Françoise Ascal – 1
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Au loin la rivière roule d’obscures promesses.
Le sapin tutélaire veille,
ancêtre tenace gardant sous son aile les âmes innombrables des lapins d’autrefois, bouquet d’âmes innocentes ayant connu l’effroi sous la lame agile en ce lieu précis, misérables créatures liées aux misérables paysans, les unes et les autres aujourd’hui confondues dans l’absence, dans la radiation de tout ce ce qui fut, une fois, une unique fois présence, atomes de chair pareillement broyés sous la meule qui jamais ne crisse, jamais ne grince, terreau de misère faisant croître le sapin haut et ferme, à l’ombre duquel j’écris ce jour, traversée d’une calme joie — légère puisque sans fondement, sans raisons, sans réponses. Sans consolation.
Là -haut, le vent souffle.
Là-haut, un busard trace de grands cercles dans le bleu du ciel avant de rejoindre son poste de guet , au sommet d’un frêne.
Sous la terre et le grès rose, sous les étangs , les bouleaux, les bruyères, les anciens n’en finissent pas de se décomposer.
Le vent tourmente la peau des vivants,
attise les signes.
Au vif de l’été la plante du pied s’impatiente.
L’armoire, porteuse d’histoires (RC)
La vieille armoire, celle qui prend feu
A abrité longtemps des piles de draps
Des trousseaux inutilisés, mangés par les rats
Autres générations , autres enjeux
Tante Ernestine est morte
Un jour d’hiver fardé
Auprès de son feu, attardée
Un jour , a cédé sa porte
Et les piles des habits d’antan
Les parures et les dentelles
Napperons de belle vaisselle
N’ont pas attendu les petits enfants
Partis ailleurs émigrer
Se chercher, loin du bercail
Une raison de vivre, un travail,
Evidemment de leur plein gré
La maison d’Ernestine est vide
Personne n’est revenu au village
Lui rendre un dernier hommage
Aux maisons barricadées, arides
Il a fallu extraire les meubles pesants
Du pays de la famine
Rongés par la vermine
La vie d’antan, du modèle paysan
Le feu qui maintenant
Dévore le bois craquant du sapin
Se nourrit des volutes du destin
De l’exil, des déserrements
Alors que, patient témoin gris
L’olivier au feuillage argenté
Décrit le temps des ancêtres arrêté
Sans s’en montrer davantage aigri.
RC
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