Anna Milani – L’oiseau a fait son nid dans un chant

oiseau-collage – travail d’élève de 6è
L’oiseau a fait son nid dans un chant. Il répète la mélodie sans cesse, jusqu’à n’être plus, lui-même, qu’une variation sur le thème. Une phrase immense, plus vaste que ses poumons, l’enveloppe et le disperse. Il est le seul gardien de cette liturgie de l’air, qui compose le silence avec les sons nécessaires: nécessaires pour remettre le ciel en place.
extrait de « Incantations pour nous toutes » ed I Sauvage
Alain Roussel – la dérive du Verbe

Yahia Lababidi – nuages
pastel Eugène Boudin, estuaire en Bretagne
–
nuages
pour trouver l’origine,
retrouve ses manifestations.
Tao
Entre être et non-être
il y a à peine
ces voiles de l’eau, de la glace, de l’air –
Indifférent dériveurs, errant
élevés sur la liberté
des sans-abri
glissant, agités
comme des fantômes, rampant à travers la matière
par bouffées et volutes
Prêtant un air enchanteur ou menaçant
ombres lumineuses ou coulantes,
filtres ambivalents de la réalité
Léguant des couronnes, ou des
voiles de modestie aux grandes beautés naturelles
comme aux sommets des montagnes.
Parfois simplement accrochés là
D’un air d’art abstrait
à l’air libre
Une animation suspendue
continuellement à se contorsionner:
Des grandes baleines du ciel, maintenant, calèches
Des formes de pensée qu’on ne peut punaiser,
ponctuant la phrase sans fin du ciel.
—-
Clouds
to find the origin,
trace back the manifestations.
Tao
Between being and non-being
barely there
these sails of water, ice, air —
Indifferent drifters, wandering
high on freedom
of the homeless
Restlessly swithering
like ghosts, slithering through substance
in puffs and wisps
Lending an enchanting or ominous air
luminous or casting shadows,
ambivalent filters of reality
Bequeathing wreaths, or
modesty veils to great natural beauties
like mountain peaks
Sometimes simply hanging there
airborne abstract art
in open air
Suspended animation
continually contorting:
great sky whales, now, horse drawn carriages
unpinpointable thought forms,
punctuating the endless sentence of the sky.
Gerard Titus-Carmel – la gloire du charpentier
vous deux ombres qui m’accompagnez
dans tous mes déplacements
suspendues à mes lèvres épiant mes faits & gestes
et prétendant me servir à tous desseins
toute figure double à ma mémoire exténuante
en quelque sorte
vous êtes le mot & la phrase en même temps
vous entravez ma marche ralentissez
ma progression vers toujours plus d’ombre
toujours plus d’ombre
vous tirant avec moi
jusqu’au relais jusqu’à la halte
dès le seuil vous respirerez l’odeur rance
vous serez surpris par la lumière
rectangulaire des combles
& par la poussière également surprise
dans les rais du jour ainsi le copeau de grisard dans
l’éclat de la lame
la gloire du charpentier »
Gérard Titus Carmel, La tombée, Fata Morgana 1987
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Philippe Delaveau – Jean-Sebastien Bach
peinture : Fr Kupka
JEAN-SÉBASTIEN BACH
Au commencement et à la fin de la phrase,
c’est ton visage qui attend vieux maître et ton regard
sous la chandelle au grenier – presque aveugle.
Avec ces bruits d’enfants nombreux entre querelle et rires
dans la maison comme une fugue où se perd
le nom dilaté par les voix de musique,
de tant de signes sur les cinq traits où ta main s’est posée.
L’été qui a mûri les fruits et l’harmonie du monde
offre un répit sur le gué de l’accord au vaste hiver.
Le fil de soie de la mélodie élabore
un chemin sombre et clair sur les décombres
du thème au préalable inscrit et simple
au blason gris des bémols ou des dièses.
Avant l’épuisement de ses détours et la résolution
sur le clavier d’ivoire de la tonique.
Ici ta main rature de sa plume : Seigneur
si ton Nom est grand et pauvre, mon espérance.
Que la joie qui redescend de la voûte avec les cors
et les voix d’anges. Mais dimanche s’approche.
Il faut dans l’harmonie ingérer l’air et que le souffle
illumine un chemin vrai du cœur au cœur.
Puis un accord résout longuement au point d’orgue
le commencement à la fin de la phrase.
Son nom secret d’une musique, Philippe Delaveau, éditions Gallimard, 2008.
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Yvon Le Men – haut placé
« Son fils habite rue Paul Eluard/ quelqu’un de haut placé/ comme elle dit.
Plus haut que le maire ?/ Oui/ beaucoup plus.
il n’est pas d’ici
D’ici/ où les noms de rue/ résonnent encore des cris des résistants
D’ici/ d’où chaque jour elle cherche/ quelqu’un de pas trop haut placé/ pour chaque jour
Partager sa journée/ en deux/ et une partie cartes/ à quatre.
Elle vit/ avec elle/ depuis si longtemps
Elle vécut avec son amour/ il y a si longtemps/ du temps du passé/ simple.
Elle se souvient d’elle/ petite fille/ ne se souvient pas/ du nom des joueurs de carte/ d’avant-hier.
Elle ne connaît pas Paul Eluard/ ne sait pas qu’il a écrit une phrase/ qu’elle connaît
La mort est rentrée en moi comme dans un moulin
Et qu’on appelle un vers. »