Daphnis et Chloé échappés d’une planète – ( RC )

Un couple ailé s’est échappé de l’une d’entre elles,
faisant face à un oiseau qui tenait dans son bec
une sorte de grappe.
Un soleil imitant une fleur
a ouvert ses pétales jaunes
nourrissant la terre de sa chaleur.
Avec l’arrivée du soir l’une des planètes
a dû se poser sur l’horizon,
car les couleurs ont changé :
du vert et du mauve se sont emparés des collines,
les routes se sont dissoutes
les arbres ont bleui,
des temples ont basculé,
et même une chèvre s’est envolée,
désireuse de répondre à l’appel des êtres ailés,
juste avant que les pétales
ne se referment
sur un tiède crépuscule
précédant la nuit.
Michel Foissier – un pressentiment rongé par la fuite du temps

avaler un sandwich un demi pression un café
laver les pieds des morts avant le petit jour
se coucher enfin parmi les débris de vaisselle sale
parmi les pétales de fleurs fanées comme si la torture n’était qu’un mauvais
à passer
un pressentiment rongé par la fuite du temps
une promenade à petits pas de laine grise
sous les ponts la richesse se consomme à la va-vite
les doigts des amourettes construisent des plaisirs de bouts de ficelle
toute blessure se limite à l’impossible
entre pompes à essence et supermarchés
chaque chose en son temps rappelle-toi
il faut agir de nuit dans les odeurs acides du sommeil
substituer l’acte à l’intention
penser la mort comme une étincelle
il est comme quelqu’un qui renoue ses lacets
il dit qu’il attend et qu’il choisit pour cela cette version obscure du monde
il dit qu’il paye la faute de vivre ainsi en équilibre
et que le refus est écrit dans la peur
et que la peur est son testament
il est armé et le geste s’accompagne du cri d’un jour nouveau
et la lune s’est usée dans le grand cercle de la nuit
et puis occupé par les menus travaux de la guerre il attend dans le fantôme du vent
et son geste est très grand
personne n’est dans le camp de personne et
seul il imite le hurlement de la nuit
comme un cheval sellé qui ne sait encore rien de la course
ni du marchandage de la main et des jambes
en ces temps on disait la révolution
et l’âme des peuples était invisible
elle se cachait dans le secret des caves et ne sortait qu’à minuit
il pense que si sa tête éclatait il serait là à ramasser les morceaux à quatre pattes sur
le goudron de la nuit
il pense à ces kilomètres de mots
à ces lignes appliquées à l’encre violette
et qui ne touchent jamais la barrière du ciel
ni le sable bleu des déserts ni le souffle
ni ces petits riens de carton-pâte
l’habitude nous fait vivre à un millimètre de nous-même
dans la posture accroupie de la femme qui lave le linge à la rivière
de l’histoire nous ne savons que la calomnie
ici les murs nous font la grâce d’une lecture
aveugles nous déchiffrons les impacts de la fusillade
et le film est projeté en plein cœur
les acteurs sont soumis au grain de la maçonnerie
marionnettes ou créatures de rêve
une cérémonie à couper au couteau
le bétail s’allonge dans la manigance des corps
les hommes dorment les femmes dorment les enfants dorment
les chiens urinent puis grattent le bois des portes avec
des ongles malpropres
elle est assise dans l’ombre
il dit donne-moi tes mains j’en ferai bon usage dans
les giclées du soleil dans
les chuchotements du sous-bois
il connaît cette peur de granit cette trahison minuscule
demi-sel un char d’assaut quelque chose comme une prison qui s’avance
un bruit de métal frappé dans la fatalité du sang
Une poignée de pétales – ( RC )
Si je dois revenir en ces lieux,
désertés de l’espoir
que trouverais-je ?
L’escalier du perron
envahi par le lierre,
la rambarde mangée de rouille,
et les souvenirs écornés .
Seul, le rosier demeure.
Dans mes pensées, il fleurit encore.
En cette saison, je pense trouver
sur les marches
une poignée de pétales
éparpillés.
J’en garderai quelques uns,
que je t’enverrai peut-être,
avec quelques regrets ,
sans un mot, dans cette lettre
et tu comprendras .
–
RC – nov 2019
Zbigniew Herbert – du dernier soupir à l’éternité la plus proche
art: tableau de fils huitchol ( Mexique )
Que la route est longue
du dernier soupir
à l’éternité la plus proche
Et lourdes sont les épines de la rose, le long du chemin tracé :
Saint Ignace
blanc et flamboyant
passant près d’une rose
se jeta sur le buisson
et meurtrit sa chair
avec la cloche de son habit noir
il voulait assourdir
la beauté du monde
jaillissant de la terre comme d’une blessure
gisant au fond
du berceau de piquants
il vit
le sang couler de son front
se figer sur ses cils
en forme de rose
et sa main aveugle
cherchant les épines
fut percée
du doux toucher des pétales
le saint dupé pleurait
au milieu des moqueries des fleurs
épines et roses
roses et épines
nous cherchons le bonheur
Sylvia Mincès – Andante de poussière
photo perso 2017
Un limbe de musique s’unit à ma peau ; cette greffe sonore m’hypnotise,
le temps d’un fa bécarre éternel, pour m’habiller en grain de sable ou de pollen.
Fécondée, je deviens fleur et puis sentir, de toute la couleur
de mes pétales étonnés, ces sarabandes de tierces bleues
qu’éclaboussent des quintes d’or.
Sur mes feuilles, coule un torrent de notes évadées
d’une sonate en rien majeur tandis que mes racines
sourient à des accords aigus, cueillis près d’un clavier
que caressent de fantomatiques églantines.
Je me désintègre alors en atomes d’extase puis me dissous
dans un néant traîtreusement féerique
où les larmes ne sont que sucre la haine froissement de miel.
Camille Lysière – L’homme dessiné
Parmi les nombreuses publications de Camille,
J’ai choisi , avec son autorisation » l’homme dessiné », que l’on peut retrouver sur son blog…
Cœur de nuit.
Mon Homme-dessiné étendu sur le ventre, un bras tombe du lit, le dos de la main posé sur le parquet.
Il a fermé les yeux, il respire lentement, et sourit de temps en temps au gré de ses pensées. La lumière est douce et les draps sont froissés.
Les bruits du dehors nous parviennent seulement, nos halètements se sont enfin calmés. Il m’a prise comme j’aime, il m’a bercée, rudoyée, il m’a fait naître de ses mains, me transformant dans la même heure en catin, en princesse, en souillon, en sœur, en diamant palpitant.
Toutes les femmes en moi qu’il explore et visite, qu’il va chercher à coups de regards et de reins. Ou qu’il crée, peut-être, je n’en sais rien.
Je caresse ses fesses, rebondies, soyeuses, blanches. Seule surface épargnée de son anatomie. Mon Homme-dessiné a dressé sur sa peau la carte de sa vie, l’histoire de ses cris. Je les caresse du bout du doigt, je les embrasse, je les cajole. Je les envie. Collées à lui. A jamais ses alliées. Soudées.
Du bout du doigt je parcours des volutes, des arabesques, des pétales de lys, des angles saillants, des chemins de lettres aux tracés étonnants. Il m’explique chacun, des noms curieux, exotiques et charmants, des chemins tortueux, des désespoirs en noir et gris. Il me parle de lui.
J’écoute, fascinée, son parcours meurtri, et aussi ses espoirs, ses envies, ses forces, ses fragilités, son mépris, son respect. Mon Homme-dessiné se tourne sur le dos, me présente son ventre, tout aussi décoré. Ses tétons rosés sont percés de deux anneaux d’argent, je les chahute du bout de la langue, je les suçote et les tire un peu entre mes dents.
Il rit, t’as pas fini, canaille ?
Je me pose sur lui, il est chaud, il est grand. Mon Homme-dessiné aime fermer sur moi ses deux bras colorés. Sur celui qui enserre mon épaule, une femme sirène que je ne peux jalouser, qui pourtant passe sa vie au chaud tout contre lui. Un étrange serpent, son œil au ras du mien quand je pose la joue contre ce large torse. Et puis les trois singes de la sagesse, assis sur sa clavicule.
Pour être heureux, ma princesse, ne pas tout entendre, ne pas tout voir, savoir se taire… Et tu es heureux, toi ? Il ne dit rien, il me serre un peu plus, il caresse mes cheveux. Je ne sais pas, je suis bien, là, parle-moi, encore, encore, parle-moi, je veux ta voix.
Cœur de nuit, cœur de vie. Mon Homme-dessiné au matin va partir. Tracer d’autres sentiers, mener d’autres combats, me revenir parfois, blessé ou triomphant.
Mon Homme-dessiné, troublé, troublant.
Anémone – fleur des sables ( RC )
Une anémone attend.
Elle est sous la terre,
Laissant passer les caravanes,
Et les tempêtes de sable,
Dans un écrin de couleur,
Lorsque le soleil parcourt,
La courbe de la promesse des jours.
L’anémone attend son heure,
Voisine de déserts austères
Des montagnes berbères…
… Se cristallise alors le temps,
La fleur s’immobilise,
Et ignore l’heure exacte…
Les ombres s’allongent,
Sur la Kasbah
De Ouarzazate…
Où que portent les yeux,
Les îles d’oasis,
Cèdent la place aux étendues de pierres…
Au pas balancé des dromadaires,
La nuit pose ses étoiles,
Et parle à la terre…
L’anémone lui répond,
En offrant ses pétales d’éternité,
> Elle fleurit comme rose des sables.
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RC – 27 octobre 2013 Marrakech
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Herberto Helder – Les Muses aveugles
Les Muses aveugles
…Toutes les lumières sont éteintes. Dans le cerceau des voix vient le printemps.
Et pendant que dort le lait, Ma maison mienne dort aussi dans le silence et petit à petit brûle.
Plus ne passe dans les pétales véhéments la tête qui roule alors les mots naissent.
Limpides, amers…
…Certaines nuits j’ai aimé tous les très vieux ruisseaux, degré par degré j’ai gravi le corps qui s’emplissait de feuilles minuscules, éternelles comme un arbre.
Degré par degré je dévorai la joie –
moi, la gorge grande ouverte comme quelqu’un qui va mourir par l’eau dévasté, cruches débordantes d’astres humides.
Quelque fois j’aimai lentement car je devais mourir les yeux brûlés par le pouvoir de la lune.
Aussi la nuit, cette nuit de printemps, et tout au loin cherchant mon silence dans les siècles autres. Voici la joie recouverte de pollen, et la maison de lumière prise dans l’espace d’un feu profond.
Et les lumières se sont éteintes.
Où l’on m’attend, dans une sorte d’air transparent pour lever mes mains ? Où repose ma parole, sorte de bouche rassemblée dans son silence ?
Sûr de lui le jour s’élabore.
Alors je baise, degré par degré, les marches de ton corps.
Ne cherche pas à m’appeler dans l’ogive de la nuit se cachent les pensées.
Voici le printemps. Au-delà il brûle cerné par le sel, par d’innombrables oranges.
Aujourd’hui je sais enfin les grandes raisons de la folie, les jours qui jamais ne seront décapités comme tiges mûres.
Il est des endroits où l’on peut espérer le printemps comme si dans l’âme un corps nu gisait.
Les lumières se sont éteintes : et commence le temps si impatient – Ce chant précis comme si quelqu’un savait chanter.
Herberto Helder
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