Annie Salager – Lis de mer

à J.F .Temple
Tant d’années sans eux les lis
le léger inconfort des étangs
les vieilles cabanes de pêcheurs
les canaux les roselières
l’ennui pour eux de n’être pas la mer
soudain un champ de saladelles
je gémis attachée au train
je guette le mistral les flamants roses
je veux les lis de mer
les lieux d’exil terre ni mer
où travaille l’instable le néant de l’être
fouetté par-dessus tête
des courtes vagues du désir
et tout ce poids du temps
les mêmes
J’entends la mer balayer le rivage
entrer dans la chambre
la rumeur du sablier
le ciel est noir d’étoiles
la nuit le peuple
de lis en poussière de mer
j’ai soif d’eux
dans les senteurs du maquis
l’instant du vivre
tient en haleine
le même
Il est venu de loin
___en pétales sépales
corolle étamines pistil _
depuis l’union des dunes
_ silencieuses et des limpidités
dont l’eau meut: les anneaux
il est: vertu par les millions d’années
jaillir du sable fin où la pluie
lui conserve des souvenirs d’espace
et où le temps lui vient
pénétré de lumière
face au mien
de loin très neuf
nouveau venu et
lieu de culte où
seule en son parfum
demeure la présence
Stephan Hermlin – Ballade des défenseurs des villes
Pour le 25è anniversaire d’octobre — Pour ceux qui souffrent en silence — Pour les vainqueurs de demain — Pour les défenseurs des grandes villes Pour la race nouvelle — Pour les frères incomparables.

Près des bergers de la nuit et du plus solitaire peuple de sirènes.
là où la tempête dans les vallées gémit et où suave se lamente le cœur des dauphins.
jusqu’aux villes dans la fumée, qui au bord des ténèbres se penchent
et qui par le poing de fer de leur maître furent dans la corruption poussées
près des bergers de la nuit et du plus solitaire peuple de sirènes
là, un nom est nommé — oh ! puissions-nous vous donner ses puissances
à Vous, frères enfouis dans l’ombre du temps, vous donner ses larmes,
son sourire, son regard qui descend sur toute notre vie
et aussi cet énorme tambour qui autour de nous clame dans la nuit,
à Vous, à Vous ! oh ! puissions-nous donner tout cela !
Traduit par Daniel Trévoux (pseudonyme de Jean Tardieu) il parut en juillet 1944 dans « l’Êternelle revue » clandestine, de Paul Eluard. Il était accompagné des lignes suivantes :
S. Hermlin est un poète allemand de 29 ans qui, après avoir combattu en Espagne dans les Brigades Internationales, gagna la France puis, la Suisse.
Ce texte a été repris dans la revue Seghers » Poésie 84″
Mohammed Khaïr-Eddine – Nausée noire

Mon sang noir plus profond dans la terre
et dans la chair du peuple prêt au combat
mon sang noir contient mille soleils
le champ tragique où le ciel s’entortille
je ne veux plus de couleurs mortes
ni de phrases qui rampent
dans les cœurs terrorisés
vous êtes pris entre moi et mon sang noir
coupables
de meurtres tournés traîtreusement
à quelque phase obscure
mon passé se lève aussi égal
à ma hauteur
foudroyant
pareil au jour qui reparaît
ruisselant d’encres noires
mon sang noir sur une colline
je vous traînerai dans la boue
faite de mon sang noir
vous et moi jadis porteurs de mythes
mon sang noir
était le lait ardent des mamelles du désert
vous et moi comme un vent inconciliable
des tonnes de sable
des éternités de molécules
nous séparent à présent
car je suis le sang noir d’une terre
et d’un peuple sur lesquels vous marchez
il est temps le temps où le fleuve crie
pour avoir trop porté
comme un serpent noir
il broie roches et cèdres
jusqu’à la mer qui le comprend
debout
présent
ensemble
vous en face des cadavres
dont est lourd mon passé
des cadavres dont les vers
ne sont pas desséchés
moi juge pour avoir été victime
car mon sang noir
coule dans la terre
et au tréfonds du peuple
seuls témoins
et mon passé surgi
du plomb qui l’a brisé
Natasha Kanapé Fontaine – Réserve II
peinture: T C Cannon
Ecoutez le monde
s’effondrer
ponts de béton
routes d’asphalte
Aho pour la joie
Aho pour l’amour
Surgit la femme
poings serrés
vers la lumière
Voici que migrent
les peuples sans terres
nous récrirons la guerre
fable unique
Qui peut gagner sur le mensonge
construire un empire de vainqueurs
et le croire sans limites
Ce qui empoisonne
ne méritera pas de vivre
ce qui blesse ne méritera pas le clan
cinq cents ans plus tard
sept générations après
Tous ces châssis pour barrer les routes
tous ces murs érigés entre les nations
tous ces bateaux d’esclaves
ces bourreaux n’auront eu raison de rien
Si j’étais ce pigeon qui vomit
sur les hommes de bronze
fausses idoles carnassiers ivres
se tâtant le pectoral gauche
avec la main droite
lavée par les colombes
Qui d’autre est capable
de provoquer l’amnésie
octroyer la carence
à ceux qu’il gouverne
Qui d’autre sait appeler union
ce qui est discorde
pour s’arracher le premier
pour s’arracher le meilleur
des confins de toutes les colonies
qui d’autre sait appeler croissance
ce qui est régression
construction
ce qui est destruction
les peuplades pillées à bon escient
au nom du roi et de la reine
au nom du peuple qui meurt de faim
à Paris
à Londres
à Rome
à New York
à Dubaï
à Los Angeles
à Dakar
au nom du peuple
qui se bâtit par douzaine
à Fort-de-France
à Port-au-Prince
à La Havane
à Caracas
à Santiago
à Buenos Aires
Aho pour la joie
Aho pour l’amour
Qui d’autre sait nommer le mensonge
pour le voiler
La ville persiste en moi
assise sur l’avenue des Charognards
je guette l’allégresse
la haine qui me pousse à hurler
Je guette le nom des ruelles
de la grande mer
qui laisse passer les pauvres
à l’abri des vautours
La guerre est en moi comme partout.
–
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Muhamed Kërveshi – Kosova
Kosova
Ta beauté entière gît en nos paroles
Sous nos yeux grands ouverts
l’on déloge les nids de tes oiseaux
Ton ombre entière emplit nos regards
Tu es la longue route de notre maturation
Dans les escaliers de tes kullas le temps
cherchait le visage des jours oubliés
Notre amour entier se coule au fil de tes rues
Mon peuple
Chaque matin je te vois plus imposant que la veille
– tu grandis
De toi j’ai pris forme et apparence
Je t’ai fait don de deux chênes et une fleur
en mai en avril et en mars
Quelle place te crée en lui mon cœur
– à ton âme, à ton amour, à ta chaleur,
dès que je pense à toi
– nos oiseaux m’en ouvrent les fenêtres –
Je me cherche moi-même en ton sein immense
La danse de la flamme va courant autour du foyer
Mon peuple élément vital, principe de fierté
toi seul m’élèves à ta hauteur.
( Muhamed Kërveshi est un auteur du Kosovo, d’où le titre du texte )
René Depestre – Minerai noir
Quand la sueur de l’Indien se trouva brusquement tarie par le soleil
Quand la frénésie de l’or draina au marché la dernière goutte de sang indien
De sorte qu’il ne resta plus un seul Indien aux alentours des mines d’or
On se tourna vers le fleuve musculaire de l’Afrique
Pour assurer la relève du désespoir
Alors commença la ruée vers l’inépuisable
Trésorerie de la chair noire
Alors commença la bousculade échevelée
Vers le rayonnant midi du corps noir
Et toute la terre retentit du vacarme des pioches
Dans l’épaisseur du minerai noir
Et tout juste si des chimistes ne pensèrent
Au moyen d’obtenir quelque alliage précieux
Avec le métal noir tout juste si des dames ne
Rêvèrent d’une batterie de cuisine
En nègre du Sénégal d’un service à thé
En massif négrillon des Antilles
Tout juste si quelque curé
Ne promit à sa paroisse
Une cloche coulée dans la sonorité du sang noir
Ou encore si un brave Père Noël ne songea
Pour sa visite annuelle
À des petits soldats de plomb noir
Ou si quelque vaillant capitaine
Ne tailla son épée dans l’ébène minéral
Toute la terre retentit de la secousse des foreuses
Dans les entrailles de ma race
Dans le gisement musculaire de l’homme noir
Voilà de nombreux siècles que dure l’extraction
Des merveilles de cette race
Ô couches métalliques de mon peuple
Minerai inépuisable de rosée humaine
Combien de pirates ont exploré de leurs armes
Les profondeurs obscures de ta chair
Combien de flibustiers se sont frayé leur chemin
À travers la riche végétation des clartés de ton corps
Jonchant tes années de tiges mortes
Et de flaques de larmes
Peuple dévalisé peuple de fond en comble retourné
Comme une terre en labours
Peuple défriché pour l’enrichissement
Des grandes foires du monde
Mûris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle
Nul n’osera plus couler des canons et des pièces d’or
Dans le noir métal de ta colère en crues.
Pablo Neruda – la lettre en chemin
–
Au revoir, mais tu seras
présente, en moi, à l’intérieur
d’une goutte de sang circulant dans mes veines
ou au-dehors, baiser de feu sur mon visage
ou ceinturon brûlant à ma taille sanglé.
Accueille, ô douce,
le grand amour qui surgit de ma vie
et qui ne trouvait pas en toi de territoire
comme un découvreur égaré
aux îles du pain et du miel.
Je t’ai rencontré une fois
terminée la tempête,
La pluie avait lavé l’air
et dans l’eau
tes doux pieds brillaient comme des poissons.
Adorée, me voici retournant à mes luttes.
Je grifferai la terre afin de t’y construire
une grotte où ton Capitaine
t’attendra sur un lit de fleurs.
Oublie, ma douce, cette souffrance
qui tel un éclair de phosphore
passa entre nous deux
en nous laissant peut-être sa brûlure.
La paix revint aussi,
elle fait que je rentre
combattre sur mon sol
et puisque tu as ajouté
à tout jamais
à mon cœur la dose de sang qui le remplit
et puisque j’ai
à pleines mains ta nudité,
regarde-moi,
regarde-moi,
regarde-moi sur cette mer où radieux
je m’avance,
regarde-moi en cette nuit où je navigue,
et où cette nuit sont tes yeux.
Je ne suis pas sorti de toi quand je m’éloigne.
Maintenant je vais te le dire :ma terre sera tienne, je pars la conquérir,
non pour toi seule
mais pour tous,
pour tout mon peuple.
Un jour le voleur quittera sa tour.
On chassera l’envahisseur.
Tous les fruits de la vie
pousseront dans mes mains
qui ne connaissaient avant que la poudre.
Et je saurai caresser chaque fleur nouvelle
grâce à tes leçons de tendresse.
Douce, mon adorée,
tu viendras avec moi lutter au corps à corps :
tes baisers vivent dans mon cœur
comme des drapeaux rouges
et si je tombe, il y aura
pour me couvrir la terre
mais aussi ce grand amour que tu m’apportas
et qui aura vécu dans mon sang.
Tu viendras avec moi, je t’attends à cette heure,à cette heure,
à toute heure, je t’attends à toutes les heures.
Et quand tu entendras la tristesse abhorrée
cogner à ton volet,
dis-lui que je t’attends,
et quand la solitude voudra que tu changes
la bague où mon nom est écrit,
dis-lui de venir me parler,
que j’ai dû m’en aller
car je suis un soldat
et que là où je suis,
sous la pluie ou le feu,
mon amour, je t’attends.
Je t’attends dans le plus pénible des déserts,
je t’attends près du citronnier avec ses fleurs,
partout où la vie se tiendra
et où naît le printemps,
mon amour, je t’attends.
Et quand on te dira « cet homme
ne t’aime pas « , oh ! souviens-toi
que mes pieds sont seuls dans la nuit, à la recherche
des doux petits pieds que j’adore.
Mon amour, quand on te dira
que je t’ai oublié, et même
si je suis celui qui le dit,
même quand je te le dirai
ne me crois pas,
qui pourrait, comment pourrait-on
te détacher de ma poitrine,
qui recevrait
alors le sang
de mes veines saignant vers toi ?
Je ne peux pourtant oublier
mon peuple.
Je vais lutter dans chaque rue
et à l’abri de chaque pierre.
Ton amour aussi me soutient :
il est une fleur en bouton
qui me remplit de son parfum
et qui, telle une immense étoile,
brusquement s’épanouit en moi.
Mon amour, il fait nuit.
L’eau noire m’environne
et le monde endormi.
L’aurore ensuite va venir,
entre-temps je t’écris
pour te dire : » je t’aime. »
Pour te dire « je t’aime « , soigne,
nettoie, lève,
protège
notre amour, mon cœur.
Je te le confie comme on laisse
une poignée de terre avec ses graines.
De notre amour des vies naîtront.
De notre amour on boira l’eau.
Un jour peut-être
un homme
et une femme
A notre image
palperont cet amour, qui aura lui, gardé la force
de brûler les mains qui le touchent.
Qui aurons-nous été ? quelle importance ?
Ils palperont ce feu.
Et le feu, ma douce, dira ton simple nom
et le mien, le nom que toi seule
auras su parce que toi seule
sur cette terre sais
qui je suis, et nul ne m’aura connu comme toi,
comme une seule de tes mains,
que nul non plus
n’aura su ni comment ni quand
mon cœur flamba :uniquement
tes grands yeux bruns,
ta large bouche,
ta peau, tes seins,
ton ventre, tes entrailles
et ce cœur que j’ai réveillé
afin qu’il chante jusqu’au dernier jour de ta vie.
Mon amour, je t’attends.
Au revoir, amour, je t’attends.
Amour, amour, je t’attends.
J’achève maintenant ma lettre
sans tristesse aucune : mes pieds
sont là, bien fermes sur la terre,
et ma main t’écrit en chemin :
au milieu de la vie, toujours je me tiendrai
au côté de l’ami, affrontant l’ennemi,
avec à la bouche ton nom,
avec un baiser qui jamais
ne s’est écarté de la tienne.
–
Abdelkader Zibouche – O peuple de l’arrière-monde
O peuple de l’arrière-monde du monde
existe-t-il un présent à l’impensable
verras-tu un lendemain à l’obscur
Où dormiras-tu du sommeil des morts apaisés
si nul ne prononce ton nom
ni ne calme les gerçures de tes mains
ni ne convie au banquet de midi
la fraîcheur de l’ombre que tu aimas .
–
extrait de » Chant triste pour une Algérie défunte »
Conte d’élections, sur rimes en O ( RC )
Enluminure: la tempête apaisée
–
Roi et prince sont dans un château –
Autour du château – des douves remplies d’eau –
Des nuages éclatent – nous dit la météo –
Ce qui veut dire – il ne fait pas beau –
On pourra constater qu’il pleut à seaux –
Roi et prince tombent alors dans les flots –
Point de barque qui passe – ni de bateau –
Couronne roule par le fond – avec ses émaux –
Si un des deux survit ( ou sauvera sa peau ) –
Flotteront des plumes – celles d’un beau chapeau –
Canards ou canetons suivent – ou autres animaux –
Le vol des vautours , voire des corbeaux –
Sous l’oeil étonné , de nombreux badeaux –
…. Succession oblige – se présentent hobereaux –
Ducs, barons, – Sarko et généraux –
Chacun à brandir son propre drapeau –
Et même , la faucille et le marteau –
On a toujours besoin de nouveaux héros –
Pour repartir de zéro –
Ne se voient pas de la cuirasse, les défauts –
Nouveau roi, nouveau prince – portés haut –
– Tu parles d’un cadeau ! –
Du grain ou de l’ivraie, savoir le vrai du faux –
Peu importe qui revêt l’hermine à son manteau –
On peut toujours promettre l’eldorado
> Tout ça c’est du pipeau
Il y a des princes et des vassaux
Plutôt que d’être égaux, c’est la parade des égo
Petit peuple se contente d’une chemise, ou d’un maillot –
( car point trop n’en faut )
–
RC – 26 décembre 2012 – juin 2016
–
Rimes de murs ( RC )
Il y a sur les murs , tant de portraits,
Tout en sourires, sûrs d’eux, rieurs
Ils nous promettent, les jours les meilleurs
Notre choix sera le bon, et au plus-que-parfait
A voir, ce que prédisent les partis, en futur
De l’aujourd’hui , demain sera toujours mieux,
La politique parle au peuple, en ces lieux
…. ainsi les murs … murmurent
Souhaitez vous une vie moins étroite ?
Mettez le cap à droite
Construire le pays, en dessiner l’ébauche ?
Tournez donc à gauche …
Puis les années passent, on retrouve de vieilles affiches
Dont il reste des lambeaux, délavés par la pluie
Les discours se sont tus, emportés par le bruit
Après les élections, … restent les champs en friche
RC – 4 octobre 2012
–
le crachoir (RC)
En écho aux oeuvres ouvertes, et l’oreille du tyran… voir ici

fragment de statue de Staline. - oreille - Berlin
Au miroir du jour
J’ajoute sans détour
Qu’au tyran de métal
Dont il ne reste du mal
Qu’une vilaine oreille
(ça pourrait être l’orteil)
Mr Duchamp, en ready-made
Aurait trouvé de l’aide
Avec un nouveau sujet
En déplaçant l’objet
Pour en faisre la risée
Dans un beau musée
A cet objet d’hier
Ce serait pissotière
Ou bien un crachoir
A recueillir le noir,
Paroles assassines
Dûes au vieux Staline
Qui f’sait son malin
Dans la ville d’Berlin
Qui faisait son fier
Aux côtés d’Hitler
Son vieux copain d’ami
Devenu l’ennemi
Du peuple, petit père
A gardé la guerre
Et d’vieux souvenirs
Qui feront vomir
Dans cet entonnoir
De l’oreille -crachoir.