Joan Margarit – je ne referme pas la porte
peinture: Philip Guston
J’entends frapper à la porte et je vais ouvrir,
mais il n’y a personne.
Je pense à ceux que j’aime et qui ne reviendront pas.
Je ne referme pas. Je souhaite la bienvenue.
La main sur le cadre, j’attends.
La vie s’est appuyée sur la douleur
comme les maisons sur leurs fondations.
Et je sais pour qui je m’attarde,
pour qui je laisse une lumière accueillante
dans la rue déserte.
Risquer de ne pas se perdre
photo extraite de MaryAnn Camps blog
Je viens d’entendre à la radio une belle sentence paraît-il d’origine indienne…
ne demande ton chemin à personne,
tu risquerais de ne pas te perdre…
installation – sculpture: Richard Serra San Francisco Museum of Art
Anna Jouy – Journal sous étreinte 13

art: Ben Vautier; J’ai des trous de mémoire 1985
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rendez-vous devant le miroir. me rappelle plus qui je suis. comme un trou de mémoire. et devant personne. période amnésique, comme j’ai eu ma glacière, mes réchauffements de climat… une strate de sables de plus sur le tumulus.
il y avait quelqu’un là dessous? une enfant peut-être ou alors une vieille âme, que sais-je? on m’annonce des temps très solitaires. faire un diamant dans le cercueil, chier de la nacre autour des blessures, sceller d’ambre la mouche charognarde. tout cela demande de pratiquer la reptation intense, l’enroulement en coquille, le ratatinement quoi.
c’est pour cela sans doute que mes facultés mnésiques se font la malle. et que percevant cette image dans la glace, je me demande inquiète d’où viennent ou reviennent ces traits ?
la souffrance appartient à d’autres. ils la vivent. moi je me dépouille de mes sens, je les jette par- dessus bord ou les concasse jusqu’à l’obtention du caillou. me reste juste l’esprit. comme une manivelle qui tourne. tu penses trop.
Ticket pour un monde meilleur – ( RC )
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Il faut entrer à pas feutrés,
Ne pas faire craquer
Les marches d’escalier,
Nous n’avons pas de ticket …
L’entrée est surveillée
Par des hommes aux aguets.
Dans ce monde meilleur,
Pas de resquilleurs !
On les dit , de confiance,
Des sortes de cerbères,
Marqués d’arrogance.
On y voit Saint-Pierre,
C’est le gars musclé,
Une sorte de magicien,
Celui qui a les clefs,
( c’est lui le gardien),
Voyez comme qu’il se morfond !
Il prend racine comme l’arbre,
Les yeux au plafond,
Dans sa robe de marbre,
Dressé contre une colonne,
Pour y prendre appui,
Faut dire qu’il n’a vu personne,
Et cultive son ennui.
Et il y a Saint Paul,
Posé tout de guingois,
Dressé sur ses guiboles,
A lire le mode d’emploi,
Du parfait prieur,
Réglant les destinées,
( à apprendre par coeur),
Cà, vous l’aviez deviné…
N’étant pas très concentrés,
Sur leur mission,
On voit au fond, l’entrée,
– ce qu’on appelle une omission –
Et personne pour donner l’alerte,
…..Je vous assure
Que la porte est grande ouverte,
Les clefs ne rentrent pas dans la serrure,
Entre la foi et le doute,
Il y a si longtemps,
Que nous sommes en route,
Personne ne nous attend,
Après ce long voyage,
Qui nous aurait dit,
Qu’après ce carrelage,
S’ouvrait le paradis ?
C’est peut-être bizarre,
Mais, au terme de notre mission,
– c’est sans doute dû à notre retard –
J’ai une drôle d’impression…
Non mais sans déconner,
On ne voit pas de nonnes,
Cet endroit est-il abandonné ?
On ne voit personne …
Nous sommes les heureux élus,
…. Pas de remords…
On entre ici, et on ne sort plus,
Ce qui se passe dehors,
Maintenant, on s’en fiche !
Vois donc les statufiés,
Collés dans leur niche,
( Que leur nom soit sanctifié !).
Bon, ça manque de confort….
Je verrais bien un peu d’rénovation,
Le ménage n’est pas leur fort..
Les saints manquent d’ambition.
Faut dire que les prières,
Les ont un peu éloignés,
Des choses de la terre,
Ce qui plaît bien aux araignées.
Ou, je sais, c’est un détail,
Il faut pas trop s’en faire,
Les pieds en éventail…
Déjà nous avons évité l’enfer,
Et nos gardiens, même avec des habits mités,
Ou vieux comme ceux d’Hérode,
On voit qu’ils sont ici, pour l’éternité,
Avec leur tenue passée de mode.
Maintenant, dans ce lieu,
Qui ressemble à un couvent,
On dit …..que c’est la maison de Dieu,
On va le croiser – c’est pas si souvent …!
Nous en sommes déjà fiers,
Cela nous conviendrait
Même à se laisser couvrir de poussière,
Dans le file d’attente, s’il faut un ticket .
–
RC- sept 2014
Les vertus du nettoyage – ( RC )

installation: Jean-Pierre Reynaud
La clarté du carrelage heurte les murs.
Une lumière stridente chute en cascade des immeubles voisins.
Reflets des vitres rapprochées des bureaux d’affaires.
Intempestive, alors que les murs restent muets.
Vides,
Silencieux.
Sans ouverture.
Et développent leur moisissure.
Indifférents.
Une langue étrangère, opposée au vide .
Le carrelage blanc.
Nettoyé depuis peu.
Il y a pourtant encore des traces de sang dilué, incrustées dans les joints.
–
Il n’y a plus personne ici .
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RC – mars 2014
( il m’est venu après, qu’il pouvait y avoir un rapprochement avec le texte d’Arthémisa: » les conditions d’un échappement »… — et curieusement en y retournant, j’ai vu qu’elle avait fait le choix du même artiste pour l’accompagner… )
-il y a bien entendu aussi avec l’emploi du terme « nettoyage », un rapport avec ce mot, employé dans le « nettoyage ou « purification » ethniques »…pratiqué il n’y a pas si longtemps, et considéré comme une « vertu » dans l’ex-Yougoslavie, et au Rwanda…
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Bassam Hajjar – voyages et funérailles
Il n y a personne ici,
et ici
on n’appelle pas les tombeaux même
habités par les morts ceux
que les voyageurs laissent derrière eux tombeaux
mais points de repère
pour des voyageurs qui passeront par là
après eux
et laisseront à côté
une gourde, des vivres, des couvertures, et des traces de pas.
les Processions vers eux ne s’appellent pas funérailles
mais voyages,
les tombeaux au bord de la route
-mêmes inhabités ne s’
appellent pas tombeaux
mais mausolées.
(Comme si se présentait l’étranger, le passant, et laissait a
côté d’eux un foulard, un châle, un mégot, ou un caillou qu’il
choisit soigneusement comme souvenir, et puis qu’il jette sur
le tas de graviers et de pierres non pour laisser une trace mais
pour l’effacer car ni le mausolée n’est un point de repère, ni le
caillou ni l’étranger.)
Maisons improvisées dans l’étendue vide
pas encore achevées
et vides encore
d’ habitants.
Mais elles sont, depuis le commencement, habitées par le personnage
des souvenirs.
(Comme s’il n’y avait pas de mur et qu’avec cela, malgré cela,
on y ouvrait une porte. Comme s’il n’y avait pas de père, de
mère, d’enfants, et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
lits, des vases, des livres et une table. Comme s’il n’y avait pas
de salle de séjour et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
canapés, une table basse, une lampe, une télévision, des tiroirs
pour le papier à lettres, les journaux intimes, les numéros de téléphone,
les adresses postales, la note de l’épicier, la facture
d’électricité, la boîte d’aspirine, les stylos à encre, les crayons
à papier, le livret de famille, le vieux passeport, la boîte de
dragées et la vieille montre, la boucle d’oreille qui reste en
attendant de retrouver l’autre, le carnet, beaucoup de clés,
dispersées ou reliées par un anneau et personne ne se souvient
maintenant si elles ouvraient des portes et où sont ces
portes…)
ils ne s’appellent pas des tombeaux car personne n’y repose
de simples signes
celui qui passe, rapide dans sa voiture, tourne la tête vers eux
ou bien celui qui marche à côté d’eux,
distrait,
pas d’arbres hauts et plaintifs pour les entourer et les ombrager
pas de pierres debout
pas de noms
pas de murailles •
pas d’insignes
pas de sentiers.
Edifice d’un passage fugace ..
lorsque tu passes à côté de lui en t’éloignant
il s’amenuise doucement avant que le carrefour ne le dérobe
à tes yeux
avant que ne te dérobe à ses yeux
le carrefour.
Tu n’es rien
et ta parole est passagère, comme toi,
parmi des gens de passage
c’est pourquoi
je parle de moi,
moi,
qui ne passe pas souvent
dans ton horizon.
–
extrait final de « tu me survivras » ed Actes/sud 2011
–
Paul Celan – Siberien
extrait du blog très fourni et riche en littératures passionantes…de brigetoun
SIBERIEN
ne t’y joignais pas, c’étaient,
tu le penses, les tiennes.
Le cygne-corbeau était suspendu
devant les premières étoiles :
fente des paupières dévorée,
se tenait un visage – aussi
sous cette ombre.
Petite, dans le vent de glace
oubliée, petite
clochette
avec ton
caillou blanc dans la bouche.
Moi aussi,
j’ai la pierre aux couleurs-de-mille-ans
dans la gorge, la pierre du coeur,
à moi aussi,
il me vient du vert de gris
sur la lèvre.
À travers les champs de décombres, ici,
par la mer de laîches, aujourd’hui,
elle passe, notre
route de bronze.
Je suis couché là et te parle,
un doigt
écorché vif.
Paul Celan
« La rose de personne »
Éditions Corti
Jean-Claude Pirotte – Blues – 02
—
tu brûles de parler encore
à ton fantôme
pour ne pas dire adieu
ce que tu dis l’éloigné
or parler de si loin
te rapproche du ciel (crois-tu)
mais le malheur
on l’entend dans les mots
qui ne touchent personne
c’est l’adieu des fantômes
d’on ne sait quel ailleurs
où tu n’iras jamais
—
extrait du recueil » le promenoir Magique » ( La Table Ronde)
Jean-Claude Pirotte – le temps c’est une perte de temps
le temps c’est une perte de temps et la vie c’est pareil
.je n’y suis pour personne à commencer par moi-même
tant pis si la pluie chante
doucement dans la rue dans novembre
et l’aube qui ne voit rien de rien,
la pluie elle peut chanter je sais
qu’elle n’est pas une jeune fille
ni la veuve d’un dieu ni l’âme
d’une dernière nuit d’amour
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texte extrait du « pavé » de JCl Pirotte ( plus de mille pages »)… « le promenoir magique »…- – voir l’article de Poezibao à ce sujet…
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