Jacques Borel – le loup
Le loup n’a que la peau, les os,
Mais il enterre sous la neige
Le plus précieux de ses fardeaux,
La victime veuve et dorée
Qui pourrait seule le nourrir
Il la préserve de mourir
Dans la glaciale profondeur
Où la raniment ses désirs
Puis, les yeux clos sur une image,
Brûlant d’un feu de pierreries,
Il file seul entre les pièges
Et c’est sa faim qui le nourrit.
Claude Roy – Nuit
Elle est venue la nuit de plus loin que la nuit
à pas de vent de loup de fougère et de menthe
voleuse de parfum impure fausse nuit
fille aux cheveux d’écume issue de l’eau dormante
Après l’aube la nuit tisseuse de chansons
s’endort d’un songe lourd d’astres et de méduses
les jambes mêlées aux fuseaux des saisons
veille sur le repos des étoiles confuses
Sa main laisse glisser les constellations
le sable fabuleux des mondes solitaires
la poussière de Dieu et de sa création
la semence de feu qui féconde la terre
Mais elle vient la nuit de plus loin que la nuit
A pas de vent de mer de feu de loup de piège
bergère sans troupeau glaneuse sans épis
aveugle aux lèvres d’or qui marche sur la neige.
Claude ROY « L’Enfance de l’Art » (Fontaine, 1942)
Même le paysage s’interrompt dans ses éclats – ( RC )

peinture: R Magritte : le promenoir des amants.
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Et c’est illusion, si l’espace, que l’on pensait libre de contrainte,
se voit tout à coup enfermé dans une paroi.
Ainsi l’oiseau en plein vol se précipite dans le piège des vitres,
où même le paysage s’interrompt dans ses éclats .
C’est comme si l’élan était rompu (un baillon ).
On se voyait libre, de parler, de réfléchir, et de se dire ;
mais on se heurte aux faux semblants et aux étendards de l’arrogance .
Le souffle n’avait pas besoin de ponctuation ;
et voilà qu’on ne peut pas terminer ses phrases.
Le fil de la pensée est rompu ; on en arrive à ne plus oser se dire,
puisque vivre ne peut pas se faire, sans que des barrières soient imposées.
Certains aiment en jouer , parcourir les murailles d’un labyrinthe inextricable :
ils ont de l’ambition ; ce sont souvent des bavards et souhaitent avoir réponse à tout….
D’autres préfèrent leur parcours intérieur, visible d’eux seuls, et se réfugient dans le silence.
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RC – mai 2015
Apnée des attentes – (RC )

photo: Andreas Franke
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Je ne vois plus qu’un vert uniforme
Ces créatures éloignées du soleil
Suspendues, sans d’autre lumière halo,
Que celle qu’elles émettent,
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Les danseurs de l’immobile,
Ludions
Portant leurs ampoules vacillantes,
Quelque part au-dessus,
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Si aucune brillance,
Ne vient indiquer,
L’extrémité close,
Le mur de verre,
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Tout un monde flottant,
Apnée des attentes,
Caresse molle des algues,
Et peu à peu s’incrustent,
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Au bastingage métallique,
Ancre, cordage enroulés,
L’épopée coquillages
D’embuscade sédimentaire.
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Elle vient sceller le destin,
Quand se referme le piège,
– Silence liquide.
Du gîte de l’épave,
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Déposée de biais,
Sur le sable trouble,
S’échappent encore des bulles,
Qui vont suivre, verticales
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L’histoire de l’air,
Pesant de son couvercle,
> D’atmosphères,
Loin , bien loin, au-dessus.
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RC – 15 septembre 2013
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Patti Smith – animaux sauvages

photo: Robert Mapplethorpe – crâne
Est-ce que les animaux crient comme les humains
quand leurs êtres aimés chancellent
pris au piège emportés par l’aval
de la rivière aux veines bleues
Est-ce que la femelle hurle
mimant le loup dans la douleur
est-ce que les lys trompettent le chiot
qu’on écorche dans l’écheveau de sa chair
Est-ce que les animaux crient comme les humains
comme t’ayant perdu
j’ai hurlé j’ai flanché
m’enroulant sur moi-même
Car c’est ainsi
que nous cognons le glacier
pieds nus mains vides
humains à peine
Négociant une sauvagerie
qui nous reste à apprendre
là où s’est arrêté le temps
là où il nous manque pour avancer
Patti Smith, Présages d’innocence, Christian Bourgois éditeur, 2007, pp. 96-97. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Darras.
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photo patries71
Photo Patries71