Antonio Gamoneda – Cecilia

Tu dors sous la peau de ta mère et ses rêves pénètrent dans tes rêves. Vous allez vous éveiller dans la même confusion lumineuse.
Tu ne sais pas encore qui tu es ; tu demeures indécise entre ta mère et un frémissement vivant….
…Entre en ta mère et ouvre en elle tes paupières,
entre doucement dans son cœur ;
Redeviens fruit dans le silence.
Soyez comme un arbre qui enveloppe la palpitation des oiseaux
et il s’incline, et en descendent le parfum et l’ombre….
plusieurs textes de cet auteur sont visibles, en traduction française sur le blog d’Ahmed Bengriche
Jacques Borel – la trace

photo: Izis
À qui veux-tu parler ?
Les trottoirs sont déserts,
Un petit soleil mort
Ou le crachat d’hier
Se sèche sur le mur.
O veine de mica,
Tesson, mucus, paupière,
Trace d’une lueur
Absorbée par la pierre,
Ne t’éteins pas encore,
Reste d’un geste humain
Ou souvenir du jour,
Illumine ce peu
D’espace consolable
Où ma vie comme un poing
Serre ses derniers rêves.
extrait de » sur les murs du temps »
Paul Celan – un œil ouvert

Heures, couleur mai, fraîches.
Ce qui n’est plus à nommer, brûlant,
audible dans la bouche.
Voix de personne, à nouveau.
Profondeur douloureuse de la prunelle :
la paupière
ne barre pas la route, le cil
ne compte pas ce qui entre.
Une larme, à demi,
lentille plus aiguë, mobile,
capte pour toi les images.
Paul Celan in Grille de parole (Sprachgitter, 1959)
Armand Silvestre – Nénuphars

Sur l’eau morte et pareille aux espaces arides
Où le palmier surgit dans les sables brûlants,
Le nénuphar emplit de parfums somnolents
L’air pesant où s’endort le vol des cantharides.
Sur l’eau morte à l’aspect uni comme les flancs
D’une vierge qui montre aux cieux son corps sans rides,
Le nénuphar, nombril des chastes néréides,
Creuse la lèvre en fleur de ses calices blancs.
Sur l’eau morte entr’ouvrant sa corolle mystique,
Le nénuphar apporte un souvenir antique :
— Vénus marmoréenne, éternelle Beauté,
Ton image me vient de l’immobilité,
Et sous ton front poli je vois tes yeux de pierre,
Comme les nénuphars profonds et sans paupière.
Jacques Borel – la trace
LA TRACE
À qui veux-tu parler ?
Les trottoirs sont déserts,
Un petit soleil mort
Ou le crachat d’hier
Se sèche sur le mur.
O veine de mica,
Tesson, mucus, paupière,
Trace d’une lueur
Absorbée par la pierre,
Ne t’éteins pas encore,
Reste d’un geste humain
Ou souvenir du jour,
Illumine ce peu
D’espace consolable
Où ma vie comme un poing
Serre ses derniers rêves .
–
extrait de « sur les murs du temps »
Andrei Tarkovski – Premier rendez-vous
image: montage perso à partir d’oeuvres de Jamil Naqsh
Premier rendez-vous.
Nous célébrions comme une épiphanie
Chaque seconde de nos rencontres.
Nous étions seuls au monde.
Plus hardie et plus légère qu’aile d’oiseau
Dans l’escalier comme un vertige
Tu dévalais les marches deux à deux
Et à travers les ruisselants lilas
M’emmenais dans ton royaume
De l’autre côté du verre miroir.
Et quand la nuit advint
Me fut octroyée la grâce.
Les portes de l’autel s’ouvrirent
Et dans la pénombre s’allumant
Lentement ta nudité me salua.
« Sois bénie… », murmurai-je
A l’éveil, sachant bien téméraire Ma parole.
Car tu dormais
Et les lilas sur la table tâchaient
A poser l’azur du ciel sur ta paupière,
Et ta paupière d’azur touchée,
Etait sérénité, ta main était tiédeur.
Dans le cristal, le pouls des fleuves,
L’envol des monts, la houle des mers.
Endormie sur le trône, tu gardais
La sphère lucide au creux de la main.
Et – Juste Dieu ! – tu fus à moi.
Tu t’éveillais, transfigurant
Le quotidien vocabulaire d’homme,
D’accents pleins et forts de ta voix
S’emplit et le mot « toi » livra
Son nouveau sens et signifia « Roi »
Métamorphosé, le monde, jusqu’aux
Objets rustiques, cuvette, broc,
Quand entre nous s’interposa
Une eau veinée et dure, en sentinelle.
Alors nous fûmes emportés je ne sais ou,
Comme mirages s’écartèrent devant nous
Des cités bâties par miracle.
A nos pieds se couchait la menthe,
Les oiseaux se plaisaient à nous suivre,
Les poissons remontaient les cours d’eau
Et le ciel bascula dans l’instant
Où le Sort nous emboîtait le pas,
Tel un fou qui empoigne un rasoir.
Arséni Tarkovski
A. Bonois – Ta voix cueillie ce soir
Le calme à l’entour frise le parfait
Investit
Mon espace d’antinomies
Je renonce
À écouter haleter la nuit
Où est-ce toi
Qui murmure et se tait
Cette aubade de la pluie
Comment séparer le silence
De ta voix
Qui se mue en fleuve d’absence
Folie ma folie
En vain
Ton regard aux lointains
Scrute sa nostalgie
Ce temps est à la gravité
Quand l’allègre déraison
Se situe ailleurs
Où valsent les saisons
Et les lascives fleurs
Au milieu du passé…
Et voici que ta voix
Au bord de la mémoire
Rappelle à l’âme sa cicatrice
Ta voix migratrice
Qui se pose sur ma paupière
Venue d’un hier
Où dévale le présent
Dans l’étonnement
Un éternel prétexte de joie
Ta voix cueillie ce soir…
® A. Bonois.
La Fare-les-Oliviers,
le 16 juin 2012.
–
Rabah Belamri – l’olivier boit son ombre – 01
–
à Yvonne
–
ni la neige
ni les planètes captives de ta voix
n’apaisent mes syllabes
j’habite dans le miroir et j’appelle
toute ombre qui bouge sous la paupière
pas à pas
le muscle à sa brûlure
j’avance
dans le silence du jour
la main sur ton épaule
une source
une croix
la prière au bord de l’abîme
midi au cœur
J’avance
Sur la trace du poème
–Mains juxtaposées –extrait du livre « si lointains, si proches »
Les Fromentières, 9 janvier 1984