indou de Kuala Lumpur – Malaisie

Quel fruit se sépare,
d’un trait
où la largeur de l’infini
a peu de chance
de rentrer ?

La bouche est entr’ouverte,
sur les falaises brillantes
de l’émail des dents.
La soif des mots
se repose un instant,
de la parole…

Il se peut qu’on s’égare
dans les phrases,
quand aucun voile
ne dissimule le visage.
Nous avons dépassé
les vertiges de la censure…

Est-ce l’ombre de la vérité
qui s’exprime
dans la colère ou le sourire ?
Nous n’avons pas affaire
à une statue
dont la bouche reste muette…


Jacques Roman – lettera amorosa – 04


Sa parole n’a de légitimité qu’à ne jamais te passer sous silence,
qu’à jeter encore ta pierre dans le jardin de la loi.

Je l’avoue : terrorisé devant qui te renie.
Une telle terreur que toute ma chair se fait l’écho d’un hurlement à la vie à la fin duquel…
est-ce laissé pour mort ? Terreur encore quand, le proférant à haute voix,
ton nom lui-même me précipite dans ma bouche : si l’imposture y
était éternellement tapie ? Si ma langue ne travaillait qu’à embaumer une charogne ?


Non ! Je l’entends ce corps aimant infernal comme forcené qui là-haut agite ma langue et dit que son corps est ton corps. Malheur à qui n’a pu voir le cul de son dieu !
C’est d’être pénétrés de toi jusqu’à la moelle que les amants se crient je t’aime
et c’est lancer de poignards sur la cible du temps tandis que la roue tourne.
Sur le plancher d’un bal de campagne dressé au soleil, un jour d’été, près d’un
étang, à mes yeux un être a pris tes traits. Je ne quitterai pas le bal sans fin.
Tandis que là-bas la mort seule reste au bord de la piste, quelqu’un rit
aux larmes d’aimer dans le brouillard, amour, ton ombre même.
Il est temps que j’expédie cette lettre. Il fait nuit et jour à la fois.
Je prononce ton nom. J’ouvre la bouche, s’unissent un instant mes lèvres
et s’élance le souffle aux entrailles du silence. Au secret de la fièvre,
braise m’offre un temps brûlant. Je recommence, je recommence.


LETTERA AMOROSA


Octavio Paz – l’amphore brisée


peinture – Francis Bacon – étude de taureau 1991

Le regard intérieur se déploie, un monde de vertige et de flamme
naît sous le front qui rêve :

soleils bleus, tourbillons verts, pics de lumière
qui ouvrent des astres comme des grenades,

solitaire tournesol, œil d’or tournoyant
au centre d’une esplanade calcinée,

forêts de cristal et de son, forêts d’échos et de réponses et d’ondes,
dialogues de transparences,

vent, galop d’eau entre les murs interminables
d’une gorge de jais,

cheval, comète, fusée pointée sur le cœur de la nuit,
plumes, jets d’eau,

plumes, soudaine éclosion de torches, voiles, ailes,
invasion de blancheur,

oiseaux des îles chantant sous le front qui songe !

J’ai ouvert les yeux, je les ai levés au ciel et j’ai vu
comment la nuit se couvrait d’étoiles.

Iles vives, bracelets d’îles flamboyantes, pierres ardentes respirantes,
grappes de pierres vives, combien de fontaines,
combien de clartés, de chevelures sur une épaule obscure,

combien de fleuves là-haut, et ce lointain crépitement de l’eau
sur le feu de la lumière sur l’ombre.
Harpes, jardins de harpes.

Mais à mon côté, personne.
La plaine, seule : cactus, avocatiers,
pierres énormes éclatant au soleil.

Le grillon ne chantait pas,

il régnait une vague odeur de chaux et de semences brûlées,
les rues des villages étaient ruisseaux à sec,

L’ air se serait pulvérisé si quelqu’un avait crié : « Qui vive ! ».

Coteaux pelés, volcan froid, pierre et halètement sous tant de splendeur,
sécheresse, saveur de poussière,

rumeur de pieds nus dans la poussière, et au milieu de la plaine,
comme un jet d’eau pétrifié, l’arbre piru.

Dis-moi, sécheresse, dis-moi, terre brûlée, terre d’ossements moulus,
dis-moi, lune d’agonie, n’y a-t-il pas d’eau,

seulement du sang, seulement de la poussière,
seulement des foulées de pieds nus sur les épines

seulement des guenilles, un repas d’insectes et la torpeur à midi
sous le soleil impie d’un cacique d’or ?

Pas de hennissements de chevaux sur les rives du fleuve,
entre les grandes pierres rondes et luisantes,

dans l’eau dormante, sous la verte lumière des feuilles
et les cris des hommes et des femmes qui se baignent à l’aube ?

Le dieu-maïs, le dieu-fleur, le dieu-eau, le dieu-sang, la Vierge,
ont-ils fui, sont-ils morts, amphores brisées au bord de la source tarie ?

Voici la rage verte et froide et sa queue de lames et de verre taillé,
voici le chien et son hurlement de galeux, l’agave taciturne,

le nopal et le candélabre dressés, voici la fleur qui saigne et fait saigner,
la fleur, inexorable et tranchante géométrie, délicat instrument de torture,

voici la nuit aux dents longues, au regard effilé,
l’invisible silex de la nuit écorchante,

écoute s’entre-choquer les dents,
écoute s’entre-broyer les os,

le fémur frapper le tambour de peau humaine,
le talon rageur frapper le tambour du cœur,
le soleil délirant frapper le tam-tam des tympans,

voici la poussière qui se lève comme un roi fauve
et tout se disloque et tangue dans la solitude et s’écroule
comme un arbre déraciné, comme une tour qui s’éboule,

voici l’homme qui tombe et se relève et mange de la poussière et se traîne,
l’insecte humain qui perfore la pierre et perfore les siècles et ronge la lumière
voici la pierre brisée, l’homme brisé, la lumière brisée.

Ouvrir ou fermer les yeux, peu importe ?
Châteaux intérieurs qu’incendie la pensée pour qu’un autre plus pur se dresse, flamme fulgurante,

semence de l’image qui croît telle un arbre et fait éclater le crâne,
parole en quête de lèvres,

sur l’antique source humaine tombèrent de grandes pierres,
des siècles de pierres, des années de dalles, des minutes d’épaisseurs sur la source humaine.

Dis-moi, sécheresse, pierre polie par le temps sans dents, par la faim sans dents,
poussière moulue par les dents des siècles, par des siècles de faims,

dis-moi, amphore brisée dans la poussière, dis-moi,
la lumière surgit-elle en frottant un os contre un os, un homme contre un homme, une faim contre une faim,

jusqu’à ce que jaillisse l’étincelle, le cri, la parole,
jusqu’à ce que sourde l’eau et croisse l’arbre aux larges feuilles turquoise ?

Il faut dormir les yeux ouverts, il faut rêver avec les mains,
nous rêvons de vivants rêves de fleuve cherchant sa voie, des rêves de soleil rêvant ses mondes,

il faut rêver à haute voix, chanter jusqu’à ce que le chant prenne racine, tronc, feuillage, oiseaux, astres,

chanter jusqu’à ce que le songe engendre et fasse jaillir de notre flanc l’épine rouge de la résurrection,

Veau de la femme, la source où boire, se regarder, se reconnaître et se reconquérir,
la source qui nous parle seule à seule dans la nuit, nous appelle par notre nom, nous donne conscience d’homme,

la source des paroles pour dire moi, toi, lui, nous, sous le grand arbre, vivante statue de la pluie,

pour dire les beaux pronoms et nous reconnaître et être fidèles à nos noms,
il faut rêver au-delà, vers la source,  il faut ramer des siècles en arrière,

au-delà de l’enfance, au-delà du commencement, au-delà du baptême,
abattre les parois entre l’homme et l’homme, rassembler ce qui fut séparé,

la vie et la mort ne sont pas deux mondes, nous sommes une seule tige à deux fleurs jumelles,
il faut déterrer la parole perdue, rêver vers l’intérieur et vers l’extérieur,

déchiffrer le tatouage de la nuit, regarder midi
face à face et lui arracher son masque,

se baigner dans la lumière solaire, manger des fruits nocturnes,
déchiffrer l’écriture de l’astre et celle du fleuve,

se souvenir de ce que disent le sang et la mer,
la terre et le corps, revenir au point de départ,

ni dedans, ni dehors, ni en dessus ni en dessous,
à la croisée des chemins, où commencent les chemins,

parce que la lumière chante avec une rumeur d’eau,
et l’eau avec une rumeur de feuillage,

parce que l’aube est chargée de fruits,
le jour et la nuit réconciliés coulent avec la douceur d’un fleuve,

le jour et la nuit se caressent longuement comme un homme et une femme,

comme un seul fleuve immense sous l’arche des siècles
coulent les saisons et les hommes,

là-bas, vers le centre vivant de l’origine,
au delà de la fin et du commencement.

Octavio PAZ.


Bruno Ruiz – pour la pensée qui cherche votre étoile


montage perso

Je n’ai de grâce que pour la pensée qui cherche votre étoile
Et mon métier n’énonce que le rêve perdu de vos raisons
Qu’ils soient reconnus ceux qui se perdent en eux–mêmes
Qu’on les inonde de lumière à la ferveur de leur corps
Pour qu’ils chantent le temps d’une vie enfouie
Ce temps joignant le geste à la parole
Ils sont mes chers passants du silence restés dans le noir pour le partage des perles
Demain je serai avec vous sur l’horizon
J’aurai laissé le temps clair se poser sur l’absence du monde
Ce temps d’éternité dans l’esprit et son apparence
L’arbitre aura disparu et personne ne cherchera sa présence


entre les pages collées – (RC )


Ton texte reste hors champ,
dans la nudité du cahier
aux pages trop usées
d’avoir été feuilletées.

Tant de jours ont coulé
depuis ce soir d’hiver,
où même les joies se sont dissoutes :
l’encre a débordé, puis s’est enfuie .

Entre les pages ainsi collées,
il se pourrait
que la parole demeure, indéchiffrable:
qui saura donc la lire ?

Une tasse de café
s’est renversée,
tu as contourné les taches
avec un crayon,

ajouté de la couleur
et quelques traits ;
on ne saura jamais
ce que le carnet dit

il est muet désormais,
enfermé sur lui-même
comme un poème
dont on a oublié la chanson .


Gerard Noiret – tout fera parole


photo france tv-info

Tour à tour les livreurs mal garés

Yann ses ballons de rouge

les balèzes du chantier
— ils doivent
dormir avec le casque —
peuplent cet univers

de bouteilles briquets cartes postales.
Tiercé loto
match aller des coupes d’Europe,
leurs propos

t’engourdissent Tu bois ton citron glacé,
tu t’enfonces

dans la moiteur d’une phrase unique

épaule contre épaule
le métro les marchés

les manifs
milieu de semaine
bientôt la paye et tu les aimes

même si, en retrait, tu t’inquiètes

Amour, maisons, travaux, quand

tout fera parole

l’étymologie

ne viendra pas des langues mortes


Walter Helmut FRITZ – Donne aux choses la parole


 

R Ryman (1)
  Robert Ryman – Capitol

 

 

 

Donne aux choses la parole

 

A l’eau qui chevauche,

aux rocs avec leurs rêves,

 

au chemin qui est le but,

à la neige qui cache

 

lentement le paysage

et le rend visible autrement,

 

à la lumière qui attend

les yeux —

 

donne-leur la parole.

 

 

 

 

Gib den Dingen das Wort

 

Dem reitenden Wasser,

Felsen mit ihren Tràumen

 

dem Weg, der das Ziel ist,

Schnee, der die Landschaft

 

langsam verbirgt

und anders sichtbar macht

 

dem Licht, das wartet

auf Augen —

 

gibt ihnen das Wort.

 

 

 

Cortège de Masques 

traduit de l’allemand par Adrien Finck, Maryse Staiber, Claude Vigée

D’une voix à l’autre 

CHEYNE 


Renée Vivien – Lucidité


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L’art délicat du vice occupe tes loisirs,
Et tu sais réveiller la chaleur des désirs
Auxquels ton corps perfide et souple se dérobe.
L’odeur du lit se mêle aux parfums de ta robe.
Ton charme blond ressemble à la fadeur du miel.
Tu n’aimes que le faux et l’artificiel,
La musique des mots et des murmures mièvres.
Ton baiser se détourne et glisse sur les lèvres.
Tes yeux sont des hivers pâlement étoilés.
Les deuils suivent tes pas en mornes défilés.
Ton geste est un reflet, ta parole est une ombre.
Ton corps s’est amolli sous des baisers sans nombre,
Et ton âme est flétrie et ton corps est usé.
Languissant et lascif, ton frôlement rusé
Ignore la beauté loyale de l’étreinte.
Tu mens comme l’on aime, et, sous ta douceur feinte,
On sent le rampement du reptile attentif.
Au fond de l’ombre, elle une mer sans récif,
Les tombeaux sont encor moins impurs que ta couche…
O Femme ! Je le sais, mais j’ai soif de ta bouche !

____________(Études et préludes, 1901)

 


Miquel Marti I Pol – Absence


( interprété librement à partir d’une  traduction bancale  du texte  original en catalan ).

Dillon Samuelson              quatre voyages   01.jpg

peinture: Dillon Samuelson

Il y a toujours quelque chose,
un souffle, une parole, un mot
qui remplit le manque de toi ;
c’est cette armure qui me protège
du cauchemar de la colère et de la tristesse.

Après, tu deviens présente
dans chaque vers écrit,
et quand je les redis , solitaire,
il n’y a pas de distance entre ton corps et le mien,
unis toujours davantage dans le poème .


La parenthèse de la parole – ( RC )


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La parenthèse de la parole,
après une nuit de sommeil,
et la bouche grande ouverte,
dans un baillement ;

avec elle j’attrape le vent,
( pas tout, mais une partie quand-même),
et c’est comme si en silence,
les mots venaient d’eux-même

s’offrir des histoires,
concentrés de souvenirs,
l’orage caché au fond des draps,
et des petits sourires

comme des lucioles,
une guirlande de rêves,
clignote encore,
en silences partagés…

RC –


Adeline Baldacchino – Déjetée


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peinture: John Sloane

 

 

extrait  d’un titre de son blog poétique, sur tumblr

Ainsi donc la douceur aussi n’était qu’un mirage, juste avant ce bruit de collision contre le beau mur étroit du silence, ajointé dans la nuit dans l’aube au soleil par tous les temps. Je cherchais l’aigle encore et le serpent, Zarathoustra qui détourne le regard. Ainsi donc indifférente elle était mais vivante la mer. Et ce n’était rien pourtant qu’un peu de murmure à la surface du temps, les cuisses déjetées du monde ouvertes sur la matière des chants qui ne transmutent plus rien. Le vent répétait des caresses d’ombre sans chair, défaisait les faux miracles de la parole recommencée. Ne plus dormir, juste regarder glisser dans l’éternel instant, dur et lumineux, l’écart insistant du désir au monde. Le cœur y loge tout entier souverain fragile et nu, puissant qui ne sait plus
                                                                                    rien.


Justo Jorge Padrôn – Origine de l’étonnement


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sculpture grecque : tête  d’Aphrodite

 

 

ORIGINE DE L’ÉTONNEMENT
Je la désirais belle comme une hache.
Aussi ferme que le silex
pour être orgueil et force que rien n‘ébranle, l’imaginais toujours apparaissant
quand je la pressentais dans la sérénité,
Combien d’années me fallut-il pour m’exercer
à l’habitude étrange d’une étrange attente?
Elle était là soudain étendue dans les feuilles.
Vivante, Inhabitée,
seule comme à l’origine des temps.
J’ai entendu son cœur qui blessait l’air
et tintait dans mes veines au point ou presque de faire éclater
la peau entière de mes rêves.
Et j’ai glissé mes lèvres sur son corps devenu lèvres,
Sans réussir pourtant à la réveiller,
J’ai supplié devant la nuit,
Seul le délire du silence grandissait.
Je suis tombé auprès d’elle, épuisé, vaincu,
dans une somnolence d’ombres j’entendais
un fracas de sabots croiser la plaine froide.
Du coeur des nuages, de la rose des vents,
des mers limpides et corallines,
du fond des bois d’étoiles parfumés,
de l’obscurité indomptée,
resplendissants, libres, splendides,
galopaient vers moi les chevaux,
J’ai, pour les apaiser, éteint leurs crins,
J’ai noué leurs longues queues à ce corps endormi
et dans son sexe d’ombre allumé un brasier,
Le feu de l’inquiétude à nouveau a brûlé,
le désir de vertige des chevaux,
Et chacun, invoquant ses origines,
a pris le chemin de son destin d’eaux,
leur fougue était si grande qu’ils ont,
lentement, en déployant leurs queues,
réveillé ce corps svelte.
Et tel un arbre de lumière,
telle une fontaine en sa nudité
ou comme une femme unique dressée face au soleil
pour la première fois s’est mise debout
ma parole.


Un corps à l’épreuve – ( RC )


 

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Montage perso 2016

 

Il y a quelque chose du désert,
là où tout s’arrête,
et même la mer,
coupée en deux,
se dresse, immobilisée.

Passé par le chas des ténèbres,
le corps reste extérieur,
une paroi invisible se tend
entre les espaces ;
Je n’arrive pas à les franchir .

Est-ce un astre noir,
qui absorbe la nuit entière,
et la défait ?
Le monde s’est échoué
à portée de main .

Mais c’est encore trop loin :
mes bras ont beau s’étendre ,
ils ne touchent rien.
Comme la parole dite : elle
se fige sur place, même avec un porte-voix .


RC – juin  2017

 

incitation:  une  création d’ Anna Jouy


Veronique Joyaux – Poème à Salah


 

 

Joachim Patinir, Crossing the River Styx, 1515-24 14075791280.jpgpeinture – Joachim Patinir, Crossing the River Styx, 1515-24

Poème à Salah

 

 

J’écris aussi pour toi
prisonnier des geôles de Bagdad ou d’ailleurs
Pour toi que l’on fait taire que l’on torture
J’écris pour toi qui n’as pas de mots
Parce que tout enfant déjà tu travaillais
J’écris pour les femmes cachées
dans leurs voiles et leurs maisons
J’écris pour ceux qui n’ont pas la parole
pour leur donner existence et dignité
J’écris pour ouvrir les portes
Je m’immisce dans les interstices.

Si je devais rendre grâce ce serait à des silences
Silence entre toi et moi quand tout se tait et que les gestes parlent
Silence des amitiés ferventes des paroles suspendues
Silence des arbres dans la nuit
Des pas dans la neige un soir d’hiver très doux

Si je devais rendre grâce ce serait à l’infime
Une trace d’oiseau sur la terre ameublie
Un froissement d’aile entre les nuages étonnés
Une parole non dite un espace entre deux corps attendris
Si je devais rendre grâce ce serait à la poésie
Celle de Victor Jara dans un stade du Chili
De Nazim Hikmet dans les geôles de Turquie
De Dimitri Panine dans le Goulag de Sibérie
De Mendela dans l’Afrique meurtrie
De tous les hommes qui parlent
au nom de ceux dont la parole s’est tarie

Si je devais rende grâce j’en serais affaiblie
Mais riche de tous les infinis.

 


Nicolas Rouzet – le cercle et la parole


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photo: Ernst Haas

 

 

Il y a le cercle et la parole
et l’heure où chaque naissance
annonce l’aube rageuse
l’attente du regard

Une main aveugle
dure à tâtons
devance le jour
dessine comme par jeu
la frontière qui sépare
le silence de la parole
le geste du murmure

De son pouce
se traverse la brèche
s’effleure le néant
d’où l’on sauve
la braise
et la brindille

Et que l’oreille
se tende
vers ce soupirail
qu’elle entende
que nos fantômes
n’ont pas changé de nom
que tous se croient encore vivants
dans l’espace ouvert
par l’éclat
le mirage
de nos âmes !

 


Au rayon d’astre épanouï – ( RC )


Le rayon d’astre épanoui
Même de sa lumière ancienne
Il me reste l’écho – de la tienne ,
Au soleil évanoui

Il y a – si je ne fais pas erreur
De ta chevauchée pacifique
Plein d’images atypiques
Qu’elles sont pour notre saveur

Au-delà  de l’Atlantique   .
De  la face cachée de la terre
Remontent les sons,  les vagues de mer
De la lumière de tes mots   – cantiques

Pour mieux renaître en musc
Les détours de ta plume bleue
Brillant de tous ses jeux
Sans que pourtant je brusque

 Au destrier tes baisers
De vendanges érudites
Le jus des phrases dites
( d’une parole si aisée… )

 

RC – Nov  2011   -(modifié  2014 )


Irène Assiba d’Almeida – chairs éparpillées


 

 

 

Chairs éparpillées

 

Les dieux ont perdu la parole

Les hommes ont perdu la sagesse

Les femmes ont perdu la raison

Car les enfants ont perdu la vie

Et mes entrailles folles de douleur

Eclatent et s’éparpillent

A chaque fois que meurt

L’enfant-sida

L’enfant-soldat

L’enfant-souffrance

Comment rendre la douleur muette ?

Comment recoudre mes chairs éparpillées

Pour que les dieux retrouvent la parole

Les hommes la sagesse

Les femmes la raison

Et les enfants la vie ?

 

Irène Assiba d’Almeida


Celle qu’on ne peut plus rattraper – ( RC )


 


Tu vois,  je t’ai écrit,
Enfin ,            après des années,
Et         des feuillets éparpillés,
Des jardins de papier,
Des ratures et des gros mots…

Je suis allé boire      à la source,
Remonter le cours des histoires,
Et les pieds mouillés,
Face à mon miroir,
Je t’ai perçue          par-derrière,

Happant mon reflet,
Les cheveux en bataille,
Prenant dans tes mains diaphanes,
La danse de mon âme,
Leurrée par ton regard.

Et j’ai trempé la parole              dans l’encre,
Maladroit, et incertain,
Encore ahuri de la nuit,                   ce matin,
Répandant sur les pages blanches,
Les empreintes           de mes mots.

Un temps sans cruauté,
Où les phrases jaillissaient
Avec difficulté.
Une petite récolte,          glanée,
Reconquise à ta mémoire.

Mais finalement,
Après quelques essais,
Et ces pages rassemblées,
Je ressentais déjà         le parcours de tes yeux,
Etreignant mes lignes.

Tu vois, je t’ai écrit,
J’ai fini le reste de la cafetière,
Le temps s’était dilué
Avec le fil du récit,
Qui t’était destiné.

Je n’ai plus que quelques pas à faire,
Pour achever l’entreprise,
Et glisser dans la boîte,
Cette lettre.
Après une dernière hésitation…

J’ai entendu le petit              floc  !  ,
Une fois lâchée…
Je ne pourrais plus alors
Interrompre son voyage .
….Une parole émise,                                        qui se déplace,

Et qu’on ne peut plus rattraper.

 

RC – avril 2014

 

 


Natha Boucheré – le Rêve Mutant


 

photo: lézard volant ( draco volans )

 

le Rêve Mutant

 

Protéger, porter le rêve, sans le questionner,
Garder intacts sa fibre et son tissage,
Le voile posé comme un reflet,
Est l’opercule,
Est la transpiration immobile de son mouvement de tresse,
L’attente d’une musique sacrée….

Le ressac des vagues rythme le profond va et vient de la récurrence de nos cycles,
Le nid se creuse, devient refuge
Puis devient coquillage sous l’assaut des marées ;
Son chant est une transcription de tout ce que le silence englobe,
Du respiré des choses
Dont nous avons voulu déflorer les mystères tandis que nous étions en train de perdre l’écoute viscérale…
Pourtant nous en avons gardé la trame, le grain, l’effleurement de la première spirale,
Elle feule, effiloche ses particules le long de nos parois….
Tapisse de son feutré toutes nos absences, nos bulles de mémoires reptiliennes

Approche,
Le murmure est là, il clapote ses vagues sous-jacentes
Internes, souterraines
Source pure
Source froide et si profonde,
De nos mystères autant que de nos fissures

Signer avec le pulsatile de nos marées intérieures…
Maintenir ce va et vient giratoire de fleur sauvage
Translation et contre sens, tous les vents emportés dans un cercle imparfait
Puisque en son cœur le centre sait s’absoudre de toute direction,
Son écho est un courant, un bouquet éclaté d’éclairs luminescents

Et enfin, l’âme se dilate, et,
Distendue, innervée à outrance
Dépose la signature,
Une éraflure, tracée à la pointe de la griffe,
Désossée par cet instant fragile… très vite, une gageure….

Pourtant, le grenat de la sève des hommes,
Quand la perle s’arrondit sur la pulpe de son index
Est un rubis brut,
Un joyau opiacé

L’œil du dragon me regarde….
La pupille arquée

…Je ne sais plus quand le rêve est venu me dire sa prophétie,
J’ai retiré l’opercule et j’ai plongé dans la vision de mes yeux fermés sur son méandre souterrain,

J’ai gouté le salé de mon sang,
Sa soudaine fraîcheur
Née de tous les jaillissements versés par les grands soleils bleus,
Les étoiles multiples,
Le lait du ciel,

J’ai eu le mal de mer, le mal de terre, le mal de vie,
Un besoin intense de me régurgiter dans le feu vorace.
Je sais que seuls l’eau vive, l’œuf du ventre
Et le cendré des dunes sous la lune
Sauront calmer ce déversé déferlement.

Je suis sortie de ma reptation,
J’ai mangé une poignée de sable roux,
Quelques reflets d’argent,
Deux nuages ocellés
Et j’ai regardé au-delà des trois montagnes vomies par les brumes,
Dans cette heure qui n’existe que dans la naissance de la première bulle
Celle qui se pose sur le seuil de la parole,
Percée par le souffle innocent de l’enfant nouveau né,
Et j’ai vu

Plus un mot n’est à dire quand tes ailes se déploient…
Et quand le rêve m’a bue,
Je n’étais déjà plus que son vol assouvi.

 

Illustration: Giger  (  se référant à l'île des morts  d'Arnold Böcklin )

Illustration: Giger ( se référant à l’île des morts d’Arnold Böcklin )

 


la diagonale du sud – (RC )


installation: James Turrell

 

 

L’attente,                        sous le carré du ciel

Faisait glisser des hordes d’images, de nuages

Qui peut-être iront rejoindre

Les lointains qu’attendait aussi         ton pays

 

C’est une main qui tâtonne

Les colonnes solitaires

Les arbres              et moignons de pierre

L’univers emmêlé , des pentes du Larzac

 

Puis les vallées riantes et ordonnées

Et les étoiles allongées des villes,

Et les stries des vignes étagées

Se freinant dans l’espace soluble

 

Des poteaux alignés des parcs salés ,

Alors que veillent toujours sur leur colline

Les gardiens de l’éternité,       qui capteront

– ils en ont le temps-

 

Les fureurs ,          ou chuchotements du vent

Et tu seras là,                     à traduire des embruns

La langue-distance du paysage

Le corps perdu                     de la parole-voyage.

 

RC-  2008

 

Peinture personnelle: la voile rouge Acrylique sur carton 1984

Jean-Marie Kerwich – Je suis un vagabond


 

 

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« Je suis un vagabond comme Halladj ou Kabir étaient tisserands.

Un de ces êtres qui ne représente rien pour le monde. Leur pauvreté fut l’origine de la poésie.

Les poètes prenaient entre leurs mains un bout de ciel et le caressaient délicatement comme on caresse un nouveau né, et soudain la parole était vêtue de poésie…


Cet objet habite une partie de ma main ( RC )


Il y a dans ma poche, ce bout d’objet

Ayant appartenu, on ne sait plus à qui,

On ne sait plus à quoi.

>    Il est d’un autre endroit,sur la planète,

Un autre endroit du temps,

Là, où les usages se forment autrement,

Et les têtes aussi,

Prêtes à suivre les traces ténues

De paroles transparentes,

Répandues, aux quatre vents.

Il y a           de l’étrange,

Engendré par le passé,

Engendré par la distance,

Une matière,        feutrée,

Parlant une langue inconnue,

Des stries et des rainures.

>    Elles se croisent,

Avant un court relief,

Ayant l’aspect d’un ongle…

–    Je pense à une attache,

Cet objet habite,

Une partie de ma main…

…Peut-être à trop me parler,

Il se soudera un jour,

A mon propre langage,

Et de sa parole inconnue,

Je ne pourrai alors,

Plus me passer,

Les autres alors,

Ne me comprendront plus.

Cet étrange accessoire,

Se serait greffé,

Intégré à mon corps, aussi,

Ouvrant des portes,

Pour moi …

Que nul autre ne voit,

Et ,      parlant si bas

Qu’il me faudra suivre

D’oreille attentive ,

Toutes ses exigences,

Dictée par sa matière,

D’où , peu à peu je me fonds,

Dans sa voie de silence.

RC  – 12 octobre  2013

objet en pierre noire utilité inconnue – nouvelle Zélande

 


Anne Pion – Arbre nocturne


–          estampe: Chu Ta

Sous les étoiles, un arbre noir,

Un vieux pin sans âge

Étranger à notre temps, mais vivant

Portant comme une ancienne mémoire

Les blessures de son écorce.

Noirs contours tracés par la nuit,

Indéchiffrables signes

De la vieille écriture de la nature

– Décomposition et éternité –

Dont l’ordre nous échappe.

Au-delà est la parole perdue.

Anne Pion

(face à une peinture de Fabienne Verdier)

ANNE PION    « ÉCRIRE ET PEINDRE  Editions Voix d’Encre 2010

poème 313

écrit  que l’on peut retrouver  dans  l’anthologie des poètes  d’aujourd’hui.de JJDorio


Miguel Veyrat – Ouverture


photo: Toni Meneguzzo

 

 

 

 

OUVERTURE

brève aurore ,
parole diaphane
née du silence

Dans une faible lueur
ressuscite mon sommeil
effrayé de la liberté 

Pour  vivre
Je vais te mettre nu
pour écouter ma mort

APERTURA

Brevísima aurora
diáfana palabra
nacida del silencio

En tu débil resplandor
resucita mi dormida
asustada libertad

Para que vivas
te pondré desnuda
a escuchar mi muerte

© Miguel Veyrat ( “La voz de los poetas”/ “Libertad”- “Calima” 2002)

 


Porfirio Mamani-Macedo – eaux promises VI


peinture: Otto Mueller

peinture: Otto Mueller

Dis-moi si quelque chose te rappelle hier. Un fleuve ? Une montagne derrière une ombre ? Peut-être quelqu’un que tu as aimé en silence ? Qui ? Peut-être un inconnu qui s’est égaré en pleurant au coin d’une rue bleue ? Dis-moi si mes paroles d’hier te rappellent quelque chose, aujourd’hui étant déjà du temps passé ! La parole naissante est sans importance quand tu passeras. Elle continue de chercher dans l’herbe l’arbre promis ! Les nuits succéderont aux jours, comme à tes pas en succéderont à d’autres, encore inconnus. Maintenant je ne suis personne dans le bruit immense de ton regard distrait, mais je vis dans chaque instant qui passe.

Traduit de l’espagnol (Pérou) par Max Alhau

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Marcel Olscamp – Le pont


peinture : Volodia Popov

 

Pendant que nous rêvions
comme des provinces
les secondes s’étendaient
sous le ciel unanime
Maintenant
nous reprenons la route
avec un sentier dans l’oeil
car le pas du monde
recommence à neuf heures
c’est l’heure où l’on se blesse
pour ne pas rentrer
Nous avançons
vers la parole
en prenant soin
de ne pas regarder
les illicites
qui foncent en rugissant
vers la ville
Mais l’heure
n’est jamais la nôtre
et la route s’éloigne
comme un fruit sauvage
sans nous voir

.

 

 


Ta voix franchit l’épaisseur de la nuit ( RC )


photographe non identifié: lieu abandonné

photographe non identifié: lieu abandonné

>             Pourtant marchant dans une vallée d’ombre
Où aucune chose ne m’atteignait , cette vibration en moi,
L’onde de ta parole,       toi que personne n’écoutait,        et n’entendait

Je l’ai entendue,          au  travers de ta poésie torturée,
Les cris                         franchirent l’épaisseur  de ta nuit,
L’oppression des vagues,

Sous leur fracas contre les roches
Noyant le sentiment  commun,   fermant les yeux à chacun,
>      Mais pas ta voix…

Elle  s’élève  ,         au-dessus de la masse indistincte,
Comme un point lumineux,     clignotant,       fragile,
Mais têtue, …   tel un phare vers lequel je me dirige .


RC –  20 mai 2013