Zao-Wou-ki – Peindre, toujours

Peindre, peindre, toujours peindre, encore peindre le mieux possible,
le vide et le plein, le léger et le dense, le vivant et le souffle
La journée du peintre – ( RC )
peinture: P Cézanne — parc du château noir 1904
Je ne sais
quand les journées s’allongent :
je suis pieds et poings liés
à la chanson du pinceau,
et j’en oublie les heures,
jusqu’à ce que je plonge
dans l’oubli des choses,
ainsi mon ombre me devance
sur la toile ébauchée.
Et chante aussi la rivière
sous le pont de pierres…
J’ai confondu ce que j’ai peint
avec une journée d’été.
Je dépose la lumière par petites touches ,
qui se rassemblent contre l’obscurité.
Je marche dans une clairière
que j’ai inventée ,
je m’y égare un peu .
La futaie change soudain d’aspect
sous l’éclairage électrique .
Elle n’a plus cet attrait magique
des rideaux de feuilles .
Je continuerai demain
marchant dans sentes et chemins :
il y a des couleurs qui s’attardent
à la façon de feuilles d’automne
Elles sont aussi sur mes mains tachées ;
je vais aller me nettoyer
puisqu’une journée à peindre
vient de s’éteindre
sans bruit ,
remplacée progressivement par la nuit .
–
RC – juin 2019
Peindre l’intérieur de sa tête en blanc, ou noir ( selon ) – (RC )
–
Il y a des secrets enfouis sous la glace,
Elle conserve au frais les souvenirs des étés,
Au plus profond des crevasses .
Elles se sont refermées sur ce qui a été.
Un fleuve de blancheur à la coulée lente,
Qui dévale les années,
Accroché aux pentes,
Des plus hautes vallées .
–
Les secrets ont leur gardien,
Il en reste toujours une trace.
On a beau les taire, un jour, cela ne sert à rien…
Il y a toujours quelque chose qui dépasse .
C’est comme si tu repeignais de blanc,
L’intérieur de ta tête, pour effacer,
Toute trace du passé,
Gravé en lettres de sang .
–
Choisis plutôt le noir
Personne n’y verra goutte …
Une bonne solution , sans doute,
Pour perdre la mémoire ,
Te refaire une santé ,
> Effacer les preuves…
— Mais crois tu qu’avec une peau neuve,
Tu peux prétendre à la virginité ?
–
RC – déc 2014
Lionel Bourg – Hautes fougères

gouttes de pluie sur la vitre brouillée avec l’arbre
–
Ce sont de hautes fougères, encore.
Un peu de vase. La lie blanchâtre d’une illusion peut-être. Ou des apparitions. Ce qui demeure d’un rêve quand l’aube se livre à l’équarrissage des ultimes chimères.
Il faut écrire alors.
Tracer des lignes. Peindre, marbrer, scarifier le sol jusqu’à l’instant promis où, sans doute est-ce façon d’espérance, on poussera la porte, s’offrant à la caresse lente du temps.
Il faut aimer.
Crier. Accepter, refuser l’échéance.
Oublier. Partir. S’inscrire, ainsi qu’Aymerick Ramilison ne cesse de le faire, au sein de l’infini naufrage, l’infinie naissance du monde.
N’être que cet arbre, là-bas.
Le bruit obsédant de l’averse. Quelques copeaux d’azur. La lumière sur les feuilles des saules, des bouleaux.
Le charnier radieux du silence.
–
Joan Mitchell – traces de la nature en moi

peinture: Joan Mitchell -Buckwheat 1982. Lennon Weinberg inc
« Je peins des paysages remémorés que j’emporte avec moi, ainsi que les souvenirs des sentiments qu’ils m’ont inspirés, qui sont bien sûr transformés. Je préférerais laisser la nature où elle est. Elle est assez belle comme ça. Je ne veux pas l’améliorer. Je ne veux certainement pas la refléter. Je préférerais peindre les traces qu’elle laisse en moi ».

peinture: Joan Mitchell
Joan Mitchell est une des représentantes importantes de l’expressionisme abstrait américain… comme Cy Tombly, ses grandes surfaces abondent de gestes graphiques superposés, et de zones très colorées, souvent proche des peintures de Claude Monet ( en particulier celles visibles au Musée Marmottan, à Paris), l’article culturebox, sur le rapport de Monet avec l’abstraction, est explicité ici...
voila, extrait d’un catalogue en ligne édité par le musée des impressionistes de Giverny, une partie de l’analyse des polyptyques de Joan Mitchell
….
Joan Mitchell est l’un des plus grands peintres abstraits du XXe siècle.
Entre 1950 et 1958, elle travaille et expose à New York aux côtés des
autres peintres expressionnistes abstraits comme Willem De Kooning,
Robert Motherwell et Jackson Pollock. Elle s’installe à Paris en 1959. En
1967, à la mort de sa mère, elle achète une maison à Vétheuil, à quelques
kilomètres seulement de Giverny, deux villages clés dans le développement
de l’art de Claude Monet.
—
La peinture abstraite qu’elle met au point, immense, lumineuse,
dynamique, fait profondément référence à la nature (comme en témoigne
les séries de La Grande Vallée, Les Tournesols ou encore les Champs), nature
qui entourait de toute part son atelier de Vétheuil, avec ses larges points de
vue sur la Seine.
Bien que Joan Mitchell ait toujours refusé que l’on compare ses peintures
avec l’oeuvre tardif de Claude Monet à Giverny, les deux artistes ont en
commun plusieurs préoccupations artist iques : l’ancrage de leur pratique
dans une incessante observation de la nature, leur intérêt optique pour la
couleur et la lumière, sans oublier la mise au point d’une surface picturale
monumentale et sans point de fuite, à la fois frontale et transparente.
—
[…]
A travers ses polyptyques, tout se passe comme si Joan Mitchell ne voulait
pas choisir : vivre à Vétheuil, et parler de paysages la rattachent à la
tradition impressionniste, manier la peinture avec autant de virulence que
de virtuosité fait d’elle une artiste moderne, la disposer sur une série de
panneaux monumentaux et disjoints, à jamais liés, à jamais séparés, c’est
accentuer sa théâtralité phénoménologique.
Concluons en nous penchant sur les titres des oeuvres et l’autre dimension
temporelle qu’ils suggèrent. On pourrait presque dire que le titre est un
panneau supplémentaire qui, conceptuellement, encadre et perturbe la
lecture, déjà hétérogène de l’oeuvre. C’est le cas par exemple des titres qui
font référence à la nature (Bleuets, Tilleuls, Champs) et qui conduisent
immanquablement à un exercice difficile et lui-même mouvant de lien
entre le tableau et son référent9.
Mais parlons aussi d’autres titres comme La Ligne de rupture, Salut Sally,
Mooring (Amarre), Posted, Salut Tom, Also Returned, La Vie en rose, The
Goodbye Door, Edrita Fried, Chez ma soeur, Then, Last Time, Before, Again
ou parmi les dernières toiles Encore ou Ici.
Ces titres et leur allusion plus ou moins explicite à la notion d’adieu
arrivent dans son oeuvre à peu près au moment de l’apparition des
polyptyques. Certains font directement référence à des personnes chères
disparues.
D’autres, plus abstraits, semblent évoquer le temps dans une
dimension intime, sa dimension mémorielle : la remontée en soi d’une
image du souvenir, dans sa continuité douloureuse avec le présent, dans sa
discontinuité fondamentale. Leur caractère mélancolique n’a que très peu à
voir avec l’énergie, la couleur, la sensualité, la présence visuelle intense des
tableaux, si ce n’est la ligne très fine de séparation des panneaux. —

Joan Mitchell: la grande vallée
–