Christine Lapostolle – Brest (Temps permettant -extrait) –

Dans cette opacification blanchâtre, grisâtre
et même vaguement jaune de tout
alors que le jour devrait se lever, la lumière inonder la radio vient de dire « ciel magnifique sur tout le pays,
un temps splendide nous attend aujourd’hui » –
ici on ne voit même pas la mer
Les bâtiments industriels, les cheminées ressemblent
aux vieux poèmes qui célébraient autrefois le monde
moderne et l’espoir des usines
Ce sont des mots du Nord, des Flandres, qu’il faudrait pour dire ce qu’on voit depuis les fenêtres aujourd’hui
Écrans de brume crue, steamers charbonneux qui
mugissent et fument en appelant le soir
Petite pluie finasse, verticale qui larmoie, faufile l’air,
tisse de l’eau
Le verbe pluviner, l’oiseau pris dans un filet mouillé
Ignorant ces réalités blêmes, un spécialiste de l’amour
inonde les ondes de ses propos sentencieux
Un chien s’arrête pour pisser au pied d’un platane
Toute la mer va vers la ville
Christine Lapostolle
Temps permettant
Editions MF Inventions Janvier 2022
.
Daniel Molinier photo –
Enrico Testa – tenir à distance le peuple envahissant des merles

image transfo RC
sur le terre-plein de la voie ferrée
longeant le bois
les troncs des acacias
sont noirs après la pluie
comme des traits d’encre qui s’écartent.
Pâques est désormais le papier d’argent,
poussiéreux et pâli,
des œufs, suspendus
aux branches des cerisiers.
Rubans qui miroitent dans le vent
et devraient tenir à distance
le peuple envahissant des merles
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . .(Pasqua di neve, Einaudi, 2008)
Le vent – (Susanne Derève) –

Ce vent soudain levé emportait tout à travers lui : L’accablement des jours passés dans la chaleur caniculaire de Juin, un peu de nous soustrait à la fournaise derrière les volets clos,le linge arraché au séchoir,l’odeur de lessive et de paille,les chants d’oiseaux. Peut-être emportait-il l’été dès avant sa naissance, dont n’avaient plus que faire nos peaux brûlées,les feuillages pantelants de soif,les mottes grises,l’herbe jaunie. Il emportait le silence du monde : Nous savions que le soir venu descendrait la clameur du haut des granges, quand la poussière retomberait avec la pluie, et nous nous trouverions tout à coup frissonnants,étonnés de sentir sous nos pas la terre frémir,s’ébrouer. Nous le saurions alors ce qu’était le cadeau du vent : les parfums retrouvés, cette jouvence dont nous partagions l’ivresse et qui marchait vers la vallée porter la fraîcheur de l’averse
Pluie passagère au fort de Bertheaume – ( RC )

Tiens, nous voilà transportés
dans l’horizon différé
des reflets au passé composé,
comme l’arc-en ciel
jailli d’une pluie passagère
près du fort de Bertheaume :
un arc de couleurs irréelles
prenant source dans mon souvenir,
où se bousculent atomes de lumière
et nuages fantômes
d’une image en devenir
faisant corps à corps avec la grève :
la piste sableuse de mes rêves….
Anna Jouy – Notre premier lit sera une nuit de pluie

Notre premier lit sera une nuit de pluie. Ta main et la mienne larmes semblables. Je goûterai ce que font les rivières aux corps de sable. Je profiterai des vertus de l’eau pour envahir ton monde, là où la main ignore, là où le nez, la langue et les cheveux ne savent rien. Je t’engloutirai, du secret de ton sexe à la tempe sourde. Il faudra. Tu ne sauras rien de ce baptême, je serai transparente, liquide averse. Tu ne sentiras qu’un frisson, le froid délicieux qui embrasse l’être et le pousse à chercher des épousailles.
Walt Whitman – Fière musique de la tempête

Ah d’un petit enfant, Tu sais comment pour moi tous les sons sont devenus de la musique, La voix de ma mère dans une berceuse ou un hymne,
(La voix, O voix tendres, voix aimantes de mémoire, Dernier miracle de tous, O voix la plus chère de ma mère, sœur, voix;)
La pluie, le maïs en croissance, la brise parmi le maïs à longues feuilles, Le surf de mer mesuré battant sur le sable, L’oiseau qui gazouille, Le cri aigu du faucon,
Les notes des oiseaux sauvages la nuit comme volant bas migrant vers le nord ou le sud, le psaume dans l’église de campagne ou au milieu des arbres en grappes, la réunion de camp en plein air, le violoniste dans la taverne, la joie, le chant de marin à longue haleine, Le bétail bas, le mouton bêlant, le coq qui chante à l’aube.
Toutes les chansons des pays actuels résonnent autour de moi, les airs allemands d’amitié, de vin et d’amour, les ballades irlandaises, les joyeux jigs et les danses, les parures anglaises, les chansons de France, les airs écossais, et le reste, les compositions inégalées d’Italie.
À travers la scène avec une pâleur sur son visage, mais une passion sombre, Stalks Norma brandissant le poignard dans sa main.
Je vois la lueur artificielle des yeux des pauvres fous de Lucia, Ses cheveux le long de son dos tombent et se décoiffent.
Je vois où Ernani marche dans le jardin nuptial, Au milieu du parfum des roses nocturnes, radieux, tenant sa mariée par la main,
Entend l’appel infernal, le gage de mort de la corne. Aux épées croisées et aux cheveux gris dénudés, La base électrique claire et le baryton du monde, Le duo de trombones, Libertad pour toujours!
De l’ombre dense des châtaigniers espagnols, Par les murs anciens et lourds du couvent, une chanson gémissante,
Chant d’amour perdu, le flambeau de la jeunesse et de la vie éteinte dans le désespoir, Chant du cygne mourant, le cœur de Fernando se brise. Se réveillant de ses malheurs enfin chanté, Amina chante,
Copieuse comme des étoiles et heureuse comme le matin, allume les torrents de sa joie. (La femme grouillante vient, L’orbe lustre, Vénus contralto, la mère en fleurs, Sœur des dieux les plus élevés, le moi d’Alboni que j’entends.)
il s’agit d’une partie du texte ( partie 3 ) – qui en comporte plusieurs…
Élagueur des clairières – ( RC )

Élagueur des clairières,
sais tu que tu défriches
le langage
autant que le feuillage ?
Tu puises tes mots
dans la lumière accrue,
et fixe l’ombre des ramées.
Il faut goûter la rigueur des hivers,
réciter les strophes
comme autant de bois coupé,
tout ce qui a subi les songes
et la pluie ;
violence du gel
traversant le chant de plume,
sa violence sourde
qui détache l’écorce
et retire la sève
pour n’en garder
que l’essentiel.
Et les oiseaux strieront
de nouveau
la peau du ciel.
Boris Pasternak – Une aube encore plus suffocante-

.
Tout le matin, le pigeon a roucoulé
Sous vos fenêtres.
Sur les chéneaux j’ai vu
Les branches engourdies
Comme des manches de chemises mouillées.
Il commençait de pleuvoir. A la légère
Passaient les nuages sur la poussière du marché.
Ils berçaient, je le crains, mon angoisse
Sur un éventaire de colporteur…
Je les ai suppliés de cesser.
N’allaient-ils pas cesser ?
L’aube était grise comme une querelle au milieu des buissons,
Grise comme une rumeur de bagnards.
Je les ai suppliés d’avancer l’heure
Où, derrière vos fenêtres,
Comme un glacier des montagnes,
Tempête la poterie sonore de votre toilette.
L’heure qui, dans le verre plus brûlant que la glace,
Sur la console, verse des morceaux de chanson pilée
Et qui offre au miroir
La chaleur du sommeil
S’échappant de votre joue, de votre front.
Mais là-haut, nul n’a entendu
Ma prière à cause de tout le bruit
Que font les nuages en parlant.
Et en marchant sous leurs bannières,
Dans le silence plein de poussière,
Trempé comme une capote,
Résonnant comme le frémissement poussiéreux du battage des blés,
Comme l’éclat des disputes au milieu des arbustes,
Je les ai suppliés : « Ne me torturez plus !
Laissez-moi donc dormir ! »
Mais il bruinait, et les nuages
En piétinant, fumaient sur le marché poussiéreux,
Comme, au petit matin les recrues derrière la métairie.
Ils se traînaient des heures, des siècles.
Comme des prisonniers autrichiens,
Comme ce râle sourd ;
O ce râle : » Sœur, à boire ! «
.
((Trad. Emmanuel Rais et Jacques Robert.)
.
Boris Pasternak Poètes d’aujourd’hui
par Yves Berger
Pierre SEGHERS Editeur
.
Averses – ( Susanne Derève)

Utagawa Hiroshige – Shôno , pluie d’orage Musée Guimet – Paris
.
Je leur laisserai le soin de brouiller les pistes :
bruines , crachins, averses , rideaux de nuées légères …
.
Rien des pluies écrasantes du Sud ,
de simples rumeurs d’étoiles,
un tendre flou de photographie,
le grisé d’une estampe, la fine ondée du jour.
.
Ainsi naissent les larmes aux pétales des roses,
la sueur aux cils fins des trembles.
.
Voiles de printemps, ombelles soyeuses chargées de sève
vouant leurs chevelures au vent,
lâchant des perles de pluie qui glissent au cou nu
des passants . frêles silhouettes taciturnes
qui s’évanouissent dans la brume
en frissonnant.
.
Départ – ( Susanne Derève)

Un ciel de nuit
mais les nuages à l’horizon blanchissent déjà
Tu pars
les lanternes des grues rougissent comme des phares
silence ensommeillé
qui sonne doucement de l’ébranlement des trains
du chuintement régulier des essieux
de leur halètement sourd
du chant atone des sirènes
– voix de basse des cornes de brume
émergeant du brouillard –
du claquement des toiles au vent
sonne d’un au revoir et d’un baiser mouillé
d’une écharpe qu’on noue
et d’un bonnet serré autour des yeux
Sous la pluie qui noie les lumières de l’aube
Tu pars
Gustave Roud – campagne perdue

Sépare-toi de ton double endormi, quitte la chambre du Temps,
le seuil débouche dans une perle!
Nacre et nuit, l’espace gris et rose s’irise et tremble au seul battement de ton désir.
L’espace devient couleur de ta pensée. Tu peux choisir.
L’aube? Le ciel miroite aussitôt comme un ventre de truite.
La nuit d’août? Ce grésillement d’étoiles tout à coup sur le lac d’odeurs
où fermente le vin des roses mortes.
Décembre, si tu veux… La fontaine, sa voix d’été perdue,
coule sans mot dire sous les glaçons,
louche rappel des grelottants réveils d’adolescence.
Tu peux marcher dans l’herbe, dans la neige, cueillir une fleur,
une pomme au jeune pommier Lebel, mâcher le miel des premières violettes
en chassant d’un claquement de mains le corbeau d’octobre
noix au bec à travers l’essaim des feuilles jaunes.
Tu désires l’orage – et l’éclair fend d’un fil de feu la suie et l’argent des nues.
L’étendue n’est qu’un chatoiement du possible autour de tes mains et de tes lèvres.
Murmure pluie! et les molles flèches de l’averse ruisselleront à tes bras nus.
Ta main debout – le soleil flambe aux croupes fumantes des collines…
Tu es le maître de l’espace et le Temps n’est plus pour nous deux
qu’un présent inépuisé.
GR –Une solitude dans les saisons
François Corvol – comme la pluie

Mon rêve était comme la pluie
Et je l’entendais
Dans la cour et sur la pierre
Éparpiller les petites taches
Îlot de rêves
tombe
Quelques notes de piano au fond de la bassine – ( RC )
C’est un triste matin
dans un Paris déserté
où l’on s’imagine voyager
au-delà des toits de zinc:
un de ces longs jours d’hiver
si pluvieux
qu’on ne peut espérer mieux
que les pensées d’hier
Elles nous jouent cet air
la chanson perpétuelle
de l’eau qui ruisselle:
la chanson de la gouttière
( quelques notes de piano
au fond de la bassine … )
une chanson citadine
à défaut de concerto .
–
RC – mars 2020
–
à partir d’un texte de Susanne Derève: » Ce pourrait être »
Une note
je dirais de piano
Un toit de zinc
l’eau
Ce pourrait être la mer
la mer n’est jamais loin
Ce pourrait être un air
de flûte
un concerto en ut
Ce n’est que la gouttière
à l’angle du perron
par un matin d’hiver
pluvieux
pluvieux
pluvieux
qui chante la triste chanson
des adieux
José Carreira Andrade – Biographie à l’usage des oiseaux
peinture-collage issue du site Wallhere
La rose se mourait au siècle où je naquis,
et la machine avait chassé trop tôt les anges.
Quito voyait passer la dernière diligence
parmi les arbres qui couraient en lignes droites,
les clôtures et les maisons des nouvelles paroisses,
au seuil des champs
où de lentes vaches ruminaient le silence
et le vent éperonnait ses plus légers chevaux.
Vêtue du couchant, ma mère gardait
au fond d’une guitare sa jeunesse
et parfois le soir la montrait à ses fils,
l’entourant de musique, de lumière, de paroles.
J’aimais l’hydrographie de la pluie,
les puces jaunes du pommier
et les crapauds agitant deux ou trois fois
leur lourd grelot de bois.
La grande voile de l’air sans cesse se mouvait.
La Cordillère était du ciel la vaste plage.
La tempête venait et quand battait le tambour,
ses régiments mouillés chargeaient ;
alors le soleil, de ses patrouilles d’or,
ramenait sur les champs une paix transparente.
Je voyais les hommes baiser l’orge sur la terre,
des cavaliers s’engloutir dans le ciel,
et descendre à la côte aux parfums de mangos
les lourds wagons des mugissants troupeaux.
La vallée était là avec ses grandes fermes
où le matin laissait couler le chant des coqs
et onduler à l’ouest une moisson de cannes
ainsi qu’une bannière pacifique;
le cacao gardait dans un étui sa secrète fortune,
l’ananas revêtait sa cuirasse odorante
et la banane nue, une robe de soie.
Tout est passé déjà en houles successives,
comme les chiffres vains d’une légère écume.
Les années vont sans hâte confondant leurs lichens;
le souvenir n’est plus qu’un nénuphar
qui montre entre deux eaux son visage de noyé.
La guitare est solitaire cercueil de chansons
et le coq blessé à la tête longtemps se lamente.
Tous les anges terrestres ont émigré,
jusqu’à l’ange brun du cacao.
JORGE CARRERA Traduit par Edmond Vandercammen
Philippe Delaveau – la pluie ( II )
Maintenant dans les flaques se dilue
le dur monde ancien comme aux poils des pinceaux
la peinture collée qui se détache sous l’essence.
Debout, enfin lavé de mes refus, je m’apprête à la tâche.
Debout sur la terre lavée, Seigneur, je veux chanter
Ta gloire dans la force du vent, composer
nos hymnes parmi les pluies et la mesure, maître enfin
de mon chant dans l’assemblée des arbres et des hommes,
la fraîcheur nouvelle et l’odeur neuve du jardin,
sous l’arc dans le ciel neuf comme un luth de couleurs.
Je ne veux rien savoir de la pluie – (Susanne Derève)
Josef Sudek – Last Roses from the series ‘The Window of My Studio’
N’ouvre pas les volets laissons fuir
les hivers je ne veux rien savoir
de la pluie
une pluie ronde comme les lunes
de plein été
comme les dunes de Juillet
une pluie de sable au vent
pluie de tempête et de grésil
d’arbres en guenilles
avec leurs habits de feuilles froissées
d’herbe mouillée de boue
rigoles froides dans l’encolure
des cache-nez
N’ouvre pas les persiennes
Laissons fuir les hivers nous ne saurons rien
de la pluie
de la pluie grise du réveil
avec ses ailes douces aux carreaux
des fenêtres
de sa chanson sonnante et trébuchante
cheminant au hasard dans les méandres
du sommeil
N’ouvre pas les volets laisse fuir les hivers
Je veux ton corps comme un rempart
au creux des draps
je veux un nid de chair
où me blottir pour écouter se taire
la pluie le son cristallin de la pluie
glissant de feuille en feuille
dans le matin frileux
Alors tu ouvres les persiennes
tu laisses entrer le jour naissant
dans le lit vaste et nu
et je n’ai plus qu’à tendre la main
pour le cueillir
dans un murmure … la pluie s’est tue
Marine Giangregorio – Signe
photo: Francesca Woodman
Un signe, elle attendait
Un signe, une pluie
Un regard, une odeur
Le sursaut!
Elle en vint à prier
La larme
De lui offrir une caresse
Pour que la peau vive
Sente, que ses lèvres
Gouttent une présence
Mais comme le mot
La larme résiste
La peau est froide
Le signe, croyait-elle
Irriguerait
L’inspiration
La faim
Le désir
La colère
Le regret
Ses artères seraient
Semblables à de petits torrents
Où la vie s’emporte, se révolte
Il lui fallait
Que lui aurait-il fallut?
Un peu d’amour de soi
Un peu de dégoût aussi
Non de l’indifférence
« L’absence à soi
C’est le pire des sentiments »
Se dit-elle,
Attendant un signe
Un signe d’elle
Et comme rien n’arrivait
Elle se mit face au grand miroir
Scellé au mur
Regarda longuement
L’image reflétée
Y enfonça le crane
Tête baissée
–
on peut consulter d’autres textes de M Giangregorio en allant sur son site
Pierre Béarn – les passantes – Anna
peinture : Paul Delvaux – le train bleu
Anna ne fut qu’odeur de gare
fuyant l’horaire et ses soucis
pour s’oublier hebdomadaire
à Paris…
Anna m’attendait sur un quai
tel un bagage du dimanche.
Je la perdis avec la pluie.
C’est le vent d’été … – ( RC )
peinture : Alexander Brook
C’est le vent d’été
qui a couché les blés ,
un silence s’est fait parmi les bruits :
c’est bientôt la pluie
qui va nourrir la terre,
celle qui désaltère,
et que l’on attend
depuis si longtemps :
Pendant que le ciel oscille :
l’orage plante ses faucilles
concentre ses flèches
rebondit sur la terre sèche.
Il éparpille les jours torrides,
remplit les poitrines vides,
gonfle les ruisseaux,
cherche dans les rocs des échos,
qu’il trouve jusque dans ta voix :
cette soif insatiable que rien ne combat :
la vie est revenue d’une longue absence
Elle remercie la providence,
envisage un nouvel avenir :
je vois tes seins s’épanouir,
l’herbe reverdir,
et le désert refleurir…
J’ai beaucoup appris de tes paysages,
de l’attente et des passages,
des courbes de tendresse
où le temps paresse
de tes frissons secrets
et des lits défaits
où se courbe la rivière,
où se love la lumière :
Après l’orage et le calme revenu,
au silence dévêtu,
la chair embrasée,
enfin apaisée…
–
RC – avr 2019
Louisa Siefert – il est des pistes
peinture Emil Nolde :mer avec ciel rouge
–
Au clair soleil de la jeunesse,
Pauvre enfant d’été, moi, j’ai cru.
– Est-il sûr qu’un jour tout renaisse,
Après que tout a disparu ?
Pauvre enfant d’été, moi, j’ai cru !
Et tout manque où ma main s’appuie.
– Après que tout a disparu
Je regarde tomber la pluie.
Et tout manque où ma main s’appuie
Hélas! les beaux jours ne sont plus.
– Je regarde tomber la pluie…
Vraiment, j’ai vingt ans révolus.
Louisa SIEFERT « Les rayons perdus »
(Albin Michel)
Nathalie Lauro – Et sur la mer
Regarder au hublot
Et ne rien y voir naître,
Ni le laid,
Ni le beau,
Et non plus rien paraître.
Regarder sur la mer,
Tout est noir, tout est gris,
Tout est pluie et minuit,
Tout est nuit et ennuie.
Regarder le salon,
Les gens dorment et rêvassent,
Regarder le salon,
J’ai sommeil tout s’efface.
Mais de là, tu es beau, tu es fort
Et tu m’aimes…
Mais pourquoi les hautbois, les violons me malmènent?
Je perçois des attaques et étranges menaces,
Qui me rappellent alors et mon nom et ma place .
Le corps d’un gisant – ( RC )
photo perso – causse Méjean Lozère 2016
Les collines s’offrent,
couchées en travers de l’horizon .
Leur attitude a celle du corps
d’un gisant, endormi
sous le soleil comme sous la pluie ,
avec une robe d’herbes et de pins.
– Il attend de se réveiller –
après avoir dialogué des millénaires,
avec les aubes,
et ombres furtives .
Celles qui survolent, sans s’arrêter,
causses et falaises de pierre .
Le parcours des nuages,
ne laisse de leur passage
qu’une trace effilochée ,
une sorte d’image du vent ,
de celle qu’on ne peut saisir,
ni déchiffrer le message.
On pense les pentes immobiles :
elles le sont en quelque sorte,
à notre échelle de temps ,
mais ce sont des vagues,
et elles déferlent, rebelles,
sous le ciel oublieux.
Contrairement aux gisants
soulevant les plaines,
le ciel n’a pas de mémoire ,
et varie au jour le jour .
Il ne fait pas mystère
de son indifférence.
Que ce soient des périodes gaies
ou attristées par des guerres ,
des catastrophes,
il ne se souvient de rien.
Il n’est la proie ni du malheur,
ni de la joie .
Alors que la roche
se referme sur ses blessures :
le sol conservant en profondeur,
intact – le livre de la terre ,
peuplé de grottes souterraines,
et d’espèces fossilisées.
Souffre-t-elle
du passage du temps ?
En est-elle prisonnière,
ou conserve t-elle
des êtres de pierre
dont la légende s’éternise ?
Il suffit de vouloir la lire,
d’aimer les vallées verticales,
de capter le pinceau de lumière
qui les sculpte, et les fait basculer
dans d’autres saisons,
comme dans d’autres mondes .
–
RC – juin 2017
Marlene Tissot – Une pelote rêche
photo: Tamsin
J’ai retrouvé une photo de toi
juillet 2003 écrit au dos
et le temps se détricote
une pelote rêche de souvenirs
me fil-d’ariane jusqu’à toi
toi en juillet 2003
toi encore là
et il y avait tant de
soleil dans ton sourire
tes yeux comme un ciel d’été
qui aurait pu deviner
ces nuages sombres que tu
cachais et cette sale
petite pluie glaciale qui
détrempait tes pensées.
Lindita Aliu – Le bonheur léger
photo lux coacta
C’était un amour étrange,
j’étais comme une partie de tous ces hommes sans que jamais
je ne les eusse vus en rêve.
Ils étaient présents, lors même que m’endormait
le murmure rocailleux du temps.
J’éprouvais un bonheur sans poids,
qui menait je ne sais où.
Il ne s’arrêtait que lorsque des arbres ou des nuages lui faisaient obstacle.
Il semait des mots à tous vents, toutes les lettres folâtraient de par le jardin.
Et aujourd’hui je ressens plus fortement l’hiver du jour que le poids de la terre entière.
Il m’ôte le sens de toute chose, en aplatit les raisons sur l’étendue intemporelle de son propre cercle.
Les lettres, désormais, décrochent mes yeux, me trouent le corps.
Ah ! douleur de mes yeux, eux qui autrefois étaient si savants.
Me torture aussi le désir qui ruisselait sur moi, maternellement, comme une pluie.
–
Lindita Aliu est une auteure du Kosovo
Dominique Sampiero – je retrouve mes larmes
peinture: Josef Sima
Je retrouve mes larmes comme mes propres enfants, le plus fragile de moi-même
ne m’effraie plus, au contraire, je me laisse envahir, et la pluie, au-dedans comme
au-dehors, lave ce que je ne sais ni de moi ni du monde, et qui me brûlait le cœur.
Dominique Sampiero
Ismaël Kadare – la locomotive
La locomotive (extrait)
Dans le calme de la mer, près des vagues
Ta jeunesse au milieu des flammes te revient en mémoire.
D’un bout de l’Europe à l’autre.
D’un front à un autre front,
En fonçant au travers des sifflets, des sirènes et des larmes
D’un sombre horizon à un sombre horizon,
Tu allais toujours plus loin au-devant des jours et des nuits,
En jetant des cris perçants d’oiseau de proie,
En sonnant de la trompette guerrière,
Dans des paysages, des ruines, des reflets de feu.
Dans les villes, dont tu prenais les fils,
A travers des milliers de mains et de pleurs,
Tu te propulsais vers l’avant,
Tu ululais
Dans le désert des séparations.
Derrière toi
Tu laissais en écho à l’espace,
La tristesse des rails.
Sous les nuages, la pluie, les alertes, sous les avions
Tu traînais, terrible,
Des divisions, encore des divisions,
Des divisions d’hommes,
Des corps d’armée de rêves,
A grand-peine, en jetant des étincelles, en haletant,
Car ils étaient lourds.
Trop lourds,
Les corps d’armée des rêves.
Quelquefois,
Sous la pluie monotone,
Au milieu des décombres
Tu rentrais à vide du front
Avec seulement les âmes des soldats
Plus lourdes
Que les canons, les chars, que les soldats eux-mêmes,
Plus encore que les rêves.
Tu rentrais tristement
Et ton hurlement était plus déchirant,
Et tu ressemblais tout à fait à un noir mouvement,
Portefaix terrible de la guerre,
Locomotive de la mort.
Ismaîl KADARE in « La nouvelle poésie albanaise »
–
voir aussi sur le thème de la déportation « trains sans retour »
Justo Jorge Padrôn – une pluie aux syllabes bleues
la pluie tombe en syllabes bleues.
Herbe et feuillages se réveillent,
splendeur qui demeure dressée,
vivante dans la fleur, l’arbre, les parfums silencieux
qui glissent dans les lits du soir comme des fleuves.
la pluie polit de son bleu les pierres noirâtres
et les écale avec douceur depuis leurs centres durs.
Elle palpe leur chair captive, la délivre, la dénude
en corolles à la pulpe rouge.
Sève que le soleil invoque, soleil qui moissonne la pluie.
Feu cruel asséchant le vert en sa sveltesse,
prairie qui s’asphyxie en sillons désertiques,
pétale rouge qui s’achève en roche,
roche qui se replie, qui s’emprisonne
et se tait, sourde et noire, jusqu’au jour du miracle :
où toute audace, arrive le printemps
qui nous apporte une pluie de syllabes bleues.