Sans noms – ( RC ) – d’après Paul Celan
dessin: Zoran Music
Ils veulent effacer nos noms
comme nos corps,
anonymes et juste identifiables
grâce à un matricule,
en apposant des scellés
dans le non-dit,
sur les lèvres éteintes
de l’histoire, la rendant muette,
aussi innommable que nous .
Or ce n’est pas notre fin,
qui s’écrit, taciturne
mais le commencement
d’une écriture,
même si nos noms
ne nous sont rendus,
qu’avec des caractères
inscrits par milliers
dans des plaques de mémoire.
–
RC – mars 2020
—
d’après le texte de Paul Celan, évoquant la Shoah ( dans Zeigehöft, )
Das Nichts, um unsrer
Namen willen
—-sie sammeln uns ein—-,
siegelt,
das Ende glaubt uns
den Anfang,
vor den uns
umschweigenden
Meistern,
im Ungescheidnen, bezeugt sich
die klamme
Helle.
–
dans son allocution de réception du prix de la ville de Brême, en 1958, Paul Celan déclare :
Accessible, proche et non perdue, au milieu de tant de pertes, il ne restait qu’une chose : la langue. Elle, la langue, restait non perdue. Oui, malgré tout. Mais il lui fallut alors traverser ses propres absences de réponse, traverser l’horreur des voix qui se sont tues, traverser les mille ténèbres du discours porteur de mort. Elle traversa et ne trouva pas de mots pour ce qui était arrivé. Mais elle traversa cet événement et put remonter au jour “enrichie” de tout cela. C’est dans cette langue que, au cours de ces années-là et de celles qui suivirent, j’ai essayé d’écrire des poèmes afin de parler, de m’orienter, afin de savoir où j’étais et où cela m’entraînait, afin de me donner un projet de réalité
Murièle Modely – nature morte
nature morte
peinture Hannah Höch » l’escalier »
sur la droite une feuille blanche grouille de pattes de mouche
sur la gauche une main sèche brune finit de momifier
le tout s’alanguit dans un cadre doré au milieu d’un mur
qui tombe par plaques dans un musée obscur
Rues d’anciens habitants – ( RC )
On se demandera quelle carte consulter,
ou plutôt, à quelle époque,
et si on peut retourner dans la géographie intime
des rues de la ville .
Il y a d’anciennes inscriptions,
qui cohabitent avec les plaques émaillées
et qui disent d’anciens lieux,
des noms qui n’évoquent pas ceux d’hommes célèbres,
mais l’activité pratiquée, ou ce qui marquait
visuellement l’endroit .
La ville est un continent , dont une part est englouutie
dans les épaisseurs de l’histoire .
On peut revoir des cartes anciennes ,
l’écriture penchée, et appliquée pour les noms,
toucher les vieux papiers ,
ignorant l’aspect plastifié d’aujourd’hui
mais rien ne vaut autant,
que pénétrer plus avant dans son ventre,
là où il serait impossible de se repérer ,
dans le sous-sol , où l’ombre règne.
Ce sont des gouffres qui ont englouti les rues,
dirait-on,
un double du quadrillage aérien,
qui court, à la manière d’une autre ville,
cachée dessous, à l’instar d’un arbre,
où les racines se développent dans l’ombre,
comme les branches, dans l’air.
Ou bien la partie cachée de l’iceberg ,
dévoilant , pour qui en a entrepris l’exploration,
la face inconnue des choses.
Une partie ignorée, et qui peut le demeurer :
tout un dédale de souterrains se développe,
juste sous nos pieds .
Il y a des artères principales ,
des croisements , bifurcations ,
impasses, et cavités,
qu’on prendrait presque pour des boutiques,
( comme celles situées au-dessus de la surface ),
des chapelles, le tout rempli jusqu’à ras-bord,
des ossements d’anciens habitants.
L’imagination aidant, les catacombes
sont le continent du sous-sol .
Il revit peut-être avec ses spectres:
les squelettes se réveillent, et se promènent :
Ils n’ont pas besoin de leurs yeux défunts,
de toute façon inutiles dans l’obscurité totale .
Mais pour ceux qui n’y voient pas ,
on a privilégié le sens du toucher,
et c’est peut-être pour cela , que le nom des rues
reste indiqué, à chaque carrefour,
Avec ces lettres profondément creusées dans la pierre .
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RC – dec 2017
Un volcan au Havre – ( RC )
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L’esplanade aurait pu continuer,
Indéfiniment.
Il suffisait d’aligner les plaques de béton.
Tant que l’espace le permet ,
Entre les barres d’immeubles ,
Sans accroc.
Propice aux courses folles,
Où viennent voleter
des sacs en plastique .
Il y a encore les traces de peinture renversée,
Puis les arcs sombres
laissés par les pneus des voitures.
C’est un espace sec, infertile,
De plaques préfabriquées,
Où la ville a chassé ses arbres.
On s’étonne de voir une frêle silhouette le traverser.
Incongrue.
Comme un scarabée sur une plaque de cuisson.
Et encore davantage
lorsque le gris uniforme,
Est stoppé net,
Par les pentes blanches, abruptes,
D’un Fuji-Yama,
Surgi, là où on l’attendait pas.
Une envolée de l’esprit,
Prenant ses racines au sein même du banal,
Décisive.
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RC – dec 2014
Au pied du mur ( RC )
Au pied du mur ( RC) – pour Richard Serra
Richard Serra: dessin: Coltrane – 1999
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Au pied du mur
Je m’enroule en volumes
Le corps penché
Entre les plaques rouillées de Serra…
Mise en oeuvre de la masse
D’un labyrinthe noir
de rectangles qui n’en sont pas
D’où je perds ma présence
En vain, géométrisé
D’équilibre le dessin s’assoit
Et de simplicité ajustée
La création , en puissance me boit
Le noir s’impose à plat
Et de poids se fait liberté.
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( ce texte se réfère donc à l’oeuvre de Richard Serra, et l’impression d’une grande expo au monastère royal de Brou ( à côté de Bourg-en Bresse), il y a longtemps… 1985… en lien ce dossier pédagogique du centre national d’Arts Plastiques, bien documenté : téléchargeable )
RC- décembre 2011
Richard Serra Vice-versa 2003 – installation, sculpture
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