Les clés – ( RC )

montage RC
Tout ce que j’ai connu
s’est dilué
tout au long des années:
ma maison n’est plus ;
– j’ai pourtant le double des clés,
mais qui ne servent plus à rentrer :
de tout le trousseau, j’en ai fait un collier
aux formes tourmentées
qui pèse sur mon cou
comme une boîte de clous ,
mais je les garde quand même :
les jeter me ferait de la peine :
on ne sait jamais, si d’aventure
elles ouvrent d’autres serrures,
et si quelque part pourtant,
le bonheur m’attend…
–
RC – sept 2018
La porte étroite – ( RC )
Tu ne regarderas plus sur mon épaule :
trop de larmes ont dévalé les pentes :
mon existence a suivi une courbe lente,
trop d’eau a coulé sous le saule.
J’ai refermé sur moi la porte étroite :
il n’y a plus de place à la lumière ;
ni aux infimes grains de poussière :
je sens déjà l’usure du temps avec ses grosses pattes.
Ma respiration se voile en suspends,
léger sursis à ma lourde peine,
au souffle ténu d’une légère haleine,
avant que se glace mon sang.
–
RC – août 2020
Chassés de l’humanité – ( RC )
sculpture : ancienne statue sumérienne
Il n’y a plus aucune place
laissée à ce que l’on connaît,
mais seulement une nature plane .
Si c’est de l’eau, aucune île ne sert de repère,
Nous avons été chassés de l’humanité,
et l’océan est encore sanglant
de toutes les peines :
une patrie sans porte ni horizon ,
esclaves des frontières effacées ,
avec quelques glaces flottantes:
celles d’une géométrie funéraire,
ne marquant même pas l’emplacement des tombes…
les tempêtes peuvent se déchaîner :
rien n’est prévisible dans le feu blanc :
la terre a sombré corps et âmes
sous les bombes et ouragans ,
et il n’y aura personne pour décrire encore
les paysages spectraux,
immobiles comme les yeux fixes,
des dieux aux regards gelés.
–
RC – dec 2018
Guillevic – Carnac 5
Pas besoin de rire aussi fort,
De te moquer si fort
De moi contre le roc.
De toi je parle à peine,
Je parle autour de toi,
Pour t’épouser quand même
En traversant les mots.
A tous ces mots, leur peine, leur joie … ( RC )
image: provenance le blog du web design
A tous ces mots leur peine,
leur joie, leur vie propre,
et leur coeur battant, même
s’ils sont issus de catalogues d’objets rutilants,
d’anciens grimoires,
souvent cachés derrière des double-sens,
comme protégés par une carapace.
On peut en dénicher en haut des armoires,
dans de lourdes encyclopédies,
… parfois ils s’usent, en désuétude,
si on les prononce plus,
inarticulés.
On peut aller en chercher sous des pierres,
coincés dans des pages jaunies,
ou bien après une ascension lente,
après l’obstacle d’une pente raide,
portant leur vérité, opaques ou ayant la transparence
d’un cristal de roche ,
gagnés après de lents et patients efforts.
Ils migrent doucement selon les siècles,
les usages et les modes,
méritent une interprétation,
une traduction,
— ainsi le bétail suivant les drailles
de transhumance.
S’ils sont à priori inertes par nature,
c’est leur association,
comme l’addition de produits chimiques,
qui les rend actifs, porteurs d’émotions,
voire virulents .
Corrosifs, avec la couleur qu’on leur donne,
gonflés d’ intentions allusives ou tendres,
parfois sordides et boueux,
déclamatoires en longues suites,
officiels dans de rigides discours,
démonstrations scientifiques irréfutables.
Si les murs ont des oreilles,
dès qu’ils sont lâchés, ils peuvent,
comme le dit Hugo, semer la discorde et la haine,
comme de mauvaises graines,
trouvant toujours à s’accrocher quelque part,
crevant même le goudron épais des trottoirs.
Comme ils sont prononcés,
ajoute une saveur,
douce ou courroucée ,
sucrée ou épicée ,
empruntant la voix parlée,
l’envol de celle de l’acteur,
jusqu’au réceptacle de l’oreille,
généralement prête à les accueillir.
Plus aériens dans ce qu’on nomme poétique ,
ils se chargent d’images, et permettent à l’esprit
d’envisager des raccourcis vers l’improbable,
dansant en quelque sorte tous seuls…
libérés des contraintes d’ organisation rationnelle,
celui qui les emploie, n’en fait qu’à leur fête,
les dissout, les recompose à sa guise,
jusqu’à en multiplier les sens
dessine leur aube, leur solstice,
et les pare d’ombres,
parfois fantômatiques.
Tout le monde les utilise,
certains portent un cosmos,
une signification inconnue,
qui a été pensée par d’autres,
sans qu’on puisse en connaître l’origine exacte,
même avec le scalpel étymologique ;
> peu se révoltent .
Je les laisse courir
au gré de ma plume,
et tout le temps avec bienveillance….
on dirait même qu’ils choisissent
de s’ordonner
tous seuls, en ébullition,
association spontanée.
Peut-être qu’ils me traversent
à la façon de cellules sanguines,
alimentant les pensées,
et sachant s’en détacher,
le moment venu,
– pour fomenter un texte -,
( dont je ne suis pas sûr d’en être le seul auteur….)
–
RC – janv 2016
William Cliff – Encore attendre
Je t’attendais devant le cinéma nommé Éden.
Huit heures et demie avions-nous dit devant ce cinéma.
L’Astragale de Sarrazin je l’avais vu la veille.
Une histoire d’amour très passionné.
Je ne te vois toujours pas arriver. Je voulais revoir avec toi
ce film d’amour très passionné, mais la rue était pleine
d’ombre et vide vide de gens entrant au cinéma ;
je n’attends plus qu’un bus pour me renfuir avec ma peine.
Je m’étais dit : invitons-le ce soir au cinéma
pour voir ce film d’amour très passionné, et puis un verre
de bière qu’on aurait pris, un verre de bière, un verre de joie
pour se donner du cœur au ventre. Un verre de peine amère
maintenant je bois. J’embrasserai mon oreiller au lieu de toi.
Toute une nuit pour changer en pardon des flots de haine.
Ton visage inconnu ( RC )
Il faut aller de porte à porte
Laisser les courants d’air
Agiter les volets
Et claquer autant de gifles d’eau,
brutales
Entr’ouvrir les yeux sur la peine
La douleur, et le sang qui perle
A l’orée de tes paupières
Pour retrouver les sourires
Derrière les fonds de fard
Qui me laissent ton visage
Inconnu.
RC 13 mars 2013
–
Dialogue de seul – ( RC )
–
Une histoire avec soi-même
S’il en est ainsi et qu’on la vive
En étant son premier témoin
Son premier lecteur
Une histoire personnelle
Qui se lit en travers
Au travers des âges
Seul on se croit, seul on se vit
Partageant les élans et les peines
Trop lourdes
Se raconter des histoires
Sans témoin
Les histoires d’amour
Inaccomplies
Et les larmes
Qui finissent par déborder,
Mais toujours accompagnées
De ce qui aurait pu être,
Et,
Toujours fidèle compagne,
Sans jamais sortir de la chair *
La solitude
–
RC – 19 janvier 2013
–
Sans jamais sortir de la chair * est le titre d’un ouvrage récent de Joël Bastard
Jean-Jacques Dorio – Nuit
NUIT
Cette nuit
le monde se retire
Ce sont deux mains
qui ne s’agiteront plus
sur terre
des pas au bout du chemin
Mais la peine ni la joie
ne s’expriment
la langue sèche
pendue au clou
Des deux mésanges
qui frappaient ce matin
à ma vitre
laquelle s’est envolée ?
–
Marie Hurtrel – Parole recluse
–
Pourtant, tu avais un écho, et le silence baignait seulement une note plus bleue que le soleil des anciens décembres.
Sous la neige sans consistance où l’hiver s’était perdu… à jamais perdu. Il poussait des fleurs.
Quand de raison qui déraisonne, les notes se sont mises à tomber d’un ciel déchu, c’est comme si ce soleil s’était éteint.
S’est-il éteint…
S’éteint-il…
L’obscurité marque son armure[1] et la portée[2] tremble.
Quand les mots manquaient de lettres, dans l’avant et l’été attendu, les rêves buvaient la tasse d’encre, et se noyaient les pupilles du doute dans leur inconsistance.
Pourquoi ces jours brisés boivent-ils maintenant le plomb et la parole recluse scelle-t-elle nos tombes…
Pourquoi l’intransigeance du voyage ferme-t-elle la bouche sur un pardon exclu, une larme tue, et l’été qui s’en va avant la saison…
Faut-il au sang d’égorger les hirondelles pour parer de peines la porte déjà trop lourde des cimetières ?
© Marie Hurtrel
[1] Armure : en musique, altérations réunies à la clef
[2] Portée : les cinq lignes permettant de représenter les hauteurs des notes
–
Raôul Duguay- l’île

Christo & Jeanne-Claude Ile entourée... projet dessiné
L’île
Il y a si longtemps que j’ai bu à l’amour
Coulent et coulent les jours
En attendant sur l’île de ma vie
je vide la mer dans un grand verre
Je la bois je pense que c’est toi
qui pleut de mes yeux une peine infinie
sur l’île de ma vie
Il y a si longtemps que je t’écris sur le sable
les mots les plus aimables et qu’efface le vent
Graverai dans la pierre la forme de ton corps
M’endormirai encore en chantant la prière
que tu reviennes un jour sur l’île de ma vie
On aura tout le temps de devenir des enfants
des amants de l’amour à tout moment
sur l’île de la vie
Nous réapprendrons la magie
le pouvoir de vivre transparents
dans la vérité et dans la liberté
sur l’île de l’amour
– voir le site du compositeur chanteur , écrivain, québécois Raôul Duguay
( qui m’a précisé que ce texte était celui d’une chanson, avec la musique de Guy Richer).

Christo & Jeanne-Claude: île entourée, réalisation: photo National Geographic