Gérard Noiret – A travers le vin

A travers le vin tu parles au village
de ta vie comme une hermine
lorsqu’elle s’arrache la patte
du ciel encore plus incapable de surprise
que de bleu. Certaines fois
tu t’éveilles dans tes phrases
sans pouvoir te situer ni savoir
d’où provient la lumière
(Au café de l’Eglise)
Voix de livres – ( RC )
Un ton de voix qui traverse les pages,
maintenant, enfoui parmi d’autres .
Tous ne dialoguent pas ensemble,
mais il y a des échos qui transportent loin,
et la mémoire accorde quelque chose,
à la façon d’une saveur épicée,
à ces livres fermés depuis longtemps,
et que peut-être je ne lirai plus.
ou alors, si je les parcours
ce sera avec l’espoir de retrouver
les tournures des phrases
telles que ressenties avant.
Selon la couverture ,
on se rappelle plus ou moins
la couleur des mots
qui s’associaient à ce qui était conté .
Ils sont comme les statues d’un parc
attendant le visiteur.
Des années plus tard,
de la mousse aura envahi le visage,
elles auront été déplacées,
on les pensait plus grandes,
car vues avec un autre regard
que celui d’aujourd’hui.
Les livres sont pressés
dans plusieurs cartons,
et la chair de leur voix,
palpite encore quelque part .
Ce ne sont pas des objets comme les autres,
ils contiennent un peu de moi,
c’est peut-être pour ça
que je ne les ouvre pas.
–
RC – août 2017
Sculpteur de poème – ( RC )
sculpture Jaume Plensa Yorkshire park
–
Tu t’imagines sculpteur
en travaillant le volume d’un poème….
Tu as à ta disposition,
comme celui du métier,
une matière malléable
qui serait comme la terre glaise
avec laquelle tu modèles tes idées.
Elles peuvent prendre toute forme
et le dire , en être rugueux
ou volontairement lisse,
selon le choix des verbes.
Tu travailles rapidement,
rajoutes, enlèves, soudes,
crées les espaces nécessaires,
associes les nuances,
se froissant même,
au parcours des sons.
Tourne donc autour de ta sculpture :
tu l’envisages sous un autre angle,
évidant les mots,
multipliant les arabesques.
Regarde l’ombre portée des phrases.
Creuse encore, où les sonorités s’affrontent ;
Imagine d’autres couleurs,
portées par d’autres voix.
Comment respire l’ensemble,
s’il se dilate avec le souffle,
s’il a la fluidité d’un marbre poli.
Il se nourrit de lumières et d’ombres
au foisonnement des images :
métaphores cristallisant l’imagination
avec la magie des vers:
le poème vibrant de son propre espace.
–
RC – mai 2017
Jean Grosjean – Elégie
Quelle épée me partage l’âme, m’ouvre au milieu du cœur ce gouffre d’être séparé de toi
et que tu meures de deuil et que je meure ?
Les roses ont la chair qui se décompose et l’eau pourrit dans les mares mais je crois
que je connais la haine.
Les uhlans, les famines et les trépas foulent ce chemin où tu pleuras doucement notre
jour dont déjà penchait la tête sur les collines à sépulcres.
N’étais-tu pas ma longue lumière d’été au soir de qui, accablé par l’amour, je
sombrais dans un rêve obsédé d’astres ?
Quand le frémissement de ton approche me réveillait avant le chant du coq, n’aurai-je
donc descellé mes paupières que pour me rendormir sur ma naissance ?
La destruction nous profane et son prince nous marche sur les yeux mais c’est en vain
que ses démons me raclent la mémoire sous le crâne où ton nom ne cesse guère.
De quel puits sont sortis sur le monde tant de dieux souterrains avec leur face de
houille et leurs tenailles sans empêcher tes os phosphorescents de traverser ma nuit ?
Certes je me tais mais les phrases en débris murmurent encore à la cime des
trembles ton âme qu’elles cachaient.
Jean Grosjean, Élégies [1967]
Tes mots revenus – ( RC )
J’ai emporté les mots que tu m’as glissé à l’oreille,
je les ai confiés aux ,
afin qu’ils voyagent,
et qu’ils les racontent à leur façon…
Je suis le passeur des phrases, celles qui sont dites,
et celles qui ne le sont pas.
Un jour, comme je l’ai vu,
( ou plutôt, comme je les ai entendus,
les mésanges sont venues frapper à ma fenêtre ) :
c’est qu’elles avaient sans doute
une réponse à me donner, et le récit de ton voyage .
J’ai essayé de l’interpéter à ma façon,
et les mots pensés,
ont ainsi continué leur voyage,
dans ma tête peut-être,
en donnant naissance à d’autres écrits .
C’est que tu parles un peu en moi…
–
RC – avr 2017
( réponse à Anna Jouy : voir les mots partis )
Même le paysage s’interrompt dans ses éclats – ( RC )

peinture: R Magritte : le promenoir des amants.
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Et c’est illusion, si l’espace, que l’on pensait libre de contrainte,
se voit tout à coup enfermé dans une paroi.
Ainsi l’oiseau en plein vol se précipite dans le piège des vitres,
où même le paysage s’interrompt dans ses éclats .
C’est comme si l’élan était rompu (un baillon ).
On se voyait libre, de parler, de réfléchir, et de se dire ;
mais on se heurte aux faux semblants et aux étendards de l’arrogance .
Le souffle n’avait pas besoin de ponctuation ;
et voilà qu’on ne peut pas terminer ses phrases.
Le fil de la pensée est rompu ; on en arrive à ne plus oser se dire,
puisque vivre ne peut pas se faire, sans que des barrières soient imposées.
Certains aiment en jouer , parcourir les murailles d’un labyrinthe inextricable :
ils ont de l’ambition ; ce sont souvent des bavards et souhaitent avoir réponse à tout….
D’autres préfèrent leur parcours intérieur, visible d’eux seuls, et se réfugient dans le silence.
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RC – mai 2015
Mots surgis d’un brouillard épais – ( RC )
Peinture: P Bonnard
J’ai prélevé dans le vocabulaire
que je connaissais,
quelques mots .
Ils se sont disposés, dociles,
sur la page blanche, comme surgis
d’un brouillard épais,
où la conscience s’est perdue,
et le décor endormi .
Oh ! Rien de bien extraordinaire…
… presque rien…
Quelques essais jetés sur le papier :
une ou deux expressions
qui sonnent ,
accompagnées du silence ,
me déportant vers
le jour, qu’ils dissimulaient.
Il faut croire que les phrases
banales,
ne sont que des fenêtres grises,
occultant les pensées.
Tant de gris où tout se brouille,
et les étoiles
quelque part,
au-delà,
qui répondent
seulement si un chant
parvient à s’extraire
d’entre les lignes,
pour donner assez d’élan
à ma plume,
( et que cela soit aussi
un peu de moi. )
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RC – janv 2016
Quelqu’un regarde par mes yeux – ( RC )
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Quelqu’un me regarde avec mes yeux.
Et ces yeux voient une pièce presque nue,
où la présence d’ombres se font et défont.
Des sons ne la franchissent pas,
et se répercutent d’un mur à l’autre,
indépendants.
Il se peut que ce soient mes propres phrases,
repoussées par les lueurs changeantes des lampes à pétrole.
Ainsi, quelqu’un parlerait par ma bouche,
et ce ne serait plus moi,
mais une mémoire de la nuit, enfermée ici ,
alors que de l’extérieur, le silence la compresse ,
comme sont compressés les jours.
Je ne les compte plus.
La nuit , aussi , ne compte pas les fleurs fanées .
Elles forment un tableau étrange,
celui d’un temps arrêté, nul,
saignant de ne pouvoir sortir, clos sur lui-même…
–
d’après « Présence d’ombre » d’Alejandra Pizarnik
RC- nov 2015
–
un texte-photo de Duane Michals, partage un peu ce thème:
Il rêva une nuit qu’elle vint et l’embrassa, et avec ce baiser entra dans son corps.
Elle regardait à travers ses yeux, et écoutait avec ses oreilles. Au matin, rien n’avait changé.
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Abritant des agents indésirables – ( RC )
–
Les doigts papillons,
multiplient les approches veloutées.
Je ne sais pas faire des histoires longues.
Peut-être, les insectes les grignotent ,
avant qu’elles ne puissent prendre de la consistance.
Ces petites bêtes restent bien petites … quelques larves, des moustiques, des petites mouches inoffensives, et des papillons bruns, de ceux qu’on trouve dans les céréales.
Elles ont juste comme tendance à se multiplier, de se répandre sur mes récits,
Dès que j’ai le dos tourné. Copulant dans les coins, elles parcourent joyeusement les phrases, et se nourrissent de ce qu’elles trouvent.
C’est une famille qui se porte bien, en apparence, et qui fait la fête souvent.
Je dois , en multipliant des mots, leur apporter autant de nourriture qu’elles le désirent .
Je les emporte sans doute en moi, quelque part,
à la manière des fleurs, trop aimables, qui s’ouvrent aux vents, pour que les insectes viennent y chercher le pollen.
En échange, ils déposent leurs œufs.
——– ( C’est une offrande intéressée…)
Ceux-ci restent à l’abri, au cœur même du fruit qui s’est conçu. Ils ont la nourriture assurée et le logement sur place .
L’idée même du récit s’effrite,
en quelques miettes, qu’il m’arrive de me remémorer,
le matin suivant. – presque des confettis, qu’il faudrait se résoudre à assembler par couleur, pour reconstituer l’étoffe originale, une trame tissée bien fragile, attirant tôt la petite faune .
Si, à la place de coucher les mots sur le papier, j’avais l’audace de les prononcer, une nuée de ces insectes viendrait avec,
ne tarderait pas à former un nuage, d’où même la lumière aurait du mal à s’immiscer.
Les paroles auraient un son mat, comme celui là, même des mots,
déchiquetées, et souvent incompréhensibles, à qui n’en saisit pas le fil, la logique interne ( si par hasard, il y en a une ).
——> Il vaudrait mieux que je garde tout ça pour moi
— car on a connu des cas,
où l’écriture, comme la parole, à petites doses, pouvaient s’avérer contagieuses, si une part de l’esprit rentre dans celui de l’autre, et dépose à son tour, quelques œufs, ou de simples bactéries.
Spontanément elles s’activent… c’est souvent à ce moment, je présume,
que se crée un « terrain d’entente ».
– ( on dira que tout n’est donc pas à considérer de façon négative ) –
Si la science se penche dessus, il y aurait toutes les conditions réunies, pour que cela continue son chemin, d’une autre façon … ainsi la vie sur notre planète…
—
Une simple vue de l’esprit ?
Un esprit parasité par des agents indésirables ?
Ou qui contribuent à sa propagation…
–
RC – déc 2014
Jean-Marie Kerwich – je ne trouverai plus mon chemin pour partir ailleurs

affiche de cirque » Sells Brothers »
–
« Je ne relis jamais ce que j’écris ; je ne trouverai plus mon chemin pour partir ailleurs. Mes phrases sont des villages pour les âmes en peine. Mieux vaut ne pas se retourner vers eux, ça ferait pleurer l’encre des mots écrits…
J’ai du mal à tenir une plume : ma main droite a trop longtemps tenu en équilibre sur un portique de cirque. »
Les mots s’en vont, comme bulles de savon. ( RC )
–
Les mots s’en vont
Comme bulles de savon,
Vois comme elles s’enfuient,
Et les mots aussi.
Tu étais là,…. tu étais elle,
Dans ma vision, bien réelle,
Les bras ouverts, la peau de pêche,
Ma plume hésitante, et l’encre qui sèche…
Les glaïeuls disposés dans le vase,
Je n’arrive pas à finir mes phrases,
Oui, – j’étais sans doute ébloui,
Après cette journée de pluie….
Hanté par ton souvenir..
– Comment pourrais-je l’écrire ?
Réfugié dans ces fleurs écarlates,
A la cambrure délicate.
Leur couleur en est saveur,
Et précipite les heures…
Les mots , toujours, s’en vont
Comme bulles de savon,
Ils forment des phrases plates,
Qui se heurtent entre elles et éclatent,
Et disparaissent sans bruit,
Quand ta vision me poursuit.
> Je ne pourrai jamais décrire,
La courbe de ton sourire…
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RC – 18 octobre 2013
–
Jean–Marie Kerwich – Pour que les phrases soient ivres
–
« Pour que les phrases soient ivres, il faut que le poète ait bu un bon vin solitaire de la couleur d’un tapis d’orient noué à la main par une douce jeune fille que la méchanceté des hommes n’a pas encore violée.
La vie est terrible et pourtant le blé pousse encore, les fleurs sauvages fleurissent, elles ne peuvent s’empêcher de pardonner c’est plus fort qu’elle. »