Départ – ( Susanne Derève)

Un ciel de nuit
mais les nuages à l’horizon blanchissent déjà
Tu pars
les lanternes des grues rougissent comme des phares
silence ensommeillé
qui sonne doucement de l’ébranlement des trains
du chuintement régulier des essieux
de leur halètement sourd
du chant atone des sirènes
– voix de basse des cornes de brume
émergeant du brouillard –
du claquement des toiles au vent
sonne d’un au revoir et d’un baiser mouillé
d’une écharpe qu’on noue
et d’un bonnet serré autour des yeux
Sous la pluie qui noie les lumières de l’aube
Tu pars
Gustave Roud – campagne perdue

Sépare-toi de ton double endormi, quitte la chambre du Temps,
le seuil débouche dans une perle!
Nacre et nuit, l’espace gris et rose s’irise et tremble au seul battement de ton désir.
L’espace devient couleur de ta pensée. Tu peux choisir.
L’aube? Le ciel miroite aussitôt comme un ventre de truite.
La nuit d’août? Ce grésillement d’étoiles tout à coup sur le lac d’odeurs
où fermente le vin des roses mortes.
Décembre, si tu veux… La fontaine, sa voix d’été perdue,
coule sans mot dire sous les glaçons,
louche rappel des grelottants réveils d’adolescence.
Tu peux marcher dans l’herbe, dans la neige, cueillir une fleur,
une pomme au jeune pommier Lebel, mâcher le miel des premières violettes
en chassant d’un claquement de mains le corbeau d’octobre
noix au bec à travers l’essaim des feuilles jaunes.
Tu désires l’orage – et l’éclair fend d’un fil de feu la suie et l’argent des nues.
L’étendue n’est qu’un chatoiement du possible autour de tes mains et de tes lèvres.
Murmure pluie! et les molles flèches de l’averse ruisselleront à tes bras nus.
Ta main debout – le soleil flambe aux croupes fumantes des collines…
Tu es le maître de l’espace et le Temps n’est plus pour nous deux
qu’un présent inépuisé.
GR –Une solitude dans les saisons
François Corvol – comme la pluie

Mon rêve était comme la pluie
Et je l’entendais
Dans la cour et sur la pierre
Éparpiller les petites taches
Îlot de rêves
tombe
Quelques notes de piano au fond de la bassine – ( RC )
C’est un triste matin
dans un Paris déserté
où l’on s’imagine voyager
au-delà des toits de zinc:
un de ces longs jours d’hiver
si pluvieux
qu’on ne peut espérer mieux
que les pensées d’hier
Elles nous jouent cet air
la chanson perpétuelle
de l’eau qui ruisselle:
la chanson de la gouttière
( quelques notes de piano
au fond de la bassine … )
une chanson citadine
à défaut de concerto .
–
RC – mars 2020
–
à partir d’un texte de Susanne Derève: » Ce pourrait être »
Une note
je dirais de piano
Un toit de zinc
l’eau
Ce pourrait être la mer
la mer n’est jamais loin
Ce pourrait être un air
de flûte
un concerto en ut
Ce n’est que la gouttière
à l’angle du perron
par un matin d’hiver
pluvieux
pluvieux
pluvieux
qui chante la triste chanson
des adieux
José Carreira Andrade – Biographie à l’usage des oiseaux
peinture-collage issue du site Wallhere
La rose se mourait au siècle où je naquis,
et la machine avait chassé trop tôt les anges.
Quito voyait passer la dernière diligence
parmi les arbres qui couraient en lignes droites,
les clôtures et les maisons des nouvelles paroisses,
au seuil des champs
où de lentes vaches ruminaient le silence
et le vent éperonnait ses plus légers chevaux.
Vêtue du couchant, ma mère gardait
au fond d’une guitare sa jeunesse
et parfois le soir la montrait à ses fils,
l’entourant de musique, de lumière, de paroles.
J’aimais l’hydrographie de la pluie,
les puces jaunes du pommier
et les crapauds agitant deux ou trois fois
leur lourd grelot de bois.
La grande voile de l’air sans cesse se mouvait.
La Cordillère était du ciel la vaste plage.
La tempête venait et quand battait le tambour,
ses régiments mouillés chargeaient ;
alors le soleil, de ses patrouilles d’or,
ramenait sur les champs une paix transparente.
Je voyais les hommes baiser l’orge sur la terre,
des cavaliers s’engloutir dans le ciel,
et descendre à la côte aux parfums de mangos
les lourds wagons des mugissants troupeaux.
La vallée était là avec ses grandes fermes
où le matin laissait couler le chant des coqs
et onduler à l’ouest une moisson de cannes
ainsi qu’une bannière pacifique;
le cacao gardait dans un étui sa secrète fortune,
l’ananas revêtait sa cuirasse odorante
et la banane nue, une robe de soie.
Tout est passé déjà en houles successives,
comme les chiffres vains d’une légère écume.
Les années vont sans hâte confondant leurs lichens;
le souvenir n’est plus qu’un nénuphar
qui montre entre deux eaux son visage de noyé.
La guitare est solitaire cercueil de chansons
et le coq blessé à la tête longtemps se lamente.
Tous les anges terrestres ont émigré,
jusqu’à l’ange brun du cacao.
JORGE CARRERA Traduit par Edmond Vandercammen
Philippe Delaveau – la pluie ( II )
Maintenant dans les flaques se dilue
le dur monde ancien comme aux poils des pinceaux
la peinture collée qui se détache sous l’essence.
Debout, enfin lavé de mes refus, je m’apprête à la tâche.
Debout sur la terre lavée, Seigneur, je veux chanter
Ta gloire dans la force du vent, composer
nos hymnes parmi les pluies et la mesure, maître enfin
de mon chant dans l’assemblée des arbres et des hommes,
la fraîcheur nouvelle et l’odeur neuve du jardin,
sous l’arc dans le ciel neuf comme un luth de couleurs.
Je ne veux rien savoir de la pluie – (Susanne Derève)
Josef Sudek – Last Roses from the series ‘The Window of My Studio’
N’ouvre pas les volets laissons fuir
les hivers je ne veux rien savoir
de la pluie
une pluie ronde comme les lunes
de plein été
comme les dunes de Juillet
une pluie de sable au vent
pluie de tempête et de grésil
d’arbres en guenilles
avec leurs habits de feuilles froissées
d’herbe mouillée de boue
rigoles froides dans l’encolure
des cache-nez
N’ouvre pas les persiennes
Laissons fuir les hivers nous ne saurons rien
de la pluie
de la pluie grise du réveil
avec ses ailes douces aux carreaux
des fenêtres
de sa chanson sonnante et trébuchante
cheminant au hasard dans les méandres
du sommeil
N’ouvre pas les volets laisse fuir les hivers
Je veux ton corps comme un rempart
au creux des draps
je veux un nid de chair
où me blottir pour écouter se taire
la pluie le son cristallin de la pluie
glissant de feuille en feuille
dans le matin frileux
Alors tu ouvres les persiennes
tu laisses entrer le jour naissant
dans le lit vaste et nu
et je n’ai plus qu’à tendre la main
pour le cueillir
dans un murmure … la pluie s’est tue
Marine Giangregorio – Signe
photo: Francesca Woodman
Un signe, elle attendait
Un signe, une pluie
Un regard, une odeur
Le sursaut!
Elle en vint à prier
La larme
De lui offrir une caresse
Pour que la peau vive
Sente, que ses lèvres
Gouttent une présence
Mais comme le mot
La larme résiste
La peau est froide
Le signe, croyait-elle
Irriguerait
L’inspiration
La faim
Le désir
La colère
Le regret
Ses artères seraient
Semblables à de petits torrents
Où la vie s’emporte, se révolte
Il lui fallait
Que lui aurait-il fallut?
Un peu d’amour de soi
Un peu de dégoût aussi
Non de l’indifférence
« L’absence à soi
C’est le pire des sentiments »
Se dit-elle,
Attendant un signe
Un signe d’elle
Et comme rien n’arrivait
Elle se mit face au grand miroir
Scellé au mur
Regarda longuement
L’image reflétée
Y enfonça le crane
Tête baissée
–
on peut consulter d’autres textes de M Giangregorio en allant sur son site
Pierre Béarn – les passantes – Anna
peinture : Paul Delvaux – le train bleu
Anna ne fut qu’odeur de gare
fuyant l’horaire et ses soucis
pour s’oublier hebdomadaire
à Paris…
Anna m’attendait sur un quai
tel un bagage du dimanche.
Je la perdis avec la pluie.
C’est le vent d’été … – ( RC )
peinture : Alexander Brook
C’est le vent d’été
qui a couché les blés ,
un silence s’est fait parmi les bruits :
c’est bientôt la pluie
qui va nourrir la terre,
celle qui désaltère,
et que l’on attend
depuis si longtemps :
Pendant que le ciel oscille :
l’orage plante ses faucilles
concentre ses flèches
rebondit sur la terre sèche.
Il éparpille les jours torrides,
remplit les poitrines vides,
gonfle les ruisseaux,
cherche dans les rocs des échos,
qu’il trouve jusque dans ta voix :
cette soif insatiable que rien ne combat :
la vie est revenue d’une longue absence
Elle remercie la providence,
envisage un nouvel avenir :
je vois tes seins s’épanouir,
l’herbe reverdir,
et le désert refleurir…
J’ai beaucoup appris de tes paysages,
de l’attente et des passages,
des courbes de tendresse
où le temps paresse
de tes frissons secrets
et des lits défaits
où se courbe la rivière,
où se love la lumière :
Après l’orage et le calme revenu,
au silence dévêtu,
la chair embrasée,
enfin apaisée…
–
RC – avr 2019
Louisa Siefert – il est des pistes
peinture Emil Nolde :mer avec ciel rouge
–
Au clair soleil de la jeunesse,
Pauvre enfant d’été, moi, j’ai cru.
– Est-il sûr qu’un jour tout renaisse,
Après que tout a disparu ?
Pauvre enfant d’été, moi, j’ai cru !
Et tout manque où ma main s’appuie.
– Après que tout a disparu
Je regarde tomber la pluie.
Et tout manque où ma main s’appuie
Hélas! les beaux jours ne sont plus.
– Je regarde tomber la pluie…
Vraiment, j’ai vingt ans révolus.
Louisa SIEFERT « Les rayons perdus »
(Albin Michel)
Nathalie Lauro – Et sur la mer
Regarder au hublot
Et ne rien y voir naître,
Ni le laid,
Ni le beau,
Et non plus rien paraître.
Regarder sur la mer,
Tout est noir, tout est gris,
Tout est pluie et minuit,
Tout est nuit et ennuie.
Regarder le salon,
Les gens dorment et rêvassent,
Regarder le salon,
J’ai sommeil tout s’efface.
Mais de là, tu es beau, tu es fort
Et tu m’aimes…
Mais pourquoi les hautbois, les violons me malmènent?
Je perçois des attaques et étranges menaces,
Qui me rappellent alors et mon nom et ma place .
Le corps d’un gisant – ( RC )
photo perso – causse Méjean Lozère 2016
Les collines s’offrent,
couchées en travers de l’horizon .
Leur attitude a celle du corps
d’un gisant, endormi
sous le soleil comme sous la pluie ,
avec une robe d’herbes et de pins.
– Il attend de se réveiller –
après avoir dialogué des millénaires,
avec les aubes,
et ombres furtives .
Celles qui survolent, sans s’arrêter,
causses et falaises de pierre .
Le parcours des nuages,
ne laisse de leur passage
qu’une trace effilochée ,
une sorte d’image du vent ,
de celle qu’on ne peut saisir,
ni déchiffrer le message.
On pense les pentes immobiles :
elles le sont en quelque sorte,
à notre échelle de temps ,
mais ce sont des vagues,
et elles déferlent, rebelles,
sous le ciel oublieux.
Contrairement aux gisants
soulevant les plaines,
le ciel n’a pas de mémoire ,
et varie au jour le jour .
Il ne fait pas mystère
de son indifférence.
Que ce soient des périodes gaies
ou attristées par des guerres ,
des catastrophes,
il ne se souvient de rien.
Il n’est la proie ni du malheur,
ni de la joie .
Alors que la roche
se referme sur ses blessures :
le sol conservant en profondeur,
intact – le livre de la terre ,
peuplé de grottes souterraines,
et d’espèces fossilisées.
Souffre-t-elle
du passage du temps ?
En est-elle prisonnière,
ou conserve t-elle
des êtres de pierre
dont la légende s’éternise ?
Il suffit de vouloir la lire,
d’aimer les vallées verticales,
de capter le pinceau de lumière
qui les sculpte, et les fait basculer
dans d’autres saisons,
comme dans d’autres mondes .
–
RC – juin 2017
Marlene Tissot – Une pelote rêche
photo: Tamsin
J’ai retrouvé une photo de toi
juillet 2003 écrit au dos
et le temps se détricote
une pelote rêche de souvenirs
me fil-d’ariane jusqu’à toi
toi en juillet 2003
toi encore là
et il y avait tant de
soleil dans ton sourire
tes yeux comme un ciel d’été
qui aurait pu deviner
ces nuages sombres que tu
cachais et cette sale
petite pluie glaciale qui
détrempait tes pensées.
Lindita Aliu – Le bonheur léger
photo lux coacta
C’était un amour étrange,
j’étais comme une partie de tous ces hommes sans que jamais
je ne les eusse vus en rêve.
Ils étaient présents, lors même que m’endormait
le murmure rocailleux du temps.
J’éprouvais un bonheur sans poids,
qui menait je ne sais où.
Il ne s’arrêtait que lorsque des arbres ou des nuages lui faisaient obstacle.
Il semait des mots à tous vents, toutes les lettres folâtraient de par le jardin.
Et aujourd’hui je ressens plus fortement l’hiver du jour que le poids de la terre entière.
Il m’ôte le sens de toute chose, en aplatit les raisons sur l’étendue intemporelle de son propre cercle.
Les lettres, désormais, décrochent mes yeux, me trouent le corps.
Ah ! douleur de mes yeux, eux qui autrefois étaient si savants.
Me torture aussi le désir qui ruisselait sur moi, maternellement, comme une pluie.
–
Lindita Aliu est une auteure du Kosovo
Dominique Sampiero – je retrouve mes larmes
peinture: Josef Sima
Je retrouve mes larmes comme mes propres enfants, le plus fragile de moi-même
ne m’effraie plus, au contraire, je me laisse envahir, et la pluie, au-dedans comme
au-dehors, lave ce que je ne sais ni de moi ni du monde, et qui me brûlait le cœur.
Dominique Sampiero
Ismaël Kadare – la locomotive
La locomotive (extrait)
Dans le calme de la mer, près des vagues
Ta jeunesse au milieu des flammes te revient en mémoire.
D’un bout de l’Europe à l’autre.
D’un front à un autre front,
En fonçant au travers des sifflets, des sirènes et des larmes
D’un sombre horizon à un sombre horizon,
Tu allais toujours plus loin au-devant des jours et des nuits,
En jetant des cris perçants d’oiseau de proie,
En sonnant de la trompette guerrière,
Dans des paysages, des ruines, des reflets de feu.
Dans les villes, dont tu prenais les fils,
A travers des milliers de mains et de pleurs,
Tu te propulsais vers l’avant,
Tu ululais
Dans le désert des séparations.
Derrière toi
Tu laissais en écho à l’espace,
La tristesse des rails.
Sous les nuages, la pluie, les alertes, sous les avions
Tu traînais, terrible,
Des divisions, encore des divisions,
Des divisions d’hommes,
Des corps d’armée de rêves,
A grand-peine, en jetant des étincelles, en haletant,
Car ils étaient lourds.
Trop lourds,
Les corps d’armée des rêves.
Quelquefois,
Sous la pluie monotone,
Au milieu des décombres
Tu rentrais à vide du front
Avec seulement les âmes des soldats
Plus lourdes
Que les canons, les chars, que les soldats eux-mêmes,
Plus encore que les rêves.
Tu rentrais tristement
Et ton hurlement était plus déchirant,
Et tu ressemblais tout à fait à un noir mouvement,
Portefaix terrible de la guerre,
Locomotive de la mort.
Ismaîl KADARE in « La nouvelle poésie albanaise »
–
voir aussi sur le thème de la déportation « trains sans retour »
Justo Jorge Padrôn – une pluie aux syllabes bleues
la pluie tombe en syllabes bleues.
Herbe et feuillages se réveillent,
splendeur qui demeure dressée,
vivante dans la fleur, l’arbre, les parfums silencieux
qui glissent dans les lits du soir comme des fleuves.
la pluie polit de son bleu les pierres noirâtres
et les écale avec douceur depuis leurs centres durs.
Elle palpe leur chair captive, la délivre, la dénude
en corolles à la pulpe rouge.
Sève que le soleil invoque, soleil qui moissonne la pluie.
Feu cruel asséchant le vert en sa sveltesse,
prairie qui s’asphyxie en sillons désertiques,
pétale rouge qui s’achève en roche,
roche qui se replie, qui s’emprisonne
et se tait, sourde et noire, jusqu’au jour du miracle :
où toute audace, arrive le printemps
qui nous apporte une pluie de syllabes bleues.
Laetitia Lisa – En habits d’oubli
peinture rupestre grotte de Chaturbhujnath Nala, Inde, environ 10,000 av JC
Je longe le champ de blés verts
hâtant le pas dans l’herbe haute
pour recevoir encore
un dernier baiser du soleil
avant qu’il ne se couche
en draps ocre et dorés
demain la pluie
demain le froid
pour l’heure la douceur du vent
le chant des grillons et les hirondelles en formation
avec elles je me baigne en le ciel
allongent les brasses lorsque les courants frais
effleurent mes bras nus
avec elles je reste immobile un instant
sous les caresses des courants tièdes
je plonge
dans le bleu des montagnes
jusqu’à ce que la nuit revienne parfaire l’esquisse
de ses gris colorés
je ne peux rien contre le froid et la grêle
tueurs des promesses si près d’éclore dans mon verger
je ne peux rien contre le feu du soleil
tueur des promesses si près de porter fruit dans le tien
sur le dos de quelques mots ailés revenus nous chercher
nous dansons en habits d’oubli
ourlés de nuit .
————
plus d’écrits de L L ? voir son site-blog
Antoine Mou los – Où vont ceux qui t’en vont ?
il s’aperçoit soudain
que partout où il allait
il y avait quelqu’un
qu’à chaque fois
qu’il a fui
il n a rien laissé pour mort
qu’à chaque fois qu’il pleuvait
il tirait la langue pour boire
un peu de pluie
il tombe des nues
des routes de goudron blanc
crèvent les montagnes
et s’élèvent en hurlant
vers le soleil
Reina Maria Rodriguez – L’île violette
–
VIOLET ISLAND
…j’ai connu un certain homme, un homme étrange.
il gardait jour et nuit la lumière de son phare
un phare ordinaire qui n’indiquait pas grand-chose,
un petit phare pour embarcations de fortune
et peuples obscurs de pêcheurs, là, sur son île,
il échangeait avec son phare les sensations
attendant jour et nuit cette autre lumière
qui ne surveille la persécution d’aucun objet,
cette autre lumière réflexive, parcourant vers l’intérieur
la distance entre le port sûr de l’endroit
et l’œil qui voit revenir, d’en haut et transparente,
l’illusion provisoire qui s’éternise :
cette courbe de l’être tendue tout contre le phare
sans précaution ni limite, pour être ou avoir
ce qu’imparfaitement nous sommes, rien d’autre
que rêver ce qu’il veut bien rêver et être où il est
au-dessus des eaux tranquilles et éteindre tout dans le tableau
d’un jour et redevenir nouveau au petit matin
près du petit phare perdu d’Aspinwoll
sans même imaginer qu’il pourrait exister le moindre désir
ne serait-ce que celui de désirer la petite lumière qui tombe,
avec la nuit,
sur les eaux tranquilles et les sons déjà morts
de ces vagues, de jouir et souffrir, un refuge sincère.
Comme le gardien du phare d’Aspinwoll, seul sur son phare,
je me suis endormie malgré la lumière intense qui tombe
et se détache au-dessus du temps, malgré la pluie
frappant le miroir des poissons blancs,
malgré cette lumière spéciale qu’était son âme,
je me suis endormie entre le port et la lumière,
sans comprendre : je voulais, je voulais seulement
un peu plus de temps pour recommencer à apprendre,
pas sur le ressac de la commisération
où les désespérés attachent leurs mâts;
pas l’authentique bonheur de vivre sans savoir,
sans se rendre compte; pas la lumière provisoire qui s’éternise
et feint d’être
ce que nous serons
ni la peur de posséder la réalité opaque, immanente,
je ne voulais la vie qu’à cause du plaisir de mourir,
sur les eaux tranquilles,
en compagnie des poissons blancs, et j’attendais impatiente
qu’arrive encore la répétition de mon inconscient
afin que quelqu’un y trouve l’intouché, l’autre voix,
pas de cet être intermédiaire, un corps
pour mesurer les criques basses : un corps pour le viol
d’un moi impraticable :
je me suis endormie, inconséquente, dans l’imagination
de cet être différent dans la distance, suffisamment avancée
pour avoir ma propre illumination à Aspinwoll, mais
fracassée et obscurcie, comme le gardien du phare
au-dessus des eaux tranquilles
de ce qu’imparfaitement nous sommes, dans la petitesse
d’un phare qui n’indiquait pas grand-chose,
à travers la pluie chaude
et réelle de l’impossible.
–
(poème extrait d’une anthologie de la poésie sud-américaine)
Denise Jallais – Les Couleurs de la Mer
photo d’actualité modifiée RC
Assise sur la dune
Je regarde les feux du carrefour
Rouges pour arrêter ton cœur
Jaunes pour t’ensoleiller
Verts pour te permettre
Et les voitures roulent sous la pluie
Comme dans une brume jaillissante
Vers l’odeur mêlée de la plage et des chênes verts
Je regarde les feux du carrefour
Sages comme des phares de mer
Et ton ombre changeante
Qui grandit lentement
Du fond de la route .
Denise JALLAIS « Les Couleurs de la Mer » (Seghers, 1956)
Le vent me dépasse d’une courte tête – ( RC )
Image – montage perso
Ainsi court le vent :
Ce n’est pas encore la tempête.
Il me dépasse d’une courte tête,
Que je marche doucement
Ou en courant.
J’ai peur de mon ombre
Celle-ci m’encombre
Et passe devant.
C’est un peu comme l’oiseau
Effrayé par son reflet .
Le poète ouvre son carnet
Aurait-il peur des mots
Dès que se présente une idée ?:
Il se dépêche de les écrire,
Il craint de les voir s’évanouir
Il va les emprisonner .
Mais ceux-ci toujours chantent :
et disent la pluie salée,
la douceur de la peau effleurée .
Ils sont en attente .
Sous la main qui tremble
ils vont ressurgir,
crier ou bien rire :
vois comme ils s’assemblent
au moindre prétexte
un mariage illégitime,
associant des rimes
tout au long d’un texte.
On dirait qu’ils s’arrangent
pour vivre leur propre vie,
sans demander mon avis ,
quand la main me démange .
Ils débordent de l’esprit ;
je ne fais rien pour les contenir ;
juste les écrire
sans que je les aie appris.
Quelqu’un parle par ma main :
c’est une sorte de phénomène,
par lequel je me promène :
Je n’en connais pas le chemin.
–
RC – juill 2016
Image – montage perso
Jean Creuze – écorces (1 )
Écorces
Lier les mots qui se fabriquent dans la forge de notre
tête.
En faire vivre certains
commettre le meurtre d’autres.
Chauffer, taper, tordre au rouge le fer.
Chuchoter enfin ce qui nous habite
pour l’ultime tentative de la parole.
Des paroles données.
Silencieusement pointe la respiration.
Pulsation qui donne la vie.
Le soufflet active le feu
le mot juste jaillit
transforme nos corps et nos âmes
comme le travail acharné du forgeron
sur l’enclume transforme le métal.
Allongé sur le sol
sous le ciel bleu azur
beauté de l’oiseau dans les airs,
herbes folles dans le vent,
souveraineté des arbres.
Danse de l’univers présent
dans les vibrations lentes du jour qui passe.
Vols d’insectes éphémères,
parfums de fleurs,
odeurs d’humus,
chants de grillons,
craquements d’écorces.
Des forces de l’intérieur s’énervent.
Chasser les ombres du visage
pour s’enluminer-
Nouvelle peau.
La vague passe, se calme, s’anéantit.
Temps suspendu,
le corps flotte.
Soleil rouge,
sensation d’inachèvement
et caresse des ombres :
sa majesté la nuit approche.
Cortège d’étoiles,
respiration douce,
j’affronte l’inconnu,
clignements de cils,
goutte d’éther.
La figue éclate a force de mûrissement au soleil de l’été.
La terre grasse s »enfonce
sous les pas .l’automne est là, avec son humeur faite de rosée
de rafales de vent, de pluie froide.
Des hommes harassés, avinés, burinés, dépités, rendus sont là au coin de la rue,
attendent, rejetés du monde, comme de vieilles eaux usées auxquelles on aurait retiré toutes forces.
Dans ma tête un grand silence.
Tombés par terre, abandonnés,
résignés, abattus, esclaves.
Quels bourreaux? Comment faire?
L’alcool comme seul compagnon.
Idées vagues, brouillées,
délire, obsession, mensonges,
mal de tête,
perte de mémoire.
Oublier son histoire,
nier sa vie,
sacrifier son être.
Que faire avant l’hiver,
avant que le froid ne vous emporte?
Compagnon misère.
Le ciel est clair aujourd’hui, un vent frais se lève et fait
Frissonner les feuilles dans les arbres.
Quelques pensées me tapent le front, et s’évanouissent aussitôt.
Pour laisser le vide.
Le trou noir.
Ce noir si plein que l’on n’attend jamais.
Et pourtant, c’est le rien que l’on redoutait tant.
Il est là, accompagné de son malaise.
On ferme les yeux pour regarder à l’intérieur.
Dans un ultime effort encore.
Le noir toujours.
ça se dissipe.
Le rouge apparaît,
puis le jaune lumière
des éclats de blanc dans le rouge,
du bleu chartreuse,
du vert émeraude. qui coule de mes yeux ?
Serait-ce de la peinture
Les feuilles se remettent à tinter dans le vent et cette
musique douce emporte mes pensées.
M2L – L’absence
photographe non identifié
Absence
Jardin fermé
Sur la terre inclinée
une amie suit
le mouvement de l’air.
Seul l’oiseau chante
le retour du jasmin
à l’horizon
du Soleil sur la terre.
Absence
senteur d’Orient
Au matin qui s’enfuit
les fleurs fanées
épousent le chagrin
d’un jardin oublié.
Le ciel ruisselle
mais les perles de pluie
ne valent pas
la douceur d’une main.
Jean Pérol – À mes côtés
Ne donnez plus rien
aux courages lâches
tenez écartées
les fêtes pourries
j’attends que la nuit
tire sur tout sa bâche
et d’autres caresses
que de ses furies
j’attends le dirais-je
les cieux plus légers
sur tous les vergers
la musique en plis
j’attends la lumière
des blancs d’avalanche
les masques tombés
les pardons en pluie
la douceur des mains
des lèvres fidèles
un cœur sans calculs
la farce effacée
un Japon des mers
des chants d’îles mauves
un matin charnel
entrer dans les villes
quand plus rien n’importe
franchir le portique
le démon aux portes
l’ange à mes côtés
–
extrait du recueil:
Libre livre
– See more at: http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/libre-livre/antoine-de-molesmes#sthash.zOCDeJZ1.dpuf