Photo de « vue de l’esprit » – ( RC )
Imagine encore
un esprit sans corps,
c’est davantage qu’un fantasme,
pour entr’aperçevoir un ectoplasme…,
> tout ce qu’on invente :
les tables tournantes ,
et la convocation des esprits,
( s’ils en ont envie ),
Ils pourraient te parler
– ou garder leur bouche scellée – :
tout cela dépend
de quelques ingrédients,
( et juste ce qu’il faut de mystère
avec une cloche en verre ) :
les êtres trépassent,
mais le courant passe …
La photo a surpris
cet évènement fortuit :
c’est un instant unique ,
parcouru d’ondes magnétiques,
leur parcours aléatoire ,
avant qu’on puisse apercevoir
son image : ( attention
à la fragilité de la transmission ! ) :
C’est le visage d’un enfant,
apparu accidentellement :
rien ne le rattache au sol,
comme flottant sur le formol
retenu par des tubes blancs :
des vaisseaux vidés de leur sang,
d’où ce visage indéfini :
c’est ce qu’on appelle fort justement » une vue de l’esprit « .
–
RC – dec 2017
Mouvements figés – ( RC )
photographe non identifié
Mouvements de la main
tendue, vers toi
contre la surface
que je ne peux franchir.
Mouvements de la lumière,
s’accrochant à moi,
c’est ainsi
que tu me vois
Mouvements du jour,
plaqués sur l’image :
un mur sans fissure
s’emparant de l’espace .
Mouvement figé,
immobilisé de même ,
ne pouvant dépasser,
le rectangle de la photo.
Mouvement du regard :
il va vers toi, et toi vers moi,
mais il y a le mur,
infranchissable des pixels .
–
RC – oct 2017
Le bestiaire – ( RC )
Tu ne les as jamais vus
mais tu t’en fais une idée
à ce qu’on t’a colporté :
Ils ont tendance, à leur insu
à se cristalliser
pour prendre consistance,
se construire une existence,
et se matérialiser.
Ce sont des récits épiques
avec des animaux hors norme
aux curieuses formes :
des bêtes fantastiques…
que l’on dessine
et dont aucun dictionnaire
ne comporte d’exemplaire ,
car tu l’imagines
aussi bien que je te vois :
un griffon sanguinaire ,
un aigle t’emportant dans ses serres,
des reptiles à trente doigts …
Ils sèment l’inquiétude
dans les récits bibliques ,
( sans précision anatomique
ni grande exactitude ) .
Cela remonte au plus profond des âges :
ce dragon a une mauvaise haleine :
compter neuf têtes à l’hydre de Lerne :
les légendes demeurent et voyagent .
Et si on parle d’animal,
on voit dans les fresques comme à travers le temps :
ainsi ces figures d’éléphants
de l’armée d’Hannibal .
Ils nous semblent bien bizarres,
eux qu’on trouve sculptés dans les chapiteaux ,
par rapport à ceux qu’on voit en photo :
l’imaginaire nourrissant l’art.
La comparaison n’est pas de mise :
Si on les reconnait pourtant
c’est bien que des éléments
rappelent leur présence grise…
Ce n’est pas un corps de libellule ,
et de grands yeux étonnés
côtoient une trompe ressemblant davantage à un nez
avec des oreilles minuscules .
Les hommes les représentant
ne l’ont fait que par ouï-dire
un vague récit pour les décrire ;
un souvenir persistant
de légendes terribles :
de ces récits rapportés,
il a suffi de les interpréter
et de les rendre plus visibles
( et donc plus concrets
dans leur apparence ):
de quoi nourrir les croyances,
les faisant passer pour des faits .
Toutes les variations étant permises ,
il n’est pas étonnant que l’imaginaire
abonde dans le bestiaire ,
et qu’on l’utilise
souvent dans la religion :
la bête, opposée à l’humain
( et à plus forte raison aux saints )
est objet de suspiscions
et de hantise
pour l’inconscient collectif ,
voila donc le motif
qui les place en dehors de l’église
souvent agressifs
et symboles de terreur ,
beaucoup plus rares à l’intérieur.
Des moutons, et autres inoffensifs
accompagnent les humains .
Ce sont des animaux domestiques
beaucoup plus pacifiques
qui occupent le terrain
Pas de vautours
ni oiseaux de proie
autour de la croix
ce serait plutôt basse-cour.
On voit bien , avec les rois mages
l’âne et le boeuf,
avec un petit Jésus ( tout neuf ),
réunis pour une belle image
comme une photo de groupe
par contre pas de loup , ni de renard :
ce n’est pas pas hasard
qu’ils ne sont pas dans la troupe !
Il fallait bien faire une sélection :
on ne pouvait pas rassembler tout le monde
à des kilomètres à la ronde :
ne sont venus à la réunion
que les animaux familiers
qui accompagnent
les paysans de nos campagnes
( pas les fourmiliers
ni les dromadaires
pourtant sympathiques ):
les exotiques
du bout de la terre
pouvant rester chez eux ,
car ceux des tropiques
ne correspondent pas à la symbolique
décidée par les dieux
et puis de toute façon
on a beau faire des prouesses,
on ne peut y mettre toutes les espèces :
—- il y en a à foison !
– on a choisi les plus communs
> les résultats de cette élection
mènent bien à une discrimination:
on en prend quelques uns
que chacun peut identifier :
entre les allégoriques
les fantastiques,
les carnassiers
et herbivores,
il y a abondance
et même concurrence :
une vision multicolore
A l’instar des papillons ,
on pourrait en dresser un catalogue ;
ce ne sont pas nos homologues
– il y en a des millions –
les bêtes des antipodes
ou des profondeurs
ont aussi leurs admirateurs
( comme les scarabées et gastéropodes ) .
–
RC – juin 2017
Autochtone – ( RC )
Image :: création perso 2005
–
On peut s’égarer dans la forêt,
Si tu ne connais pas bien le chemin,
et tourner jusqu’au lendemain,
– On n’en connait pas bien les secrets .
Tu peux te guider aux petits bruits
Les déplacements subtils
des yeux de la nuit
Le glissement des reptiles
qui te surveillent,
l’ombre taciturne,
éloignée du soleil,
les oiseaux nocturnes
cachés dans les frondaisons
mènent leur vie tranquille
comme sur une île
séparée de l’horizon.
Imagine-toi en Afrique
où les singes se répondent,
alors que tu vagabondes
dans un lieu typique
qui t’éloigne quelque peu
des sentiers balisés :
pas de Champs Elysées,
mais un autre milieu :
une jungle épaisse
qui s’auto-multiplie
et où jamais elle ne te laisse
faire un safari .
Tu vas tenter de te guider
avec ces bruits furtifs :
Voila ce que c’est de se balader
dans ce parcours évolutif.
Tu vas contourner de larges flaques d’eau,
des rochers de latérite
– des obstacles dans ta visite –
et toi, toujours sac à dos
Quand tout à coup, un bruit t’immobilise
et qui va grandissant :
C’est la démarche imprécise
d’un ce ces habitants :
On les nomme autochtones,
comparés à toi, l’étranger :
ce ne sont pas des hommes
qui portent le danger ,
mais de ces animaux
qui parcourent avec aisance
de grandes distances
par monts et par vaux :
En voila un à présent
qui écrase de grands végétaux
comme de vulgaires poireaux
en s’avançant nonchalament.
C’est un peu bizarre
cette rencontre inopinée ,
mais choisissant de se baigner
dans la première mare :
C’est une sorte de colosse gris
qui paraît immense
et tranquillement s’avance
sans forfanterie
Tu peux voir de trois-quart
l’animal et son curieux épiderme
maintenant au milieu des nénufars :
c’est un pachyderme
Un de ces géants
pas très discrets
mais qui connait bien la forêt :
tu pourras suivre en son temps
les traces qu’a laissées
négligeamment
le grand éléphant
dans son pas cadencé
pour retrouver en effet
avec les arbres aplatis,
rapidement la sortie
à la façon du petit Poucet
A la place des cailloux,
tu peux remercier ton baigneur
qui fut aussi ton sauveur
et tu rapportes une photo de lui, ( floue ).
–
RC – oct 2016
Des manches et des roses – ( RC )
sur une photo de Daido Moriyama – Hands from Dog and Mesh
Tights, 2014-2015
Va savoir, si ce sont des soeurs jumelles :
Elles prêtent chacune une manche
Quand l’appareil se déclenche .
Ce sont deux demoiselles
qui, pour la photo se figent ;
Elles ne prêtent qu’une partie de leur corps
A l’envers du décor,
Le temps que les tiges
Developpent leur aube
Pour d’autres lendemains :
Et fleurissent sur les mains
comme sur les robes.
on ne voit pas leurs visages,
situés hors de la vision,
ce qui pose la question
de leur âge…
C’est une longue pose,
qui dure quelques années,
mais pas assez pour faner
les pétales et leurs roses ….
–
RC – mai 2016
Thomas Duranteau – Ruine
( extrait du recueil Gastrolithes)
–
Ruine posée au bord des routes
pour dire l’absence
photo laissée à la poussière
Serrer trop fort
l’ombre d’une empreinte
Comme si l’humidité du monde transpirait dans un coeur d’argile .- ( RC )
peinture: Markino
—
On irait que le brouillard
s’étend jusque sur les yeux.
Est-ce un éblouissement,
Réparti entre les gouttelettes en suspension,
Qui ondule entre les immeubles ?
–
Les arbres sont comme des fantômes,
Leurs bras sont dressés,
Le ciel est orange,
Il est palpable
La ville transpire
–
Sous les lampes à iode,
Et se diffuse, si bien,
Qu’on n’a plus idée des distances.
Les routes quittent le sol,
Peut-être.
–
Les soleils artificiels se mêlent ,
C’est le lent cheminement des phares,
Rouges, jaunes,
Et les enseignes de néon,
Que l’on perçoit presque malgré soi,
–
On en a juste l’idée,
Comme si l’humidité du monde,
Transpirait dans un cœur d’argile,
Et peinait à s’imprimer,
Même sur la photo.
–
On en compterait les grains,
Un bruit dans l’image,
Le tremblotement des lueurs mobiles,
Qui peut-être ont froid,
Aussi.
–
RC – mai 2015

Glasgow
La chaise rouge – ( RC )
peinture: Mark ROTHKO : 1957
Dans l’image a surgi
Le grain, la palpitation
L’émotion rougie
Presque la déflagration
D’ une barre courbe
Un signe du sombre
De puissance encombre
C’est ce rouge fourbe
Il n’est ni sang ni cerise
Se détache lumière
En donnant à sa guise
Forme à la matière
Un éclair de couleur
Traverse ma page
Un éclair de douleur
De la photo, l’otage.
Aux accents de lave
Des blancs et bleutés
Opposés, ameutés
Les autres sont esclaves
dec 2011 RC
photo: Chris Jones
Et avec les « commentaires »…
Raymond Penblanc – Comme sur la photo
–
( extrait de parution de la revue « Secousse « , n°9 )
–
Comme sur la photo Je vois bien qu’elle me reproche quelque chose, sans parvenir à saisir ce qu’elle dit.
D’après le dessin de ses lèvres il pourrait s’agir de « je », ou alors du « ch » de « chéri », qui n’est pourtant pas un mot de son répertoire. Qu’est-ce que ce mot viendrait faire ici d’ailleurs, surtout si c’est à moi qu’elle s’adresse ? Ses petits chéris sont debout à côté d’elle, Violaine sur sa gauche, Paul sur sa droite. Entre eux et moi il y a ce large parterre de fleurs qu’il faudrait que je franchisse pour pouvoir les rejoindre. Elle ne devrait pas être irritée contre moi. Non seulement je n’ai pas piétiné ses fleurs, mais je n’ai toujours pas bougé. Et si c’était mon immobilité qu’elle me reprochait ? En principe je devrais me trouver avec eux, mais où exactement ? Sur sa droite ou sur sa gauche ? Sur sa droite bien sûr, ça équilibrerait, Paul rejoignant Violaine sur sa gauche. Violaine, revêtue de cette petite robe claire qui lui va si bien, tenant glorieusement sa petite ombrelle de papier crépon dans ses deux mains, Paul toujours très raide, avec ses cheveux blonds toujours aussi sagement peignés,
séparés par cette immuable raie à gauche, qui est également le côté où il cligne de l’œil, clignement qui lui tire la pommette vers le haut en le faisant grimacer.
Il ne dit rien, ni Violaine non plus. Il n’y a qu’elle qui parle, dont la lèvre inférieure, légèrement retroussée semble exprimer une petite moue de réprobation. Il ne peut donc s’agir d’un « ch », mais plus vraisemblablement d’un « u », ce qui me laisse à nouveau perplexe, car je ne vois pas quelle phrase s’adressant à moi pourrait commencer par un « u ». Est-ce à moi qu’elle s’adresse d’ailleurs, et pas plutôt à Violaine et à Paul ? Et pour leur dire quoi ? Qu’ils ont beaucoup de chance de se trouver du côté où ils se trouvent, et pas de celui où je me situe, moi, comme dans un autre monde, étrange, obscur, incertain, et dangereux surtout. « Voyez », tel est sûrement le mot qu’elle prononce. « Voyez », insiste-t-elle, sans trop appuyer, (il ne faudrait surtout pas les effrayer.)
Elle ne sait comment disposer ses mains, qu’elle laisse retomber maladroitement, une sur chaque hanche, le long de cette robe d’été que je me rappelle lui avoir toujours vue. Une robe blanche à fleurs bleues, serrée à la taille par une ceinture de même couleur et ornée des mêmes motifs, qui lui descend assez bas, juste au-dessus des chevilles. Son bras droit m’apparaît plus détaché du corps que le gauche, signe qu’elle pourrait s’en être servie pour me désigner à Violaine et à Paul, avant qu’eux-mêmes me découvrent à travers cette pénombre qui recouvre progressivement le jardin, de mon côté du moins, alors que ça ne devrait pas être le cas du leur, car je les distingue parfaitement dans cette lumière presque irréelle qui pourrait laisser croire que c’est encore le matin pour eux, et sans doute aussi l’été. Cependant il y a quelque chose qui me gêne.
Est-ce le sourire de Violaine, cette façon nunuche de brandir sa petite ombrelle de geisha ? Est-ce la raideur de Paul à la raie trop sage, cette tension qui lui tire sur la joue comme s’il me faisait de l’œil ? Leur sourire n’en est pas un, c’est une grimace de circonstance, celle qu’on s’inflige en présence des morts, cet affreux sourire que les vivants accrochent à leurs visages compassés, y compris les enfants dès lors qu’on les y oblige, ce sourire qu’ils adressent aux grandes personnes devant lesquelles on les force à s’incliner.
Pour Violaine et pour Paul je suis un grand, je suis l’aîné. Celui qui s’est séparé d’eux très tôt, qui est parti, dont ils ont entendu parler de loin en loin et toujours à demi-mots, comme d’un étranger, comme d’un malade aussi, qui reviendra peut-être, quand devenus grands eux-mêmes ils auront perdu, elle ses préciosités de petite fille, lui ses raideurs de petit garçon mal dans sa peau. Ils doivent sûrement me reconnaître. Je n’ai pas tellement changé. J’ai juste un peu moins de couleur sur les joues, et mon visage doit être terriblement figé.
Cependant mes yeux sont encore bien ouverts puisque je les vois. Eux attendent sans doute que je me manifeste par un mot, ou par un geste qui contribuerait à détendre l’atmosphère. Ils espèrent ça de moi, et elle aussi, qui ne peut accepter de les avoir préparés à me découvrir couché sur ce lit si je ne m’explique pas un peu. Certes, ils ont très peur. Pourtant ils savent déjà, ils connaissent mon secret.
C’est pour ça que Violaine a apporté son ombrelle, et c’est pour ça que Paul est resté tête nue, sans sa casquette, et qu’il cligne de l’œil. Comme sur la photo. En tout cas c’est ainsi que je me souviens d’eux, et pour cause, c’était toujours moi qui les photographiais.
Se couvrir la tête dans des circonstances comme celles-ci ne se fait pas, même à cet âge. Elle les a bien dressés. Elle leur a certainement recommandé de ne pas s’agiter, de ne pas bâiller, de ne pas soupirer, de ne pas sangloter. Et ils ne devront pas se sauver non plus. Mais voilà que tout se précipite et que je cesse brusquement de les voir. Des pas, nombreux, résonnent en se dirigeant vers moi.
Je me croyais pourtant en sécurité ici, au cœur de ce jardin, dont je me serais bien gardé de fouler l’herbe, de piétiner les fleurs. Quelqu’un vient de fermer un rideau sur mon côté droit, tandis qu’on en ouvrait un autre sur mon côté gauche. Le bruit de fleurs écrasées proviendrait-il donc de là ? En tout cas il m’apparaît brutal. Moins que cette lumière qui m’aveugle à présent, avant même que j’aie eu le réflexe de me plaquer les mains devant les yeux.
En un instant je suis emporté. Je sens que le mouvement du chariot se transmet à tout mon corps. Puis la voix retentit. « Préparez le bloc. C’est pour un lavage d’estomac. »
–
Raymond Penblanc a publié 3 romans aux Presses de la Renaissance et publie aujourd’hui des nouvelles, essentiellement dans la Revue des Ressources et aux Éditions de l’Abat-Jour ainsi que dans des revues (Brèves, l’Ampoule, Népenthès, Le Livre à Disparaître, La Femelle du Requin)
Erwin Mortier,- Temps de Pose 01
Il y a aussi les livres que je suis en train de lire…
et j’aime ( dans la surprise, et au fur à mesure que j’avance dans la lecture, distiller de petitsextraits)…
—–
TEMPS DE POSE
Contre toute raison, j’étais persuadé qu’il devait exister quelque part un monde d’images que personne n’avait jamais fixées sur la pellicule, sauf peut-être la lumière du soleil qui emportait un fragment de tout ce qu’elle balayait et l’assemblait, Dieu sait où, avec toutes ces figures sans relief qu’elle décollait patiemment des cadres, des albums ou des ténèbres de la vieille valise dans laquelle je conservais mes photos les plus précieuses.
J’attendis qu’il fasse presque nuit avant de prendre la valise sous le lit, d’ouvrir le couvercle et d’ajouter la lettre de ma mère au-dessus des autres.
L’éclat cuivré du soleil couchant derrière les arbres évoquait ce soir-là un immense réservoir de barrage, un au-delà de surfaces qui s’étaient reflétées par le passé, un autre monde d’un miroitement fragile, et inaccessible.
Je vois la même lumière, il y a longtemps. Dans une pièce où j’entends des pas, une porte s’ouvre en tremblant sur ses gonds et quelqu’un crie mon nom.
Je veux me lever, je n’y arrive pas. Je sens la fureur bouillonner en moi, le picotement salé des larmes dans mes yeux.
Je vois que je porte des petites chaussures bleues à lacets de cuir. Je les entends encore racler le carrelage, quand avec une rage impuissante, je shoote dans mes petites autos, mes cubes et mes crayons.
Je vois mon père me tendre les mains. J’ai gardé quelque chose de son large sourire qui donne parfois une dureté inattendue à mon visage malgré les doux traits hérités de ma mère.
Je m’accroche à ses doigts pour l’ escalader, j’ ai du mal à trouver mon équilibre et sens un frémissement dans mes mollets.
Dans une arrière-cuisine, j’entends toquer sur le couvercle d’une casserole les gouttes d’un robinet
qui fuit, et le vide de toute une maison résonner dans l’écho.
Mon père me prend dans ses bras, il fait siffler le vent dans mes boucles blondes et me lance de plus en plus haut. Ma poitrine se contracte. Je m’entends hurler, plus de peur que de rire, au moment où je quitte ses mains et ne sens plus que de l’air autour de moi.
Qu’aura-t-il crié ? « Hop là, Joris, on vole. »
Impossible à lire sur ses lèvres.
Je ne sais pas qui a pris cette photo, qui m’a définitivement laissé suspendu dans le vide au-dessus de ses doigts, comme un angelot craintif.
, de Erwin Mortier, est publié aux éditions fayard (2002)
Joachim Séné: Comme une apparition
comme une apparition
l’homme est assis à terre dans le salon
comme une apparition
sur les murs face à face deux glaces
fixées dessus des planches de bois supportent
comme une apparition
ses soldats de plombs poussiéreux
une série de photos encadrées
visages d’enfants d’adultes et le sien
comme une apparition
dans les miroirs
des collections de portes clefs et de vases vides disparates
une plaque d’immatriculation rouillée
un présent est resté là pour chaque année passée
comme une apparition
05/2001
Provenance: Fragments, chutes et conséquences
Là où mon pays te chante – ( du blog de bleupourpre )-
Viens,
Là _ Il y a
Ce chapelet de lumière
Que les doigts du ciel égrènent
Eternité capturée
Aux filets de la seconde.
Et l’oiseau
Détroussant de son chant
Les violons de l’air .
Viens
Là – Il y a
Le chemin de nos voix –
Des étendues jaunes
Débordant de jarres
Offertes à l’oeil du jour ,
Et des mers aux gants rouges,
Gémissant sous la clameur
Des aurores peuplées.
Viens
Là où mon pays te chante
Dans son apocalyse de syllabes
Là
Où la tension des mains
Se décrispe
Et s’enroule aux baisers des fougères,
Entrelaçant
Les sentinelles vivaces
De la trame de nos sangs.
texte issu de http://bleupourpre.canalblog.com/archives/2011/04/index.html, avec l’aimable autorisation de Nathalie, l’auteur…
photo ; ( montage à partir de photos perso de cabanes de plage au Portugal. )
Aux années de plomb (RC)
Entre mon sourire,
je crois percevoir,
le grain de ta peau.
Aux années de plomb
A la fontaine scellée
Esprit retiré
Au baiser du crapaud
Aux contes de Perrault
La belle endormie
Maîtresse du temps
De plomb fera plume
Les mots jailliront
Captive libérée
Oppression dégelée
Pensée désentravée
Aux sources sans larmes
Fontaine je boirai de ton eau
Et encore boire tes pages.
—
ce texte est un écho à celui d’Arthémisia: voir son post:
Entre les larmes
Je crois encore voir
Les pages de ta peau.
Photo: Imogen Cunningham
le rouge est la couleur de l’ensanglantement…
» debout il y a trop de bruit
à l’usine des dentelles…
Alors je m’asseois »
Là, sur la chaise rouge…
Des bises Ren
12/19/2011 à 12 h 55 min Modifier
On peut avoir cette interprétation, moi, je la vois distincte ds autres couleurs, justement parce qu’elle est chaude
oui, et le sang, c’est chaud…et c’est la vie…j’ai toujours été impressionnée de celui qui coule en chacun de nous, mais dans le bon sens, je dirai…je n’aime pas le voir couler, parcequ’en génèral c’est » mauvais » signe, mais j’aime imaginer chaque humain comme un arbre empli de cet ensanglantement qui pulse et pulse encore..c’est ça qui m’est passée dans la tête avec la chaise rouge…et m’asseoir sur une chaise rouge, ça équivaudrait à m’ésseoir dans la vie…
Sourires…
En réponse à ce que tu viens de poster, un sourire avec de la lumière à l’intérieur..oh; oui, je vois ça parfois autour de moi, c’est absolument cadeau des sourires pareils…
12/19/2011 à 14 h 42 min Modifier
En fait j’ai écrit ça l’autre jour en pensant à une photographie que j’ai faite ( une diapo) sur laquelle j’aimerais bien remettre la « main ».. j’avais mesuré l’intensité de la couleur avec une cellule faite pour çà, et effectivement le rouge était « criant » de vérité…
quant au sourire de E De Andrade, l’allusion sexuelle est criante aussi, j’avais même dans un de mes textes écrit quelque chose d’approchant avec un sourire « vertical »… il faudrait que je le retouve…. j’ai déjà idée où il peut être…
12/19/2011 à 15 h 09 min Modifier
2 choses:
« Le rouge est la lumière dans le temps. »
Rupprecht GEIGER
et http://corpsetame.over-blog.com/article-1112-ceux-qui-restent-43321780.html
pour un travail d’ Elke KRYSTUFEK