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Patrick Laupin – Un peuplier –


Felix Vallotton – Paysage à Marcillac (Dordogne)
 
   
Nous courions. Nous avons couru sous la pluie 
vers ces ruines détachées du sommeil.
Un peuplier. Lentement le village désert 
depuis les berges de l'aube.
L'écriture des brumes et le matin nu 
sur ce peuplier.
Que reste-t-il d'un peu plus lumineux 
dans ces premiers mots
Quelle image alors déchirée et parlante
semblable au vent semblable à la pluie 
semblable à la lumière
morte comme ces yeux fermés
                              
 

Patrick Laupin
LE JOUR L’AURORE
Poésie
Editions Comp’Act




Père, Mère – (Susanne Derève)


Maurice Denis – Malon et les hortensias (Musée des Beaux-Arts de Brest)
Père, mère, 
on vous abrite toute une vie,                                                                         
oiseau fragile nous portant d’un coup d’aile 
au-delà de nos rêves,
ou  talisman de pierre nous plombant de regrets 

Tes rêves, père, 
comme un livre entr’ouvert dans mon regard d’enfant, 
de jeunesse guerrière,d’eaux neuves,  
de poissons glorieux entre tes mains agiles                                 

Tes rêves, mère aux pantoufles de vair, 
façonnés de tendresse et de rires                                                         
d’étoles de velours et de tables dressées    

Dans vos sourires flottait la tranquille certitude                                                               
de l’amour,  
et je le cueille encore,orchidée sauvage  
dans les prairies fécondes du destin, 
je le dessine au-delà de la perte et de l’oubli
en  palimpseste du souvenir 
pour récrire l’histoire de vos vies, 
plus fervente et plus douce,telle qu’en vos rêves                                              
juvéniles avant la pluie, 

avant le naufrage de la mémoire,des paroles, 
des non-dits,
avant que le dernier train qui s’éloigne 
ne me laisse seule 
et dépourvue au bord du quai, 
serrant mon blanc mouchoir d’adieu,
Père, Mère aimés,
sans bien comprendre encore  
que je vous ai perdus



Julian Tuwim – Les joncs


Gerhard Richter ( huile sur photo couleur)

 

 

La menthe parfumait l’eau des étangs,

Et les joncs dodelinaient leur chanson ;

L’aube rosissait, l’eau se fit vent,

Le vent berça la menthe et les joncs.

 

 

Comment savoir alors que ces herbes

Se feraient poèmes au gré des ans,

Et que de très loin je hurlerais le nom des simples,

Au lieu de me coucher parmi les fleurs simplement ?

 

 

Comment deviner la future douleur

D’arracher les mots au monde vivant,

Comment savoir qu’à se pencher sur l’eau, sur les fleurs

On se faisait souffrir des années durant ?

 

 

Je savais seulement que les joncs

Cachaient des fibres fines et légères,

De quoi tresser un filet fluet et long,

Un filet pour ne rien faire…

 

 

Dieu immense de mes années d’enfant,

Dieu très bon de mes aurores claires,

Jamais plus donc il n’y aura d’étang,

Ni de menthe dans la lumière ?

 

 

Je suis donc condamné sans rémission

A quêter des mots désespérants ?

Et les joncs, les simples joncs de ma chanson,

Jamais je ne les verrai simplement ?

 

 

 

 

Traduction Jacques Burko

Pour tous les hommes de la terre

Orphée

La Différence


Oubli (Susanne Derève)


André Marchand, 1907-1997, Paysage de neige, 1940, musée des Beaux-Arts de Nancy 8415754243

 André Marchand, 1907-1997, Paysage de neige, 1940,

 

Cendres légères

rêveries désarmées                                                                           

mémoire.

 

Cendres du passé

De l’innocence aveugle.

Richesses

vous ai-je crues dans un autre autrefois

solaires     

inépuisables

et de vie à trépas

vous voilà à mains  nues

tristement balayées         

effacées                                abolies

 

                                                                      

Sel blanc sel entre les doigts flutés

sable sec des larmes inutiles.

 

Spoliés  

dépossédés nous sommes

des ivresses de l’amour

des tendresses égarées de l’âme                                                                       

enfouies dans ces images monochromes

du souvenir

liquéfiées                             dissoutes.

 

                                                        

                               

Nuits du sommeil intolérable

nuits d’insomnie

où le vertige                                                                                             

de ce que nous avons vécu             

ce que nous avons laissé échapper

                                               s’enfuir

 

ce que nous avons cédé à l’oubli

pamoison inutile  vaine

nous laisse agonisant

de l’irréparable douleur de la perte.

 

Comme le noyé sur la grève

échoué à la frange des vagues

entre deux eaux

entre deux mondes

entre veille et sommeil.

 

Que l’emportent que nous emportent les voiles

du passé

s’il faut finir

alors n’attendons plus           vivons

 

 

 

 


Mario Luzi – Que de vie !



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détail d’une peinture de Frida Kahlo
.

« Que de vie ! »
une voix aiguë d’enfant s’élève
là où une foule d’oiseaux
arrachés à leur gazouillement
de branche en branche
s’enfuit dans l’effeuillement du bois
sous le froid contre jour,
trace un sillage de plumes et de cris,
abandonne les phrases brisées
d’un discours qui achoppe, fête
et fuite, tandis que des hommes à l’affût
en préparent le massacre ;
“que de vie !” répètent des derniers,
ces plus lumineux battements d’ailes
sur toute la broussaille entre mer et marais […]

car on ne perçoit jamais la vie
si fort qu’au moment de sa perte.

Mario Luzi, « Du fond des campagnes », L’Incessante Origine, Flammarion, 1985, pp. 112-115.
.

.


La plage était déserte et dormait sous juillet – ( RC )


       peinture:               Nicolas de Stael –        paysage au bord de la mer – 1954

C’est une journée qui s’étire

Et un temps d’été qui colle à la peau.

Le soleil cuisant va presque jusqu’à épaissir

le sillage lointain des bateaux.

Bien sûr, la mer proche, et ses vaguelettes .

Peu de vent, et elle,         quasi étale,

Mille petits reflets nous guettent ,

Perlés sur l’écume, et le littoral.


En attendant que la journée bascule

Nous l’avons ressentie presque     palpable

Avec la fatigue, que les heures accumulent,

Et avons écrit nos noms sur le sable .

Le ciel resté  incolore a chaviré,

Comme sous l’effet d’un mauvais présage.

Une nuée d’oiseaux a tout déchiré ,

Ou était-ce une bourrasque qui a emporté les pages ?

Tu es partie te baigner nue,

Suivre le chemin secret de l’eau,

                  … mais tu n’es pas revenue…

Le son de mes appels, seulement, en échos ….

La marée , dans son avancée,

                S’est faite complice,

Nos noms,          ont été effacés,

Maintenant,      la plage est lisse …

Je suis resté       l’âme vide et endeuillée,

La nuit de la perte , s’est étalée,     lourde ,    inerte.

Je me suis remémoré la Fanette …

>         La plage était déserte et dormait sous juillet *

RC  – juin 2015

* ( il est fait référence  évidemment à la chanson de J Brel   » La Fanette  « )


Pierres en gravité ( RC )


photomontage  Gilbert Garcin: Il faut imaginer  Sisyphe heureux

photomontage         Gilbert Garcin:          Il faut imaginer Sisyphe heureux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Revenant à mi-mesure,        porté dans les bras
Un grain                    ( de bonne moyenne,)
–                  Amené  au bord d’un gouffre,
Insondable liquide,      rempli d’un sourire vert,
Juste après un cercle d’ondes,                   roche-
Roule et puis rebondit,     tout en échos sourds,
Jusque le silence aspire , du bruit ,  la distance.

<      Ou bien s’imaginer,
A une  échelle         beaucoup plus  réduite,
Ce qu’il faut d’efforts, pour déplacer un peu
Un grain de sable,      presqu’à notre taille,
Appuyé contre l’épaule,  de sa rudesse blonde,
Roc lisse d’un nouveau Sisyphe.
Appelé  à re-dévaler la pente.

Aux grains silencieux  de sable,
Qui s’écoulent  entre mes mains,
L’échappement, la chute, et la perte,
Car toujours                 ils se ruent,
Vers le plus bas,
Même s’il en reste  quelques uns,
Qui sont collés aux  doigts.

Et                s’il est question de gravité,
Et que nous naissions petits cailloux
Gravillons en bord de  route,
Ou pierres d’aquarium….
Etant donnés: le poids et la chute des corps…
<               Et pour terminer ce texte,
………………..           quelle en serait sa chute ?

RC – 23 mai 2013


Paul Celan, et Rose Ausländer


Esprits nomades  nous dit Rose Ausländer.. (  suite à mes  recherches  sur Else Lasker Schüler)…

voir leur site 

 

Paul Celan

 

Parle –

Mais sans séparer le non du oui.

Donne aussi le sens à ta parole

donne-lui l’ombre

Donne-lui assez d’ombre,

donne-lui autant d’ombre

que tu en sais partagée autour de toi entre

minuit et midi et minuit.

 

photo Alain G - le descendeur

 

 

À cela Rose répond :

j’ai trouvé

un mot qui ne pleure pas

les autres portent le deuil

de la perte

de la patrie.