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Articles tagués “photographie

Photographie – (Susanne Derève) –


Robert Doisneau – Portraits de famille

.

Photographie qui était nous,

que je ranime d’un regard,

d’un regret,

du battement d’un cœur qui n’est pas chair,

sang, mais le nœud lancinant de l’amour.

.

Désormais perdus pour l’enfance,

voués aux éclatantes couleurs du monde

et du voyage, ils sont.

Ainsi, l’oiseleur rend l’oiselet au vent,

surpris de son aisance à gagner les couloirs

du ciel, et de la vigueur de ses ailes.

.

Ce temps passé fut nuée de jours heureux,

– cirrus, ouate, tendresse,

pluie bienfaisante des orages d’été –

Ce que nous avons consumé d’amour :

inépuisable mue de printemps, fruits rouges,

feux de Saint-Jean.

.

Nous reste la chaleur des voix, l’élan d’un corps

qui reconnaît les siens – baisers-

et l’absence palpable, pareille à ces formes de glaise 

qui prennent vie et puis s’effondrent, rebelles,

entre les doigts.   

  


Ce qu’il reste derrière l’image – ( RC )


photographie Cato Lein

C’est en progressant dans une pente grise,
où les ombres se confondent,
que l’on devine une présence invisible,
image subliminale derrière l’image.
Nos pas soulèvent la cendre :
elle s’accroche aux rochers,
et aux troncs d’arbres que l’on distingue à peine.
C’est un brouillard aux formes diffuses ,
tel un buvard de poussières,
qui recouvre inexorablement toute surface.
C’est une chose étrange, ….on la suppose liée à la photographie.
Tout ce qui entoure le lieu semble appelé à disparaître.
Il sera inutile de gratter la surface.
L’Eden originel ne se situe pas dessous,
le regretter ne sert qu’à éveiller l’inquiétude :
un rapace aux ailes grises,
qui ne secoue que l’ombre.


Nicolas Bouvier – Les Indes galantes –


Photographie Nicolas Bouvier – En route vers l’est après la fonte des neiges, Azerbaïdjan, printemps 1954

.

Nombril du continent
Poumon léger du monde et poussière douce au pied

Cette route a beaucoup pour elle
dans tous les axes de la boussole
c’est l’espace et l’éternité
savanes couleur de cuir
vautours en rond dans le ciel cannelle
villages verts autour d’une flaque
dieux érectiles couverts de minium
et de papier d’argent
cités croulantes, tarabiscotées
et regards qui croisent le tien
jusqu’à l’écœurement

Tu te pousses à petite allure
un mois passe comme rien
tu consultes la carte
pour voir où t’a mené la dérive du voyage
deltas vert pâle comme des paumes ouvertes
plissements bruns des hauts plateaux
les petits cigares noués d’un fil rouge
ne coûtent que cinq annas la botte
où irons-nous demain ?

A la gare de Bezwada
tu as dormi sur un banc
tu sentais dans tes reins le poids de la journée
des quatre coins de la nuit les locomotives
arrivaient
en meuglant comme des navires
paraphes de nacre sur les eucalyptus

La lune montante était si pleine
et la vie devenue si fine
qu’il n’était ce soir-là
plus d’autre perfection que dans la mort

Solarpur, Inde centrale
Genève, 1978

1- Nicolas Bouvier à la terrasse d’un hôtel à Téhéran ; 2 et 3 – Tabritz (Azerbaïdjan iranien, hiver 1953-54)

Tabriz

Plumage de givre sur la vitre
la bûche d’acacia tinte comme porcelaine
l’encre est solide dans l’encrier
souffle dans tes doigts
tends l’oreille
C’est dans la mandorle de cet hiver perdu
dans l’auréole jaune du pétrole
dans le cocon enfoui de ta jeunesse
que tu as appris à épeler
un des noms secrets du bonheur

Friches noires
le sol gèle aussi dur que verre
poids de la neige
ville bancale
gesticulants vergers griffus
secrets du monde ancien aussitôt reperdus

Ce que le corbeau dit à la corbelle
quand l’éther du froid fait tituber nos ombres
l’évêque ne l’entendra pas
même au jour de la Danse des morts

Genève, 1977

* mandorle : figure en forme d’ovale ou d’amande dans laquelle s’inscrivent

des personnages sacrés

Le dehors et le dedans
Editions ZOE


Pour compléter la playlist – ( RC )


Tout commence en ouvrant les dossiers.
Je cherche de la musique,
pour compléter la playlist.
Je trouve des trucs pour la soirée.
Faut c’qui faut…

Cocktails en tout genre,
boules de lumière
fauteuils profonds, rideaux de velours
ambiance soft, affiches de cinéma,
cadres à l’ancienne sans photos d’ancêtres…

ça commence bien,
ça déménage et monte en puissance…
batterie, solos de guitare,
le chat rayé qui détale,
une bouteille renversée,

un verre cassé,
la tache sur le tapis
qui s’élargit.
C’est juste avant le slow,
vite, des papiers journaux !

Je tombe sur ta voix,
je ne l’avais pas reconnue.
La voilà qui se dresse
appelle le silence,
et tout est avalé, le moindre son,

le cramoisi du velours,
les cocktails évaporés,
le chat collé au plafond,
l’électricité coupée,
les cadres rétrécis…

mais seulement la voix
verticale au milieu du salon
qui provient d’on se sait où.
Tout le monde est saisi
n’esquisse plus un geste,

tout devient gris
rentre dans le passé,
immobilisé dans le papier glacé
à même la photographie,
juste avant l’oubli…


La réparation de la photographie – ( RC )


photo André Fromont

L’atelier de réparation
n’a rien pu pour l’image:
c’est vers l’horizon
que l’on va sans dommage.
( J’ai juste repeint le fond
en cherchant la couleur qu’il faut,
sans tenir compte des nuages…)
Il faut dire que la taille du pinceau
ne permettait pas de faire des ronds

– même l’eau est restée grise
en bordure de plage,
comme si elle était prise
par le gel des sels d’argent -.

L’essentiel est sauvé,
car les petits personnages
semblent avoir traversé le temps
et sont sortis de l’oubli:
ils marchent à petits pas,
bientôt , seront à côté de toi…
tu vas pouvoir leur décrire
ce qu’est devenue ta vie
après quelques décennies;

peut-être qu’ils vont rire
de leur rêve en couleur pastel:
ils ont oublié que la photographie
toujours leur rappelle
quelques souvenirs
parce que leurs émotions
sont enfouies dans le passé :
l’atelier de réparation
ne les a donc pas effacées…


Mahmoud Darwich – Mirage –


Sebastião Salgado ( lac de l’erg Oubari – Fezzan libyen )
.. le mirage est le livre du voyageur
dans les déserts...
Sans lui, sans le mirage, pas de marche
en quête de l'eau. C'est un nuage, dit-il,
portant d'une main la cruche de ses espoirs
et pressant de l'autre sa hanche.
Et ses pas martèlent le sable
pour rassembler les nuages dans un trou.
Et le mirage l'appelle, le séduit, 
le trompe puis le porte haut :
Lis, si tu parviens à lire.
Ecris, si tu parviens à écrire

Il lit : Eau et eau et eau,
et il trace une phrase sur le sable :
N'était le mirage,
je ne serais pas vivant à ce jour.

L'espoir est par chance du voyageur,
le jumeau du désespoir
ou sa poésie improvisée.
Si le ciel est gris,
que je vois une rose pointer soudain
des fissures d'un mur,
je ne dis pas : Le ciel est gris,
mais je fixe longuement la rose 
et je dis : Quel jour que ce jour !


Le Lanceur de dés, Mahmoud Darwich
(Actes Sud, 2010).

Poèmes traduits de l’arabe par Elias
Sanbar


Qui a saisi ce sourire doux-amer ? – ( RC )


dessin RC ( encre de chine et lavis )- 1978 – 50×65 cm

Les trains du soir
se sont enfuis dans la nuit,
et ton sourire a ces lèvres absentes
de la beauté fanée
d’une photographie
qui a mal vieilli.
Une pellicule dans un album photo
oublié au fond d’une armoire.

Je ne sais plus qui a saisi cet instant,
ce sourire doux-amer
qui rappelle celui de la Joconde,
derrière son épaisse armure de verre
– le mystère d’une perspective
difficile à saisir – ,
une fleur épinglée sur la poitrine
laissant échapper son parfum.

Qui se souvient des fêtes et de la joie,
des portes qui grincent,
des fenêtres ouvertes sur l’azur ,
des verres qui tintent,
de la guerre tendre des regards ?
           une guerre qui pâlit
          comme s’effacent les voix
          de ceux qui t’ont connue.

L’or des cheveux
retrouverait-il son feu,
ton oeil, son incandescence
le vent ,      son insolence ,
             si le sort était levé,
tu reviennes à la vie,
extraite comme par magie
de la photographie ?


Jean-Claude Pinson – Bovins statufiés


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peinture  – Thomas  Hart Benton

 

Photographie saisie en passant en voiture
un jour sans doute de sombres mélodies
dans la tuyauterie cérébrale :

dans les urines noires
de l’automne en bordure de banlieue
des bovins statufiés attendent
dans le vent on ne sait quoi

dans le gras des labours
on dirait qu’ils dépriment

.


Colporteur du temps – ( RC )


peinture perso sur enveloppe – mail art – acrylique sur papier 2004

Le colporteur du temps
N’a pas sa montre à l’heure
Et a laissé se faner les fleurs
Des rendez-vous d’avant

En semant les traces à tout vent,
C’est tout un champ d’enfants
Qui grandissent en chantant
Déposés en sommeil, on les oublie souvent

Lorsque le hasard nous amène
A revenir sur nos traces
Les souvenirs reviennent,       et nous embarrassent
Le temps avait figé, – quel phénomène – !

un geste dans l’espace
La terre humide, qui fume
Le village, perdu dans la brume
Et de lointains ressentis passent

Ton sourire d’avant                           est resté le même
Dans mon souvenir;                                      il est ce défi
Que me lance encore,                         ta photographie
Les fleurs d’antan ,                                 pour ce poème

Sont encore fraîches,   et la couleur
Que n’a pas retouchée le colporteur
Du temps, qui s’est étiré,     sans toi.
Couleur du bonheur,             en papier de soie.

25-01-2012

issu de la création de Pantherspirit: le colporteur du temps


Philipp Larkin – à propos de l’album de photos d’une jeune femme


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Enfin vous m’avez laissé voir cet album qui,
Une fois ouvert, m’affola. Tous vos âges
En mat et en brillant sur les épaisses pages !
Trop riches, trop abondantes, ces sucreries
Je me gave de si nourrissantes images.

Mon œil pivote et dévore pose après pose –
Cheveux nattés, serrant un chat pas très content,
Ou vêtue de fourrure, étudiante charmante,
Ou soulevant un lourd bouton de rosé
Sous un treillage, ou portant chapeau mou

(Un peu gênant, cela, pour diverses raisons) –
De toutes parts, vous m’assaillez, les moindres coups
Ne venant pas de ces types troublants qui sont
Vautrés à l’aise autour de vos jours révolus :

Dans l’ensemble, ma chère, un peu indignes de vous.

Mais ô photographie semblable à nul autre art,
Fidèle et décevante, toi qui nous fais voir
Morne un jour morne et faux un sourire forcé,
Qui ne censures pas les imperfections
– Cordes à linge et panneaux de publicité –

Mais montres que le chat n’est pas content, soulignes
Qu’un menton est double quand il l’est, quelle grâce
Ta candeur confère ainsi à son visage ,
Comme tu me convaincs irrésistiblement
Que cette jeune fille et ce lieu sont réels !

Dans tous les sens empiriquement vrais ! Ou bien
N’est-ce que le passé ? Cette grille, ces fleurs,
Ces parcs brumeux et ces autos sont déchirants
Simplement parce qu’ils sont loin ;

En semblant démodée, vous me serrez le cœur,

C’est vrai ; mais à la fin, sans doute, nous pleurons
D’être exclus, mais aussi parce que nous pouvons
Pleurer à notre aise, sachant que ce qui fut
Ne nous priera pas de justifier notre peine,
Même si nous hurlons très fort en traversant

Ce vide entre l’œil et la page. Ainsi, je reste
A regretter (sans nul risque de conséquences)
Vous, appuyée contre une barrière, à vélo,
A me demander si vous noteriez l’absence
De celle-ci où vous vous baignez ; en un mot,

A condenser un passé que nul ne peut partager,
A qui que ce soit votre avenir; au calme, au sec,
II vous contient, paradis où vous reposez
Belle invariablement,
Plus petite et plus pâle année après année.

Philipp LARKIN
« The Less Deceived  »
(The Marvel Press, 1955)  Traduction in « Poésie 1 » n° » 69-70


Robert Creeley – Distance


protect our children....jpg

photo: Tamsin

 

Distance

 

1

Comme j’avais
mal, de toi,
voyant la

lumière là, cette
forme qu’elle
fait.

Les corps
tombent, sont
tombés, ouverts.

Cette forme, n’est-ce pas,
est celle que
tu veux, chaleur

comme soleil
sur toi.
Mais quoi

est-ce toi, où,
se demandait-on, je
je me demandais

 

toujours. La
pensée même,
poussée, de forme

à peine naissante,
rien
sinon

en hésitant
d’un regard
après une image

de clarté
dans la poussière sur
une distance imprécise,

qui projette
un radiateur en
arêtes, brille,

la longueur longue
de la femme, le mouvement
de l’

enfant, sur elle,
leurs jambes
perçues derrière.

 

 

2

Les yeux,
les jours et
la photographie des formes,

les yeux
vides, mains
chères. Nous

marchons,
j’ai
le visage couvert

de poils
et d’âge, des
cheveux gris

puis blancs
de chaque côté
des joues. Descendre

de la
voiture au milieu
de tout ce monde,

où es
tu, suis-je heureux,
cette voiture est-elle

 

à moi. Une autre
vie vient à
la présence,

ici, tu
passes, à côté
de moi, abandonné, ma

propre chaleur
réprimée,
descendre

une voiture, les eaux
avançant, un
endroit comme

de grands
seins, le chaud et
l’humide qui progressent

s’éveillant
jusqu’au bord
du silence.

3
Se dégager de comme en amour, ou

amitié de
rencontre, « Heureux de vous

rencontrer — » Ces
rencontres, c’est
rencontrer

la rencontre (contre)
l’un et l’autre
le manque

de bien-être, le mal
aise du
cœur en

formes
particulières, s’éveille
contre un corps

comme une main enfoncée
entre les jambes
longues. Ce n’est

que la forme,
« Je ne connais pas
ton visage

mais ce qui pousse là,
les cheveux, malgré la fêlure,
la fente,

entre nous, je
connais,
c’est à moi — »

Qu’est-ce qu’ils m’ont fait,
qui sont-ils venant
vers moi

sur leurs pieds qui savent,
avec telle substance
de formes,

écartant la chair,
je rentre
chez moi,

avec mon rêve d’elle.

 

Robert Creeley

Traduit de l’américain par ]ean Daive


Décalqués dans le relief des choses – ( RC )


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photo : Pentthi Sammallahti

 

 

Je suis rentré par hasard dans un enclos,
je m’en suis approché, comme si j’avais tourné
une page d’un livre,         et que la photographie du lieu
me chuchote la chanson de son infini.

Je ne regarde pas ce monde ;
                                             c’est lui qui me regarde,
car l’immobilité ne semble qu’un faux semblant.

Les chiens et oiseaux solitaires,         je les reconnais,
mais il semblent des survivants dans un monde pétrifié,
la lumière sourdant de l’intérieur, même…

Il y a aussi des hommes, se découpant sur celui-ci,
mais                   qui ne semblent pas à leur place ,
survivants aussi d’un lieu, décalqués dans le relief des choses,
                       happés par l’étrangeté des instants,

où la lune se cristallise,
les arbres dépouillés peints par Bruegel
semblant y trouver leur place.

C’est qu’une fois après avoir longé cet enclos,
y être entré comme par effraction ,
il est difficile d’échapper  aux noirs profonds, et bruns tourbeux,
et à la neige qui semble attendre.

Cela demeure, à la façon d’une image      qui s’inscrit en creux,
comme la persistance rétinienne . :
on ne peut se contenter de tourner la page pour revenir au point de départ ;

rien ne coule,              le méandre du fleuve fait vœu de silence ,
et on dirait que l’origine du monde est tout à côté.
           Ce qu’on prend pour une esquisse
          a quelque chose de définitif.


RC – juin 2017


Deux volumes et deux bouteilles ( presque un Morandi )- ( RC )


R wie rund 5278069652.jpg

photographe non identifié

 

C’est comme un aria,
          un brin suspendu ,
avant l’extrémité du parcours de l’archet…. ,

La lumière chatoie,
comme vibre encore la corde :
l’eau reste attentive dans la carafe,

L’épaisseur du verre          soupire,
hésite à donner de l’ombre sur le mur,
– ou alors si légère –

une pâte              qui entoure le creux,
immobilisée,   – fusion de la silice –
participe           au léger grain du fond :

ainsi le ferait le bourdon,
soutenant l’envol des voix…
posées             comme les deux objets

aux rayures noires,        régulières ,
–   légèrement ironiques – .
De taille semblable,

ils sont insolemment lisses,
ronds,               mais sans rouler,
contrepoint musical

On pourrait imaginer les voir
quitter le sol,
se mettre          en mouvement

perturber le liquide ,
sautiller en désordre
dans cet accord          trop parfait

auquel seuls croient
les gris cristallins
de la photographie .


RC avr 2017


Vue du pays de dedans – ( RC )


 

Il se balance,

comme s’il chutait immobile,

cloué dans l’espace,

accroché au silence.

 

Les grands buildings sont une forêt

plantée sur ses reflets de verre.

 

A leurs pieds se faufilent péniblement

des files d’autos sous des fumées grises

répondant aux paraboles lumineuses

de nuages en chou-fleur.

 

C’est un entre-deux

 

où circulent des courants d’air,

et peut-être le fil de la mémoire,

traçant ses courbes

jusqu’à l’horizon des rêves.

 

Je remonte en biais

les heures perdues,

me nourrissant du temps,

photographie passagère,

 

s’effaçant peu à peu

avec le jour naissant,

au pays du dedans .

 

RC  – janv  2015


Le sentiment d’appartenir à une même espèce – ( RC )


photo et création Mickaëlle Delamé

 

 

Plutôt qu’insérer sa tête,
Dans une photographie,
et l’ovale découpé,
pour y placer son visage
il faut punaiser sur le mur
une  feuille  de papier kraft,
se dessiner  en taille  réelle,
toi debout, toi assis,
et parfois  tourner la tête,
pour que les gens
puissent  se regarder,
se mettre en couleurs,
s’échanger quelques paroles,
en bulles phylactères,
animer un bras, un torse,
puis les jambes  ….
L’habit qu’on a choisi,
ne fait pas son moine   ;
D’ailleurs il n’y
en a pas   ( de moines)
chacun alors,
sort à sa manière
de son rôle, et du dessin,
devient lui-même,
sorti du regard de l’autre,
se côtoient,
les personnages
trouvant leur auteur,
décalés d’ombres chinoises,
et quelque chose de commun,
le sentiment d’appartenir,
sans doute
à une même  espèce .


RC –

nov 2014


C’est dire, comme les fleurs fanent ( RC )


image 143

C’est dire, comme les fleurs fanent,

Elles jettent leur éclat d’or et de pourpre,

Abandonnent de suaves parfums,

Au vent et aux insectes,

> Mais qui se souvient d’elles,

Une fois leurs pétales flétris,

Et leurs vives couleurs, ternies ,

Si ce n’est la photographie ?

Laisse vivre les fleurs par myriades,

Comme elles peignent les champs,

En teintes insolentes,

Sous la tendresse grise

D’ondées de passage,

Et l’amitié traversière,

Des plus gros nuages,


Il y en a pour peu de temps.

Quelques semaines,

Ou quelques jours,

Et les corolles fines,

Perdent leurs couleurs vives….

Les souvenirs des coquelicots,

Sont feuilles bien légères,

Aux pieds des jeunes blés,

Il suffit d’un courant d’air.

Laisse vivre aussi la chenille,

En souvenir de sa métamorphose,

Et quelques jours vécus,

En pétales fantasques,

Papillonnant dans les champs,

Ou au-dessus des chemins,

Donnant le change aux feuilles

Tremblantes des peupliers.


Quelques jours de grâce accordée,

Somptueux motifs éparpillés….

> Te souviendras-tu de moi,

De mon front dans les brumes

Et de mes herbes folles,

Tremblant, juste avant le sol,

Et mes mains dans l’amour,

Quelques jours ou toujours… ?

RC – 8 septembre 2013

25695.tif


Le défilé des images ( RC )


Afficher l'image d'origine


En suivant les traces du temps
Comme des empreintes laissées dans la boue,
Il y a,                         sur ce fil,
Le défilé des images
De celles qui marquent un instant
Et finissent par pâlir,

Cartes postales oubliées au fond des tiroirs,
Restes d’affiches de campagnes électorales,
Catalogues fournis pour produits d’antan,
Et aussi les albums épais,
Des photos de famille.

Je parcours le tout,
Où se transforme,
En épisodes chronologiques,
L’univers,      même réduit au dehors,
Bordé de maisons proches,
Qui s’enhardissent de grues,
Et deviennent immeubles.

La famille rassemblée,
Au pied de l’escalier,
S’est agrandie d’un nourrisson,
Maintenant debout sous un chapeau de paille,
Puis, regardant sur la droite,
Le chat gris faisant sa toilette,
Que l’on retrouve seul, enroulé sur lui-même.

Ensuite, c’est une tante de passage,
Dans ses bras, une petite soeur arrivée…
>      Tout le monde est gauche,
Dans ses habits du dimanche,
Après le repas,
Peut-être suivant le baptême;
….           Il fait très beau dehors.

Ce sont donc des photos du jardin,
Les enfants jouent au ballon,
.         Le tilleul a étiré son ombre,
Au-delà de la grille voisine.
Plus tard,  toujours sur l’escalier,
Les habits suivent une autre mode,
….Dix ans se sont écoulés.

Le grand-père n’est plus,
Les allées sont cimentées,
La perspective est close,
D’un nouveau garage,
Occupé d’une  voiture,
Brillant de ses chromes,
Elle apparaît sombre,
Peut-être verte…

Un autre album,
Tourne la page d’une génération,
Le format des images a changé,
Issues d’un nouvel appareil.
C’est maintenant la couleur,
Témoignant des années soixante.

L’extravagance des coiffures,
Et des motifs géométriques,
S’étalant sur les murs,
Le règne du plastique,
Et du formica,   qui jalonne encore,
Les meubles rustiques      en bois.

Quelques pages plus loin,
Les teintes sucrées,
De photos polaroïd,
Donnent dans la fantaisie,
Des portraits déformés,
Pris de trop près,
Et surtout le voyage à Venise.

Gondoles et palais,
Trattorias et reflets…
Les lieux soigneusement mentionnés,
Au stylo à bille ….
>         Le beau temps tourne à l’orage,
—–  On suppose une  dispute,
Car l’album s’arrête là,

En mille-neuf-cent-quatre-vingt,
Sur la photo de l’amie,
Partie sous d’autres horizons,
Rageusement  déchirée,
Puis, maladroitement recollée,
Les souvenirs ne sont plus de mise,
Et restent clos dans le tiroir.

Le défilé des images,  lui,      s ‘immobilise.

RC  – 10 et 11 août 2013

un texte qui fait  « pendant  »  aux  « lamelles immobiles »


Sentinelle de la plaine – ( RC )


cloitre ste Trophime  - chapiteau       - 005

photo perso:    sculpture de chapiteau du cloître Ste Trophime Arles 2012

IMGP7266

Photo perso:   Inscription au dessus  du cloître de Ste Trophime      Arles  2012

Grégoire  Alexandre       - 003

photo Grégoire Alexandre, exposée lors des rencontres photographiques d’ Arles 2012

Arles       jeu d'arbre   pano  01

montage de photos perso Arles novembre 2011

IMGP4084

photo perso:    Arles bords de Rhône

Les Alpilles, sont une  série de dents
Une série de barrières
D’ascensions calcaires
Sous le soleil ardent

Qui en prend à ses aises
Suivant      la route des oliviers
Au mistral,           rien à envier
Attendant qu’il s’apaise

Au milieu des jaunes
Comme s’apaisent les pentes
Le fleuve         portant l’eau lente
De       ses bras  de Rhône…

Il faut que je vous parle
De la ville  sereine,
Sentinelle de la plaine
— l’antique cité d’Arles

Au parcours de l’histoire
A capter le soleil
A nulle  autre pareille
Dressée dans le soir,

Prise            dans les filets,
Attrapée   comme une mouche
Lorsque le soleil se couche
….D’eaux,  l’arrose de reflets

Quand elle reprend haleine,
Ses maisons s’animent,
Les ruelles intimes
Aux pourtours des arènes

Aux lanternes, l’éclairage
Comme l’étape souterraine,
La vieille dame, de l’histoire romaine
….ne dit pas son age…

Arles  bas rel   remploi romain   face   ecole nat photo

Puis son monologue
S’habille de parures
Que fait la peinture
De Vincent Van Gogh

Il dit,         le taciturne
Au rayons de son art,
Les platanes des boulevards
Et le ciel nocturne.

La nuit étoilée
Aux parlers chantants
Les cyprès délirants,
Des Alyscamps, les allées,

Comme la Camargue est peinte
En touches serrées
Végétaux  acérés
Dont on garde l’empreinte.

Arles se détend,
et lance des défis
A la photographie

Et …prend le ciel nocturne pour amant.

RC  – 10 décembre 2012

voir  également le  texte  de Xavier Lainé:
et ma « lecture des Alpilles en Crau »    ( écrit de janvier 2012 )

peinture: V Van Gogh: paysage  avec maison

peinture: V Van Gogh: paysage avec maison

peinture: Van Gogh,  Cleveland museum of Art  USA

peinture: Van Gogh, Cleveland museum of Art USA


Lamelles immobiles ( RC )


Claude Monet Cathédrale Rouen

Claude Monet Cathédrale Rouen

Immobile  dans l’image,

Epinglé dans le ciel,

Au théâtre des objets,

L’oiseau n’est pas réel…

Dessin de son passage,

Une portion de trajet,

Le bout  d’une ligne,

Un instant de grâce,

Et peut-être le signe,

Le reflet dans une flaque

D’un ange qui passe

Et qu’à peine on remarque…

———–

Voyageurs en émotion lente

Le passager du jour

Succède à celui

D’une lourde obscurité

Et s’étonne encore

Que les choses en sommeil

Se révèlent au lendemain,

Cousines, ou bien semblables

A la même place

Et jouent à la permanence,

Même si l’atmosphère, leur peint des habits

De brume et de lumière.

Il y a des instants fugitifs

Qui modifient les  contours,

Ajoutent des touches de couleur

Et désignent autrement

– La cathédrale de Rouen – que l’on croyait connaître

Quand  s’élancent, immobiles

Les dentelles  gothiques

A travers les siècles .

Mais, même plus modestes

Les images les plus offertes,

Qu’on voit sur les présentoirs,

Se trouvent reproduites

Presque à l’identique

Sur les cartes postales.

Les vues générales,

Prises du promontoire

En couleurs ou en gris pâle,

Sont des moments d’histoire .

Le décompte des heures,

Les transformations ( et petites différences)

A identifier  – au jeu des sept erreurs-

D’un village de Provence …

En prenant la photo

Le passager du jour

Prélève, une fraction de seconde

Une infime portion du temps,

Et un peu de lumière

Comme une prise de sang

Aspirant le visible du monde,

Une piqûre  éphémère,

Où se précipite, hâtif

Le paysage, en périmètre limité

A l’intérieur de l’objectif,

… un instant d’éternité.

RC –   13 novembre 2012

– texte auquel j’ai trouvé un écho,  dans le blog  de « le vent qui souffle »

Interfaces

La photographie n’était que le reflet arbitraire d’un instant arraché à la fosse béante du temps, et ne livrerait pas d’autre secret que cette fixité étrange et ce témoignage troublant d’une vie abolie mais qui avait existé. Ce n’était qu’une trace, aussi bouleversante que les empreintes de mains retrouvées dans les grottes préhistoriques. Elle continuerait pourtant, avec déraison,

parce que cette vie retournée au néant continuait de l’émouvoir, à scruter la profondeur de ce regard, à suivre le mouvement de ces lèvres qui essaient avec peine d’esquisser un sourire, à interroger ce front trop grand sous les cheveux relevés, à examiner cette broche dorée qui rehausse le corsage sombre, à s’émerveiller devant le col de dentelle fine fabriqué par des mains délicates.

Sa mémoire avait conservé des milliers d’images plus récentes, en mouvement comme dans un film. Ces images-là, douloureuses, s’enfonçaient peu à peu dans les couches inférieures de la conscience, accompagnées d’une sorte de sentinelle chargée de les veiller, de les protéger contre l’oubli définitif, mais aussi et peut-être surtout d’empêcher la souffrance d’une remontée à l’air libre…

Une sorte de filtre magique ne laissait passer que les formes simplifiées ou mythiques du souvenir. Il n’était pas impossible de croire que ces formes pourraient revivre de la même façon que les vestiges d’une civilisation disparue, avec le recul et la passion des archéologues, la passion préservant l’émotion, le recul faisant barrage à la douleur. Il devenait possible également de croire que ces empreintes de vie laissées par une morte rétabliraient un passage avec elle, la « encore vivante ».

Et tous ces signes, il fallait désormais les déchiffrer, les décrypter, les interpréter comme des indices sur son propre destin, contenu dans la forme ronde de ce petit miroir de poche, cruellement figé et glacé côté pile, insaisissable comme l’eau courante, imprévisible, inquiétant, effrayant comme un torrent dévastateur, côté face.


Guy Goffette – Un peu d’or dans la boue


photo:          Rye Field, Finland                     auteur non identifié ( carte postale )

Un peu d’or dans la boue

I
Je me disais aussi : vivre est autre chose
que cet oubli du temps qui passe et des ravages
de l’amour, et de l’usure – ce que nous faisons
du matin à la nuit : fendre la mer,

fendre le ciel, la terre, tout à tour oiseau,
poisson, taupe, enfin : jouant à brasser l’air,
l’eau, les fruits, la poussière ; agissant comme,
brûlant pour, marchant vers, récoltant

quoi ? le ver dans la pomme, le vent dans les blés
puisque tout retombe toujours, puisque tout
recommence et rien n’est jamais pareil
à ce qui fut, ni pire ni meilleur,

qui ne cesse de répéter : vivre est autre chose.

II
Le temps qu’on se lève vraiment, qu’on se dise
oui de la pointe des pieds jusqu’au sommet
du crâne, oui à ce jour neuf jeté
dans la corbeille du temps, il pleut.

Ô l’exacte photographie de l’âme, ces deux mots
qui nous rentrent les yeux comme les ongles
dans la chair : il pleut. Le sang de l’herbe
est vert insupportablement et c’est en nous

qu’il pleut, en nous qu’une digue rompue
voit s’effondrer peu à peu, derrière la vitre
et parmi les voilures, avec des pans de vieux
regrets, d’attentes fatiguées,

les raisons de partir et d’habiller le froid.

III
Encore, si le feu marchait mal, si la lampe
filait un miel amer, pourrais-tu dire : j’ai froid,
et voler le coeur du noyer chauve, celui
du cheval de labour qui n’a plus où aller

et qui va d’un bord à l’autre de la pluie
comme toi dans la maison, ouvrant un livre,
des portes, les repoussant : terre brûlée, ville
ouverte où la faim s’étale et crie

comme ces grappes de fruits rouges sur la table,
vie étrange, inaccessible, présent
à celui qui ne sait plus désormais
que piétiner dans le même sillon

la noire et lourde argile des fatigues.


Guy Goffette
poème cueilli dans « La vie promise » précédée d' »Eloge pour une cusine
de province »
éditions poésie/gallimard


Philipp Larkin – album de photos d’une jeune femme


 

photo  Joan Bishop–

 

 

à propos de l’album de photos d’une jeune femme

Enfin vous m’avez laissé voir cet album qui,
Une fois ouvert, m’affola. Tous vos âges
En mat et en brillant sur les épaisses pages !
Trop riches, trop abondantes, ces sucreries
Je me gave de si nourrissantes images.

Mon œil pivote et dévore pose après pose –
Cheveux nattés, serrant un chat pas très content,
Ou vêtue de fourrure, étudiante charmante,
Ou soulevant un lourd bouton de rosé
Sous un treillage, ou portant chapeau mou

(Un peu gênant, cela, pour diverses raisons) –
De toutes parts, vous m’assaillez, les moindres coups
Ne venant pas de ces types troublants qui sont
Vautrés à l’aise autour de vos jours révolus :

Dans l’ensemble, ma chère, un peu indignes de vous.

 

photo Ivan Calabrese

Mais ô photographie! semblable à nul autre art,
Fidèle et décevante, toi qui nous fais voir
Morne un jour morne et faux un sourire forcé,
Qui ne censures pas les imperfections
– Cordes à linge et panneaux de publicité –

Mais montres que le chat n’est pas content, soulignes
Qu’un menton est double quand il l’est, quelle grâce
Ta candeur confère ainsi à son visage l
Comme tu me convaincs irrésistiblement
Que cette jeune fille et ce lieu sont réels

Dans tous les sens empiriquement vrais ! Ou bien
N’est-ce que le passé ? Cette grille, ces fleurs,
Ces parcs brumeux et ces autos sont déchirants
Simplement parce qu’ils sont loin ;

En semblant démodée, vous me serrez le cœur,

C’est vrai ; mais à la fin, sans doute, nous pleurons
D’être exclus, mais aussi parce que nous pouvons
Pleurer à notre aise, sachant que ce qui fut
Ne nous priera pas de justifier notre peine,
Même si nous hurlons très fort en traversant

Ce vide entre l’œil et la page. Ainsi, je reste
A regretter (sans nul risque de conséquences)
Vous, appuyée contre une barrière, à vélo,
A me demander si vous noteriez l’absence
De celle-ci où vous vous baignez ; en un mot,

A condenser un passé que nul ne peut partager,
A qui que ce soit votre avenir; au calme, au sec,
II vous contient, paradis où vous reposez
Belle invariablement,
Plus petite et plus pâle année après année.

Philipp LARKIN
« The Less Deceived  »
(Thé Marvel Press, 1955)
Traduction in « Poésie 1 » n° » 69-70.

 


Colporteur du temps (RC)


peinture perso sur enveloppe – mail art – acrylique sur papier 2004

Le colporteur du temps
N’a pas sa montre à l’heure
Et a laissé se faner les fleurs
Des rendez-vous d’avant

En semant les traces à tout vent,
C’est tout un champ d’enfants
Qui grandissent en chantant
Déposés en sommeil, on les oublie souvent

Lorsque le hasard nous amène
A revenir sur nos traces
Les souvenirs reviennent,       et nous embarrassent
Le temps avait figé, – quel phénomène – !

un geste dans l’espace
La terre humide, qui fume
Le village, perdu dans la brume
Et de lointains ressentis passent

Ton sourire d’avant                           est resté le même
Dans mon souvenir;                                      il est ce défi
Que me lance encore,                         ta photographie
Les fleurs d’antan ,                                 pour ce poème

Sont encore fraîches,   et la couleur
Que n’a pas retouchée le colporteur
Du temps, qui s’est étiré,     sans toi.
Couleur du bonheur,             en papier de soie.

25-01-2012

issu de la création de Pantherspirit: le colporteur du temps


Luis Sepùlveda – Pour tuer un souvenir


 

 

 

Pour tuer un souvenir

 

 

Tu as la photo entre les mains et tu trouves trop artificiel le paysage aux couleurs polaroïd. Trop bleue la mer, trop transparent le ciel, trop incendié cet horizon, trop de brillance dans les regards des deux personnages qui s’enlacent au mépris du vent, vêtus de pull-overs semblables.

Tu regardes dehors et la seule chose que tu vois c’est le reflet que la vitre te renvoie comme une gifle, parce qu’il fait nuit et qu’à cette heure les fenêtres se transforment en miroirs qui renvoient la solitude, les intérieurs accablants, les maisons comme la tienne, maisons vides, maisons avec café sans sucre le matin, café rapide et la voiture qui ne démarre pas et les minutes qui passent, maisons où tu découvres le matin des signes de déprime qui te signalent à cor et à cri que tu es en train de perdre la grande bataille.

La photo reste dans tes mains. Elle était dans un tiroir que tu n’avais pas ouvert depuis des mois, mais elle est auourd’hui dans tes mains et tu sens que le moment est venu d’assassiner ces souvenirs anciens.

Par la vitre, tu verras tomber des flocons de neige trop gros pour être graciles et violeurs des lois de la gravitation. Ils tombent vite et, quand tu regarderas le tapis, tes yeux verront les vestiges mutilés d’un souvenir dont rien ne peut plus être sauvé.

.. Alors tu dois prendre la photo comme un parallélépipède

parfaitement horizontal et, c’est le plus important, devant une de ces fenêtres qui semblent reprocher à la pièce sa lumière blafarde.

Ce n’ est pas toi qui déchireras la photo. C’est quelqu’un d’autre, quelqu’un de plus courageux ou de plus impersonnel , un autre  je-tu qui flotte dans le vide derrière les vitres.

Tu verras cette personne faire un mouvement de crabe  avec les doigts, ses mains s’écarter de chaque côté et chacune emporter un morceau presque semblable de la photo- graphie. Puis cette même personne rassemblera les morceaux et refera le même geste une, deux, trois fois, plus si elle l’estime nécessaire, jusqu’à ce qu’inexpliquablement tu sentes la fatigue dans tes doigts.

 

extrait du livre  de petites nouvelles   »   Rendez-vous  d’amour  dans un pays  en guerre »

 

ed Métailié   1997