Pierre Lieutaghi – lumière close ( extrait 1 )
Lucia, c’est la meilleure façon de m’adresser à vous d’aussi loin. Prenez-le comme une lettre parlante. Il y aura beaucoup de blancs parce que je devrai souvent revenir en arrière. À la fin, je ne me réécouterai pas, sinon je n’en aurai jamais fini. Quand j’écrivais, rappelez-vous comme c’était plein de ratures. Si vous pouviez entrer dans cette pièce, ce serait sûrement plus simple, je vous dirais de toucher le morceau de géode sur le piano.

Vous verrez, quand on passe l’ongle sur les cristaux, il suffit d’un rien, c’est un piano très sensible. Et puis ces pierres creuses ont une certaine parenté avec le cœur. J’en finirai jamais avec l’imagerie facile.
On a dû vous dire, c’est encore une histoire avec ses cristaux, il ne l’a pas volé, qu’est-ce qu’il avait à faire dans ce pays, dans ces recherches de quoi, est-ce qu’il n’avait pas mieux à vivre ici, c’est un suicidaire, et restera, mais nul ne sait vraiment ce qui s’est passé. Et moi, j’en suis à me demander aussi ce que je sais, est-ce que je pourrai le rassembler, et le raconter, ça m’oblige à commencer loin, parce que la fin, je sais au moins qu’elle vient clore une attente très ancienne.

Dégradé
Étude de la lumière, des couleurs et des formes. Création en studio à l’aide de lentilles endommagées acquises au fil des ans. Chaque estampe est disponible au format 18 x 24 po sur papier longue conservation.
photo Baloulumix
Les doigts gourds – ( RC ) – le clavier tempéré ( SD )

variation réponse à SD, dont le texte suit
J’ai en mémoire
le buffet noir
qu’a peint Picasso,
et qui me rappelle
ce sévère piano droit,
où l’on devait faire les gammes,
faire courir les doigts
sur un clavier
qui restait froid
( et n’avait rien de tempéré ).
Faire que les mains
parcourent les touches d’ivoire,
prenant les blanches pour les noires,
en suivant la Méthode Rose
( on n’espère pas encore devenir virtuose )
on imaginerait qu’elles dansent,
chacune devant
faire preuve d’indépendance
dans le mouvement…
Mais je vois bien le tableau :
montée sur le tabouret haut
ma petite sœur,
tes pieds ne touchant pas terre
sous le regard sévère
de ton professeur :
encore et toujours
faire ces gammes,
alors que tu rêvais déjà d’amour :
( tout ce qu’il faut
pour te rendre allergique
à la musique ) :
tu préférais le chant des oiseaux.
RC
–
Petite fille aux doigts gourds
toi qu’on pressait de faire des gammes
quand tu rêvais déjà d’amour
et qui disais Bonjour Madame
docilement
Toi qui tempérais le clavier
quand te tendait les bras l’infâme
piano droit et l’œil distrait
innocemment
par un oiseau dans l’or du soir
prenais les blanches pour des noires
Susanne Derève
Carcasse d’un demi-queue en grimaces – ( RC )

photo: Robert Meffre – Lee Plaza Hotel – Detroit
Dans la vaste salle du Lee Plaza
les chaises renversées attendent sans public…
Arcs à caissons, décorés pour des fastes
costumés, . bals sur les parquets cirés
la lumière accrochée aux gravats bleutés
souligne un décor, – quelque peu fortuit –
de fenêtres ouvertes sur courants d’air
et carreaux qui font – en reflets
d’un vide silencieux – leur petit effet
–
Alors que trônent d’un air oblique
les touches d’un clavier tenace
accrochées à la carcasse
du demi-queue en grimaces
imposant de ses cordes croisées
témoin hagard, .. spectre à musiques
…un silence aux accents déglingués.
RC
9 fev 2012
—
voir aussi » il était une mazurka »
la fuite éperdue du langage – ( RC )

Ici ce sont des mots
accrochés aux poteaux.
Ils balbutient,
aux orgues du couchant,
et peut-être que le concertiste
a pris les devants
avec mille et une variations,
du cor nu
qui délaisse les bois
pour résonner, ingénu
sous d’autres climats
d’autres lois .
Et ce sont celles de la ville
qui indiquent au passage
la fuite éperdue du langage
emporté par la symphonie urbaine.
Lire ce récit comme une partition
serait bien chose vaine :
Jusqu’aujourd’hui on n’a jamais pu
en faire un poème
à portée de rue :
un cor nu
n’est pas ce corps nu
allongé sur un piano
qui tenterait de lire les mots
accrochés aux poteaux.
Quelques notes de piano au fond de la bassine – ( RC )
C’est un triste matin
dans un Paris déserté
où l’on s’imagine voyager
au-delà des toits de zinc:
un de ces longs jours d’hiver
si pluvieux
qu’on ne peut espérer mieux
que les pensées d’hier
Elles nous jouent cet air
la chanson perpétuelle
de l’eau qui ruisselle:
la chanson de la gouttière
( quelques notes de piano
au fond de la bassine … )
une chanson citadine
à défaut de concerto .
–
RC – mars 2020
–
à partir d’un texte de Susanne Derève: » Ce pourrait être »
Une note
je dirais de piano
Un toit de zinc
l’eau
Ce pourrait être la mer
la mer n’est jamais loin
Ce pourrait être un air
de flûte
un concerto en ut
Ce n’est que la gouttière
à l’angle du perron
par un matin d’hiver
pluvieux
pluvieux
pluvieux
qui chante la triste chanson
des adieux
Sonnet pour un piano abandonné – ( RC )
photo Romain Thiery: Requiem pour pianos 30, Pologne
Quelques décennies,
et la mélodie s’est effacée
parmi les miroirs voilés
et fenêtres obturées.
Qui nous jouera encore
les valses et mazurkas
dans le salon
de grand apparat ?
Le piano n’a pu s’envoler:
trop lourd de son aile noire
en retombant, un de ses pieds s’est cassé
comme ses rêves de liberté
se conjuguant au passé :
le grand piano aux dents brisées.
RC juin 2020
Que faire de sa main droite ? – ( RC )
image extraite du « chien andalou » de Luis Bunuel & S Dali
Que faire de sa main droite
quand la gauche prend toute la place… ?
– déjà, on peut s’appuyer
sur le côté du piano,
la distraire par de petits objets,
faire des allées-venues
en frôlant les touches d’ivoire,
écraser la cigarette
qui s’est consumée,
sans que tu t’en aperçoives
pendant que tu jouais,
le concerto pour la main gauche :
( c’est le cadeau de Ravel pour Wittgenstein,
lui qui revint des combats
sans le bras droit ) .
Que faire de sa main droite,
quand elle ne parle pas
ou devient un accessoire ?
La laisser tomber
comme une feuille morte,
devenue froide et mutique,
détachée des rêves coupables ,
la coller à un autre endroit,
– qu’elle trouve le chemin des épaves.
On en distingue les stigmates,
qu’elle puisse aller chercher des croissants
et fasse partie d’un collage surréaliste,
pouvant blanchir à loisir
si l’orchestre communie avec la gauche .
–
RC – juill 2018
James Joyce – musique de chambre – IV
photo Chris Wage
IV
L’améthyste du crépuscule mue
Et vire en un bleu toujours plus profond,
Sous la lampe les arbres de la rue
S’emplissent d’un vert et pâle rayon.
Le vieux piano compose un air,
Mélodie gaie, lente et légère ;
Courbée vers les touches jaunies,
Sa tête penche par ici.
Chastes pensées, grands yeux inquiets,
Et mains qui errent à leur gré –
Avec le sombre bleu persistent
Quelques lumières améthystes
–
NB ce texte de James Joyce extrait de « musique de chambre » a été publié aux éditions « le Bousquet- la Barthe »
Jorge-Luis Borgès – Insomnie
photo: montage perso
–
Légendairement petit et lointain est désormais ce moment où les horloges versèrent un minuit absolu.
Ces six murs étroits emplis d’une éternité étroite me suffoquent.
Et dans mon crâne vibre encore cette pitoyable flamme d’alcool qui ne veut pas s’éteindre.
Qui ne peut pas s’éteindre.
Réduction à l’absurde du problème de l’immortalité de l’âme.
Trop de couchants m’ont rendu exsangue.
La fenêtre synthétise le geste solitaire de la lanterne.
Film cinématique plausible et parcheminé.
La fenêtre aimante toutes les oeillades inquiètes.
Combien m’étranglent les cordes de l’horizon.
Pleut-il? Quelle morphine ces aiguilles injecteront-elles aux rues?
Non.
Ce sont de vagues lambeaux de siècles qui gouttent, isochrones, du plafond.
C’est la lente litanie du sang.
Ce sont les dents de l’obscurité qui rongent les murs.
Sous les paupières ondoient et s’éteignent à nouveau les tempêtes brisées.
Les jours sont tous de papier bleu, minutieusement découpés par les mêmes ciseaux sur le trou inexistant du Cosmos.
Le souvenir allume une lampe:
Une fois de plus nous traînons avec nous cette rue si joyeusement pavoisée de linge tendu.
Le piano luxuriant du Tupi s’est évanoui au loin.
Le soleil, ventilateur vertigineux, élague les demeures décaties.
En nous voyant tanguer en tant de spirales les portes rient aux éclats.
Pedro-Luis me confie: – Je suis un homme bon, Jorge.
Tu es un homme bon, Jorge… ça nous passera avec une petite tasse de café.
Les yeux éclatent quand les frappent les pales du soleil.
Quel hangar abritera à jamais les émotions?
Il existe à n’en pas douter une dimension ultra-spatiale où toutes sont des formes d’une force disponible et soumise.
Comme l’eau et l’électricité dans notre dimension.
Colère. Anarchisme. Faim sexuelle.
Artifice pour nous faire vibrer sous la magie.
Aucune pierre ne brise la nuit.
Aucune main n’avive les cendres du bûcher de tous les étendards.
–
.
C’était une mazurka – ( RC )

photo NF
–
Je me souviens de la musique
Et ta tête penchée sur le clavier.
Les mains ont déserté les touches d’ivoire,
Elles se sont ternies au voyage des ans.
Les cordes fatiguées, sont une harpe
Assourdie de toiles d’araignées.
Les mélodies que tu jouais,
Ne renvoient plus de reflet
Elles sont été mangées,
Par l’ombre du piano noir.
Juste, le concert des étoiles,
Me chante encore tout bas,
Leurs volutes et les arabesques,
Naissant sous tes doigts.
Je me souviens de la musique
Et ta tête, penchée , au-dessus de moi …
–
RC – sept 2014
Déposer une petite lumière – ( RC )
–
Il est un temps, où,
Apprendre à lire, s’accompagne,
De la parole, de celle des autres,
Mais aussi la porte , que l’on ouvre
A la sienne , sa propre voie(x).
Est ouvert alors l’espace,
Au bout des doigts,
Ceux qui tiennent la plume,
Ou le pinceau,
Ou le chant…
A dire ce que l’on sait,
…. Ce que l’on ressent,
De ce qui nous modèle, nous environne,
De l’effleurement d’un regard,
De la marque d’une cicatrice .
L’univers au bout des doigts, touche les couleurs.
Elles sont aussi une rêverie,
Sur les touches d’ivoire d’un piano…
Ainsi, nait, vulnérable,
Une mélodie hésitante,
Une peinture, un récit,
Une empreinte de chair,
Un trait dansé sur les nuages,
Ou reliant les étoiles,
Une parole aimante,
Aimée, parcourue,
Que l’on veut donner,
En échange, Déposer
Une petite lumière,
Ajoutée au ciel nocturne.
–
RC – avril 2014
( en relation avec un écrit de Pierre Dhainaut)
L’Ave Maria – ( RC )
–
Le ruban de musique
Se déroule
Au fil de l’archet.
Ce sont des couleurs amples,
Qui sentent le bois mûr,
Où les cordes chantent,
Et les doigts dansent.
Un chant s’élève, doux,
Au contre-bas d’amour,
En arpèges se posent,
Comme les vagues le portent,
Ouvrant de futurs horizons,
S’arrondissant comme galets,
Aux accords du piano.
L’offrande se donne,
Aux envols des notes ;
C’est toujours un poème,
Que l’on reçoit,
Les oreilles attentives,
Les mains ouvertes,
Avec l’Ave Maria
De Franz Schubert
–
RC- mars 2014
François Piel – Eloge des rêves
–
ELOGE DES RÊVES
En rêve
Je peins comme Vermeer de Delft
Je parle couramment grec et pas avec les seuls vivants.
Je conduis une auto qui m’est très docile.
Je suis doué, j’écris de longs poèmes.
J’entends des voix
pas plus mai que les saints les plus sérieux
Vous seriez étonnés du brio de mon jeu au piano.
Je vole comme il se doit, c’est-à-dire de moi-même.
Si je tombe d’une toiture
je sais me recevoir doucement dans l’herbe.
Il ne m’est pas difficile de respirer sous l’eau
Je ne me plains pas : j’ai pu découvrir l’Atlantide
Je me réjouis de ce qu’avant de mourir je parviens toujours à me réveiller.
Dès qu’une guerre éclate je me tourne d’un meilleur côté.
Je suis, mais sans y être obligé enfant de mon époque.
Il y a quelques années j’ai vu deux soleils.
Et avant hier un pingouin.
On ne peut plus distinctement
François Piel (1972)
–
Grande sonate ( RC )
–
Au secret, imprimé de signes, sur la partition,
S’arrangent triolets, triples-croches et soupirs,
Complotant sur les portées…
Pour jaillir,
Sous les doigts du pianiste,
L’haleine des accords sauvages,
Martelés de la gauche
Tempérant la dentelle d’un thème
–
L’épopée fraîche,
Scintillante cascade,
Passant, fluide, d’une main à l’autre,
Se poursuivent sans relâche,
Semblant inventer l’instant d’après,
Comme aussi, à l’intérieur,
Les ondes visibles, les petits marteaux
de feutre qui ondulent,
–
Ainsi le vent dans les blés
Devient palpable,
La musique ici, on la voit
Elle s’échappe,
D’un grand piano noir,
A l’arrondi d’une oreille,
Son couvercle est ouvert
L’intérieur est de feu,
–
Vers la flamme,
Ses cordes frémissent.
Se succèdent les mesures,
Les tempos se détendent ,
puis accélèrent,
Comme s’ouvrent les bras du pianiste,
Et survolent le clavier.
– Deux ailes d’un oiseau de proie -,
–
Puis se referment sur les touches d’ivoire,
Les notes s’envolent, se pressent et se cabrent,
Les cheveux saccadés au même rythme,
Balayant presque le pupitre…
Crescendo, lumières croisées sur nos folies,
Puis ombres de détente et retour du thème,
Indiquant , ré majeur,
La fin du premier mouvement.
–
La caresse dansée, au royaume sonore *
De la sonate.
–
* » Vers la Flamme », et « Caresse dansée », sont le nom de pièces pour piano d’ Alexandre Scriabine
RC – 9 septembre 2013
–
Ta voix, cristalline, dévalant les collines – ( RC )
- Il y a le bruissement des feuilles dans ma tête, d'accords sur ocres. Harpe d'herbes qu'accompagne la poussée du vent, ce n'est pas encore l'automne... Les oiseaux alignés sur les fils, traits de flûte tirés de biais entre les arbres clarinettes, Les blés mûrs des violoncelles, agacés de l'ombre sonore du piano, La montagne de l'orchestre, qui disait tour à tour le sombre et l'éclat, Et puis ta voix, cristalline, dévalant les collines, Percée soudaine du soleil entre les nuées. - RC – 9 août 2013 ( l'expression « ombre sonore » est de Max Jacob dans "vie et marées") -
Langston Hugues – Weary Blues poems

photo: auteur non identifié le bluesman T Bone Walker
Et loin dans la nuit, il chantonnait cet air.
Les étoiles sont parties , et ainsi fit la lune.
Le chanteur a arrêté de jouer et est allé dormir
Pendant que le Weary Blues lui fait écho dans sa tête.
Il dormit comme un roc ou un homme qui est mort .
(ma traduction diffère sensiblement de celle fournie avec le poème entier en dessous)
And far into the night he crooned that tune.
The stars went out and so did the moon.
The singer stopped playing and went to bed
While the Weary Blues echoed through his head.
He slept like a rock or a man that’s dead…
—
( Le haut-parleur de « The Weary Blues » de Langston Hughes décrit une soirée à écouter un musicien de blues à Harlem.
Avec sa diction, sa répétition de lignes et sa prise en compte des paroles de blues, le poème évoque le ton lugubre et le tempo de la musique blues et donne aux lecteurs une appréciation de l’état d’esprit du musicien de blues dans le poème.)
–Langston Hughes, a laissé une œuvre abondante de poète, de nouvelliste, de dramaturge et d’essayiste. Les poèmes qui suivent sont extraits de son premier recueil paru en 1925, « The Weary Blues ».
d’autres poèmes de Langston Hugues:
LE NÈGRE PARLE DES FLEUVES
J’ai connu des fleuves
J’ai connu des fleuves anciens comme le monde et plus vieux
que le flux du sang humain dans les veines humaines.Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.
Je me suis baigné dans l’Euphrate quand les aubes étaient neuves.
J’ai bâti ma hutte près du Congo et il a bercé mon sommeil.
J’ai contemplé le Nil et au-dessus j’ai construit les pyramides.
J’ai entendu le chant du Mississipi quand Abe Lincoln descendit
à la Nouvelle-Orléans, et j’ai vu ses nappes boueuses transfigurées
en or au soleil couchant.J’ai connu des fleuves :
Fleuves anciens et ténébreux.Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.
(paru dans la revue « Crisis » en 1921)
–
I’ve known rivers:
I’ve known rivers ancient as the world and older than the flow of human blood in human veins.
My soul has grown deep like the rivers.
I bathed in the Euphrates when dawns were young.
I built my hut near the Congo and it lulled me to sleep.
I looked upon the Nile and raised the pyramids above it.
I heard the singing of the Mississippi when Abe Lincoln went down to New Orleans, and I’ve seen its muddy bosom turn all golden in the sunset.
I’ve known rivers:
Ancient, dusky rivers.
My soul has grown deep like the rivers.
MOI AUSSI
Moi aussi, je chante l’Amérique.
Je suis le frère à la peau sombre.
Ils m’envoient manger à la cuisine
Quand il vient du monde.
Mais je ris,
Et mange bien,
Et prends des forces.Demain
Je me mettrai à table
Quand il viendra du monde
Personne n’osera
Me dire
Alors
« Mange à la cuisine ».De plus, ils verront comme je suis beau
Et ils auront honte, –Moi aussi, je suis l’Amérique.
—–
I, Too
I, too, sing America.
I am the darker brother.
They send me to eat in the kitchen
When company comes,
But I laugh,
And eat well,
And grow strong.Tomorrow,
I’ll be at the table
When company comes.
Nobody’ll dare
Say to me,
« Eat in the kitchen, »
Then.Besides,
They’ll see how beautiful I am
And be ashamed–I, too, am America.
LE BLUES DU DÉSESPOIR
[THE WEARY BLUES]
Fredonnant un air syncopé et nonchalant,
Balançant d’avant en arrière avec son chant moelleux,
J’écoutais un Nègre jouer.
En descendant la Lenox Avenue l’autre nuit
A la lueur pâle et maussade d’une vieille lampe à gaz
Il se balançait indolent…
Il se balançait indolent…
Pour jouer cet air, ce Blues du Désespoir.
Avec ses mains d’ébène sur chaque touche d’ivoire
Il amenait son pauvre piano à pleurer sa mélodie.
O Blues !
Se balançant sur son tabouret bancal
Il jouait cet air triste et rugueux comme un fou,
Tendre Blues !
Jailli de l’âme d’un Noir
O Blues !D’une voix profonde au timbre mélancolique
J’écoutais ce Nègre chanter, ce vieux piano pleurer –
« J’n’ai personne en ce monde,
J’n’ai personne à part moi.
J’veux en finir avec les soucis
J’veux mettre mes tracas au rancart. »
Tamp, tamp, tamp ; faisait son pied sur le plancher.
Il joua quelques accords et continua de chanter –
« J’ai le Blues du Désespoir
Rien ne peut me satisfaire.
J’n’aurai plus de joie
Et je voudrais être mort. »
Et tard dans la nuit il fredonnait cet air.
Les étoiles disparurent et la lune à son tour.
Le chanteur s’arrêta de jouer et rentra dormir
Tandis que dans sa tête le Blues du Désespoir résonnait.
Il dormit comme un roc ou comme un homme qui serait mort.
———————–
Droning a drowsy syncopated tune,Rocking back and forth to a mellow croon,I heard a Negro play.Down on Lenox Avenue the other nightBy the pale dull pallor of an old gas lightHe did a lazy sway . . .He did a lazy sway . . .To the tune o’ those Weary Blues.With his ebony hands on each ivory keyHe made that poor piano moan with melody.O Blues!Swaying to and fro on his rickety stool He played that sad raggy tune like a musical fool.Sweet Blues!Coming from a black man’s soul.O Blues! In a deep song voice with a melancholy tone I heard that Negro sing, that old piano moan—« Ain’t got nobody in all this world,Ain’t got nobody but ma self.I’s gwine to quit ma frownin’And put ma troubles on the shelf. »Thump, thump, thump, went his foot on the floor.He played a few chords then he sang some more— « I got the Weary BluesAnd I can’t be satisfied. Got the Weary BluesAnd can’t be satisfied— I ain’t happy no mo’And I wish that I had died. » And far into the night he crooned that tune.The stars went out and so did the moon.The singer stopped playing and went to bedWhile the Weary Blues echoed through his head.He slept like a rock or a man that’s dead. –
NÈGRE
Je suis un Nègre :
Noir comme la nuit est noire,
Noir comme les profondeurs de mon Afrique.J’ai été un esclave :
César m’a dit de tenir ses escaliers propres.
J’ai ciré les bottes de Washington.J’ai été ouvrier :
Sous ma main les pyramides se sont dressées.
J’ai fait le mortier du Woolworth Building.J’ai été un chanteur :
Tout au long du chemin de l’Afrique à la Géorgie
J’ai porté mes chants de tristesse.
J’ai créé le ragtime.Je suis un Nègre :
Les Belges m’ont coupé les mains au Congo.
On me lynche toujours au Mississipi.Je suis un Nègre :
Noir comme la nuit est noire
Noir comme les profondeurs de mon Afrique.
—
I am a Negro:
Black as the night is black,
Black like the depths of my Africa.I’ve been a slave:
Caesar told me to keep his door-steps clean.
I brushed the boots of Washington.I’ve been a worker:
Under my hand the pyramids arose.
I made mortar for the Woolworth Building.I’ve been a singer:
All the way from Africa to Georgia
I carried my sorrow songs.
I made ragtime.I’ve been a victim:
The Belgians cut off my hands in the Congo.
They lynch me still in Mississippi.I am a Negro:
Black as the night is black,
Black like the depths of my Africa.
—
et toujours sur Langston Hugues, voir ma parution » fresque sur Lennox Avenue«
–
–
.
Nicolas de Stael – grand concert ( RC )
- peinture; N De Staël : le grand concert 1955 (avant le suicide de l’artiste)
Face au grand mur de la douleur, Nicolas de Staël
A accompagné dans leur vol, les oiseaux , à toutes profondeurs.
Face au mur de la vie, si le bleu le noir et le blanc ne s’épousent pas.
C’est par un cri de couleur que tu as plongé dans le vide.
Peut -être pour retrouver l’espace des grands a-plats
Le reproche de l’ombre et le tragique du rouge
Il fait nuit sur ton corps, qui n’a pas suivi celui des oiseaux
Il fait nuit sur ta vie, qui nous disait l’inverse,
L’éclat d’un citron, d’un vase, et les rythmes des voiliers
Posés d’aplomb sur les surfaces peintes au couteau.
Mais si tu es gisant, brisé au pied des rochers
La musique des teintes, nous invite, symphonie
Où jouent les masses dressées sur l’écarlate
L’ombre du piano noir, l’ocre de la contrebasse
A ton grand concert, la neige des partitions
Des musiciens absents, à écouter les couleurs.
RC 25 mai 2012
–
– – voir aussi « le pinceau de la ville »
Faced with the great wall of pain, Nicolas de Staël
Accompanied in their flight, the birds, at any depth.
Facing the wall of life, if the blue black and white does’nt embrace.
This is a cry of color that wherefrom you plunged in the vacuum.
Perhaps to find space for a large flat-painted surfaces
The reproach of the shadow , the tragic of red
It’s dark on your body, which did not follow the birds
It is night of your life, who said the opposite,
The splendor of a lemon, a vase, and the rhythms of sailboats
Placed squarely on the painted surfaces with the painting knife.
But if you’re lying, broken at the foot of the rocks
Music of colors, invites us, symphony
Where the masses are standing on the scarlet
The shadow piano black, the ocher of the double bass
To your great concert, the snow of music sheets
Absent with musicians, listening to the colors.
–
voir aussi cet article dont je fais référence
———–>
Ce tableau évoque d’abord pour moi l’incommunicabilité : Malgré le pont que font les partitions entre les deux instruments , la musique semble étouffée par l’horizontalité de ce rouge écrasant , horizontalité contre laquelle semble s’élever péniblement la voix du violoncelle dans sa tonalité incertaine..
Pourtant ,, quand le regard s’attarde sur le tableau , l’éclat que donne cet agencement de couleurs au blanc éblouissant des partitions pourrait être un hymne à la musique ?
Je ne sais pas . Deux impressions contradictoires …
05/25/2012 à 21 h 20 min (Modifier)
Ta lecture est « plausible »,… étant donné que j’ai une vue plus « abstraite », je ne la partage pas ici, mais par contre oui, pour certains de ses tableaux: par exemple un nu sur le même fond rouge…
–
voir aussi le poème de Jean Senac, ici…
–
François Corvol – mythologies 03
photo: Edw Steichen
Un jour tu refermeras l’ombrelle et tout ceci
coulera dans l’eau comme les ancres
tout ceci qui nous ensorcela
disparaîtra dans l’étang dans le fort, pris au piège
du temps de la vie de tout ce qui se dérobe à ton piano
dix doigts pour commencer le château
la cueillette des cerises le repas des oiseaux, nous avons
beau voyager retenir l’eau toujours je vois
la nuit les arbres les manteaux
un jour tu refermeras l’ombrelle et tout ceci
coulera dans l’eau comme les pierres
tout ceci qui nous ensorcela
–
d’autres textes de François Corvol, sont disponibles sur « décadence.net »
Image, montage perso 2000, à partir de reproductions d’oeuvres de Max Ernst
John Cage – silences et sons (RC)

Photo: John Cage, musique sur cordes, dans un piano
—
Ne pas confondre la musique de Cage
Avec une écoute en douceur
Un auditeur qui le ferait, serait dans l’erreur
Et ne trouvera pas , – avec John -, du new age
–
Des rythmes bien assis – plutôt carrés…………..>
Mais des sons ténus à l’oreille, qui déroutent
Et demandent un effort, à l’écoute…
Pas de valse à trois temps, mais du piano préparé
–
Pas de musique en danse, un rock qui balance,
Mais, – remise en cause de certains principes
4’33 d’attention…. pour que l’écoute participe
Au choc de la musique du silence
–
RC 03- avril 2012
–
Mouvements d’un cil – papier de riz, moisissures pâles
Une nouvelle fois, je tente de capter l’actualité abondante de « mouvements d’un cil »… et je vous fais partager ses « moisissures pâles– »
Hommage à Horst Judith

Moisissures pâles
La dépossession est une seconde peau. Les touches de poignets,
Les touches de piano étaient bleues. Mes doigts empourprés
Par la fièvre devaient supporter la légère pression. La masse de la légèreté.
La musique est intérieure avant le sentiment d’apesanteur. Elle gravite
Le flux des valvules et de l’hypophyse avant d’envahir l’espace.
Entre les courbes, les vagues frissonnent. Cet élan. Le voile étouffe
La mouette sur l’amandier du Levant. Tous les points sont invisibles.
Les meubles tournoient. Le sol, la terre en dessous se condense
Dans ce rythme qui bat cellulaire. Les bras au fond de l’herbe,
Les tentacules de racines, la moisissure pâle entre les interstices.
Une sonate. Les humeurs fluctuent. Les murs tremblent comme des feuilles,
Poreux quand les doigts déploient les ailes le long des turbulences translucides.
Les notes crépusculaires descendent des siècles que tous les organismes
Ne pourraient comprimer. Sonates de sodium. Impression nocturnale
Quand les champs de la conscience sont à demi-éveillées, étouffée
Par des insectes minuscules sur des taches de pierre.
Moisissure pâle
Max Jacob: – vie et marée
Vie et marée
Quelquefois, je ne sais quelle clarté . nous faisait
entrevoir le sommet d’une vague et parfois aussi le bruit
de nos instruments ne couvrait pas le vacarme de l’océan qui se rapprochait.
La nuit de la ville était entourée de mer.
Ta voix avait l’inflexion d’une voix d’enfer et le piano n’était plus qu’une ombre sonore.
Alors toi, calme, dans ta vareuse rouge, tu me touchas l’épaule du bout de ton
archet, comme l’émotion du Déluge m’arrêtait.
« Reprenons! » dis-tu.
O vie 1 ô douleur! ô souffrances d’éternels
recommencements !
que de fois lorsque l’Océan des nécessités m’assiégeait !
que de fois ai-je dit, dominant des chagrins trop réels ! hélas!
« Reprenons! » et ma volonté était comme la villa si terrible cette nuit-là.
Les nuits n’ont pour moi que des marées d’équinoxe.
——–
Max JACOB« Le Cornet à dés »
(Gallimard)
Bibliothèque des Arts Décoratifs Échelle de sensations
Mabel Moreno – Rivages
Rivages :
Chanson du bord de l’eau
si elle était assise au bord du ruisseau dans la lumière
– si je lui donnais le mot ruisseau en échange
– mais elle avance seule dans n’importe quelle rue.
La solitude est le lit de sa rivière –
dans ses yeux elle garde la lumière noire.
Mais elle avance pourtant
– Aveugle et lumineuse dans le soir.
Elle me dit quelques mots que je ne comprends pas –
Pourtant je la suis, je me perds dans ces mots
– Je me perds dans la voix de ses pas
– Je pourrais m’arrêter ici, sur ce trottoir
– Mais elle me conduit vers de vives syllabes.
Elle me demande si je la suivrai quand elle traversera la mer
– je regarde sa bouche
– sa langue dessine un autre mot quand elle parle de moi, quand elle parle avec moi.
Le Piano sur la gauche, le Blanc en aplats
– Elle dessine l’ondulation des jours sur une plage
– La vague sur mon visage à l’ombre de ses doigts
– Et le son liquide de son corps au bord du mien-
Phrases en écho de Rémi Froger et Mabel Moreno
றouvemenʨ d’un ciℓ [edit./ exibit. projects (il y a 5 semaines)
Dispossession is a second skin. The wrists keys,
The piano keys were blue. My empurpled fingers
By the fever had to bear the light pressure. The mass of the light.
Music is inner feeling before of weightlessness . It gravitates
The flow valvulars and pituitary before invading the space.
Between the curves, waves shiver. This momentum. The veil stifles
The seagull on the almond tree in the Levant. All points are invisible.
Furnitures whirl. The soil, the earth below condenses
In this rhythm beating cellular. Arms at the bottom of the grass,
The tentacles of roots, mold pale between the interstices.
A sonata. Moods fluctuate. The walls tremble like leaves,
Porous when fingers deploying the wings along the translucent turbulence .
Crepuscular notes down the centuries that all organisms
Could not compress. Sonatas sodium. Nocturnale impression
When the fields of consciousness are half-awake, smothered
by tiny insects on stains of stone.
Pale molds
—