décrire l’impalpable – ( RC )

Volume de poussières et de cheveux par Lionel Sabatté –
Qui pourra me décrire l’impalpable ?
Tout ce qui règne sur l’absence,
brûle les après-midis
dans l’immobilité d’un sommeil,
les poussières occupant des rayons de soleil.
Elles pratiquent le jeu
de l’extinction des feux.
Si légères soient-elles, elles dansent
avec le moindre courant d’air,
captent une partie de la lumière
mais finissent toujours par recouvrir
de leurs cendres,
les surfaces qu’elles grisent
et mes membres
qui s’exercent à la patience.
Car jamais on ne pense
au centre du silence
où la poussière ira embellir
par son entremise, les objets
à défaut de neige blanche.
Personne ne pourra dire
qu’elle conspire ;
mais elle occulte tout l’éclat des reflets
de la demeure
et la transparence oubliée, des heures….
nota: l’artiste Lionel Sabatté et l’auteur de tableaux de poussière et de cheveux ( portraits ), dont un certain nombre sont visibles au musée du Gévaudan, à Mende-

Lespugue – une Vénus parmi nous – ( RC )

Fragile et endormie,
peau d’ivoire lisse,
à quelle magie as tu présidé,
toi la veilleuse d’ambre
aux amples formes ,
qui a confié tes secrets
aux ombres des visages
qui t’ont vénérée ?
Dix mille ans ou davantage
nous séparent
du destin de ceux qui t’ont tenue,
de ceux qui t’ont sculptée:
tu as la patience
de ceux qu’on aime
au-delà de l’épiderme
et garde silence…
Jusqu’où ira- t-on chercher
la nuit infinie
qui se dépose en strates
dans l’obscur abri de roche
où les hommes t’ont enfouie ?
Fétiche de fécondité
te voilà révélée par ceux
qui avaient oublié ta puissance…
Vulnérable comme la trace des années
qui s’enfuient de la mémoire.
l’expression « veilleuse d’ambre » est empruntée à Robert Ganzo
Ziâgol Soltâni – mélodie de ma patience

Au nom du miroir, ce soir, libérez-moi
La nuit passée, l’aube venue, appelez-moi
Sur ce rivage où je me suis perdue à moi-même
À moi-même, ramenez-moi
Les bleus sur mes épaules sont les bleus de l’hiver
À la saison du vert printemps, priez pour moi
De la mélodie de ma patience et de mon silence, que savez-vous ?
Le temps d’un souffle, à la flûte associez-moi
Sur l’aile du papillon est écrite la brûlure de la chandelle
De toutes les âmes enténébrées, séparez-moi
La cruauté d’être confinée derrière un voile m’a fait perdre toute patience
Au nom du miroir, ce soir, libérez-moi !
In Le cri des femmes afghanes, © Bruno Doucey, 2022 — Traduction par Leili Anvar – provenance article d’origine:apagraindesel
Dominique Le Buhan – l’histoire continue des saisons

peinture Arkhip Kuindzhi
Le gris du jour, de la nuit le clair-obscur
s’unissent en l’histoire continue des saisons :
au revers de l’action, c’est être patience
que d’éprouver des heures durant leur cours :
c’est attendre de l’objet l’ombre au soleil,
savoir qu’à ce moment la chair aura l’éclat —
c’est espérer de la flamme la crue des couleurs
liées à des textures perçues sans les toucher.
Ce feu sécrète en nous le ductile espace
par les jeux du bois sec et de la cendre —
et déjà la rose d’hiver donne le blanc,
blanc repris par fleurs qui percent la neige,
puis la tulipe à son tour est la fraîcheur,
la rose avive la brique et le bleu de l’ardoise,
enfin la pivoine de son rouge touche le vert —
et le bruit de nos mots est un murmure sonore.
–
extrait des « heures inégales » ed Fata Morgana
Marcher vers le blanc – ( RC )

Avant le blanc,
je ne savais rien du passage
qui se fraie dans le cœur
invisible du temps :
l’émergence de la couleur
ne s’apprend que
lorsqu’on en a oublié
le langage et la signification
des phrases apprises par cœur,
mais qui nous masquent
les bords du silence.
Ainsi rien ne nous indique
le chemin, car nous suivons
celui qu’on nous a appris,
à la place de l’inventer
avec patience
en sortant des voies
où les formes
luttent contre les ombres.
Mais la couleur ne se saisit pas.
Elle traverse juste le regard :
on ne la décrit pas,
car elle ne se livre
qu’avec discrétion,
et avec des variations infinies,
sans contours précis.
On sait juste que la lumière
lui donne naissance,
et que chacun la perçoit
en ajoutant la nuance
de sa vision .
Jusqu’à ce que les teintes
prennent leur indépendance,
se superposent
entament une danse
qui n’a d’autre fin
que l’assouvissement.
C’est alors
qu’on peut marcher vers le blanc.
Lotus – (Susanne Derève )-

Un peu de terre, et le chaos des pierres que vient baigner le flot, rives,limons,rizières. Sous le sampan de bois, les lotus à fleur d’eau comme une peau légère et sur leurs tiges frêles, la jupe tendre des corolles, rose, translucide, d’où naît le poème ancestral, celui qui tient le temps dans ses filets, le porte jusqu’à nous en son précieux calice. Aux faces parcheminées, aux visages étoilés de sueur sous la paille, à leurs bouches édentées,je dérobe un sourire. Telle chaleur en deçà de l’ombrelle, la chanson filée de la rame en sourdine. Je ne trahirai ni l’effort ni le silence, ni la parole lente, je tairai les mots. Le bonheur est patience.

Pénélope – (Susanne Derève)

Hélène Schjerfbeck – Portrait de femme
Le temps avale la pelote
et patiemment je détricote
le fil ainsi fit Pénélope
dévidant la nuit son ouvrage
(le temps abolit son veuvage
avait-elle entendu le vent
qui poussait Ulysse au rivage)
Araignée qui tisse sa toile
si je démêle l’écheveau
parfois la lueur d’un falot
suffit à déchirer le voile
Si la coque devient radeau
qu’il vienne à rompre les amarres
qu’importe où l’entraine le flot
(Mars 2018)
Gérard Engelbach – Pluies
photo Emmanuelle Gabory
I
Pluies.
Sous son arche déshabitée
le fleuve roule un limon jaune
et dans les glaces opportunes
un passé possible grimace.
II
Un peu de patience
encore
un peu de
cendre sur la vitre
engluée de l’aube immédiate
Un peu de sang
au centre
de la plaque
Une longue fêlure noire
comme un grincement dans les moëlles
Voici venir
l’irrémédiable.
III
Vertèbre hérissée de prestiges
claque dans l’épaisseur du cri
Lueur
sous de la nuit soudain moins noire :
vertige irisé des ténèbres.
Dire juste le tremblement des moires
là où s’épand le verbe tu.
Au coeur de la pierre – ( RC )
Caché par le lent défilé des années
Un gemme, comme une larme brillante
s’est dissimulé dans l’obscurité ;
et il faut un hasard heureux
pour la retrouver.
Aussi, tu vas demander à la pierre
comment aller vers elle,
quel sésame te permettrait
d’ouvrir les portes du minéral.
Comment le fossile est-il parvenu
au coeur de la roche ?
La pierre ne sait pas quoi te répondre.
Son langage s’est cristallisé ,
mais tu finis par comprendre
qu’il n’y a pas d’autre porte
que celle de la patience.
–
RC- nov 2016
( D’après un poème de Wislawa Szymborska : Conversation avec une pierre )
Hidden by the slow passage of the years
A gem, like a bright tear
was hidden in the dark,
and must serendipity
to find her.
Also, when you’ll ask the stone
how to get to it,
what sesame could
open the doors of the mineral.
How the fossil managed to go
into the heart of the rock?
The stone does not know what answer to you.
Its language has crystallized,
but you finally understand
there is no other door
than patience.
Ange empêché – ( RC )
peinture: Odilon Redon ( l’ange déchu )
L’ange s’est , d’un coup de prière
Déplacé du vitrail,
Accompagnant de rayons,
Les âmes sombres,
Là où la lumière renonce,
A aller plus loin….
Car la porte du ciel était close,
Sur ce qui suinte,
Davantage que les larmes,
– celle des cierges –
Vite figées comme ce qui transpire
Des confessionnaux.
L’ange assistant aux offices,
Aux cérémonies,et rites
N’émit pas d’opinion,
Sur ce qui est factice
Dans la religion,
Et sa pratique hypocrite,
La crainte des démons,
La morale et ses sermons,
Contrition et pénitence…
Malgré une infinie patience,
Finit par abdiquer,
Et, de guerre lasse,
–
Voulut reprendre sa place,
En laissant à d’autres,
La lourde tâche
De laver les péchés
– et autres tâches-
méritant l’absolution,
celles dont les prêtres s’acquittent,
avec l’habitude,
qui sied à leur profession.
Notre ange fut pourtant empêché,
De rejoindre dans l’air pur,
( peint d’un traditionnel azur ),
Les autres figurant
Un saint Sacrement,
porté dans les airs,
dessiné sur le verre…
Le vitrail étant fêlé,
Peut-être par un jour de tempête ,
Ou bien une figure ailée,
L’ayant heurté de la tête
On avait remplacé,
Le morceau cassé …
La fenêtre maintenant fermée,
Avec du verre armé,( anti-reflets )
Ne permet plus de voir,
La couleur de l’espoir,
Même à l’aide d’un chapelet.
Ne pouvant contempler le ciel,
L’ange , sur terre enfermé,
Est maintenu prisonnier,
Comme lorsque le gel
Empêche, de nuit comme de jour,
A la vie, de suivre son cours…
Ainsi suspendue
A la morte saison,
Qu’elle sangle et ficelle ;
Ayant comme Icare, perdu ses ailes,
Et avec elles, la raison,
Il fut, avec les hommes, confondu…
Peut-être est-il des nôtres :
– On ne sait rien de lui …
Peut-être hante-t-il
les lieux, la nuit,
avec une sébile
En appelant aux apôtres
et autres saints :
Ceux qui sont envoyés ici-bas
Dans le plus grand anonymat,
et que rien ne distingue des humains :
C’est sans doute chez eux qu’il faut chercher
( dans les âmes grises,
plutôt que les églises ).
On dit que l’ange y est caché,
Ou bien, derrière les esprits, pacifiés..
Préférables à ceux qu’on a crucifiés …
–
RC – juin 2015
photo ci-dessous : Lady Schnaps
Max Pons – Pierre de caresse
photo GEO: rocher modelé ( Sardaigne )
Pierre de caresse
Pierre maternelle
Baignée de patience aquatique
Poisson immobile
La nage des eaux t’a modelé.
Tu ouvres tes yeux de taupe secondaire
Quand le carrier jette à la lumière
Tes cents millions d’années
De reclus
La pluie te rend la mémoire
De l’eau première
Et le soleil te redonne
À l’enfance du feu
Le roc s’est ouvert
Cette carrière
Devient chair,
Ici
On se perpétue
Roc bleui à force
De regarder le ciel
Rôti à coups de grand soleil
Tu portes ta charge d’homme
Une tour éblouie du blanc
De la carrière.
[…]
Dominique Daguet – être seulement
photo: Philippe Morel
–
Cette vie ne coule pas.
Chaque heure est une conquête,
dans chaque geste.
Car l’eau, le sable, le vent ne se laissent dominer que dans la patience,
avec lenteur.
Dominique DAGUET – ÊTRE SEULEMENT
–
Au dédale de l’obscur – ( RC )

dessin préhistorique: grotte de Niaux ( Ariège)
Au dédale de l’obscur
C’est d’un lieu retiré,
La falaise vertigineuse
Marqué d’incidents géologiques
D’indices des géants
Ayant perdu leurs sabots
Lors des sauts de sept lieues,
Les vases de pierre
Sortant des ombrages
J’ai inventé, dans l’obscurité les signes
Au creux d’un dédale d’aventure
S’ouvrant au pied des arbres
Une coquille, qu’habitaient les ours
Maintenant vide – ou bien, qui sait ?
Magnifié d’orgues stalactites
Qui se créent en secret
Au coeur même de la roche.
Le long des parois
Que nulle lumière n’atteint
Il faudrait , à tâtons
Ressentir de la pierre, le grain,
La pâte glissante de glaise
Jusqu’aux mains négatives,
Les tracés charbonneux des rennes
Et des boeufs couleurs d’ocre
Qui ruent toujours, immobiles
Et les verticales des failles
S’élargissant peut-être en couloirs
Où se perdait un torrent.
En chutes bruyantes qui cascadent
Ou gouttes-à-gouttes lentes,
Si lentes qu’elles silencent
Dépôts des siècles, en patience,
Loin d’un dehors,dont on oublie le nom.
peinture: main préhistorique – négative, grotte Cosquer – Bouches du Rhône
RC – 10 août 2012
–
Talmont, sentinelle ( RC )
–
Les sculptures romanes sont en patience
Et les fleurs se redressent
Au temps suspendu …
Gris-vert de marée montante
Aux saveurs d’Atlantique
Sentinelle de Gironde
Talmont peut l’attendre,
Ce vent venu du large
Essaims de moules
Recouverts d’écume
–
RC– 14 et 15 juillet 2012
–
Debout au vent ( RC)
Les terres balayées, griffées des Causses neigeux,
chapeautés de gris vert, c’est en silence
Qu’elles comptent les saisons
Et que les arbres en patience, marquent la distance
Secoués de notre absence, secoués de la main large
Du souffle froid régnant sur les domaines désertés
Là haut
Et , lui, recroquevillé en résistance
Le petit chêne blond au milieu des stries bleues
Des pentes grises, qui , d’une volonté tenace
Peut-être en prémonition de visite
A refusé de laisser ses feuilles partir au vent…
Et accueille malgré tout la lumière
RCh 22 Janvier 2012
————
pour info, le causse de Sauveterre, se situe en Lozère, c’est un des plus grands en superficie, des grands Causses ( Larzac, Noir, Méjean )… Le Sauveterre tient son nom d’un petit village du même nom, à la « verticale » de Ste Enimie, bien connue des touristes de passage. ( moins connaissent les charmes plus austères des « hauteurs » )
plus d’infos en images: c’est sur mon blog parallèle, où je fais parler la photo (photo-loz):
et ce texte est inspiré de l’Ode au vent de J Séné,
dont j’ai retranscrit précédemment une de ses créations ( comme une apparition)
–
-complété le 3 juin 2012 après la lecture du poème
de Jacques Delaveau: ( visible sur le site de Claude Ber)
FEUILLE ROUGE RESTÉE
Les oreilles du lièvre aussi sont fragiles
que dire du rouge-gorge qui s’est aventuré dans la pièce où j’écris
viens lui dis-je d’une voix adoucie en le prenant
entre mes mains qui tremblent de ce qu’il tremble
que je te rende l’absolu de ton ciel où tes semblables règnent
parce que vous êtes purs comme la neige et les prophètes
Et cette feuille qui a navigué si longtemps
en demeurant toujours à la magistrature de sa branche
d’où elle assiste au lent procès du jour
sèche noyée de pluie parcheminée comme une main
L’hiver ne l’a pas rendue à la terre
elle est rouge du feu qu’elle ignore
plissée d’une lointaine rêverie
la branche autour est nue comme la vérité
quelle est la vérité ? quelle est son heure ?
(Instants d’éternité faillible)
—
Au matin – la trace du temps dans le givre – (RC)
–
–
–
–C’était au matin, l’horloge du temps
Déplaçait ses aiguilles dans le givre
C’étaient les ombres, et elles étaient blanches
C’étaient des fantômes allongés sur le sol
La trace figée des arbres debout, en patience
Qui attendent la lumière au sortir de la nuit
Et je t’imagine ainsi, en présence
Car pour moi tu es l’ identique en image, toujours
Je t’imagine aussi en absence
A susciter mon écriture sur la page blanche
Comme les aiguilles du temps que déroule
leur fuite, ta fuite ….et tout ce qu’il y (a) entre
—–
RC 1er dec 2011
—
J’ai aussi trouvé le poème de Vesna Parun, qui nous conte des évènements parallèles
(voir aussi les deux publications récentes que j’ai fait des textes de V Parun)…
———
Murmure des ailes et murmure de l’eau
Le monde qui vient à notre rencontre nous murmure les contours
des arbres qui bruissent à l’horizon
et grandissent des ombres courbées.
Assieds-toi sur le seuil
et attends
que le soir se déplace…
(Vesna Parun)
A la mer retirée (RC)
A la mer retirée…
–
Comme si on avait tiré un drap de dessous
La mer s’est retirée à regrets des plateaux
Basculé petit à petit, sans faire de remous
En laissant des îles comme des grumeaux
L’eau qui portait sa patience
La grande patience d’un ressac renouvelé
L’eau nourricière des bancs de poissons denses
A glissé sur le dos d’un pays soulevé
A laissé exsangue les plateaux dénudés
A la chaleur d’août, sans couverts, la poussière
La caillasse , la bourbe des abandonnés
Et le sinueux des premières rivières
Je vois aussi les stupides bancs de sable
Que ne marque plus la plage et ses parasols
Mais le sel incandescent sans terre arable
La rectitude d’un horizon sans heurts ni sol
En parcours géographique si c’est d’Aral
La mer, ou plutôt son souvenir rétréci
Les carcasses penchées des bateaux de métal
Disent qu’il y a plus d’ailleurs qu’ici
Le vent les tourmente et les habite
La rouille multiplie son cancer
De ces bâtiments en fort gîte
Qu’ ont connu l’eau avant le désert
Les embruns, les mouettes et les orages
Les vagues porteuses, et les algues
Mais aujourd’hui sont en paysage
Aussi incongrues que des chouettes
Au milieu d’un repas d’anniversaire.
Ces anciens navires en partie désossés
Marquent en sinistre l’avancée somnifère
D’une léthargie gluante aux ailes affaissées
Aux herbes vénéneuses, qui s’insèrent
D’un péril sournois nous envahit
Même , de ces forteresses et châteaux de fer
L’image d’une vie qui file et trahit.
Ce texte créé le 25 octobre 2011 , est en quelque sorte une prolongation du « heurt des ombres fait silence », écrit 5 mois plus tôt….
puisque , des grands plateaux calcaires, du Larzac au Sauveterre, c’est bien de çà dont il s’agit, d’une mer qui a tout laissé « en plan »
–
voir aussi « feuilleter le recueil des causses » ( mai 2013)
–
Photo personnelle; Causse de Sauveterre, vers Montmirat ( Lozère)