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Yahia Lababidi – Interstices


06 Cuba trottoirMes heures ont peur de mes jours
la méfiance mettant leurs pieds vers le bas
soupçonnant de trouver un point d’appui
tic toc qu’ils pointent consciemment de l’orteil,
Mes jours ont peur de mes années
N’ayant jamais pu s’oublier
debout autour de moi, comme je essaie de dormir
déplaçant leur poids, les craintes traînant
Dans les interstices, il est intemporel
Se déroulant et heureusement introuvable
là nous glissons à travers le tamis
entre ces espaces incommensurables ..

My hours are afraid of my days
mistrust placing their feet down
suspicious of finding a foothold
tic toc they tip toe, self-consciously
My days are afraid of my years
never able to forget themselves
standing around as I try to sleep
shifting their weight, shuffling fears
In the interstices, it is timeless
unwound and happily unfound
there we slip through the sieve
between those immeasurable spaces…


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Maurice Chappaz – bêtes sauvages


« Elle (la beauté) me saisit tellement quand je surprends les bêtes sauvages
– biches, cerfs, chamois ici même, qui traversent
avec un tel incognito les pentes, s’effacent toujours.
Elles ont un abîme devant les yeux
dès qu’elles nous aperçoivent et se sauvent.

Se sauvent, oui. Qu’est-ce qu’elles emportent ?
Un autre monde et la beauté introuvable
dont elles nous ont laissé l’impression par cette allure où s’est profilée la peur…
et une si inviolable indifférence.

Dès qu’elles s’apprivoisent, c’est fini.
Il leur manque le grand frisson du paradis antérieur.
Où on ne mourait pas car on ne savait pas qu’on mourrait. ..
Nous, c’est cette connaissance que nous leur apportons.
On a perdu le miracle de vivre, d’être toujours dans l’éternel.
Et ainsi la beauté, comme l’amour, est liée à la mort.

Et tout est lié à la mort nous masquant quelque chose qui a eu lieu avant elle.


Maurice Chappaz « de tout ce que je déteste » in  La pipe qui prie et fume ( mars 2009, ed. de la revue Conférence)


Boris Vian – C.P.R.


Le soleil se cachait derrière la nuée.
L’ombre étendait son voile aux jardins obscurcis.
Le fantôme des joues tristement raccourcis
S’éloignait de la ville en un enfer muée.

De lumière la multitude dénuée
Commençait de gronder. Déjà d’âpres soucis
Se frayaient un chemin sous les fronts indécis.
La peur montait, blafarde, et ce fut la ruée

Vers les dieux de métal sanglants des sacrifices
Et l’envahissement des vastes édifices.
Mais les dieux ne pouvaient dissiper le brouillard.

Alors parut soudain, conjurant le désastre
Au moyen d’une lampe, un auguste vieillard
Et chassant la ténèbre, on vit lampe aider astre.


Anthony Phelps – fleur-soleil


Au plus vert de la vie
ma voix est sur ta voix
et ta pensée double la mienne
Tu es ma meilleure part
le matin de mes yeux
Ma plus pure émotion
Et ton sourire est dans mon cœur
un talisman contre la peur

Passe le temps sans toi plus lent si vide
Pleuvent à tout instant les confettis du souvenir
et l’écho de tes mimes se profile en silhouette
sur le blanc de l’absence

Mon nénuphar ma fleur-soleil
mon oiseau-mouche aux ailes vibrantes
ton infini est ma limite
car ta vie contredit la mort
et je bénis le jour où nos yeux s’allumèrent •


Miguel Angel Asturias – marimba chez les indiens


La marimba pond ses œufs dans les astres…

Oh la la, quel caquet
pour un œuf que tu ponds !

Eh, venez donc le pondre !
La marimba pond des œufs dans les astres…
Le soleil est son coq, il la coche, il la saigne.
La marimba pond des œufs dans les astres.

Oh la la, quel caquet
pour un œuf que tu ponds !

Eh, venez donc le pondre !

Dans les calebasses au trou noir de noix de coco
et aux membranes de tripes tendues il y a des
sanglots de mouches,
de poissons-mouches, d’oiseaux-mouches…

Et le charivari de la perruche verte
et le crépitement de l’oiseau jaune en flammes,
et le vol tournoyant du guêpier bleu de ciel,
et les quatre cents cris du moqueur d’Amérique.

Le moqueur a sifflé, le guêpier a volé
l’oiseau jaune a flambé, la perruche a crié.

Oh la la, quel caquet
pour un œuf que tu ponds !

Eh, venez donc le pondre !

Musique entre les dents et la peur endormie,
jetée par des hommes de pierre-foudre vêtus de blanc,
qui du haut du soleil tendent leur bras de feu
et leurs doigts armés de baguettes brûlées aux longs
cheveux de caoutchouc
qui frappent la face sonore du clavier à peine soutenue
par les fils de quatre couleurs
en bariolant les airs : vert, rouge, jaune, bleu….

Son-roulement de pluie des tissages célestes !
Son-roulement de pluie de la ruche du monde !
Son-roulement de pluie de la sueur des humains !
Son-roulement de pluie du pelage du tigre !
Son-roulement de pluie de la robe de plumes !
Son-roulement de pluie des robes de mais !


Alain Leprest – J’ai peur


montage RC

J’ai peur des rues des quais du sang
Des croix de l’eau du feu des becs
D’un printemps fragile et cassant
Comme les pattes d’un insecte

J’ai peur de vous de moi j’ai peur
Des yeux terribles des enfants
Du ciel des fleurs du jour de l’heure
D’aimer de vieillir et du vent

J’ai peur de l’aile des oiseaux
Du noir des silences et des cris
J’ai peur des chiens j’ai peur des mots
Et de l’ongle qui les écrit

J’ai peur des notes qui se chantent
J’ai peur des sourires qui se pleurent
Du loup qui hurle dans mon ventre
Quand on parle de lui j’ai peur

J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur

J’ai peur du coeur des pleurs de tout
La trouille des fois la pétoche
Des dents qui claquent et des genoux
Qui tremblent dans le fond des poches

J’ai peur de deux et deux font quatre
De n’importe quand n’importe où
De la maladie délicate
Qui plante ses crocs sur tes joues

J’ai peur du souvenir des voix
Tremblant dans les magnétophones
J’ai peur de l’ombre qui convoie
Des poignées de feu vers l’automne

J’ai peur des généraux du froid
Qui foudroient l’épi sur les champs
Et de l’orchestre du Norrois
Sur la barque des pauvre gens

J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur

J’ai peur de tout seul et d’ensemble
Et de l’archet du violoncelle
J’ai peur de là-haut dans tes jambes
Et d’une étoile qui ruisselle

J’ai peur de l’âge qui dépèce
De la pointe de son canif
Le manteau bleu de la jeunesse
La chair et les baisers à vif

J’ai peur d’une pipe qui fume
J’ai peur de ta peur dans ma main
L’oiseau-lyre et le poisson-lune
Eclairent pierres du chemin

J’ai peur de l’acier qui hérisse
Le mur des lendemains qui chantent
Du ventre lisse où je me hisse
Et du drap glacé où je rentre

J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur

J’ai peur de pousser la barrière
De la maison des églantines
Où le souvenir de ma mère
Berce sans cesse un berceau vide

J’ai peur du silence des feuilles
Qui prophétise le terreau
La nuit ouverte comme un oeil
Retourné au fond du cerveau

J’ai peur de l’odeur des marais
Palpitante dans l’ombre douce
J’ai peur de l’aube qui paraît
Et de mille autres qui la poussent

J’ai peur de tout ce que je serre
Inutilement dans mes bras
Face à l’horloge nécessaire
Du temps qui me les reprendra

J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur


Michel Foissier – un pressentiment rongé par la fuite du temps


photo RC – monument aux morts Lodève

avaler un sandwich un demi pression un café
laver les pieds des morts avant le petit jour
se coucher enfin parmi les débris de vaisselle sale
parmi les pétales de fleurs fanées comme si la torture n’était qu’un mauvais
à passer
un pressentiment rongé par la fuite du temps
une promenade à petits pas de laine grise
sous les ponts la richesse se consomme à la va-vite
les doigts des amourettes construisent des plaisirs de bouts de ficelle
toute blessure se limite à l’impossible
entre pompes à essence et supermarchés
chaque chose en son temps rappelle-toi
il faut agir de nuit dans les odeurs acides du sommeil
substituer l’acte à l’intention
penser la mort comme une étincelle
il est comme quelqu’un qui renoue ses lacets
il dit qu’il attend et qu’il choisit pour cela cette version obscure du monde
il dit qu’il paye la faute de vivre ainsi en équilibre
et que le refus est écrit dans la peur
et que la peur est son testament
il est armé et le geste s’accompagne du cri d’un jour nouveau
et la lune s’est usée dans le grand cercle de la nuit
et puis occupé par les menus travaux de la guerre il attend dans le fantôme du vent
et son geste est très grand
personne n’est dans le camp de personne et
seul il imite le hurlement de la nuit
comme un cheval sellé qui ne sait encore rien de la course
ni du marchandage de la main et des jambes
en ces temps on disait la révolution
et l’âme des peuples était invisible
elle se cachait dans le secret des caves et ne sortait qu’à minuit
il pense que si sa tête éclatait il serait là à ramasser les morceaux à quatre pattes sur
le goudron de la nuit
il pense à ces kilomètres de mots
à ces lignes appliquées à l’encre violette
et qui ne touchent jamais la barrière du ciel
ni le sable bleu des déserts ni le souffle
ni ces petits riens de carton-pâte
l’habitude nous fait vivre à un millimètre de nous-même
dans la posture accroupie de la femme qui lave le linge à la rivière
de l’histoire nous ne savons que la calomnie
ici les murs nous font la grâce d’une lecture
aveugles nous déchiffrons les impacts de la fusillade
et le film est projeté en plein cœur
les acteurs sont soumis au grain de la maçonnerie
marionnettes ou créatures de rêve
une cérémonie à couper au couteau
le bétail s’allonge dans la manigance des corps
les hommes dorment les femmes dorment les enfants dorment
les chiens urinent puis grattent le bois des portes avec
des ongles malpropres
elle est assise dans l’ombre
il dit donne-moi tes mains j’en ferai bon usage dans
les giclées du soleil dans
les chuchotements du sous-bois
il connaît cette peur de granit cette trahison minuscule
demi-sel un char d’assaut quelque chose comme une prison qui s’avance
un bruit de métal frappé dans la fatalité du sang


Abdallah Zrika – Vides tortueux


campement-touareg-a-kidal-mali.jpg

photo » Géo » La voix berbère  – janvier 2018

Rien

Rien

Le ciel est chauve

sauf de quelques corbeaux

Les poils de la terre

ressemblent aux poils des oreilles

L’atmosphère est vide

vide

même du vide

Les passants ont une tête de clef tordue

La peur est blanche

au sommet des montagnes

Les fronts sont des planches mortuaires

Les livres des pierres tombales

Les ponts des dos de vieillards

Les arbres des mollets de malade

L’ennui tourbillonne comme la poussière

Les ombres se sont gravées dans la terre

Les chiens qui aboient là-bas

Sont les seuls à vouloir congédier

Le rien

Traduit par Abdellatif Laâbi

Ceija Stojka – Auschwitz est mon manteau (extraits)


 

Kiefer

Anselm Kiefer — Die Ungeborenen (Les non-nés)

 

L’homme a créé la balance

elle indique la justice

la majorité et la minorité,

et alors pourquoi

nous traite-t-on nous les Roms et les Sintis

de minorité ?

regardez donc ce qu’indique la balance

ou est-ce vous qui l’avez étalonnée

pour que vous puissiez dire : nous sommes

la majorité

et vous la minorité ?

de awen bachtale[1].

 

[1] Soyez le bienvenu.

 

 

Die Waage erschuf der Mensch

sie zeigt die Gerechtigkeit

die Mehrheit und die Minderheit

und warum

bezeichnet man uns Rom und Sinti

dann als Minderheit ?

schaut doch was die Waage zeigt

oder ist die von Euch geeicht

damit Ihr sagen könnt :  wir sind

die Mehrheit

und Ihr die Minderheit ?

de awen bachtale.

 

***

 

Le ruisseau

était notre baignoire

la rue notre pays natal

notre pain

les hommes qui nous le donnaient

Notre souffrance personne ne la voyait

Nos morts gisent dans la terre

le pays où ils sont nés

La nature est notre première mère

Le vent est le frère du Rom

la pluie la sœur de la Romni

Et tout le reste va avec

 

 

Unsere Badewanne

war der Bach

unsere Heimat die Straβe

unser Brot waren die Menschen

die es uns gaben

Unser Leid das sah niemand

Unsere Toten liegen in der Erde

Land wo sie geboren sind

Die Natur ist unsere Urmutter

Der Wind ist der Bruder des Romm

der Regen die Schwester der Romni

Und all das andere gehört dazu

 

***

 

Auschwitz est mon manteau

tu as peur de l’obscurité ?

je te dis que là où le chemin est dépeuplé,

tu n’as pas besoin de t’effrayer

 

je n’ai pas peur.

ma peur s’est arrêtée à Auschwitz

et dans les camps.

 

Auschwitz est mon manteau,

Bergen-Belsen ma robe

et Ravensbrück mon tricot de peau.

de quoi faut-il que j’aie peur ?

 

 

Auschwitz ist mein mantel

du hast angst vor der finsternis ?

ich sage dir , wo der weg menschenleer ist,

brauchst du dich nicht zu fürchten

 

ich habe keine angst.

meine angst ist in Auschwitz geblieben

und in den lagern.

 

Auschwitz ist mein mantel

Bergen-Belsen mein kleid

Und Ravensbrück mein unterhemd.

Wovor soll ich mich fürchten ?

 

 

 

Auschwitz est mon manteau

et autres chants tziganes                  Editions Bruno Doucey

 

 


Claude Pélieu – Printemps rouge et noir


 

mage

  Mark Rothko

 

 

J’aime le silence de la forêt

et les paysages inachevés

(Il paraît que nous sommes assurés

de notre défaite et de notre désintégration)

nos peurs barbouillées du sang de la nuit

ruptures  brisures  transmissions

sur le mur d’écrans  les fournaises du monde

tout devient visible  et les fleurs du silence

incendient nos yeux de rumeurs

merles  rouge-gorge  mésanges  sont revenus

l’herbe du printemps imite le vol des mouettes

flammes bleues à travers les branches des érables

c’est la fin de l’hiver et par temps de pluie

les couleurs pleurent sans mémoire

 

 

 

Indigo Express

Paris – le livre à venir- 1986


Silences – (Susanne Derève)


PICASSO femme a la tete rouge

  Pablo Picasso – Femme à la tête rouge

Ma mère, mon enfant,  ma sœur,

et toi mon amie que tes peurs

entrainent  parfois dans les limbes

comme si le diable allait t’étreindre

                                  au saut du lit

Et les  mots les mots  qui s’envolent

quand de me pencher sur vous

de vous bercer à genoux

me rend avare de paroles

Ma mère, mon enfant, ma sœur,

toi  mon amie dont le malheur

donne à mes joies un gout de cendre

Ces mots que tu voulais entendre

ai-je jamais su te les dire

tant il faut d’amour pour apprendre

                                          à mentir


Lucie Taïeb – s’éveiller


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Edward Munch – nuit à St Cloud

 

en Normandie s’éveiller la nuit ne pas être éveillé ne pas savoir se réveiller
seul, dans un lit différent dans une configuration différente des ombres et du noir et
d’une voix qu’on ne se connaît pas dire dans la nuit au corps qui devrait être là
« j’ai peur » puis frôler du dos de la main non ce corps ami mais le mur et
reconnaître le crépi savoir, alors, quel est ce lit et pourquoi seul
se rendormir.


Miguel Veyrat – derrière ta voix


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peinture : Don Van Vliet

 

—raison qui s’embrase
parmi les rires et les jeux,
dans l’espace
de lumière noire je cherche
À renaître
—ou bien à naître sans mourir,
comme au moment
fragile de ton esprit
où tu me conçus
Et que devint
soudainement chant
la nuit infinie
—ta propre peur, ma propre
crainte de prononcer ton nom.


Marguerite Duras – le navire Night


duras  mix 2.jpg

montage perso

 

( citation )

 

Je vous ai parlé d’épouvante.

Je vous ai dit : peu à peu on se demande ce qui arrive…

cette disparition du son avec la montée du soleil…        C’est là que cette peur arrive.

Pas celle de la nuit dans la clarté…        le silence de la nuit en plein soleil…

le soleil au zénith et le silence de la nuit…               la peur…


Gabriela Mistral – L’attente inutile


315471826_15fe2492c5 Bronze Sculpture of a Girl Holding a Sundial in the Rose Garden of the Brooklyn Botanic Garden_ Nov. 2006_M.jpg

sculpture en bronze représentant une fille tenant un cadran solaire, au jardin botanique de Brooklyn

 

J’avais oublié qu’était devenu
rendre ton pied léger,
et comme aux jours heureux
Je suis sortie à ta rencontre sur le sentier.

J’ai passé vallée, plaine, fleuve,
et mon chant se fit triste.
Le soir renversa son vase
de lumière, et tu n’es pas venu   !

Le soleil s’effilocha,
coquelicot mort consumé;
des franges de brume tremblèrent
sur la campagne.          J’étais seule!

Au vent automnal craqua
d’un arbre le bras blanchi.
J’eus peur et je t’appelai ;
Bien aimé, presse le pas!”

J’ai peur et j’ai amour,
presse le pas, bien-aimé!
Mais la nuit s’épaississait
et croissait ma folie.
La espéra inûtil.

J’avais oublié qu’on t’avait
rendu sourd à mes cris;
j’avais oublié ton silence,
ta blancheur violacée;

ta main inerte, malhabile
désormais pour chercher ma main,
tes yeux dilatés
sur la question suprême!

La nuit agrandit sa flaque
de bitume; augure maléfique,
le hibou,      de l’horrible soie de son aile,
griffa le sentier.

Je ne t’appellerai plus
car tu ne parcours plus ton étape;
mon pied nu poursuit sa route,
le tien est au repos.

C’est en vain que j ’accours au rendez-vous
par les chemins déserts.
Ton fantôme ne prendra plus corps
entre mes bras ouverts!

 

 


Hugues Labrusse – L’indésirable


 

( – à Gaston Puel )

Détail de la façade ouest de l'église (XIIe s.) d'Aulnay-en-Saintonge (Charente-Maritime, France) 15216914856.jpg

sculptures –  Aulnay de Saintonge

Jour indivisé

Des pierres arrondissaient les angles.
Le soleil s’en allait.
Deux poutres reliées par une traverse.
Un chien hagard plonge dans les broussailles.
On n’arrache pas un sourire à l’écorce.

Lendemain

Dans la continuité de la masse, en guise de visage.
Le feu âpre transit le cône de marbre.
Tard, dans l’été,     la figure roule dans ta paume.
Son oubli fut le dernier souvenir qu’elle te laissa.

Surlendemain

Notre sœur à tête d’animal, notre peur encore muette et ses fleurs de terre
ses onguents de serpents, la saveur de sa lumière et de sa fatigue.
Ses mains ne remuaient pas encore.
Toujours plus tard
L’atrocité rêve à son écuelle en bois.
Du sommet de la montagne dévalent des étoiles épineuses.
Ton œil est de glace. Tu crains l’aiguille de métal qui te sert à coudre le ciel.
Laisse battre les volets.


Simone de Beauvoir – sur les pages imprimées


Fellig, Arthur (Weegee)(1899-1968) - 1960 Corner of Trafalgar Square and the Strand, London 8339766993.jpg photo : Weegee-      – Corner of Trafalgar Square and the Strand, Londres   1960 

Sur les pages imprimées,

je ne retrouve pas la trace des jours

où je les écrivis :

ni la couleur des matins et des soirs

ni les frémissements de la peur,

de l’attente,                  rien.

Pourtant, tandis que je les arrachais laborieusement au néant,

le temps se brisa, le sol bougea et je changeai. »

 

  •  extrait de  « La force de l’âge. »

 


Mouloudji – Cache-cache


C’est  de texte  de sa chanson….

Disclosed Desires-fd0013.jpg

Vous êt’s-vous caché
Un jour de cache-cache
Sous la jupe lâche,
Quoiqu’ intimidé,
Dans l’intimité
D’une dam’ ombrelle
Aux senteurs si blêmes
Strident’s de douceur
L’avez-vous rêvé ?
Ce doux goût de peur
Couleur de péché,
Était-ce inventé ?
Sous la jupe folle,
Vous flairiez la chair
De dame prison
Ell’, dans son émoi

Ouvrait de plus belle
Ses ciseaux femelles
En prison de joie,
Vous étiez ému
Sous la chèr’ ombrelle,
Un soleil diffus
Éclairait tout bas
La tendre bastille
Vous, les yeux béats
La tête levée
Au ciel albinos,
Vous suiviez le vol
D’un corbeau velu
Entre chair et rose
Des cuisses jouflues
Et du pantalon
Comme rêve glauque.


Luc Berimont – Si le jour est venu


Maya Figurines Preclassic Period 1800 BCE-250 CE (8) 411522480

sculptures:   têtes  ( art Maya )

 

Si le jour est venu dans un jet d’étendards
Le soir s’en est allé avec la proie de l’ombre
Mes frères, les humains, qui veillez sur le tard
Je n’ai connu de vous que l’amitié du pain.

Je penche mon visage à dormir sur ma main
J’entends gonfler des voix dans le gras des collines
Les piverts ont cloué des forêts de sapins
Le feu n’avait plus faim de mes arbres de verre
Une horloge battait à la tempe du temps.

Mes frères, les humains, qui veillez sur la terre
– Maraudeurs accoudés dans le verger des lampes –
Jetez-moi vos fruits d’or jusqu’au frais du matin
Couvrez-moi de vos cris, de soupe, de chaleur
Que je brave la peur, la lune et les feuillages.

 

LUC BERIMONT « Poésies complètes »


l’épaisseur des murailles – ( RC )


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Ce sont des sombres bastilles,
bâties de pierres lourdes,
refermées sur la peur,
aveugles aux terres promises,
qui pourtant les entourent.

Pas de fenêtres ouvertes  sur elles,
ni sur les autres,
juste des meurtrières
qui enferment d’abord la joie,
et finissent isolées sur leur promontoire.

L’épaisseur des murailles,
désaffectées, en désaffection
n’a pas plus de prise sur les rêves,
qu’une fragile  coquille,
un frêle esquif sur l’océan.

RC- nov 2015


Ryan Adams – J’ai juste peur d’être aimé


I don’t know

what I was thinking

I guess I just got sad

for a while

I was just afraid of being loved

and feeling good

being listened to listening

understanding

and being understood

Ryan Adams   just be understood

Je ne sais pas

ce que je pensais

Je suppose que je deviens triste

pendant un moment

J’ai juste peur d’être aimé

et de me sentir bien

d’être écouté ,écouter

comprendre

et être compris

 

Ryan Adams


Marguerite Duras – ça rend sauvage, l’écriture


pochette de cd: the Dillinger Escape Plan, ‘One of Us Is the Killer’

 

 

« ça rend sauvage l’écriture. On rejoint une sauvagerie d’avant la vie.

Et on la reconnait toujours, c’est celle des forêts, celle ancienne comme le temps.

Celle de la peur de tout, distincte et inséparable de la vie même. On est acharné.

On ne peut pas écrire sans la force du corps.                Il faut être plus fort que soi pour aborder l’écriture, il faut être plus fort que ce qu’on écrit.

C’est une drôle de chose, oui. C’est pas seulement l’écriture, l’écrit, c’est les cris des bêtes la nuit, ceux de tous, ceux de vous et de moi, ceux des chiens.  »

 

Marguerite Duras in Ecrire


Eclipse et deuil du soir – ( RC )


Bientôt,
la lune est noire,
elle porte le deuil du soir

Sur les pierres du jardin
S’allongent les ombres
de demain

La confusion du ciel
Le semis des comètes
Le pouls des planètes

Ne fera rien  de l’avenir
Que le parfum des roses
A peine  écloses

Saisies de peur
Dans la douceur des choses
Déjà de retour.

RC  – 26 Mai 2012

Soon
the moon is black,
she is in mourning of the evening

Over the garden’s stones
Shadows are getting longer
from tomorrow

The confusion of the sky
The seedling of comets
The pulse of the planets

Will do nothing with the future
Just the scent of roses
Newly hatched

Seized of fear
In the sweetness of things
Back already.


Patrick Ourednik – extrait de  » Instant propice 1855


scan 6

 

 

 

 

 

 

Oui, un matin nous avons compris que les gens se mordent, se dévorent, se haïssent, pour toute éternité.

Ne soyons pas des hommes, nous dîmes-nous, soyons des arbres, soyons l’ombre des branches, soyons des empreintes au sol.
Soyons nus, fondons le royaume des nus, soyons transparents et sans peur.
Patrick Ourednik

 

Instant propice 1855  est paru au  éditions Allia 2006


Giacomo Leopardi – Le songe


art: F Rops

–         art: Félicien  Rops

 

* LE SONGE – *

C’était le matin, et à travers les volets fermés, par le balcon, le soleil glissait sa première blancheur dans ma chambre sombre, quand, au moment où le sommeil plus léger et plus doux voile les paupières, se dressa à mon côté et me regarda en face le fantôme de celle qui, la première, m’enseigna l’amour, et puis me laissa dans les larmes.

Elle ne me paraissait pas morte, mais triste, et telle que se montrent à nous les malheureux.

Elle approcha sa main de mon front et me dit avec un soupir :
Vis-tu, et gardes-tu quelque souvenir de moi?
— D’où viens-tu et comment es-tu venue, ô chère beauté? répondis-je.
Combien, ah ! combien je t’ai pleurée et te pleure encore ! Je ne croyais pas que tu dusses jamais le savoir, et cela rendait ma douleur plus inconsolable.

Mais vas-tu me quitter une seconde fois?
J’en ai grand’peur.

Maintenant, dis-moi, qu’advint-il ?

Es-tu bien celle d’autrefois?
Et qu’est-ce qui te consume intérieurement? •

— L’oubli embarrasse tes pensées et le sommeil les rend confuses, dit-elle.

Je suis morte, et il y a plusieurs lunes que tu m’as vue pour la dernière fois. »

— A, ces mots, une douleur immense m’oppressa jusqu’au fond de la poitrine.
Elle poursuivit : « Je me suis éteinte dans la fleur des années, alors que la vie est la plus douce, et avant l’âge où le cœur s’assure de la vanité de toute espérance humaine.
Le mortel qui souffre ne doit vivre que peu de temps pour en arriver à désirer celle qui le délivre de tout chagrin ;

mais l’approche de la mort est affreuse pour ceux qui sont jeunes, et c’est une cruelle destinée que celle de l’espérance qui va s’éteindre sous terre.

Il est inutile de savoir ce que la nature cache aux inexpérimentés de la vie,
Qui sait?

Ne voyons-nous pas souvent, en été, tomber les étoiles?

Il y a tant d’étoiles que c’est une petite perte si l’une ou l’autre vient à tomber, alors qu’il en reste des milliers.

Mais il n’y a que cette lune, au firmament, et personne ne l’a jamais vue tomber, si ce n’est en rêve.
(1819)


Candice Nguyen – Forêt, Femme, Folie, un écho


Forêt, Femme, Folie, un écho

Forêt, Femme, Folie, un écho

The Sugar Plum Fairy Pr – Blind

 

J’habite un pays au-dessus des toits à hauteur de cheminées, sous mes yeux le creux qui s’étend. D’où je viens les eaux sont profondes, les cieux peu cléments, les lendemains incertains. Le grain des voix est cassé par la solitude des départs, de ceux qui durent trop longtemps, pour des destinations lointaines et se répètent souvent. D’où je viens les enfants partent en masse vers les tours de verre et reviennent rarement. D’où je viens les attentes sont plus grandes que par-delà les plaines, rêves à l’automne moins pâle, le crépitement du bois dans les foyers nombreux contre l’hiver intransigeant.

J’habite un pays au-dessus des toits à hauteur de cheminées, sous mes yeux leur absence qui s’étend. D’où je viens les forêts sont pour s’y perdre, les jeunes femmes y partent seules, de nuit, et reviennent quelques matins plus tard le regard fuyant, le ventre vide. Les ruisseaux sont gelés, le poisson prisonnier, des tâches sombres, rouges, se remarquent encore entre les feuillages au pied des arbres. D’où je viens les hameaux s’arrêtent en lisière des forêts, denses, sauvages, redoutées, et l’imaginaire magnifient les femmes et les portent hors de la maisonnée, l’extérieur apprivoisé, le tigre dompté. D’où je viens les hommes sont extérieurs à tout, n’ont rien en propre, pas de tâche assignée, fumer jouer chasser : se faire chasser. Ni des forêts ni des lignées, ils rentrent nus.

Et puis il vint des étrangers comme il en vient à chaque époque, en chaque lieu. On commença alors à faire tomber les arbres aux abords des sentiers et peu à peu nos peurs de la forêt sacralisée furent bientôt remplacées par la peur de sa propre disparition. On nous prédit l’expropriation, l’avènement d’un nouveau dieu, on mit à jour la futilité de nos croyances, à sac nos rites et nos terres. D’aussi loin que je me souvienne, peu ont résisté, il n’est de cycles qui se renouvellent sans le refus de s’enfermer.


Vois le navire, il s’enlise – (RC )


fresque  eusebio&; vittore gravedona -- Côme

fresque       eusebio  Vittore Gravedona               — Côme

Tanguent les beaux navires …
La mer n’est pas fidèle
Soudainement froncée de sels,
– L’horizon y chavire,

Au milieu         de montagnes d’écume,
Vois le navire,                       il s’enlise,
Et des vagues            subit l’emprise
Perdu sous le tissu des brumes…

–    Sous la tempête inhumaine,
Que deviennent les ailes des bateaux,
Et qu’il pleut à seaux,
Quand les océans se déchaînent ?

Partis,               fiers matelots
Maintenant ,  marins épuisés,
Mats et coques brisés,
Et les voiles en lambeaux…

Sombres les espoirs,
Autres qu’une dérive,
Et sans autre perspective
— Que la mer à boire…

Sous des paquets d’eau,
D’émeraude profonde,
Il y a dessous ,          tout un monde,
…          Une foule aux yeux clos,

Des poissons      des abysses,
Aux promesses de naufrages
Se fraient                un passage,
Remontant des précipices.

Nourris de l’imagination,
De l’esprit du dessinateur,
Voila ,          de toutes les peurs,
Le réel,        dépassant la fiction.

Les calamars géants,
Au regard incrédule,
Déploient leurs tentacules,
Sous un ciel phosphorescent,

Avides d’un prochain repas,
Sous la colère des éléments,
Les monstres attendent patiemment
Du frêle navire, le trépas….

….

Lorsque la tempête retombe,
Flottent encore quelques débris,
Il n’y a plus d’elle , qu’une mer assombrie,
De tout son poids de masse profonde.

manuscrit  enluminé  -   biliothèque de Koninklijke

manuscrit enluminé – biliothèque de Koninklijke


RC –    février 2014