Pierre Seghers – entre les mailles des buissons

photographe non identifié
Entre les mailles des buissons
Pris à la nasse d’eau des sources
Il vécut dans la fosse aux ours.
O le temps des maisons du vent
Il a campé sur l’océan
Il a mangé le pain des vagues,
Il but l’hiver avec l’été
Le chien de peur à son côté
Le ciel a rongé son visage.
Tous les paluds ont la vérole
Il eût fallu tant de parole
Pour proclamer ce qu’il savait
Que dans le vent, la boue, la colle
Il traînait des semelles folles
De silence et de vérité.
Quand les marais perdaient sa trace
Il était l’hôte de l’espace
Il mâchait l’herbe et le roseau.
Et sur les routes de Décembre
Il brûlait de gel et d’attendre
Le dernier des quatre chevaux
Pierre Seghers – le bon vin

Ah le bon vin ! de la bouteille rousse
On y buvait le repentir doré
On y buvait la ciguë des forêts
Le vent d’Avril et le diable à ses trousses
Ah le bon vin ! que sa chair était douce
Enlevait-il ses habits de velours
Qu’on l’embrassait comme soleil le jour
Il vous glissait comme un que le vent pousse
Ah le bon vin ! de-ci de-là chantant
Le souvenir des amours impossibles
Le devenir des amours pris pour cibles
Il en riait ou pleurait plus souvent
Ah le bon vin ! mais c’est Yseult la blonde
Avec Tristan qui le boit tout à coup,
Sa main de feu qui leur brûle le cou
Leur incendie qui dévore leur monde !
Ah le bon vin ! c’est la torche et la flamme
Si haut montées que la peur les saisit,
Si haut domptées que la mort les choisit,
Folie se meurt et se meurent leurs âmes…
Ah le bon vin ! que dit le fossoyeur,
Ces deux roussis n’avaient qu’à le point boire…
Et l’oiseleur qui met des ailes à l’histoire
Avec elle s’envole ailleurs
texte extrait du recueil des poètes d’aujourd’hui ( ed seghers)
Pierre Seghers – le phénix et les autres

L’oiseau qui chantait dans le feu, c’était le phénix,
Depuis il patronne une lessive, une compagnie d’assurances.
La bête qui vivait dans le feu, la salamandre,
D’elle on ne sait plus rien, c’est un poêle d’appartement.
Le char qui roulait dans le ciel, celui du soleil,
Il est devenu épicerie à succursales, maison de primes.
Et là-haut encore, l’astre des nuits et de l’amour,
Vénus, quoi, c’est une marque de soutiens-gorge.
Tout ceci, tout cela, des hommes, des poètes…
Pierre Seghers – le toit s’est enfui
baie de Chesapeake. Maison aux Pays-Bas
« Le toit s’est enfui
La pluie est entrée
De vivre en aimant
Ce fut impossible
Futile bonheur
Fut-il pris pour cible ?
Il n’en reste rien
Qu’un corps éventré. »
(extrait de « La maison des sables »)
Pierre Seghers – Une maison où je vais seul
Un nom que le silence et les murs me renvoient
Une étrange maison qui se tient dans ma voix
Et qu’habite le vent
Un bateau de grand ciel au-dessus des forêts
Une brume qui se dissipe et disparaît
Comme au jeu des images