Retirer son nez de la rose – ( RC )

Celui qui plonge son nez dans une rose
ne s’attend pas à ce qu’elle se referme sur lui.
Quand je me mets à la peinture,
il en est un peu ainsi:
je n’ose les couleurs franches
que pour précipiter les autres
à leur rencontre .
Il m’est difficile de laisser les choses en l’état.
Car tout semble s’organiser
en combat de brosses
et caresses de pinceaux .
Chaque geste veut donner de la voix,
mais conserver son quant à soi,
sa part d’élégance,
son enclos préservé,
même s’il s’aventure
dans une lourdeur faussement maladroite.
En fait j’assiste au lever d’un jour,
qui a sa part d’ombre,
et ne me lâche plus d’un pouce.
On se demande encore
s’il me reste quelque choix conscient,
car même si c’est par mon intermédiaire,
il semble que la main ne fait qu’obéir
à la montée naturelle des formes
et des contrastes.
Que proposer alors ?
Un dilemme entre le flou et le net,
l’affirmatif et l’hésitant,
la réserve ou la superposition ?
La décision est délicate,
elle ne dépend pas de ma seule volonté,
car les éléments ont leur vie propre,
et se laissent difficilement convaincre….
Le seul moment crucial arrive
à l’instant où tout semble en suspension.
L’équilibre est précaire,
il menace à tout instant de se rompre,
et comme dans l’écriture,
je dois faire attention aux parenthèses,
aux répétitions, et à la ponctuation…
C’est le moment de retirer son nez de la rose…
J’en conserve le parfum…
Le baiser de la femme araignée – ( RC )

C’est une femme aux mille ressources,
qui vit au sein de la peinture,
sous les couches de couleur…
Nous prend-elle dans sa toile,
nous enrobant de caresses drues,
où virevoltent les pinceaux ?
De la plage, la sérénité
des jours d’été semble s’éloigner.
Nous serons à notre tour
ce corps fragmenté
se débattant sous les vernis
et les baisers
de la femme araignée…
( réponse à un écrit de Louba Astoria sur Wilhem DeKooning )
Détourner la douleur vers un peu de sourire – (RC )

Tant d’années à se dire
à se lire , à déchirer les ténèbres
de tant d’heures,
pour que la lumière vienne,
et rebondisse sur les fleurs
dont la tête penche ;
Elles n’égarent pas leurs couleurs,
car elles restent vivantes
dans le tableau.
Je suis derrière,
je ne sais si tu me reconnaîtras,
car j’ai un peu changé,
et ma voix est chargée
de mes pas égarés
dont l’immobilité rejoint
celle la pierre
Le silence serait-il
de la même nuance qu’hier ?.
Je me suis exercé
avec le jeu des pinceaux,
pourtant , je ne façonne pas les heures,
je laisse passer les oiseaux,
je me retire dans des paroles
souvent vaines,
mais j’y loge un peu de soleil
pour détourner la douleur
vers un peu de sourire.
RC
Philippe Delaveau – la pluie ( II )
Maintenant dans les flaques se dilue
le dur monde ancien comme aux poils des pinceaux
la peinture collée qui se détache sous l’essence.
Debout, enfin lavé de mes refus, je m’apprête à la tâche.
Debout sur la terre lavée, Seigneur, je veux chanter
Ta gloire dans la force du vent, composer
nos hymnes parmi les pluies et la mesure, maître enfin
de mon chant dans l’assemblée des arbres et des hommes,
la fraîcheur nouvelle et l’odeur neuve du jardin,
sous l’arc dans le ciel neuf comme un luth de couleurs.
Tubes, couleurs, palettes, tableaux – ( RC )
On n’imagine pas
comment les familles de pâtes
prisonnières
libèrent leurs couleurs
sur les palettes :
– arcs-en-ciel bousculés ,
petits tortillons calmes,
dans l’attente de la toile
où grésillent déjà des ocres
et les rouges.
On n’imagine pas non plus,
comment ces mêmes couleurs,
extraites des tubes,
– à la manière des bernard-l’hermite
sortant la tête de leur abri – ,
vont tout à coup envahir
les zones encore vierges ,
lutter contre d’autres,
ou s’y fondre
en chatoiements discrets.
C’est que chaque peintre
a son regard,
que la lumière provoque,
et bouscule .
De palettes identiques ,
la douceur des pinceaux,
la fureur des brosses
laissent des empreintes
chaque fois différentes
organisées en accords vibrants .
Tubes alignés dans l’attente,
les flacons de vernis sont en transe,
encore immobiles,
mais constatent que le peintre
les allient à l’ivresse des songes
ourlés d’essence de térébenthine ,
en couches opaques ou translucides.
Le tableau en est l’écran
où se concrétise sa vision
( et du même coup, la nôtre ).
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RC – juin 2019
Revenue – ( RC )
Au delà,
des rues du carrefour,
des voitures immobiles,
et des arbres qui attendent.
un banc
au milieu d’une place,
peut-être un jardin,
qu’on ne distingue pas bien:
il y a un mur
aux écritures blanches.
puis une lumière dorée
comme si on voyait au travers
alors, laissant tomber les pinceaux ,
j’irai dessiner sur la muraille une porte ,
je l’ouvrirai sans bruit
et saurai que tu es revenue…
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RC – fev 2018
Vous ne vous imaginiez pas modèle – ( RC )
peinture : D Velasquez
Bien sûr, c’est un mystère
qui se construit petit à petit,
sous mes yeux ébahis.
Je vois la peinture se faire
L’ange poser ses ailes :
Vous êtes ainsi alanguie
Sommeillant sur le lit
Vous êtes celle
qui lentement se révèle
à la caresse des pinceaux :
suivent la courbe de votre dos
(vous ne vous imaginiez pas modèle )…
Du voyage au long cours,
le vent dans les voiles,
vous apparaissez sur la toile,
peinte avec amour.
Négligemment déposés,
vos habits en tas,
à côté de votre bras …
Dans une lumière bien dosée
vous apparaissez, rêveuse,
les mains sur vos hanches,
votre poitrine est blanche,
et comme lumineuse….
Vous êtes la lumière du soir .
Surgie dans le décor
( et l’or de votre corps
se reflète aussi dans un miroir ).
On ne vous imagine pas blonde ,
car la seule ombre au tableau
porte le flambeau
de l’origine du monde .
Il n’y a pas besoin d’être Courbet,
pour que le monde vous contemple :
la première entrée du temple
est sur la toile, posée sur le chevalet.
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RC
– juill 2017
Carolyn Carlson danse Rothko – ( RC )
photo :dialogue avec mark Rothko – Carolyn Carlson
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Carolyn Carlson évolue dans l’espace.
Celui-ci est clos.
Il partage une série de grandes toiles peintes.
Ce n’est pas un décor,
où le noir lutte avec le rouge
et le rouge chavire d’orangés
« blottis dans les recoins enflammés de lumière ».
La couleur est habillée et se déplace .
Traversés de vermillon,
les habits noirs de Carolyn
Portés de gestes lents
Sont autant pinceaux que tableaux.
Des aplats écarlates s’y meuvent ;
le corps est graphie, la danse est solo
Le dialogue s’engage et répond,
Aux peintures de Rothko .
Il semble que la lumière sourd de la toile,
se met en mouvement
Confronté à elle, le corps , parfois se fond,
le déplacement est sa seule mesure.
Les ombres portées la précèdent sur la scène.
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RC – juin 2015
* l’expression
« blottis dans les recoins enflammés de lumière« , est de C Carlson elle-même.
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