Guy Goffette – les amarres du jour

Couteau et peigne sur la table
l’un près de l’autre avec
le silence sur eux
plus profond que la mer
Entre ces phares l’histoire d’une femme
Qui trancha seule
Les amarres du jour
Un pont sur les rêves – ( RC )

C’est une voie étroite
qui s’élance
au milieu des flots.
Juste quelques récifs
battus par les embruns
la maintiennent .
Pour prolonger le jour,
sous le ciel étoilé,
il me faudra quelques signes,
ceux du zodiaque peut-être,
un horizon bleuté
pour me rapprocher des îles.
Je jetterai un pont,
quelques lignes sur les rêves,
transformerai le calvaire
en phare de lumière,
très loin d’ici
prêt à immobiliser les vagues.
Est-ce un morceau d’infini
ce ciel qui m’attend
décollé de la mer ?
emportant mon ombre portée
prête à se déchirer
sur les rochers.
Un havre de pierre se détache ,
vacille dans la tempête ,
mais avant qu’il ne sombre
il faut que je dessine
une rue sur l’océan
qui tiendra juste
en équilibre dans l’image
avant que je n’aborde
dans la réalité,
comme le château de sable
qu’efface,inlassablement,
la marée .
A l’heure où reflue la marée – (Susanne Derève)


Henri Moret – Lande bretonne
Il me reste à brûler quelques roses flétries
et les hampes rouillées des acanthes
à tailler de grandes coupes dans les blés
pour rejoindre les prairies rases de Juillet
la lande rouge les bruyères
jusqu’à l’estran à l’heure où reflue la marée
Il me reste à sonder le ciel sans espérer
y distinguer rien d’autre qu’un fin brouillard d’été
– il tient lieu ici de beau temps –
Que le soleil darde enfin un rayon blanc
alors le voile se déchire
et la renverse du courant dessine des moires
tremblantes où chavirent les bois flottés
Il me reste la nuit tombée à suivre l’oblique
faisceau des phares dans le reflet laiteux
des vagues pour franchir la dune où zigzague
blafard un dernier rai de lune
et sonner le départ
Creuser un peu du passé – ( RC )
photo :restes archéologiques engloutis ( Phare d’ Alexandrie )
–
Difficile d’expliquer,ce qui se passe,
Et continue, de guerre lasse…
Comment traverser, les forêts, les déserts,
Les étangs, puis les îles et les pierres.
Il n’y a pas de guide,
Pour écarter l’insipide.
L’eau n’a plus le goût du sel,
Et les feuilles s’amoncellent..
Comme un vent de délire…
Personne n’a plus le temps de les lire,
Avec toute cette horde,
C’est un trop plein qui déborde,
Ou bien le tonneau des écrits,
Qui toujours se remplit :
Celui des Danaïdes,
Ignore pourtant le vide,
Va se remplir en même temps se vider,
Au crépuscule des idées…
Les mots accumulés sur la table,
Se confondent comme les grains de sable,
On ne voit plus les limites
( il doit y avoir des fuites)
La ronde des chapitres,
Se convie en hectolitres,
Et sitôt publiés,
Bientôt oubliés,
Supplantés par les nouveautés,
Juste une valse d’été,
Ceux qu’on appelle best sellers,
Bientôt happés par l’hiver,
Il n’y a de l’actualité,
Qu’un souvenir délité,
A peine esquissé,
Le présent est déjà du passé…
Et pourtant, à tout accumuler,
Des temps les plus reculés,
La mémoire collective,
Se retrouve en archives,
De l’iceberg, la partie qui dépasse,
Est une bien petite masse
A cheminer sur de longues pistes….
Encore faut-il que subsiste,
Bien dissimulés, sous l’ ombre,
De tout ce qui encombre,
La volonté de découverte,
D’anciennes terres vertes,
Que rien ne cadenasse…
Mais l’épaisseur de la glace,
Conserve bien au frais,
Des écrits restés secrets,
Et peut-être les ramener à la surface,
Extirpés de toute cette paperasse,
Un trop d’abondance créant l’oubli,
– les décombres du phare d’Alexandrie –
Creuser un peu de passé, donnerait à lire,
En lui, ses morceaux d’avenir.
–
RC- février 2014
Reina Maria Rodriguez – L’île violette
–
VIOLET ISLAND
…j’ai connu un certain homme, un homme étrange.
il gardait jour et nuit la lumière de son phare
un phare ordinaire qui n’indiquait pas grand-chose,
un petit phare pour embarcations de fortune
et peuples obscurs de pêcheurs, là, sur son île,
il échangeait avec son phare les sensations
attendant jour et nuit cette autre lumière
qui ne surveille la persécution d’aucun objet,
cette autre lumière réflexive, parcourant vers l’intérieur
la distance entre le port sûr de l’endroit
et l’œil qui voit revenir, d’en haut et transparente,
l’illusion provisoire qui s’éternise :
cette courbe de l’être tendue tout contre le phare
sans précaution ni limite, pour être ou avoir
ce qu’imparfaitement nous sommes, rien d’autre
que rêver ce qu’il veut bien rêver et être où il est
au-dessus des eaux tranquilles et éteindre tout dans le tableau
d’un jour et redevenir nouveau au petit matin
près du petit phare perdu d’Aspinwoll
sans même imaginer qu’il pourrait exister le moindre désir
ne serait-ce que celui de désirer la petite lumière qui tombe,
avec la nuit,
sur les eaux tranquilles et les sons déjà morts
de ces vagues, de jouir et souffrir, un refuge sincère.
Comme le gardien du phare d’Aspinwoll, seul sur son phare,
je me suis endormie malgré la lumière intense qui tombe
et se détache au-dessus du temps, malgré la pluie
frappant le miroir des poissons blancs,
malgré cette lumière spéciale qu’était son âme,
je me suis endormie entre le port et la lumière,
sans comprendre : je voulais, je voulais seulement
un peu plus de temps pour recommencer à apprendre,
pas sur le ressac de la commisération
où les désespérés attachent leurs mâts;
pas l’authentique bonheur de vivre sans savoir,
sans se rendre compte; pas la lumière provisoire qui s’éternise
et feint d’être
ce que nous serons
ni la peur de posséder la réalité opaque, immanente,
je ne voulais la vie qu’à cause du plaisir de mourir,
sur les eaux tranquilles,
en compagnie des poissons blancs, et j’attendais impatiente
qu’arrive encore la répétition de mon inconscient
afin que quelqu’un y trouve l’intouché, l’autre voix,
pas de cet être intermédiaire, un corps
pour mesurer les criques basses : un corps pour le viol
d’un moi impraticable :
je me suis endormie, inconséquente, dans l’imagination
de cet être différent dans la distance, suffisamment avancée
pour avoir ma propre illumination à Aspinwoll, mais
fracassée et obscurcie, comme le gardien du phare
au-dessus des eaux tranquilles
de ce qu’imparfaitement nous sommes, dans la petitesse
d’un phare qui n’indiquait pas grand-chose,
à travers la pluie chaude
et réelle de l’impossible.
–
(poème extrait d’une anthologie de la poésie sud-américaine)
Denise Jallais – Les Couleurs de la Mer
photo d’actualité modifiée RC
Assise sur la dune
Je regarde les feux du carrefour
Rouges pour arrêter ton cœur
Jaunes pour t’ensoleiller
Verts pour te permettre
Et les voitures roulent sous la pluie
Comme dans une brume jaillissante
Vers l’odeur mêlée de la plage et des chênes verts
Je regarde les feux du carrefour
Sages comme des phares de mer
Et ton ombre changeante
Qui grandit lentement
Du fond de la route .
Denise JALLAIS « Les Couleurs de la Mer » (Seghers, 1956)
Embrasser le monde, même à courte échelle – ( RC )
–
Avec quelques idées, des pas hésitants sur la berge,
Il se hasarde sur le seuil de l’existence,
Et quelquefois trempe son corps en entier,
Ou juste un doigt, histoire de « tester ».
C’est sûr, sa vue ne porte pas loin, pas plus
que la lueur d’une lampe de poche, pointée sans grande portée.
Nous dirons que c’est la nuit, ou un soir bien avancé.
Ce n’est pas un phare, qui fend l’obscurité.
Mais plutôt une luciole .
Une pensée qui jouit de sa propre lumière .
L’étreinte de l’extérieur, est un espace .
qui semble se refermer sur lui à mesure qu’il avance .
L’arbre était immobile , sentinelle de plein vent .
Une présence, qu’il aurait pu ne pas voir ,
s’il était passé une dizaine de mètres sur le côté .
En fait, la marche porte son propre aveuglement .
Il est difficile d’embrasser le monde, même à courte échelle,
Sans se faire porter par la lumière d’un astre .
Celle d’un livre, par exemple .
Sans être universel, le regard en sera plus étendu .
—
RC – nov 2014
Miguel Veyrat – Une falaise,une bougie ( Acantilado A trasluz)
–
UNE FALAISE UNE BOUGIE
Si tu brilles
Au matin silencieux
Et commences à frissonner
Un autre silence attend
Que celui de la mer.
Aux dons tranquilles.
Le double Silence
et la mort
d’un midi calciné
Et quand tu te retournes
Le phare de l’âme d’Allan Poe
Une tour de tes rêves
Ce double silence
De la mer et de la plage
D’une double conscience.
—
traduction perso de ….
ACANTILADO A TRASLUZ
Si alumbra
en silencio la mañana
y enciende el cuerpo al frío
Otro silencio aguarda
que a la mar
la calma otorga
Silencio doble
y a la muerte
calcinado mediodía
Y cuando te enciendes tú
faro del alma de Allan Poe
torre de ensueño
Este doble silencio
mar y playa
Conciencia doble.
© Miguel Veyrat ( “La voz de los poetas”/ Transparencia XIV “Calima” 2002)
Ta voix franchit l’épaisseur de la nuit ( RC )
–
> Pourtant marchant dans une vallée d’ombre
Où aucune chose ne m’atteignait , cette vibration en moi,
L’onde de ta parole, toi que personne n’écoutait, et n’entendait
Je l’ai entendue, au travers de ta poésie torturée,
Les cris franchirent l’épaisseur de ta nuit,
L’oppression des vagues,
Sous leur fracas contre les roches
Noyant le sentiment commun, fermant les yeux à chacun,
> Mais pas ta voix…
Elle s’élève , au-dessus de la masse indistincte,
Comme un point lumineux, clignotant, fragile,
Mais têtue, … tel un phare vers lequel je me dirige .
–
RC – 20 mai 2013
Le chemin du rivage ( RC )

une image que vous ne verrez jamais ailleurs, avec le pont de Douvenant, vers St Brieuc ( 22 )
Si le chemin, au bord du rivage
S’allonge au gré de mes pas, c’est errer
Contourner les pentes, dominer les plages
Et emprunter celui des anciennes voies ferrées..
La lumière est mouvante et se déplace
Au gré des courants d’air, qui poussent
aussi les ombres, que des nuées lasses
Déposent en bouquets de couleurs douces
Au delà des sables, les ajoncs
Et le rivage qu’on situe par-delà la baie
Lorsqu’on passe le vieux pont,
Une distance qu’on franchirait d’un trait,
Si on avait les ailes d’une mouette
A voir les choses de haut
En luttant contre l’air qui fouette
le front, au dessus des eaux.
Mais je continue la voie étroite
Suivant les caprices de la côte, le contour
Ne connaissant pas la droite
En impose ses détours
A suivre obstinément le chemin,
Que je parcours sans hâte
Entouré de pins et romarins…
Mais voici que le temps se gâte ….
C’est un prélude à la nuit
Lorsque le ciel s’épaissit
Et qu’arrive aussi la pluie,
Sous un ciel obscurci
Que quelques lueurs parcourent…
Il est trop tard pour l’éviter
Et envisager le retour …
S’il le faut, j’irai m’abriter
Pour l’instant, je poursuis ma route;
Des éclairs lointains l’illuminent
Et tombent, éparses, quelques gouttes
Tandis que je chemine …
Lentement, le paysage défile :
La terre humide, à mon nez , se parfume
La baie s’est emplie de brume,
On distingue à peine les îles…
Une lumière intermittente traverse
Là-bas, la colonne d’un phare
Situé un peu à l’écart
Sous le rideau de l’averse
Dans ma poche, pour écrire, quelques papiers
En hâte, pliés
Mais qui sont déjà mouillés
Et d’un reste d’encre, souillés…
RC – 30 juillet 2012