Gerard Pfister – un précipice, un vertige

De quel abîme sors-tu
à chaque instant, dans quel oubli
Tu crois traverser une plaine
assoiffante, déserte et chaque pas
est une source, un précipice
Ah puisses-tu pour seul recours
chérir ton vertige
Gabriela Mistral – L’attente inutile
sculpture en bronze représentant une fille tenant un cadran solaire, au jardin botanique de Brooklyn
—
J’avais oublié qu’était devenu
rendre ton pied léger,
et comme aux jours heureux
Je suis sortie à ta rencontre sur le sentier.
J’ai passé vallée, plaine, fleuve,
et mon chant se fit triste.
Le soir renversa son vase
de lumière, et tu n’es pas venu !
Le soleil s’effilocha,
coquelicot mort consumé;
des franges de brume tremblèrent
sur la campagne. J’étais seule!
Au vent automnal craqua
d’un arbre le bras blanchi.
J’eus peur et je t’appelai ;
Bien aimé, presse le pas!”
J’ai peur et j’ai amour,
presse le pas, bien-aimé!
Mais la nuit s’épaississait
et croissait ma folie.
La espéra inûtil.
—
J’avais oublié qu’on t’avait
rendu sourd à mes cris;
j’avais oublié ton silence,
ta blancheur violacée;
ta main inerte, malhabile
désormais pour chercher ma main,
tes yeux dilatés
sur la question suprême!
La nuit agrandit sa flaque
de bitume; augure maléfique,
le hibou, de l’horrible soie de son aile,
griffa le sentier.
Je ne t’appellerai plus
car tu ne parcours plus ton étape;
mon pied nu poursuit sa route,
le tien est au repos.
C’est en vain que j ’accours au rendez-vous
par les chemins déserts.
Ton fantôme ne prendra plus corps
entre mes bras ouverts!
Les pierres du Mont Lozère – ( RC )
photo perso 2005 : Mont Lozère et « clapas »
On a semé sur le mont Lozère,
quantité de pierres,
de gros calibre,
parfois en équilibre .
Elles sommeillent,
la face contre le ciel,
portent le monde à l’envers,
le nez en l’air…
Elles se disputent souvent
avec l’âpre vent,
la tempête et le froid
où les arbres peinent à tenir droit.
Entens-tu leur chanson
qui accompagne les saisons ?
Sur leur peau douce
ne s’aggrippent pas les mousses
Ne crains pas leur fuite :
ce sont des masses de granite,
lentement accumulées
qui ne risquent pas de s’envoler.
Ce sont des sentinelles
dépourvues d’ailes ,
qui veillent sur la plaine,
et le décor de la scène ,
où les millénaires peuvent s’écouler:
leur muette consistance
parle de leur patience :
ce n’est pas demain qu’elles vont s’écrouler…
–
RC – avr 2017
Un fil tendu dans le silence – ( RC )
Environnement plat, ( à peu près ),…
…brume,
– peupliers.
Le tout défile.
S’il fallait prendre la photo,
D’abord descendre la glace,
L’air humide tout à coup engouffré,
Et le flou de mouvement.
Une vallée paresseuse,
Bien pâle en ce novembre,
Et juste les ailes coassantes
des corbeaux.
La voiture progresse,
mange les kilomètres,
pour un paysage semblable
ou presque .
Une musique pulse,
C’est une chanson
à la radio
qui rape
La caisse fonce,
Du son plein la tête
Sur le ruban de la route,
luisante. Flaques.
A la façon d’un coin
Dans l’horizontale :
– Traversière,
Phares devant
Yeux fixés,
Droit devant,
Etrangement étrange
– Trait bruyant ( un fil tendu
Dans le silence . )
La plaine tolère juste
De ses champs gorgés d’eau
Son passage éphémère
Se refermant sur elle-même,
Lentement,
Le bruit s’efface comme il est venu.
Les corbeaux reprennent leur vol.
–
RC – sept 2015
Quine Chevalier – ensorcelées sous le soleil
–
Pour Annie Estèves
Ensorcelées sous le soleil
les ombres sont féroces
l’aube sans voix décline ses miroirs
et le vent dans tout ça
qui palabre
violente.
Ensemble nous marchons
dans nos creux
soulevant
l’herbe des secrets
que nous buvons le soir
dans la lampe qui brûle.
Quel hameau a quitté
l’enfant de nos désirs
sur quel arbre d’oubli
a-t-il planté ses rêves ?
La main n’est plus qu’un nid
l’ombre se repose
les yeux ardent la plaine
où passe le gerfaut.
François Corvol – Après l’errance
–
Parfois, fatigué de ces mondes intérieurs
Repu, ennuyé, blasé
J’ouvre lentement les yeux
Lentement afin de supporter
Le violent et serein éclat de notre soleil
Ainsi qu’un voyageur revenu du pôle après un long séjour
Retrouvant les plaines, les arbres
Tout ce qui est vert et tout ce qui se meut
Ressent l’immense vitalité
Se soulever en lui
Ainsi qu’un homme retrouvant son foyer
Après l’errance d’entre les nuits
De la même manière je recouvre le monde
Chaque jour
Chaque minute
Après les yeux fermés
Après l’avoir réinventé
Je suis parti pour un voyage ( RC )
–
Je pars un peu, laisser derrière moi hautes collines et ravins d’ombre,
A compter la distance, je suis les flèches blanches,
–
Elles scandent les espaces, les forêts sombres…
Laissent place aux prairies, aux cultures, et enfin aux villes,
Le long de la route qui penche,
Virevolte, agile ,
–
S’élance et voltige,
Viaducs et ponts d’audace,
Défiant le vertige,
S’appuient sur monts et terrasses,
–
Avant de connaître la plaine,
Voisine d’une rivière serpente,
Sous le soleil, sereine…
… on en oublie le souvenir des pentes.
–
Le miroir d’eau accompagne,
Sur les kilomètres parcourus,
La route de campagne,
La traversée des villages, bientôt disparus,
–
Ils changent peu à peu de style,
La pierre cédant à la brique,
L’ardoise à la tuile,
Répondant, en toute logique
–
Aux régions qui se succèdent,
Au fil des heures interprétées
Que la lumière encore possède,
D’entre les nuages… c’est l’été.
–
J’approche de chez toi,
Les maisons aux façades vives,
Le chant de ses toits,
La tour de l’église et ses ogives,
–
Je laisse sur la droite,
Le vieux village,
Et ses voies étroites,
Magasins et étalages…
–
Quelques rues encore,
La barre des bureaux
Après le drugstore,
Et puis le château d’eau…
–
Coupant le moteur,
J’ouvrirai enfin,
Le havre de fraîcheur,
L’abri de ton jardin,
–
Il y a toujours,
La porte bleue ouverte,
Sur la salle de séjour,
Le bassin aux lentilles vertes,
–
Et les chaises anciennes,
Laissées au vent,
– Attendant que tu reviennes,
Je m’assois lentement
–
A côté des plantes
Les pieds dans les lentilles,
Et pousses verdoyantes,
Je ne vois plus mes chevilles
–
Mais le reflet du saule
Et puis ton visage,
Qui me frôle l’épaule,
Les seins sous le corsage,
–
Les mots s’enroulent dans les violettes, *
Ta peau a la couleur de blondes prunes
Prêtes à d’autres cueillettes,
Je vais te retrouver sous la lune,
–
Je suis parti pour un voyage – dans tes bras.
–
RC 19 août 2013
–
la belle expression « Les mots s’enroulent dans les violettes » est de Nath
Sous les yeux fertiles du temps ( RC )
A tous les rivages et au murmure des vagues
Les paroles croisées, le bonheur d’une inspiration
Ainsi, le ressac régulier, et l’écume
Qui prend et donne, reprend encore
L’appel des sirènes s’est perdu dans la brume
———Personne n’en propose de traduction.
Le pays s’est usé de son voisinage,
Pour tatouer la mer de rochers,
C’est une lente métamorphose,
Qui transporte les éléments
Sous les yeux fertiles du temps
Au-delà du plein chant du soleil
Les falaises parait-il reculent
Et cèdent au liquide des arpents de prés,
Les remparts de la ville s’approchent du bord
Et seront un jour emportés,
Comme le sont les siècles
Aux haleines des brises et tempêtes.
Faute d’apprivoiser le temps
Il faut faire avec son souffle
Et le berger pousse ses troupeaux sur la plaine
Puis les plateaux, qui offrent
A toutes les transhumances, leurs drailles séculaires
D’un parcours recommencé, au cycle des saisons.
RC – 14 octobre 2012
–
Françoise Delcarte – Pouvoirs
Pouvoirs
je parle d’une ville, à présent, pour nous deux.
Je parle ma présence parmi tes yeux de plaine.
Je parle d’une allée de trembles, au fond des mains.
J’oublie mes propres mots.
J’éclipse ma mémoire.
Une phrase est ton corps.
J’apprends à me nommer.
J’apprends battre les ailes au fond de chaque nuit.
Je parle vivre ici, sans promesse de temps.
–
DELCARTE Françoise
–
Ecriture paysagère, plume voyageuse ( RC )

photo: Yann Arthus Bertrand – îles d’Aran – Inishmore
–
J’ai écrit sur les causses et les montagnes
L’aube sur les étangs gelés, en rase campagne
Les déplacements minuscules, qui font sans doute
La différence, aux zébrures de parcours d’autoroute…
J’ai aimé la nef affleurant des îles d’Aran
Les nuages empilés, de ces îles sous le vent
Les champs qui ondulent, et contournent les collines,
Les pins sylvestres attentifs, au bord des dolines,
En attendant que l’orage cesse, sous un abri de roc,
Ma tête convoquait les ogives d’une cantate baroque
Les toits dansants d’un village provençal,
Un marché, fruits et légumes, jonglant de couleurs sur les étals.
Avec mes croquis des maisons d’Amsterdam,
Sous un ciel si bas, que les nuées condamnent,
Je me suis donné l’espace d’un défi,
Sans transcrire en photos, architectures, et géographies…
La plaine est immobile, et la plume voyageuse,
Et caresse aussi bien les bords de la Meuse,
Que le bourdonnement têtu des abeilles
Dans les calanques, près de Marseille.
RC – 29 juin 2012