Je repasse inlassablement le même air – ( RC )
Je repasse inlassablement le même air,
– comme pour vérifier que rien n’a changé.
Ainsi, faisant face à un paysage renouvelé :
je m’assure que les rochers sont bien à leur place.
Les accords se suivent, sans fausse note,
et même, on oublie qu’il y a une composition,
des musiciens, chacun à leur instrument,
l’oeil rivé sur la partition,
emportés par le flux de sons,
s’y fondant littéralement .
L’oreille s’est faite familière ,
moulée dans la forme du concerto,
les prestos , les andante ,
suspendue au défilé des mesures .
Il n’y a pas de surprise,
– pourtant on attend le thème,
sous les doigts du pianiste
comme s’il venait de fleurir à l’instant,
creusant son sillon
d’une fraîcheur renouvelée .
Les cordes se superposent,
s’entraînent l’une l’autre dans un entrelac,
où les archets caressent la mélodie,
ou lui répondent .
C’est un flux d’amour,
d’une alchimie savante,
qui parait pourtant spontanée ,
née du souffle des cuivres
et du rythme lancinant des basses,
comme un orgasme sonore qui enfle .
….enfle et finit par se déverser,
à la manière de la grande vague d’Hokusaï :
( on en vient même à regretter la progression de la musique,
lorsque le finale s’achève, et que le disque s’arrête ) .
–
RC – sept 2017
Branko Čegec – Syntaxe de la peau, syntaxe du clair de lune
Branko Čegec ( auteur croate) – sintaksa koze, sintaksa mjesečine
Syntaxe de la peau, syntaxe du clair de lune
Le triomphe des chiffres descend de l’écran. Je recule, impuissant et muet. Comme si j’étais renouvelé dans la philosophie tardive de la langue et du vin j’accepte tout slalom pathétique même si la fille du cadran s’est endormie dans les bras des nuits blanches et des reproches de pêcheurs d’où s’écoule visqueuse l’histoire idyllique de la littérature. L’essai , c'est ensuite le cercle imperméable des périls: de nouvelles explications parviennent pour des mots usés, pour des images éculées et des cadres de films empruntés: le grondement des avions et la poussière des souterrains sont la rencontre marquée sur ta paume humide: belle, joyeuse, docile, tu t’es glissée encore une fois dans l’odeur de ma peau, la colle solaire et sensuelle d’où il n’y a pas de retour, où personne ne se ressemble, ni qu’on trouve dans des journaux, et la reddition des papillons égarés à la fenêtre qui disparaît dans les ténèbres profondes, trop profondes. Je te dis: entre dans mon miroir et reçois-moi dans la mémoire glaciale pour que je me réchauffe, pour que je m’endorme souriant comme si j’étais l’oubli, la mer calme et Polić Kamov à la loterie de Barcelone. Je suis salué par les bateaux et les femmes pianistes aux jambes longues et aux doigts laser comme dans toute entreprise d’innovation et de mort: et seul le rythme de ton toucher gronde en stéréo, suivi par l’éclat timide de la peau au clair de lune près de la digue, au printemps, quand les vents sont encore tout jeunes, et que la nuit ne cesse pas, l’écriture non plus, en écrivant l’ellipse du l minuscule jusqu’à l’infini. 1992 d'autres textes de cet auteur sont disponibles, en français sur ce site -