Un escalier vers l’infini ( RC )
Installation : David McCracken
-
Je ne sais combien de marches il faut
pour gravir l’infini.
On dira qu’il y a le temps,
puisqu’on nous a promis
l’accès au paradis :
Il y a une contrepartie :
On ne peut y accéder qu’après
avoir laissé son corps
au magasin des antiquités ,
ceci dit on est beaucoup plus léger
et on ne compte plus ses efforts
pour emprunter l’escalier
qui a necessité d’abord
je ne sais combien
de menuisiers.
Au début on est très nombreux
à vouloir accéder à l’infini
que certains appellent
le Royaume des cieux
mais certains s’impatientent
ils trouvent la progression trop lente
– ( étant pris de doute
sur la destination de la route ,
et pourquoi cette pente ).
Bien entendu pour accéder au ciel
il faut penser à l’essentiel,
non pas au monotone :
et comme pas mal abandonnent
– ont-ils perdu la foi ?
– pourtant ils ne portent pas de croix !
Toujours est-il que , sur les inscrits
les candidats se raréfient,
c’est ce qui explique,
en toute logique
que l’escalier se rétrécit .
La progression est plus facile,
quand la population est divisée par mille,
– où sont passés les autres encore
– ça je l’ignore
car ils ne visent pas le haut.
-
Comme dans les jeux vidéo
ils sont bloqués au niveau inférieur
et pour leur plus grand malheur
ne disposent pas de vie de rechange,
de quelque astuce ou ficelle
( ni de l’aide des anges
qui ne prêtent pas leurs ailes ).
Et puis — est-ce une vision d’optique,
correspondant aux mathématiques :
les côtés de l’escalier
sont difficiles à mesurer :
la vie éternelle
ne tient pas compte des parallèles :
ne vous inquiétez pas pour autant:
comme je l’ai dit : vous avez tout votre temps
déjà vous avez dépassé les nuages
vous êtes sur le bon chemin
à cheval sur votre destin
n’oubliez pas vos prières,
ne croyez pas aux chimères
ne regardez pas en bas
– Attention au vertige !
Progressez comme ça :
c’est déjà un prodige
d’avoir quitté la terre
Comment, vous ne voyez toujours rien ?
Ah , mais tous les paroissiens
qui entreprennent ce voyage
clés en mains
ne peuvent tirer avantage
de rencontrer les saints
enfin pas tout de suite :
la visite, certes, ….est gratuite,
mais de ce belvédère
il est difficile de voir St Pierre :
Ce n’est pas un défaut de vision,
mais cela doit beaucoup aux conditions
atmosphériques : même avec un guide
c’est encore Dieu qui décide,
et ses desseins son impénétrables…
Comment ça, c’est discutable ?
Si vous avez une réclamation à faire
après votre grimpette
adressez-vous au secrétaire
qui examinera votre requête…
–
RC – janv 2017
Confrontés à la matière, même… – ( RC )

photo Martin Pierre – falaises du Vercors
Confronté à la matière même,
il y a toujours cette opposition,
ce défi qu’elle nous propose,
en particulier quand les dimensions font,
qu’il s’agit d’un obstacle.
Comment traverser l’obstacle,
comment s’y appuyer,
le palper, en jouer , comment en tirer parti,
pour essayer de surpasser ses propres limites
( les nôtres et les siennes ).
Mais la matière est.
Elle s’impose.
Elle n’est jamais vaincue,
De par sa continuité, son existence,
de son inertie même.
Qui , des navigateurs, se sont risqués sur la mer ,
en tablant sur des vents calmes,
des oracles favorables,
n’ont pas oublié les dangers qu’elle recèle,
et leur sillage n’a pas laissé d’empreinte .
Quand je vois le trapèze hautain de la montagne,
sa face bleutée parcourue d’ombres,
striée de troncs d’arbres,
la pente est toujours là . Elle s’oppose de le même façon,
même si je l’ai franchie hier .
Quand j’établis un itinéraire sur la carte,
je sais que des détours s’imposent,
qu’il me faudra contourner les précipices,
et emprunter obligatoirement, les quelques ponts
jetés au-dessus de la rivière.
Supposons que je doive franchir un désert,
c’est toute une stratégie à mettre en place,
pour qu’on puisse s’assurer de subsister
matériellement, pas seulement question climat,
mais en anticipant sur l’imprévisible…
Quelles que soient les heures et moments,
ce qui a été hier, est encore là aujourd’hui.
Ce n’est pas une vue de l’esprit,
Et justement, par son essence même,
la matière impose sa masse par rapport à l’abstraction.
C’est un corps, un vrai corps,…. sur lequel on habite.
Il se manifeste de toutes façons,
Même de la façon la moins perceptible
Comme s’il déguisait, selon les circonstances,
Sa façon d’être…
Il affirme obstinément sa présence.
Ce corps est matière, et se rappelle à nous.
C’est en quelque sorte une partie de notre existence .
–
RC- juin 2015
( texte né de la confrontation avec des écrits de Claude Dourguin, dont voici deux courts extraits ).
—
Les pins reviennent, clairsemés, avec leurs branches irrégulières, mal fournies, leur port un peu bancal qui
témoigne assez de ce qu’ils endurent. Nul tragique, pourtant, ne marque le paysage, entre conte et épopée
plutôt la singularité des lieux soumis à des lois moins communes que les nôtres, obligés à un autre ordre.
Chaque arbre tient à son pied, qui s’allonge démesurée et filiforme son ombre claire, grise sur la neige. Ces grands peuplements muets et fragiles d’ombres légères comme des esprits, le voyageur septentrional les connaît bien, une affection le lie à eux. Il traverse sans bruit leur lignes immatérielles dans le souvenir vague, qui les fait éprouver importunes, grossières, de la densité, de la fraîcheur, de l’odeur terrestre ailleurs, sur quelque planète perdue.
–
La contemplation de la montagne implique une intériorité plus grande que celle de la mer…. /…
C’est toute une trame narrative, avec ses anecdotes en sus, le passage d’un bateau de pêche, l’apparition d’une voile là-bas, le train des nuages au ciel, qui se met en place. La montagne, elle, souvent déserte, immobile ne connaît que les modifications de la lumière, beaucoup moins rapides sous les climats qui sont les siens.
Théo Léger – Perdu dans la Montagne un soir de novembre
Perdu dans la Montagne un soir de novembre
Amples demeures des morts. La sourde. L’endormie.
J’entends se déchirer la caresse des branches
contre sa pierre énorme
j’entends la violente larme des torrents.
Je rôde sur une rive de fumée.
J’éveille une barque l’eau neutre les roseaux.
Je trouble à peine leur silence.
Je passe et ne laisse aucune ombre.
Chemin perdu, j’appelle.
A peine un écho me répond
un vent d’hiver.
Où sont les anciens voyageurs ?
Où sont mes camarades mes frères ?
Où sont ils ?
Soupir innombrable des pins contre une pente obscure.
–
–
Alda Merini – Cette heure qui me sépare de l’infâme aurore
Terminé enfin cet enfer,
depuis longtemps déjà, désormais c’est printemps :
l’ordre juste
du sommeil remonte le long de mes chevilles
frappe ma tête comme un tonnerre.
Enfin la paix,
mes flancs et mon esprit vaincus,
et moi qui repose précise sur les pentes
de mon destin du moins pour cette heure
qui me sépare de l’infâme aurore.
–
Cessato è finalmente questo inferno,
già da gran tempo, ormai la primavera:
l’indole giusta
del sonno mi risale le caviglie
mi colpisce la testa come un tuono.
Finalmente la pace,
i miei fianchi e la mia mente vinta,
ed io riposo giusta sui declivi
della mia sorte almeno per quell’ora
che mi divide dall’infame aurora.
–
La terra santa, Scheiwiller, 1984
–
Oslo Deauville Ailleurs mathématiques – 2 voix
–
Oslo Deauville Ailleurs mathématiques – 2 voix
Cette bouche (close):
un son (antérieur) peut-être.
Sur cette pente,
sur ces mains,
un corps dans un temps qui se meurt.
Il coule dans l’interstice de nos visions,
exulte de lenteur.
(Problème)
Sachant que nous sommes ici,
(si)tue moi dans cet espace aux prismes (in)définis,
à la croisée des champs audibles.
(Démonstration) le v(i)oleur ne veut plus de moi.
Un corps (en dé)coule, une inclinaison.
Il (dé)laisse ma personne vidée de tout bruit,
sur cette pente, ailleurs.
(Réponse)
Je suis ailleurs
–
publié par le collectif dixit:
–
Antimatière ( RC )

Représentation d’un espace stellaire avec trou noir
Je vais suivre la piste aux étoiles
C’est un numéro d’équilibriste,
le vent du dehors, soulève les voiles
Il y a un ciel rose et améthyste
Qui se fronce et puis soupire
Sous la robe d’aurore boréale,
C’est un clin d’oeil en devenir,
Le tout, bordé de sépales
A l’aventure de cet espace
Je me projette …. dans cette antimatière,
pour y faire ma place,
J’emprunte une courbe altière,
Et, perdant ma pesanteur, je suis aspiré
Par la bouche d’ombre d’un astre noir,
Invisible dans l’espace, elle cueille les égarés
Et ceux qui y sont, – ne peuvent y voir
L’attraction céleste est si puissante
Que j’en perds mes esprits en chemin,
Rien ne freine dans cette pente glissante,
Même en jouant des pieds et des mains,
je suis à la merci d’une petite planète
Et quant à parier sur mon sort,
Dressé dans la tempête,
On me donne déjà pour mort…
–
RC – 29 octobre 2012
–
Mémoire debout ( RC )
C’est une pierre
Qui s’endort
Sous le soleil
Lourde de mémoire
Ce sont des hommes
Qui la réveillent
Et la charrient
Contre les pentes
C’est une pierre,
Un esprit, une sentinelle
Qui est dressée, solitaire
Contre le vent
C’est une énigme
Sa présence, jetant un défi
A la physique de Newton
Mais tu t’endors,
A son ombre, et à la tienne
Les papillons se posent
Comme ils se sont posés
Sur le menhir dressé
Juste à côté.
RC – 15 Juillet 2012
–
Les gourmandises de Wayne Thiebaud ( RC)
Les écrits qui me touchent s’accompagnent volontiers de parcours en art. Je suis très attaché à l’expressionisme abstrait, mais aussi à certaines figures du pop américain ( Oldenburg, Larry Rivers….)
j’ai choisi aujourd’hui de composer « en direct », par rapport à des oeuvres de l’artiste peu connu -pour nous, européens -, mais aux délicieuses idées: Wayne Thiebaud
—
Les vitrines des boutiques
Sont toujours prolifiques
En notre période d’abondance
Se préparent fêtes et bombances
Dindes et marrons glacés
Sucreries malaxées
Des gâteaux, la pente
Suivent, dégoulinantes
Confitures et glaces
Appâts de la face
Beurres et crèmes
Parcours d’érythèmes
Cependant que famine
Résidus et vermine
Sont ce qui reste
De la fête indigeste
A ceux du désespoir
Dont vitrines font miroir
Du visage en creux
Des plus miséreux
Les couleurs bien tentantes
Des pâtisseries fondantes
Où le ventre se vautre
Seront pour les autres.
—
17 dec 2011
- peinture : Wayne Thiebaud – les pots peints 1990