Yeux recousus – ( RC )

Il n’y a pas trop de choix,
dans la fuite du regard
quand les paupières se ferment
pour la dernière fois .
Le corps devenu froid
prolonge jusqu’à son terme
le secret de ce qu’ils ont vu
et que l’on ne connaît pas.
Leurs yeux recousus
regardent en-dedans.
On n’en saura pas plus
sur ce qu’ils voient.
C’est en dedans qu’ils s’égarent,
et leur nuit devient pâle
tout scintillants
de la lueur des étoiles.
–
« Où vont nos yeux quand les paupières se ferment pour la dernière fois ? »
est une citation de Max Jacob
Jean-Claude Goiri – Je TE restitue

Il n’y a plus de noir, il n’y a que la lumière pour assouvir ma soif, il n’y a plus de droites, il n’y a que des courbes pour conduire mes mains, il n’y a plus de paupières, il n’y a que persiennes pour assouvir mon noir,
je les tire quand je veux, personne ne me dira plus quand je dois les
tomber pour assouvir ses peines mais je serai ouvert comme un
rafraichissant éventail, il n’y a que le clair pour me servir de chemin, il n’y a plus rien à faire pour me sombrer dans le sombre, car si je te
vois, c’est que la lumière t’enrobe, et la poésie c’est assembler,
assembler tes ramures éclairées, la poésie c’est TE reconstituer, et puis
la poésie c’est surtout… surtout… la restitution, l’essence de l’acte
poétique est là:
Je TE restitue.
Nous ne sommes que lumière.

ph RC
Une marguerite plantée dans la bouche – ( RC )

Pour faire ton portrait,
j’ai commencé par les membres.
Je les ai assemblés,
placés sous une couverture grise.
Je suis allé voler une fleur
dans le jardin d’à-côté :
une grosse marguerite
dépouillée de ses frissons,
que j’effleure,
avant que je ne la plante
dans la bouche d’une tête à part,
que je n’ai pas encore peinte.
J’imagine alors des yeux fermés,
mais qui me regardent
à travers les paupières.
Tu me fixeras sans relâche,
perpétuellement immobile,
accroché au mur
dans un cadre noir,
mais toujours
avec l’ombre de la marguerite,
qui, décidément
persiste, dans ses pétales de velours.
Jacques Borel – les images
peinture: Arnold BÖcklin avec la mort violoniste
Je ne peux pas grand’chose lorsque s’abat sur moi
La grande faulx noire et dorée de la mélancolie,
Seulement ployer un peu plus bas l’échine, ou supplier
De se taire dans la combe la plus obscure du cœur où ils se sont réfugiés
Ce groupe d’aïeux qui se retournent et chuchotent
Comme des soldats frissonnants sous une couverture
Et dont je n’ose pas surprendre les secrets conciliabules;
Retenir un instant cette main, et c’est celle de mon père,
Qui voudrait approcher de la table de jeu
Et poser encore un peu d’or sur le tapis;
Convaincre doucement ma mère de rentrer,
Qu’il n’y a plus de messe à l’église des fous
Et qu’aucun noyé ne l’appelle du fond de cette eau où elle se penche.
Peut-être pourrais-je refuser de reconnaître
Ce sourire d’amer plaisir que j’ai déjà vu sur d’autres bouches,
Ou ce geste de l’épaule qui tremble et ploie
Quand la vague d’un autre corps va la recouvrir de son ombre
Et la rouler sur un lit d’algues où elle retrouvera soudain
La même face confondue de la mémoire et de la solitude.
Dire non, mais puis-je aussi
Dire non à cet enfant dans son lit
Qui murmure à la mort des mots de fiançailles
Et il me semble qu’il ne s’est pas endormi depuis,
Qu’il est là depuis toujours, à tenter d’apprivoiser
Le sommeil aux mains de sable
Les larmes de Peau-d’Ane encore sur son visage
Et la lune sur la vitre qui survit à ses songes.
— Ô images, plus indestructibles que les choses !
Grandes banderoles à jamais accrochées aux façades !
Vous me cacherez jusqu’au bout les profondeurs des fenêtres,
Les gestes, les colères et le tendre recul
Des êtres qui respirent à leur tour dans les chambres;
Le vent qui vous arrachera me balaiera avec vous,
Je vous sentirai encore collées à mes paupières,
Et, dans la déchirure,
La même lampe continuera d’éclairer pour moi
La même marge obscure et infranchissable du monde
Découpée une fois par les ciseaux du temps,
La maison refermée sur les terreurs du jour,
Ce salon vide, cette porte, et sur le mur
Cette figure lentement qui se confond avec sa robe
Et qui en a fini désormais de ressembler à personne.
Angèle Paoli – une part d’ombre
peinture: Edvard Munch » Starry night »
.Viendra un jour où la beauté du ciel
se dérobera à ton visage
la part d’ombre qui gît en toi
envahira l’espace clos de ton regard
quels sourires papillons de nuit dernières lucioles
volèteront sous tes paupières closes yeux éteints
retenir le temps entre tes doigts ne se peut
il va
pareil à l’eau du torrent qui roule vers sa fin
bolge de remous
où se mêlent les eaux
Herberto Helder – De Mundo 02
peinture: Evert Lundquist – nat morte 1950
Une cuillère débordante d’huile d’olive
une main tremble à passer
le fil qui partage le monde :
cuillères de feu :
leur reflet calcine paupières et pupilles
– cuillères rasant les braises en équilibre
sous les abîmes d’atomes
des jours.
Parce qu’il doit mourir
dans le sommeil tombe l’eau froide, et elle bout,
dans le sommeil l’eau devient calcaire et froide
ah cette brusque montée de fièvre,
les images insensées.
Le pelage noir des mères suinte sur ce visage d’enfant
qui se détourne.
Seul lui peut ainsi se détourner si longtemps
en dormant,
enfant qui s’étire
Cherchez-moi un nom pour la mémoire
une harmonie sonore
que l’on puisse écrire sans se dévoiler
un nom pour mourir.
Parce que l’enfant traverse tout
et va se heurter au centre même
de lui-même.
…et puis plus aucun n’ose parler, et
chaque chose devient acte
au-dessus de chaque chose, et tout ce
qui est visible bouscule un territoire invisible.
Rendu à la vie – et par cette parole minimale
apparaît alors un presque rien
qui arraché de la feuille et à
l’écriture maladroite semble
la surface imposante de Dieu, c’est ainsi
que tu es rendu à la vie, toi
qui juste un moment avant étais mort.
Bernat Manciet – Sonet – Le matin croît en toute chose
aquarelle W M Turner
Le matin croît en toute chose
toute chose déclenche un matin
Toi : un matin aux cris de neige
des mouettes pures sur Ambès
je te reconnus à ton rire
piaffé de ciel et de sel
je te reconnais car c’est notre rire
depuis les talons jusqu’au front net
lorsque blanchirent les rives
jusque dans mes paumes ouvertes
je sus que c’était ton jour
jour de mille paupières
blanches tu m’as trouvé à tâtons
tous lendemains ne sont que ce matin
Gertrud Kolmar – Blason de Beckhum
Dans le rouge trois rivières d‘argent coulant à l’oblique
Allongée je dormais,
Cuite dans une pâte moite de terre ourse,
Profondément, si bien.
Des rubans de racines ornementaient ma nuque.
Allongée je songeais.
À ma bouche s’effritait la croûte brune.
Arriva un homme.
Il entoura ma pierre de lianes d’aristoloche.
L’aristoloche à siphons
Je la regardais depuis des paupières scellées.
Elle appelait vers moi
Agitant feuille douce : je ne pouvais répondre.
Je gisais dans le pain,
Et ceux qu’il nourrissait vinrent pour me manger ;
Car j’étais morte,
Cela m’apparut, longtemps je l’avais oublié.
Ma paire d’yeux :
Deux moignons de bougies consumées friables.
Ma souple chevelure :
Mixture de boue et fouillis de plantes marécageuses.
Lumière du langage :
La souris fouisseuse place son nid dans ma gorge.
Je ne la dérange pas. –
Une coulée blanche scintille depuis mon âme,
Elle plonge se ruant
Pour arroser la fleur verte de la tombe
Et se divise en trois
Pour irriguer de grands royaumes rouges.
La triple rivière s’enfonce.
Je suinte laminée chuchotante, disparaissant.
Mes restes sont bus
par une merlette et par l’aristoloche.
Source : Gertrud Kolmar : Preußische Wappen, Berlin 1934. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
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Jean Grosjean – Elégie
Quelle épée me partage l’âme, m’ouvre au milieu du cœur ce gouffre d’être séparé de toi
et que tu meures de deuil et que je meure ?
Les roses ont la chair qui se décompose et l’eau pourrit dans les mares mais je crois
que je connais la haine.
Les uhlans, les famines et les trépas foulent ce chemin où tu pleuras doucement notre
jour dont déjà penchait la tête sur les collines à sépulcres.
N’étais-tu pas ma longue lumière d’été au soir de qui, accablé par l’amour, je
sombrais dans un rêve obsédé d’astres ?
Quand le frémissement de ton approche me réveillait avant le chant du coq, n’aurai-je
donc descellé mes paupières que pour me rendormir sur ma naissance ?
La destruction nous profane et son prince nous marche sur les yeux mais c’est en vain
que ses démons me raclent la mémoire sous le crâne où ton nom ne cesse guère.
De quel puits sont sortis sur le monde tant de dieux souterrains avec leur face de
houille et leurs tenailles sans empêcher tes os phosphorescents de traverser ma nuit ?
Certes je me tais mais les phrases en débris murmurent encore à la cime des
trembles ton âme qu’elles cachaient.
Jean Grosjean, Élégies [1967]
James Joyce – Ma colombe
montage-peinture: Max Ernst
My dove, my beautiful one,
Arise, arise !
The night-dew lies
Upon my lips and eyes.
The odorous winds are weaving
A music of sighs :
Arise, arise,
My dove, my beautiful one !
I wait by the cedar tree,
My sister, my love,
White breast of the dove,
My breast shall be your bed.
The pale dew lies
Like a veil on my head.
My fair one, my fair dove,
Arise, arise !
XVII
Ma colombe, belle et si chère,
Eveille-toi, éveille-toi
Sur mes lèvres et mes paupières,
Rosée de nuit repose là.
Le vent fleurant tisse en concert
Tous les soupirs comme des voix
Ma colombe, belle et si chère,
Eveille-toi, éveille-toi !
Près du cèdre là je t’attends,
O toi ma sœur et mon amie,
O colombe de ton sein blanc,
Ma poitrine sera le lit.
Pâle rosée vient se poser
Comme un voile par-dessus moi.
Ma colombe, belle et aimée,
Eveille-toi éveille-toi.
- extrait du recueil « musique de chambre «
Maurice Henry – la doublure de la nuit
Peinture: P Bonnard – le cabinet de toilette
Tes yeux ce ne sont pas tes yeux mais la doublure de la nuit
tes mains ce ne sont pas tes mains mais une virgule à collerette
tes cuisses ce sont des hélices pour chasser le mal de dents
et tes dents justement c’est un arbre dont les racines tiennent dans leurs mains mes oreilles
Ta chevelure pleut sur mes paupières quand il fait beau
tes pieds de suie fraîche descendent des cintres lorsque j’appelle un taxi
Sur tes ongles poussent se développent et se multiplient des plantes qui sont mes joues
Avec tes rubans tu lies nos étreintes et avec tes genoux c’est mon nez que tu nourris
Tes lèvres ce ne sont pas tes lèvres mais un troupeau de bœufs sur les pâturages de mon sang
——————-
Carles Duarte – l’abîme
L’Abîme
Au-delà de la mer
– je peux sentir son vertige -,
il y a un abîme.
J’abrite mes regards
derrière mes paupières fatiguées.
Tandis que j’observe les vagues,
j’écoute le corps,
sa routine incessante
chaque fois que je respire.
Je suis ressorti dans la rue.
Je tente en vain d’y retrouver des images.
Je n’y reconnais pas cet enfant blond,
ni la cour pleine de lumière.
Il me reste, pourtant, des miettes bleues
et les visages des mes parents que j’imagine.
Je m’assieds sur le sable
pour refaire les châteaux d’autrefois,
pour me rappeler.
Au-delà de la porte de l’air,
de la lumière primordiale de cet après-midi,
d’une joie que je regrette,
l’océan transparent de l’oubli
me détruit.
Marie-Madeleine Machet – la fête du monde
peinture : P Bruegel le jeune
Tous les printemps aujourd’hui sont éclos
Mille ans d’espoir entr’ouvrent leurs paupières
Mille ans pour le bonheur de sèves éclatées
à la fontaine où s’épuise l’hiver,
Le jour ondoie et lustre
les vivants nouveau-nés.
La fête est commencée.
Le monde-roi danse avec la lumière
s’enivre de soleil.
Les fleurs animent leurs couleurs
les vents soufflent sur la terre
les nourritures du ciel.
Hâte-toi, c’est ton tour
pour le bonheur qui passe.
La fête est commencée pour toujours
mais toi, c’est ton instant,le seul.
Marie-Madeleine MACHET « Les Fêtes du monde »(éd. Seghers)
Pépites, étoiles, boule de cristal – ( RC )
Montage: RC
Dis, t’as vu comme est petite
la terre, dans la boule de cristal !
Tu la secoues, et des étoiles
comme autant de pépites.
Se posent sur tes paupières,
teintes d’un léger bleu :
et dessus, tes yeux…
( je te vois ainsi à l’envers )….
Un peu de neige volète
mais il ne fait pas aussi froid
qu’on le croit :
elle retombe sur ta tête .
Puis se repose
éparpillée sur ton image.
C’est ton visage
sous des pétales de rose .
Ceux-ci sont blancs .
Mais ce n’est pas l’hiver,
dans la boule de verre :
il y fait toujours printemps.
Et même si les saisons changent .
Il ne peut pas mourir
avec ton sourire .
Lui, a quelque chose de celui d’un ange …
–
RC- septembre 2016
–
D’après « pas vu ça ».. de R Desnos
Pierre Louys – Les yeux
Larges yeux de Mnasidika, combien vous me rendez heureuse quand l’amour noircit vos paupières
et vous anime et vous noie sous les larmes.
Mais combien folle, quand vous vous détournez ailleurs, distraits par une femme qui passe
ou par un souvenir qui n’est pas le mien.
Alors mes joues se creusent, mes mains tremblent et je souffre…
Il me semble que, de toutes parts, et devant vous, ma vie s’en va.
Larges yeux de Mnasidika, ne cessez pas de me regarder !
ou je vous trouerai avec mon aiguille et vous ne verrez plus que la nuit terrible.
Pierre LOUYS « Les Chansons de Bilitis » (Arthème Fayard)
Nuit rouge – ( RC )
Image: Jakez Daniel
Quand j’appuie sur mes paupières,
je te vois dans une nuit rouge,
floue, comme un souvenir
prêt à se dissoudre ….
mais c’est bien ta cambrure,
une posture familière,
qui danse
dans un désert brûlant
Ce désert est en moi :
> une incandescence,
qui surgit de l’intérieur,
occupe toute la place …
Et ton regard,
a la phosphorescence
la pose altière,
d’un oiseau de proie….
Il y a comme un vent de sable
qui se lève, en moi et envahit tout – soudain
et tu disparais, comme tu es venue…
dans la nuit rouge, virant à l’indigo…
–
RC – mars 2016
( en écho avec un texte de Laetitia Lisa )
Bras obscurs et songes flottants – ( RC )

Le mystère a des bras obscurs,
qui confisquent les formes,
les mélangent ,sans qu’on sache bien comment,
dès que le soir grignote l’espace connu…
Alors l’humidité sourd des plantes,
qui se détendent du jour,
et laisse place aux créatures nocturnes.
Celles que l’on entend, et celles
que l’on imagine, abrités derrière
les paupières fermées des volets de bois,
la lune essayant de se faufiler par les fentes.
On essaie d’oublier ce qui se trame
de l’autre côté des murs,
en allumant l’électricité, dont la fixité rassure.
Mais il suffit d’une panne
pour que le quotidien bascule,
on ressort les chandelles, que l’on dispose ,
pointillés lumineux dans la pièce,
tremblotantes flammes, elles , éphémères,
sans doute effrayées, elles-aussi,
que le mystère de la nuit
envahisse l’intérieur, réagissant
au plus petit mouvement d’air,
– un pressentiment –
comme si celui-ci,
profitant de la plus petite brèche,
s’apprêtait à bondir
de l’autre côté des murs,
une protection si mince,
qu’on pourrait penser qu’ils puissent
se dissoudre aussi,tel un sucre
plongé dans un verre d’eau…
la porte ouverte à tous les possibles,
de ceux dont on n’a d’autre idée
que celle des songes flottants prenant soudain consistance .
–
RC- sept 2015
Il est minuit depuis si longtemps – (RC )
–
Il est minuit depuis si longtemps
…. Le long des parcours du jour.
J’ai traversé le sommeil,
> Et dehors, la caresse
Des courants tièdes,
N’atteignait pas le mur.
J’y étais enfermé,
Et mes bras menus ne pouvaient rien
Contre le froid, contre l’attente …
Et la douceur des choses
N’était qu’à deux pas.
Des promesses de l’été.
Les paroles gelées sous les lèvres,
La jeunesse habillée d’oublis,
Les yeux grand ouverts
Derrière des paupières inutiles
Sont à l’écart des champs de jeunes blés,
Où le vent s’ondoie.
Il faudrait que la terre tremble,
Que les lézardes prolifèrent,
Et que les pierres se descellent,
Pour que le sortilège tombe avec,
Et que le regard puisse enfin,
Goûter vraiment, à la douceur des choses.
Le baiser à la terre,
La ronde du soleil …
Le temps d’un autre départ,
Pour retrouver le désir,
Sa propre route, au dedans,
Pour y courir librement, les pieds nus .
–
RC – juillet 2014
–
Freddy Taminiaux – Dis moi pourquoi
Dis-moi pourquoi
Maintenant que mes jours
tremblent un peu
dis-moi pourquoi
aujourd’hui
je vois des étoiles
dans tes yeux
Dis-moi pourquoi
le soleil descend
tout doucement
au fond de ma gorge
en parfumant les mots
de tendresse
juste avant que sur mes lèvres
ils naissent
Dis-moi pourquoi
le monde qui s’ aventure
sous mes paupières
est bien plus beau qu’ hier
Si tu le sais
alors dis-moi pourquoi
maintenant
que ma vie s’ amenuise
pourquoi
j’ entends beaucoup mieux
lorsque je ferme les yeux.
–
Carles Duarte – L’ Abîme

peinture: Jef Vereyen monochrome achrome 1958
–
Au-delà de la mer
– je peux sentir son vertige -,
il y a un abîme.
J’abrite mes regards
derrière mes paupières fatiguées.
Tandis que j’observe les vagues,
j’écoute le corps,
sa routine incessante
chaque fois que je respire.
Je suis ressorti dans la rue.
Je tente en vain d’y retrouver des images.
Je n’y reconnais pas cet enfant blond,
ni la cour pleine de lumière.
Il me reste, pourtant, des miettes bleues
et les visages des mes parents que j’imagine.
Je m’assieds sur le sable
pour refaire les châteaux d’autrefois,
pour me rappeler.
Au-delà de la porte de l’air,
de la lumière primordiale de cet après-midi,
d’une joie que je regrette,
l’océan transparent de l’oubli
me détruit.
Le centre du temps, Fédérop, 2007
Jules Supervielle – les chevaux du temps
Quand les chevaux du Temps s’arrêtent à ma porte
J’hésite un peu toujours à les regarder boire
Puisque c’est de mon sang qu’ils étanchent leur soif.
Ils tournent vers ma face un oeil reconnaissant
Pendant que leurs longs traits m’emplissent de faiblesse
Et me laissent si las, si seul et décevant
Qu’une nuit passagère envahit mes paupières
Et qu’il me faut soudain refaire en moi des forces
Pour qu’un jour où viendrait l’attelage assoiffé
Je puisse encore vivre et les désaltérer.
Jorge-Luis Borgès – Insomnie
photo: montage perso
–
Légendairement petit et lointain est désormais ce moment où les horloges versèrent un minuit absolu.
Ces six murs étroits emplis d’une éternité étroite me suffoquent.
Et dans mon crâne vibre encore cette pitoyable flamme d’alcool qui ne veut pas s’éteindre.
Qui ne peut pas s’éteindre.
Réduction à l’absurde du problème de l’immortalité de l’âme.
Trop de couchants m’ont rendu exsangue.
La fenêtre synthétise le geste solitaire de la lanterne.
Film cinématique plausible et parcheminé.
La fenêtre aimante toutes les oeillades inquiètes.
Combien m’étranglent les cordes de l’horizon.
Pleut-il? Quelle morphine ces aiguilles injecteront-elles aux rues?
Non.
Ce sont de vagues lambeaux de siècles qui gouttent, isochrones, du plafond.
C’est la lente litanie du sang.
Ce sont les dents de l’obscurité qui rongent les murs.
Sous les paupières ondoient et s’éteignent à nouveau les tempêtes brisées.
Les jours sont tous de papier bleu, minutieusement découpés par les mêmes ciseaux sur le trou inexistant du Cosmos.
Le souvenir allume une lampe:
Une fois de plus nous traînons avec nous cette rue si joyeusement pavoisée de linge tendu.
Le piano luxuriant du Tupi s’est évanoui au loin.
Le soleil, ventilateur vertigineux, élague les demeures décaties.
En nous voyant tanguer en tant de spirales les portes rient aux éclats.
Pedro-Luis me confie: – Je suis un homme bon, Jorge.
Tu es un homme bon, Jorge… ça nous passera avec une petite tasse de café.
Les yeux éclatent quand les frappent les pales du soleil.
Quel hangar abritera à jamais les émotions?
Il existe à n’en pas douter une dimension ultra-spatiale où toutes sont des formes d’une force disponible et soumise.
Comme l’eau et l’électricité dans notre dimension.
Colère. Anarchisme. Faim sexuelle.
Artifice pour nous faire vibrer sous la magie.
Aucune pierre ne brise la nuit.
Aucune main n’avive les cendres du bûcher de tous les étendards.
–
.
Astrid Waliszek – Réveil
je suis venue voir
si vos rêveries ont trouvé
une terre d’accueil
je les ai reconnues à la trace
qu’elles ont laissée sur le front
des femmes aimées
la petite lumière si ténue
a parcouru l’outre-noir
de vos cauchemars
je suis venue voir
si cette boule d’ombre
qui se joue de vous
a trouvé enfin refuge
chère vieille tortue
dans un tiroir bien clos
de votre mémoire
si vos jeux insolents
retrouvaient des couleurs
si vos songes avaient un toit
si ce léger désordre
dans la chaleur de votre lit
a troublé votre horizon
si, sous vos paupières,
ils avaient trouvé un asile
je suis venue voir
si la nuit se dénoue,
Si la beauté existe .
Coeur volcan – ( RC )

photo: Alain Gerente piton de la Fournaise
–
Brûlant cratère,
Fumant de ses entrailles,
S’écoulant de ses failles,
La terre secoue sa crinière,
S’ouvre en son coeur,
Où les pierres se confondent,
Tout au corps du monde,
Et mélangent leur saveur…
Il n’y a plus, sous tes paupières,
Que ton volcan embrase, et brave,
Et son torrent de lave,
Rien d’autre qu’une rivière,
Qui emporte tout sur son passage,
Et mélange l’argile et les rires,
Tout ce qu’il faut pour écrire,
Des arabesques en messages,
Virevoltant , tels des papillons,
Se formant en un seul poème,
Aux seuls mots de je t’aime,
Lancés en ta destination.
RC – mars 2014
—
sur l’incitation poétique de Patricia Fort
(
…
Rien d’autre.
Le torse ouvert en deux hémisphères
Et l’or sous mes paupières.
Rien d’autre
Intarissable rivière
Roulant ses galets dans le brûlant cratère
Rien de plus
Le calame et l’argile
Et le mot empêtré de sublime
… )
C’est par un acte d’amour, que se dessine le jour – ( RC )
photographe non-identifié;
–
Le ciel et la terre se touchent.
Ils s’étendent au-dessus de l’autre.
C’est par un acte d’amour,
Que se dessine le jour.
La terre se retourne, quand il s’éteint,
Contre le baiser du soleil.
De l’autre côté, il fait déjà nuit,
En égrenant quelques heures.
Le temps de fermer les paupières,
Le ciel et la terre se confondent,
Dans l’obscurité, et notre absence.
Leurs amours sont chasteté.
Et se dissimulent,
Sous un rideau d’étoiles,
Jusqu’à l’aube qui se dévoile,
Sous sa grande robe,
Au regard du jour, .
–
RC – avril 2014
–