L’atelier de réparation n’a rien pu pour l’image: c’est vers l’horizon que l’on va sans dommage. ( J’ai juste repeint le fond en cherchant la couleur qu’il faut, sans tenir compte des nuages…) Il faut dire que la taille du pinceau ne permettait pas de faire des ronds
– même l’eau est restée grise en bordure de plage, comme si elle était prise par le gel des sels d’argent -.
L’essentiel est sauvé, car les petits personnages semblent avoir traversé le temps et sont sortis de l’oubli: ils marchent à petits pas, bientôt , seront à côté de toi… tu vas pouvoir leur décrire ce qu’est devenue ta vie après quelques décennies;
peut-être qu’ils vont rire de leur rêve en couleur pastel: ils ont oublié que la photographie toujours leur rappelle quelques souvenirs parce que leurs émotions sont enfouies dans le passé : l’atelier de réparation ne les a donc pas effacées…
Ici, le récit prend une autre tournure: il y a des êtres qui prennent consistance, quand les pages se tournent . L’auteur sait faire s’agiter les lignes imprimées, et, au fil des chapitres, les personnages apparaissent.
Ils commencent à vivre, répondent aux situations. Leur caractère se dessine, se précise, et on ne serait pas surpris de les reconnaître, si un film s’emparait du scénario. Ils seraient animés » pour de vrai », mais nous seraient déjà familiers .
Nous les avons déjà rencontrés. Ils dessinent leur contour flou à l’intérieur même du livre et peut-être ne demandent-ils qu’à en sortir. Le font-ils ? et à l’insu de l’auteur ?
Il est difficile de le savoir, car, s’ils le font, c’est quand nous dormons, et ils s’emparent de nos rêves pour les transformer à leur guise. C’est pour cela qu’à notre réveil l’oubli passant au-dessus, nous ne remarquons rien.
Je me rappelle toutefois, qu’un jour des personnages que l’on croyait fictifs, soumis au rang modeste de créatures de papier ont réellement demandé à être reçus par l’auteur les ayant négligés.
C’étaient des gens bien ordinaires, certes au profil un peu plat ( pouvant rentrer sans dommage dans les livres), mais qui étaient parvenus à grignoter ceux-ci de l’intérieur… survivant , en se nourrissant du récit même qui n’avait pas trouvé de conclusion.
Bien entendu, c’est une affaire qui a fait grand bruit, et un dramaturge assez connu a exploité ce fait divers pour prétendre leur trouver un autre auteur, et, par là même les intégrer dans sa pièce ( une pièce qui était toujours en construction… – ou plutôt qu’il n’arrivait pas à terminer )…
On peut imaginer le décor classique d’une pièce de théâtre de boulevard: un buffet, un canapé, une bibliothèque une table où l’on a disposé des assiettes, et surtout des portes où les comédiens peuvent passer selon les scènes de côté cour à jardin ( et inversement ).
Ce qu’on sait moins, c’est qu’une fois nos personnages « concrétisés » pour jouer leur propre rôle dans la pièce – qui n’était pas encore faite – n’ont pas tardé à se trouver dans la même situation que celle du livre dont ils étaient sortis.
A la première: beaucoup de monde voulut assister , cette représentation des « six personnages en quête d’auteur » ( on allait enfin savoir le fin mot de l’histoire ! ). Au lever de rideau on ne s’attendait tout de même pas à ce que le décor soit entièrement grignoté par les personnages.
Eux-même avaient disparu dans un grand trou qu’ils sont arrivés à creuser dans le plateau. On ne les a jamais retrouvés. Peut-être hantent-ils les rues, les gares ou les ministères ou sont-ils aller habiter jusque dans nos esprits ? –