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Anna Milani – L’oiseau a fait son nid dans un chant


oiseau-collage – travail d’élève de 6è

L’oiseau a fait son nid dans un chant. Il répète la mélodie sans cesse, jusqu’à n’être plus, lui-même, qu’une variation sur le thème. Une phrase immense, plus vaste que ses poumons, l’enveloppe et le disperse. Il est le seul gardien de cette liturgie de l’air, qui compose le silence avec les sons nécessaires: nécessaires pour remettre le ciel en place.

extrait de « Incantations pour nous toutes » ed I Sauvage


Un message auquel il manque des mots – ( RC )


 

8114724.jpg

image retraitée: RC – nov  2017

Avec cette atmosphère cristalline,
la nuit s’étirait, lumineuse ,
et je me suis levé,
ne trouvant pas le sommeil.

La lune brodait autour des nuages,
une dentelle claire,
le centre restant opaque et sombre ,
–            une sorte d’omission     – .

( comme si c’était une phrase ,
dont le message était interrompu ) .
Il y manquait des mots ,
et tout le paysage balbutiait.

C’était sans doute juste un oubli ,
tout retrouverait sa place dans les rêves ,
on n’aurait même pas à demander la traduction :
et demain je me souviendrai de tout .

RC – juill 2017

 

Mel Bochner - Rules of Inference.jpg

art: Mel Bochner


Alain Roussel – la dérive du Verbe


Résultat de recherche d'images pour "barque brisée mer"
gravure: extraite du livre des  « Histoires véritables de Lucien de Samosate »
« Cela appelle, je ne sais pas d’où mais cela appelle, d’une voix sourde, lointaine, masquée, c’est peut-être une rumeur qui vient de l’océan, ramenée par les vagues sur ce rivage désert où je me tiens en alerte, sur le qui-vive et comme habité par la houle, une certaine façon de tanguer dans la langue et même un certain goût pour le naufrage, j’aime à imaginer que je dois ma survie à cette chose précaire et fragile, un morceau de bois déchiqueté, un mot brisé auquel je m’accroche dans la tempête, m’abandonnant ainsi à la dérive du Verbe comme il vient, balloté, emporté par la phrase…« 
Alain Roussel

Yahia Lababidi – nuages


pastel  Eugène Boudin,  estuaire  en Bretagne

 

 

nuages

pour trouver l’origine,
retrouve ses manifestations.
Tao
Entre être et non-être
il y a à peine
ces voiles de l’eau, de la glace, de l’air –
Indifférent dériveurs, errant
élevés sur la liberté
des sans-abri
glissant, agités
comme des fantômes, rampant à travers la matière
par bouffées et volutes
Prêtant un air enchanteur ou menaçant
ombres lumineuses ou coulantes,
filtres ambivalents de la réalité
Léguant des couronnes, ou des
voiles de modestie aux grandes beautés naturelles
comme aux sommets des montagnes.

Parfois simplement accrochés là
D’un air d’art abstrait
à l’air libre
Une animation suspendue
continuellement à se contorsionner:
Des grandes baleines du ciel, maintenant, calèches
Des formes de pensée qu’on ne peut punaiser,
ponctuant la phrase sans fin du ciel.

—-

Clouds

to find the origin,
trace back the manifestations.
Tao

Between being and non-being
barely there
these sails of water, ice, air —
Indifferent drifters, wandering
high on freedom
of the homeless
Restlessly swithering
like ghosts, slithering through substance
in puffs and wisps
Lending an enchanting or ominous air
luminous or casting shadows,
ambivalent filters of reality
Bequeathing wreaths, or
modesty veils to great natural beauties
like mountain peaks

Sometimes simply hanging there
airborne abstract art
in open air
Suspended animation
continually contorting:
great sky whales, now, horse drawn carriages
unpinpointable thought forms,
punctuating the endless sentence of the sky.


Gerard Titus-Carmel – la gloire du charpentier


dessin: Titus Carmel – étude sur un coin de boîte

vous deux ombres qui m’accompagnez
dans tous mes déplacements
suspendues à mes lèvres      épiant mes faits & gestes
et prétendant me servir à tous desseins

toute figure double à ma mémoire exténuante
en quelque sorte

vous êtes le mot & la phrase en même temps
vous entravez ma marche     ralentissez
ma progression vers toujours plus d’ombre
toujours plus d’ombre

vous tirant avec moi
jusqu’au relais            jusqu’à la halte
dès le seuil vous respirerez l’odeur rance
vous serez surpris par la lumière
rectangulaire des combles
& par la poussière également surprise
dans les rais du jour ainsi le copeau de grisard dans
l’éclat de la lame

la gloire du charpentier »

Gérard Titus Carmel, La tombée, Fata Morgana 1987


Philippe Delaveau – Jean-Sebastien Bach


peinture :  Fr Kupka

 

 

JEAN-SÉBASTIEN BACH

 

Au commencement et à la fin de la phrase,

c’est ton visage qui attend vieux maître et ton regard

sous la chandelle au grenier – presque aveugle.

 

Avec ces bruits d’enfants nombreux entre querelle et rires

dans la maison comme une fugue où se perd

le nom dilaté par les voix de musique,

de tant de signes sur les cinq traits où ta main s’est posée.

L’été qui a mûri les fruits et l’harmonie du monde

offre un répit sur le gué de l’accord au vaste hiver.

 

Le fil de soie de la mélodie élabore

un chemin sombre et clair sur les décombres

du thème au préalable inscrit et simple

au blason gris des bémols ou des dièses.

 

Avant l’épuisement de ses détours et la résolution

sur le clavier d’ivoire de la tonique.

 

Ici ta main rature de sa plume : Seigneur

si ton Nom est grand et pauvre, mon espérance.

Que la joie qui redescend de la voûte avec les cors

et les voix d’anges. Mais dimanche s’approche.

 

Il faut dans l’harmonie ingérer l’air et que le souffle

illumine un chemin vrai du cœur au cœur.

Puis un accord résout longuement au point d’orgue

le commencement à la fin de la phrase.

 

Son nom secret d’une musique, Philippe Delaveau, éditions Gallimard, 2008.

 

 


Yvon Le Men – haut placé


Gravure ancienne - XVIIè s description de l'empire Ottoman

 

 

 

 

 

« Son fils habite rue Paul Eluard/ quelqu’un de haut placé/ comme elle dit.

 

Plus haut que le maire ?/ Oui/ beaucoup plus.

 

il n’est pas d’ici

 

D’ici/ où les noms de rue/ résonnent encore des cris des résistants

 

D’ici/ d’où chaque jour elle cherche/ quelqu’un de pas trop haut placé/ pour chaque jour

 

Partager sa journée/ en deux/ et une partie cartes/ à quatre.

 

Elle vit/ avec elle/ depuis si longtemps

 

Elle vécut avec son amour/ il y a si longtemps/ du temps du passé/ simple.

 

Elle se souvient d’elle/ petite fille/ ne se souvient pas/ du nom des joueurs de carte/ d’avant-hier.

 

Elle ne connaît pas Paul Eluard/ ne sait pas qu’il a écrit une phrase/ qu’elle connaît

 

La mort est rentrée en moi comme dans un moulin

 

Et qu’on appelle un vers. »

 

photo: Ron Van Dongen