René Depestre – Est-ce vrai ?

Est-ce vrai que la force de mes bras et la machine à laver ton linge sont des chevaux du même attelage sont des esclaves de la même chaîne ? Est-ce vrai que tu préfères le phare blanc de ton auto au feu noir de mon visage, la patte blanche de ton chien au joyeux bonjour de mes mains ? Est-ce vrai que tu ne sais pas de film plus doux et reposant que le spectacle de mon coeur montant sur le bûcher raciste ? Est-ce vrai que tu gardes à portée de la main une corde qui porte mon nom une balle qui sait par coeur la carte obscure de mon corps un tribunal toujours prêt à me couvrir de ténèbres un linceul coupé sur la mesure de mon âme ? Ô blanc serpent du racisme crieur de mon sang versé comme j’eusse aimé que tout ce poison naquît de la nuit des mauvaises langues comme j’eusse aimé crieur de mes jours voir quelque lueur rétablir le cours humain de la beauté dans ton coeur ! Mais le sang versé des nègres du haut de ses saisons en fleurs me crie de prendre garde à toi tu es sur mon chemin me crie le sang musicien tu es une tête de mort une mauvaise tête de la pire des morts une tête à claques au service de la mort.
René Depestre
Minerai noir
Anthologie personnelle
Poésie Points
Luce Turnier : peintre Haïti -1924-1995
Edith BRUCK – L’égalité père ! –

L’égalité père ! Ton rêve s’est vérifié je t’entrevois je te vois tu es encore en train de marcher aux côtés de Roth le nanti qui nous a refusé un peu de ricotta pour les fêtes, Klein le cordonnier qui n’a pas voulu ressemeler à crédit tes uniques souliers, Goldberg le boucher au bouc bien taillé, qui t’a traîné au tribunal quand tu vendais de la viande sans licence, Stein l’instituteur qui nous a donné des leçons d’hébreu dans l’attente d’une récompense divine il nous dirigeait comme un chef d’orchestre endiablé cassant des dizaines de baguettes sur nos têtes à nous tes enfants analphabètes en hébreu destinés à l’enfer. Et toi, le plus pauvre, le plus reconnaissable par ces fesses maigres ! Le plus agile, le plus exploitable pour des travaux forcés. Vas-y père ! Tu es aguerri à toute éventualité armé d’expérience tu connais le front, les fusils, les tranchées même la lutte quotidienne par temps d’abondance. Tu connais la détention, les planches dures des cellules dans le noir où tu t’épouillais, tu léchais tes blessures, tu déroulais les mégots. Tu connais le goût du sang dans la bouche à cause d’une dent cariée d’un coup de poing de gendarme d’une balle dans la défense de la patrie, que tu t’obstines à croire tienne. Tu connais la mort aux aguets la mesquinerie des hommes le jeu des puissants l’exploitation à laquelle les maîtres s’adonnent. Tu connais toute l’échelle de l’humiliation les voies obscures aux ombres menaçantes avec les loups faméliques les chevaux qui s’emballent par des nuits insomniaques dans tes voyages solitaires dans l’illusion d’affaires foireuses, les promesses qu’on ne tient pas sauf la colère de Jéhovah ! Vas-y père tu connais les marches le froid la faim ! La tête haute ! tu ne dois plus te cacher des créanciers ils sont là tous nus ! Ah, tu te retournes ? Tu ne me reconnais pas, j’ai grandi j’ai des seins fermes un duvet tendre pur comme maman quand on te l’a amenée en fiancée. Prends-moi père ! Je te donnerai du plaisir pas des enfants, de l’amour pas des devoirs de l’amour pas des reproches, de l’amour inconnu de toi imaginé par moi, cours c’est l’heure de l’Apocalypse ! Commettons un péché mortel pour mériter la mort.
Edith BRUCK
Pourquoi aurais-je survécu ? (édition électronique 3 décembre 2021)
Éditions Payot & Rivages.
édition papier du même ouvrage (ISBN : 9782-7436-5504-4).
Pourquoi aurais-je survécu
sinon pour témoigner
avec toute ma vie
avec chacun de mes gestes
avec chacune de mes paroles
avec chacun de mes regards.
Née en 1931 en Hongrie, Edith Bruck, a été déportée avec sa
famille en avril 1944. Ayant survécu aux camps de concentration,
elle s’installe en Italie dont elle adopte la langue. Dès 1959, elle
publie des récits inspirés de sa déportation, implacables, mais
dépourvus de haine, qui lui vaudront, outre l’amitié de Primo Levi,
les plus grands prix et une reconnaissance internationale. Son
œuvre poétique (publiée de 1980 à nos jours) constitue une
véritable autobiographie en vers, en écho à son témoignage.
Felix Nussbaum – Autoportrait – (détail de l’ autoportrait au passeport juif)

Sur Félix Nussbaum ( mort à Auschwitz le 9 août 1944 ) : sa peinture , sa vie
Vole la poussière des sentiers – (Susanne Derève)

Vole la poussière des sentiers,
la mer est au bout du voyage
battant et rebattant les cartes du temps,
offerte aux pluies d’été
au crépitement de l’averse,
à son frileux masque de brume.
Dans la soudaine échappée de lumière,
l’ombre s’altère,
le fil des pierres heurte le pas,
et le pas cherche en vain
l’empreinte d’autrefois …
Seule la mer sait rebrousser chemin,
ciseler le temps avec une précision
de métronome,
imprimer à l’estran le va et vient du flot,
épouser chaque pierre
de son baiser de sel
Vole la poussière des sentiers,
les mots modèlent en vain
la pâte du silence,
l’argile grise des jours enfuis .
La mer seule dit l’absence
Georges Castera – Extraits –

( L‘encre est ma demeure – Acte Sud )
Certitude
Ce n’est pas avec de l’encre
que je t’écris
c’est avec ma voix de tambour
assiégé par des chutes de pierres
Je n’appartiens pas au temps des grammairiens
mais à celui de l’éloquence
étouffée
Aime-moi comme une maison qui brûle
Dédicace de la page du milieu
femme démesurément femme
dans la cassure du présent
les jours de solitude inhabitable
s’il t’arrive de t’interroger
sur les choses informulées
souviens-toi
dans la plus pure errance de la parole
que je suis entré dans ton sourire
pour habiter ton doute.
Le trou du souffleur – Editions Caractères
J’ai ouvert aux mots …
J’ai ouvert aux mots
l’espace de ton désir
pour tout prendre
pour tout voir
prendre la terre par ses racines
le soleil par ses branches
carnivores qui enjambent
la nuit
voir au travers du vertige
et boire au goulot
des syllabes bavardes de ta bouche
notre amour a la témérité
de franchir le vide à pied
en jetant au loin
la clef de l’épouvante
la belle clef qui piège
la raison
Petit récit d’affirmation
J’avais une corde dans la main
et ne trouvais pas l’arbre
fort robuste
ni la branche assez haute
pour laisser flotter mes pieds
je suis parti vers la mer
elle n’avait plus assez d’eau
je me suis assis pour attendre
que l’arbre ait des branches
et que la mer se remplisse
d’eau
à force d’attendre
j’ai longtemps habité les mots
en solitaire
tu passais par là par hasard
intarissable de beauté
et de bonté curieusement
j’ai raté ma mort
Georges Castera – ( 27/12/1936 Port au Prince -24/01/2020 Pétion-ville) : voir
https://www.babelio.com/auteur/Georges-Castera/269229
Poèmes dits :
Un peu de soleil à l’intérieur – ( RC )

Le soleil a disparu
à force de tourner sur lui-même.
On ne le voit plus.
Le peintre s’est tu.
Juste une poudre de lumière
atteint encore la terre :
une brume de misère
qui la hante.
Beaucoup de plantes
ne savent plus ce qu’il faut faire.
Elles se crispent dans le sol
et se souviennent des jours
où la terre tournait encore autour.
Pourtant des tournesols ont fleuri,
comme des marguerites jaunes,
en tout petit,
qui, dans leur douleur
ne montreraient plus leur coeur.
Entre les doigts de la brise,
elles dialoguent
et refusent de flétrir :
la nouvelle s’est répandue
de la mort de Van Gogh
c’est qu’elles ont encore
assez de soleil et d’or ,
pour qu’à l’intérieur ,
son souvenir
soit leur propre lueur.
Ahmed Abd al-Mu’ti Hegazi – Commentaire d’un spectacle naturel
Un soleil s’écroule à l’horizon d’hiver
Rouge
Nuages de métal
D’où fusent des bouquets en feu
Je suis un petit paysan
Que maltraite la nuit
Notre charrette avale le fil d’asphalte
Vertical du village à la ville
Alors que je voudrais
Me jeter
Sur l’herbe mouillée.
Un soleil s’écroule à l’horizon d’hiver
Palais magique
Portière de lumière
Ouvrant à un temps légende
Paume teintée de henné
Le Paon surgit dans les Gémeaux
Queue arc-en-ciel déployée.
Jadis il y avait Dieu
Qui m’apparaissait au couchant
Comme un jardinier
Marchant à l’horizon rosé
Aspergeant un monde de jade.,,
Image exemplaire…
Mais l’enfant peintre
A été broyé par le temps,
Ahmed Abd al-Mu’ti Hegazi
Chevalet triste – ( RC )
peinture: Alice Rotival – Chinghetti 2012
C’est cet endroit
suspendu dans le temps
qui semble se refermer dans le sommeil ,
où la poussière se dépose
lentement
et finit par tout recouvrir .
L’atelier est désert
depuis la mort du peintre.
Il y a encore des tubes
aux couleurs incertaines .
Ils voisinent une palette éteinte,
quelques pinceaux raides,
et une ébauche qui attend depuis longtemps
sur ce chevalet triste .
Les odeurs de térébenthine
ne sont qu’un lointain soupir .
Vernis fossilisés,
essences évaporées,
tout est déserté ,
sauf les toiles d’araignées
ayant occulté complètement
les fenêtres de l’atelier .
Le deuil se pare d’un voile épais,
juste propice à l’attente .
Le silence même
est à l’image de ces insectes ,
desséché, vide de sa substance
prisonnier de l’immobilité .
Le sommeil de la peinture
aux gestes arrêtés, voué à l’éternité .
–
RC- juin 2019
voir aussi une parmi les nombreuses aquarelles de David Chauvin
Le peintre et son modèle – (Susanne Derève)

Éva Gonzalès – Le chignon
Ces roses compassées, les desseins de la chair
le matin qui pâlit aux entrées de l’hiver
Ce long sommeil sous votre peau
et cette nuit les oripeaux
que j’abandonne pour vous plaire
Ce plaisir près de la souffrance
et cet aiguillon de l’absence
Je vous espère
Ne laissez pas le jour effacer la pénombre
quand je vous rejoindrai
les parfums amassés adouciront les ombres
Je vous devinerai rien qu’avant de vous voir
abandonnée,
comme l’opale réfracte la lumière du soir
Serez-vous, alanguie,
et prendrez-vous la pose
Je suis le peintre au chevalet
Je suis celui qui ose
vous croquer dans le noir
Cette clarté laiteuse
de votre hanche entre les draps
le doux éclat de votre bas
jeté négligemment à terre
Ah de n’être pas Courbet
je désespère
Yves Bonnefoy (La chambre, le jardin I)
Chuta Kimura, Midi Provence, 1975
Cette chambre, fermée
Depuis avant le temps. Les meubles, le sommeil
Se parlent à voix basse. La lumière
Tend sa main à travers les vitres. D’un bleu éteint
Le vase qui s’éveille sur la table.
Peintre, tu es le seul, ayant souvenir,
A pouvoir aujourd’hui entrer ici.
Tu sais qui a lissé, dans l’éternel,
Le désordre des draps, les recouvrant
D’étoffes dont se fanent les images.
Entre,
Te souffle le silence que tu es,
Entre avec ce rouge vineux, cet ocre jaune,
Ce bleu d’autres années,
Fais qu’ils prennent la main de la lumière,
Qu’ils la guident ! Ils lui montrent les quelques fleurs
Dans l’or des feuilles sèches.
A son doigt, comme sa mémoire, cet anneau.
Tu vas rester ici, jusqu’à ce soir. C’est plus,
Peindre, que rendre vie, c’est donner être,
Même si impalpable, presque invisible
Cette main qui dans l’ombre prend la tienne.
Ensemble encore (Poèmes pour Truphémus)
MERCVRE DE FRANCE
Luis Aranha – Poème Pythagore 11
Après un tableau
Une sculpture
Après une sculpture
Un tableau
Anti-anatomique
Trait de vie sur une toile morte
Extravagant
Je voudrais être peintre !
J’ai dans mon tiroir des esquisses de bateaux
Je n’ai réussi que les marines
Nous sommes les primitifs d’une ère nouvelle
Egypte art synthétique
Mouvement
Excès de lignes
Bas-reliefs de Thèbes et de Memphis
Partir en Egypte
Comme Pythagore
Philosophe et géomètre
Astronome
Je découvrirais peut-être le théorème de l’hypothénuse et la table de multiplication
Je ne me rappelle plus
J’ai besoin de retourner à l’école
Le ciel est un grand tableau noir
Pour les enfants et pour les poètes
Circonférence
Le cercle de la lune
De Vénus je trace une tangente lumineuse qui va toucher quelque planète inconnue
Une ligne droite
Ensuite une perpendiculaire
Et une autre droite
Une sécante
Un secteur
Un segment
Comme la Terre qui est ronde et la lune une circonférence
il doit bien y avoir des planètes polyèdres des planètes coniques des planètes ovoïdes
Evoluant parallèlement elles ne se rencontrent jamais
Trapèzes de feu
Les astres décrivent dans le ciel des cercles des ellipses et des paraboles
Les ronds s’adossent les uns aux autres et tournent comme les roues dentées de machines
Je suis le centre
Autour de moi tournent les étoiles et voltigent les corps célestes
Toutes les planètes sont des ballons de baudruche colorés que je retiens par des ficelles entre mes mains
Je tiens dans mes mains le système planétaire
Et comme les étoiles filantes je change de place fréquemment
La lune pour auréole
Je suis crucifié sur la Croix du Sud
Avec dans le cœur
L’amour universel
Globules de feu
Il y a des astres tétraèdres hexaèdres octaèdres dodécaèdres et isocaèdres
Certains sont des globes de verre opaque avec des lumières à l’intérieur
Il y en a aussi de cylindriques
Les coniques unissent leurs pointes en tournant en sens contraire autour de l’axe commun
Prismes tronqués prismes obliques et parallélépipèdes lumineux
Les corps célestes sont d’immenses cristaux de roche colorés qui tournent dans tous les sens
La chevelure de Bérénice n’est pas une chevelure
Le Centaure n’est pas un centaure et le Cancer n’est pas un crabe
Musique colorée qui résonne dans mes oreilles de poète
Orchestre fantastique
Timbales
Les cymbales de la lune
Claquement des castagnettes des étoiles !
Elles tournent sans cesse
Furieusement
Il n’y a pas d’étoiles fixes
Les fuseaux filent
La voûte céleste est le hangar de zinc d’une usine immense
Et la laine des nuages passe dans l’engrenage
Trépidations
Mon cerveau et mon cœur piles électriques
Arcs voltaïques
Explosions
Combinaisons d’idées et réactions des sentiments
Le ciel est un vaste laboratoire de chimie avec cornues creusets tubes éprouvettes et tous les vases nécessaires
Qui m’empêcherait de croire que les astres sont des ballons de verre pleins de gaz légers qui se sont échappés par les fenêtres des laboratoires
Les chimistes sont tous des imbéciles
Ils n’ont découvert ni l’elixir de longue vie ni la pierre philosophale
Seuls les pyrotechniciens sont intelligents
Ils sont plus intelligents que les poètes car ils ont rempli le ciel de planètes nouvelles
Multicolores
Les astres explosent comme des grenades
Les noyaux tombent
D’autres montent de la terre et ont une vie éphémère
Astéroïdes astérisques
Fusées de larmes
Les comètes se désagrègent
Fin de leur existence
D’autres explosent comme des démons du Moyen Âge et des sorcières du Sabbat
Feux d’antimoine feux de Bengale
Moi aussi je me désagrégerai en larmes colorées le jour de ma mort
Mon cœur vaguera dans le ciel étoile filante ou bolide éteint comme maintenant il erre enflammé sur la terre Etoile intelligente étoile averroïste
Vertigineusement
En l’enroulant dans le fil de la Voie Lactée
J’ai jeté la toupie de la Terre
Et elle vrombit
Dans le mouvement perpétuel
Je vois tout
Bandes de couleurs
Mers
Montagnes
Forêts
Dans une vitesse prodigieuse
Toutes les couleurs superposées
Je suis seul
Grelottant
Debout sur la croûte refroidie
Il n’y a plus de végétation
Ni d’animaux
Comme les anciens je crois que la Terre est le centre
La Terre est une grande éponge qui s’imbibe des tristesses de l’univers
Mon cœur est une éponge qui absorbe toute la tristesse de la Terre
Bulles de savon !
Les télescopes pointent le ciel
Canons géants
De près
Je vois la lune
Accidents de la croûte refroidie
L’anneau d’Anaxagore
L’anneau de Pythagore
Volcans éteints
Près d’elle
Une pyramide phosphorescente
Pyramide d’Egypte qui est montée au ciel
Aujourd’hui elle est intégrée dans le système planétaire
Lumineuse
Son itinéraire calculé par tous les observatoires
Elle est montée quand la bibliothèque d’Alexandrie était un brasier illuminant le monde
Les crânes antiques éclatent dans les parchemins qui se consument
Pythagore l’a vue quand elle était encore sur terre Il a voyagé en Egypte
Il a vu le fleuve du Nil les crocodiles les papyrus et les embarcations de santal
Il a vu le sphynx les obélisques le temple de Karnak et le bœuf Apis
Il a vu la lune à l’intérieur du caveau où se trouvait le roi Amenemhat
Mais il n’a pas vu la bibliothèque d’Alexandrie ni les galères de Cléopâtre ni la domination anglaise
Maspero découvre des momies
Et moi je ne vois plus rien
Les nuages ont éteint ma géométrie céleste
Sur le tableau noir
Je ne vois plus la lune ni ma pyrotechnie planétaire
Une grande paupière bleue tremble dans le ciel et cligne
Un éclair farouche zèbre le ciel
Le baromètre annonce la pluie
Tous les observatoires communiquent entre eux par la télégraphie sans fil
Je ne pense plus car l’obscurité de la nuit tempétueuse pénètre en moi
Je ne peux plus mathématiser l’univers comme les pythagoriciens
Je suis seul
J’ai froid
Je ne peux écrire les vers dorés de Pythagore!…
Guy Goffette – Famine
Certains dimanches d’été, le ciel descend sur terre et tire au cordeau des routes pour les familles sans auto, les chevaux sans maître, les filles gommées des calepins.Sans bouger, chacun voyage à son rythme dans un pays rendu d’avance, jusqu’à ce que, le soir tombant, il faille se lever, rentrer le banc qui fraîchit, passer la barrière, le seuil, le jeu des ombres, son propre corps et retrouver enfin son visage dans la glace comme cette toile depuis des siècles dans la chambre du peintre.
Le comptable a fermé le dernier guichet tiré la grille et peut-être un instant pensé à devenir voleur, à céder au poids de la clé brûlante dans la poche tandis que le soleil aux plis de sa nuque verse la rouille des jours perdus à supputer la chance d’une fenêtre dans ces visages minés à contre-jour par la pioche infatigable du temps
Les villages de schiste sombre et froid laissent courir aussi des filles aux lèvres peintes et souvent le poing des vieux laboureurs s’écrase sur la table de l’unique bistrot élargissant d’un coup l’espace de l’attente où la lumière se rassemble, frileuse et comme prise au piège d’une lampe
mais il est midi à peine et dans la rue un chat guette une proie que personne ne voit
Derrière la haie le poste à transistors susurre le cauchemar de l’Histoire tandis que l’homme au bras huileux fend à la hache un bois récalcitrant dont le sang atteint le ciel au menton comme s’il voulait porter à notre place la croix alourdie du présent
La maison à veilleuse rouge dans l’impasse tu attendais de grandir, le cœur et les doigts tachés d’encre pour y chercher des roses
A présent qu’une route à quatre bandes la traverse tu es entré toi aussi sans savoir dans la file qui fait reculer l’horizon où cet enfant t’appelle qui n’a pas pu grandir portant jour après jour en ses mains sombres le bouquet rouge au fond du ciel que tu n’as pas cueilli
Comme le visage à vif du boxeur aveugle après la troisième chute tu n’entends plus les coups mais ton cœur entre ciel et terre qui répète sans se tromper le nombre exact
Le soir qui tombe sur tes épaules enfonce les clous un peu plus bas
Minée par quelle mer la ville puisque les taupes n’y harcèlent pas le printemps sans racines
Peut-être est-il venu le temps de croire que Jonas est vraiment sorti de la baleine et que c’est lui ce vide au carrefour que tous rejettent en accélérant
Les yeux jaunes des voitures le soir tu les voyais déjà, enfant détourer le pied des immeubles et tu faisais pareil à table avec la mer et les ciseaux dorés ajustant patiemment sous la lampe l’image à sa légende obscure.
A présent tu sais lire et tiens ferme la barre de ta fenêtre sur le monde où les immeubles s’écroulent l’un après l’autre dans l’incendie découvrant peu à peu la ligne sous laquelle il te faudra descendre descendre encore, paupières closes, pour joindre les bords extrêmes de ta vie.
peinture edw Hopper
Lui qui avance les mains nues les paupières scellées sur la scène déserte et sous les projecteurs le temps ne l’arrête pas ni le vide, il marche depuis des siècles vers un mur connu de lui seul comme l’arbre qu’un ciel obstiné tire vers l’horizon et s’il s’écarte parfois c’est pour laisser à sa place une fenêtre ouverte où quelqu’un appelle invisible et chacun croit l’entendre dans sa langue
La nuit peut bien fermer la mer dans les miroirs : les fêtes sont finies le sang seul continue de mûrir dans l’ombre qui arrondit la terre comme ce grain de raisin noir oublié dans la chambre de l’œil qu’un aigle déchirant la toile enfonce dans la gorge du temps
La nuit a volé son unique lampe à la cuisine piégé dans la vitre celui qui se tait debout dans la tourbe des mots
Il brûle à feu très doux l’obscure enveloppe du silence (comme ces collines sous la cendre réchauffent l’aube de leur mufle) et pour la première fois peut-être son visage d’ombre est toute la lumière et parle pour lui seul.
Un peu du plâtras des murs rien qu’un peu et rendre à la jeune putain son sourire de vierge
(Aimer ô l’infinitif amer dans la nuit des statues et dans le jour qu’écorchent les bouchers)
Visage impossible à saisir avec ce ciel collé au bout des doigts quand la femme unique sur toutes les fenêtres aveugles de la terre roule des hanches et passe .
Ce peu de mots ajustés aux choses de toujours ce questionnement sans fin des gosses dans la journée ces silences plus longs maintenant, à l’approche du soir comme le soleil traversant la chambre vide sur des patins,
tout cela qui se perd entre les lames du parquet, les pas, les rides a fini par tisser la toile inaccessible qui drape chacun des gestes du vieux couple lui donne cet air absent des statues prenant le frais dans la cour du musée
et nul ne voit leurs ombres se confondre enjamber le haut mur du temps mais seulement l’échelle aux pieds de la nuit l’échelle sans barreaux ni montants d’une vie petite arrivée à son terme.
Imaginons les Ménines – ( RC )
Peinture: D Velasquez – las Meninas – partie gauche
C’est une salle assez obscure,
qui sert d’atelier ;
en tout cas, on n’identifie pas
la source de lumière,
ni ce que le peintre esquisse,
puisqu’il est de face.
De la toile, juste le chassis,
de dos, posée sur un lourd chevalet.
Autour de lui, gravitent ses modèles,
assemblés comme pour la parade .
L’infante Marie- Thérèse ,
en robe bouffante .
Elle est entourée de ses serviteurs
aussi en habits d’époque
dans un ballet immobile.
Le chien allongé ne semble pas concerné.
Ils nous font face,
étonnés de notre regard,
entrant comme par effraction,
alors qu’au même moment,
une échappée se dessine,
un personnage ouvre une porte,
et franchit quelques marches,
au fond de la salle…,
Parallèlement à cette ouverture,
si on observe bien,
un léger reflet,
renvoie , avec le miroir,
l’image du couple royal,
comme si la vision que l’on a
de cette scène était celle,
captée par leurs yeux.
L’artiste poursuit son travail .
Il est masqué en partie
par la peinture,
et rajoute un détail.
C’est peut-être nous,
qu’il inclut dans la scène,
traversant les siècles
pour y entrer de plein pied !
De celle-ci, on ne saura jamais rien,
car il faudrait un autre miroir,
pour jouer la mise en abîme…
….. et Vélasquez ne l’a pas encore peint…
–
RC – mai 2017
Mokhtar El Amraoui – Miroirs
A ces songes de la mer dont les vagues colportent la rumeur
Ô miroirs !
Engloutissez, donc, ma mémoire,
Dans vos veines de tain et de lumière.
Là-bas,
Dans le jardin des échos,
Arrosé des plaintes des vagues,
Je dévalerai la plaine de l’oubli
Où j’ai laissé fleurir un coquelicot,
Pour ma muse
Qu’un peintre agonisant a étranglée.
D’elle, me parvient
Le parfum ensanglanté
De toiles inachevées.
C’est dans le lait de ses rêves
Qu’ont fleuri le cube et la sphère.
Ô interstices du monde !
Laissez-moi donc percer
Ses inaudibles secrets !
©Mokhtar El Amraoui
Jérôme Lhuillier – La pie et le gibet
P Brueghel: La pie et le gibet
–
Autour du portique vide d’un gibet
une pie glousse sur la traverse
des paysans ameutés par un joueur
de cornemuse dansent une joyeuse
Ronde et des Privatdozenten dagues
à la ceinture regardent la cigogne
Une croix de bois déjetée s’accroche
à ce coteau un crâne de bœuf
en ronge la glaise entre les ramages
le cours sinueux d’un fleuve porte
Une eau verte qui finit de jaunir
à son embouchure loin une cité
liquéfaction de trésor Bruegel
Le peintre a choisi un homme
qui chie courbé entre des racines
au départ de l’oblique majeure
de son tableau Grand Testament
Camille Loty Malebranche – Van Gogh
V G : champ aux fleurs de maïs
Van Gogh,
Tel le champ de blé aux corbeaux,
Tu es une lande, une source dont je voudrais être l’oiseau ivre.
Et, comme le peintre excentrique, je t’offrirais volontiers mon esgourde
Pour savourer ta voix d’éther, rubis de sang,
Sève-brise de ma verdeur de Myrte multicolore,
Ta voix ! Refuge contre les loups anthropomorphes !
Au bord de l’aquarelle – (RC )

aquarelle: William Turner – Venise
–
Les couleurs transparentes se posent,
Et laissent les reflets en papier blanc,
Il faut les contourner,
Pour que la caresse de l’éclat
De la lumière,
Prenne tout son sens,
Et que le ciel éblouissant,
Se tienne à distance,
Des eaux tranquilles,
Et des palais de Venise.
Le coeur se serrerait
A oublier ce paysage,
Saisi dans un instant,
D’un crépuscule,
D’un soleil sanglant.
Et le vent,
Echappé d’une bouche noire
Resterait palpable,
Presque,
Au dessus des navires,
Approchant du port…
Chaque détail, accrochant la lumière,
Reste ici, inscrit
Il traverse notre regard,
Comme celui du peintre,
Et nous parvient dans une aube nouvelle,
Un coin de la mémoire,
Une vague suspendue,
L’ombre des pins,
Superposée à elle-même,
Lovée dans le perpétuel
Mouvement du temps …
…Au bord de l’aquarelle.
–
RC- janvier 2014

aquarelle John Singer Sargent – Venise: Ponte San Giuseppe di Castello 1903
Luis Cernuda – Portrait de poète

peinture: Ramon Gaya – l’enfant de Vallecas, ( d’après Velasquez) — huile sur toile, 1987 Musée de Murcie
Portrait de poète
À Ramón Gaya
–
Te voilà toi aussi, mon frère, mon ami,
Mon maître, dans ces limbes ? Comme moi
Qui t’y a conduit ? La folie des nôtres
Qui est la nôtre ? L’appât du gain de ceux qui
Vendant le patrimoine hérité et non gagné, ne savent
L’aimer ? Tu ne peux me parler, et moi je peux
Parler à peine. Mais tes yeux me fixent
Comme s’ils m’invitaient à voir une pensée.
Et je pense. Tu regardes au loin. Tu contemples
Ce temps-là arrêté, ce qui alors
Existait, quand le peintre s’interrompt
Et te laisse paisible à regarder ton monde
A la fenêtre : ce paysage brutal
De rocs et de chênes, tout entier vert et brun,
Avec, dans le lointain, le contraste du bleu,
D’un contour si précis qu’il en paraît plus triste.
C’est cette terre que tu regardes, cette cité,
Ces gens d’alors. Tu regardes le tourbillon
Brillant de velours, de soie, de métaux
Et d’émaux, de plumages, de dentelles,
Leur désordre dans l’air, comme à midi
L’aile affolée. Voilà pourquoi tes yeux
Ont ce regard, nostalgique, indulgent.
L’instinct te dit que cette vie d’orgueil
Élève la parole. La parole y est plus pleine,
Plus riche, et brûle pareille à d’autres joyaux,
D’autres épées, croisant leurs éclats et leurs lames
Sur les champs imprégnés de couchant et de sang,
Dans la nuit enflammée, au rythme de la fête,
De la prière dans la nef. Cette parole dont tu connais,
Par le vers et le dialogue, le pouvoir et le sortilège.
Cette parole aimée de toi, en subjuguant
La multitude altière, lui rappelle
Que notre foi est tournée vers les choses
Non plus perçues au dehors par les yeux
Quoique si claires au dedans pour nos âmes ;
Les choses mêmes qui portent ta vie,
Comme cette terre, ses chênes, ses rochers,
Que tu es là, à regarder paisiblement.
Je ne les vois plus, et c’est à peine si à présent
J’écoute grâce à toi leur écho assoupi
Qui une fois de plus veut resurgir
En quête d’air. Dans les nids d’autrefois
Il n’y a pas d’oiseaux, mon ami. Pardonne et comprends ;
Nous sommes si accablés que la foi même nous manque.
Tu me fixes, et tes lèvres, en leur pause méditative,
Dévorent silencieuses les paroles amères.
Dis-moi. Dis-moi. Non ces choses amères, mais subtiles
Profondes, tendres, celles que jamais n’entend
Mon oreille. Comme une conque vide
Mon oreille garde longtemps la nostalgie
De son monde englouti. Me voilà seul,
Plus même que tu ne l’es, mon frère et mon maître,
Mon absence dans la tienne cherche un accord,
Comme la vague dans la vague. Dis-moi, mon ami.
Te souviens-tu ? Dans quelles peurs avez-vous laissé
L’harmonieux accent ? T’en souviens-tu ?
Cet oiseau qui était le tien souffrait
De la même passion qui me conduit ici
Face à toi. Et bien que je sois rivé
À une prison moins sainte que la sienne,
Le vent me sollicite encore, un vent,
Le nôtre, qui fit vivre nos paroles.
Mon ami, mon ami, tu ne me parles pas.
Assis, paisible, en ton élégant abandon,
Ta main délicate marquant du doigt
Le passage d’un livre, droit, comme à l’écoute
Du dialogue un moment interrompu,
Tu fixes ton monde et tu vis dans ton monde.
L’absence ne t’atteint pas, tu ne la sens pas ;
Mais l’éprouvant pour toi et moi, je la déplore.
Le nord nous dévore, captifs de ce pays,
Forteresse de l’ennui affairé,
Où ne circulent que des ombres d’hommes,
Et parmi elles mon ombre, oisive pourtant,
Et en son oisiveté, dérision amère
De notre sort. Tu as vécu ton temps,
Avec cette autre vie que t’insuffle le peintre,
Tu existes aujourd’hui. Et moi, je vis le mien ?
Moi ? Le léger et vivant instrument,
L’écho ici de toutes nos tristesses.
–
Louis Cernuda
–
Que faire des idées qui encombrent ? ( RC )

peinture : Paul Klee – maisons rouges et amaryllis – Tunis 1914
–
Que faire des idées qui encombrent ?
En venir en tableau blanc…
où tout est à inventer.
à construire le réel au souffle de la couleur,
ce qui n’est pas tout à fait la réalité,
puisque je l’ai inventée…
L’innomable a suivi :
On peut saisir et toucher de la main
ce qui n’existait pas , un instant avant
des calligraphies jetées sur le papier
à la douceur des peaux de marbre,
creusées dans le bloc brut de carrière…
Que faire des images qui encombrent ?
Avec le tableau vierge ?
c’est ré-inventer le langage d’origine
et le chercher là – où personne ne l’a entendu –
La réalité inventée
celle des tableaux de Klee
celle d’un intérieur enfoui quelque part
qui soudain se donne à voir
———– sans jouer au miroir…
Tout est fiction peut-être
et, qui ouvre la fenêtre
met au jour l’esprit de l’enfance,
s’aventure sans méfiance .
.. Si c’est musique , – des accords inouïs…
Pour les artistes , aucun mot ne traduit
l’invisible devenu visible, et si oui,
résumer que le peintre a jouï,
rejetant dans les étoiles
et la culture et les idées bancales.
C’est une fiction, peut-être,
en nous portant, pourtant, elle nous fait renaître..
Et s’il est question d’écrire,
je laisse les mots advenir
avancer, reculer, avancer,
—– et enfin nous bousculer..
–
RC – St Louis – 25 février 2013 —
–
Christian Bobin – un peintre
« Un peintre c’est quelqu’un
qui essuie la vitre
entre le monde et nous
avec de la lumière,
avec un chiffon de lumière
imbibé de silence. »
extrait de « l’inespérée. »
Jean-Marc La Frenière – Difficile
Après mon post « facile »… , voila l’inverse
Difficile
Difficile d’aimer l’homme en treillis de combat, la fillette en poupée, le môme qui fait l’homme. Difficile d’aimer l’homme quand il compte ses sous, tuant l’air qu’il respire, saccageant la forêt, affamant l’océan, mettant l’espace en carte et l’espérance en berne.
Difficile d’aimer l’homme quand il lance des pierres au lieu de caresser, transformant la terre des ancêtres en cimetière d’autos, l’œuf de Colomb en grippe aviaire, l’herbe folle en vache folle et les bonhommes de neige en oxyde de carbone.
Difficile d’aimer la femme grimpant l’échelle sociale sur la hauteur des talons et l’échelle d’un bas, transformant la caresse en argent, le cœur qui pique en château de cartes et le sexe en tirelire.
Difficile d’aimer l’acteur quand il renie Gauvreau pour jouer le bleuet dans un bol de céréales, le peintre quand il peint avec un signe de piastre. Difficile d’aimer Dieu transformant l’air en or, la prière en pétrole, la sourate en diktat, l’espérance en djihad, la caresse en enfer, le visage en burqua, le missel en mitraille et la marelle en roulette russe. Le temps se perd dans le zapping, l’espace dans le zoom.
La force de la poésie est dans sa liberté. Elle préfère les faux pas aux bêlements des foules. Enfant impitoyable, sa rectitude se tient debout entre ses lignes, loin des lignes de parti, des lignes éditoriales, des lignes de montage, des lignes blanches et des colonnes de chiffres. L’âme est trop grande pour le corps. Le ciel doit descendre manger les pissenlits par la racine.
–
Seiches, encres et oursins (RC)
Quand les sèches encraient au fond du sablier,
Il ne leur suffisait que du temps à étirer,
Pour que se liquéfient leurs rires.
Accompagnées des oursins
Dans le petit bassin.
Pour que, le peintre ,d’un geste se mette à les écrire.
—

Picasso seiches et oursins
en liaison avec le souvenir des toiles de Picasso au musée d’Antibes: plusieurs toiles comportant des seiches et des oursins ( au moins quatre à ma connaissance)

Peinture: P Picasso Nature morte au panier, aux trois oursins, à la lampe
Hommage à Claude Monet ( RC)
Harpe d’herbe,
ainsi chatoient les doigts du vent dans le blé
Harpe de couleurs
ainsi se posent les reflets en pâte
Harpe d’émotions
ainsi se lisent les doigts du peintre.
Qui montre avec le simple ce qu’on ne voit
que par ses yeux.
—
RC 29 fev 2012
—
Jean-Pierre Duprey – IL Y A DE LA MORT DANS L’AIR
IL Y A DE LA MORT DANS L’AIR
Mon pays navigue sur un fond de mer
Je me promène dans ses jeux de vagues Sur les larmes éclatées
Les églantines sont des pirogues de verre
Mon pays est un vaisseau parti pour les étoiles
Le sang dedans maraude comme une folle
Paysage nivelé à zéro
II y a de la mort dans l’air
Mon pays est un vieux banjo de sanglots
On y joue des larmes très méchantes
Un grand poids pèse sur notre terre
II y a de la mort dans l’air
Au bout du ciel une plage de cristal
Sur un fond de mer s’affirme un pays de sang
Tout autour la boue rougie
Les plus belles morts sont de verre
A minuit sonnant, un vaisseau de marbre entra dans le port,
l’appel de ses sirènes répercuté par toutes les cloches d’alentour devint comme une révélation pour l’esprit du vagabond. On vit sortir des squelettes bancals portant l’insigne des pirates
d’Epinal. Des têtes armées de visières, des pieds torturés, des mains, des yeux sans propriétaire, les suivaient, innombrables petits chiens. Les araignées conquérantes occupèrent immédiatement la rade et pendant qu’ils pillaient les magasins, on leur construisit des baraquements de toile. Les peintres appelés en hâte teignirent en rouge les voiles décolorées du navire de marbre ; ce qui prouve que la mort va jusqu’aux pierres.
14 mars 1946