Gratte, gratte
le papier
plume bavarde
tandis que je griffe la terre
froide
pour y enfouir la promesse
de vie.
Sève,
qui cheminera vers le soleil
tandis que tes mots candélabres
s’abimeront dans l’encre noire
du poème.
Élagueur des clairières, sais tu que tu défriches le langage autant que le feuillage ? Tu puises tes mots dans la lumière accrue, et fixe l’ombre des ramées.
Il faut goûter la rigueur des hivers, réciter les strophes comme autant de bois coupé, tout ce qui a subi les songes et la pluie ;
violence du gel traversant le chant de plume, sa violence sourde qui détache l’écorce et retire la sève pour n’en garder que l’essentiel.
Et les oiseaux strieront de nouveau la peau du ciel.
Le chat ignore l’oiseau, qui figure sur la photo, juste à côté de lui. C’est que l’image ne le rencontre pas. Cela sent l’encre et non le duvet .
Le côté plat ne fait pas illusion: le monde n’est pas amputé d’une partie de sa réalité, c’est juste la lumière qui s’est posée sur l’oiseau, et dont on a prélevé une trace fugace, mais aucune plume, aucune chaleur. Le chat ne s’y est pas trompé.
L’attente est l’espace d’apparition des images et celui de leur retenue / La rencontre avec l’image : percussion de notre propre attente avec cet espace / Un monde à part du monde / Un monde de la suppléance (Derrida) / Fait de copeaux qui auraient l’étrange pouvoir d’exister sans pour autant entamer le bloc d’où ils proviennent, de prélever sans laisser de traces du prélèvement. (Le travail du seuil in L’imagement / Jean-Christophe Bailly. – Editions du Seuil, 2020. – (Fiction & Cie))
Yanka Diaghiléva dont on peut trouver les traductions du russe par Henri Abril, sur son site
art: exposition Georges Guye
Seras-tu le rayon clair qui naît de l’ombre, Seras-tu l’ombre engendrant le rayon ? Seras-tu la pluie bleue qui tombe sur la neige, Seras-tu l’un des nuages ? Ne seras-tu qu’un maillon de la chaîne dorée, Ou bien le marteau qui la forge ? Seras-tu le sentier à l’horizon ou celui qui y marche ? Seras-tu la plume d’une aile d’aigle Ou seras-tu l’aigle lui-même ? Seras-tu une goutte de vin ou bien le fond de la cruche ?
( variation sur un texte de Michèle Dujardin, tiré de « Abadôn » elle-même évoquant Henri Thomas avec cet extrait : « Je n’ai le goût de rien exprimer, si ce n’est ce noyau d’obscurité tenace qui est mon être même, ma substance morale et poétique. »
Henri Thomas )
Mais pourquoi n’usez-vous pas d’un moyen plus fort,
Pour mener guerre au temps, ce tyran sanguinaire,
Et vous fortifier jusqu’en votre déclin
D’un plus fécond secours que mes vers inféconds ?
Vous voici au zenith de vos heures heureuses,
Et les vierges jardins, incultivés, ne manquant pas,
Dont la vertu voudrait tant porter vos vivantes fleurs,
Mieux qu’un portrait de vous, fait à votre image.
Ce trait de l’existence, ainsi tiendrait en vie,
Ce qu’un crayon du temps ou ma plume écolière
Ne savent maintenir de vous sous les regards humains :
La beauté du dedans, et celle du dehors.
Vous donner hors de vous à jamais vous conserve ;
Portraituré par votre exquis talent, vous aurez vie.
J’ai prélevé dans le vocabulaire que je connaissais, quelques mots . Ils se sont disposés, dociles, sur la page blanche, comme surgis d’un brouillard épais, où la conscience s’est perdue, et le décor endormi .
Oh ! Rien de bien extraordinaire… … presque rien… Quelques essais jetés sur le papier : une ou deux expressions qui sonnent , accompagnées du silence , me déportant vers le jour, qu’ils dissimulaient.
Il faut croire que les phrases banales, ne sont que des fenêtres grises, occultant les pensées. Tant de gris où tout se brouille, et les étoiles quelque part, au-delà,
qui répondent seulement si un chant parvient à s’extraire d’entre les lignes, pour donner assez d’élan à ma plume,
( et que cela soit aussi un peu de moi. )
« Je ne relis jamais ce que j’écris ; je ne trouverai plus mon chemin pour partir ailleurs. Mes phrases sont des villages pour les âmes en peine. Mieux vaut ne pas se retourner vers eux, ça ferait pleurer l’encre des mots écrits…
J’ai du mal à tenir une plume : ma main droite a trop longtemps tenu en équilibre sur un portique de cirque. »
Tu prends dans tes mains les oiseaux,
Tu les mets dans ta tête,
Tu n’as pas besoin de maison,
Ni de t’enfermer à double tour,
L’été est chez toi,
Tu arraches des mots aux herbes.
Les pierres deviennent légères,
Celles que tu soulèves d’un mouvement de plume.
Par la fenêtre, des martinets voltigent.
Mais elle ne donne pas sur l’extérieur,
Et, dans l’esprit,
Tous les oiseaux du monde y volent
librement ,à toutes profondeurs°
° ( provenant de la citation de Nicolas de Staël: » La peinture est un mur, où tous les oiseaux du monde y volent librement à toutes profondeurs » ).
–
( en réponse à « août » de « Carnet d’au bord », de Sophie G Lucas )
Il est un temps, où,
Apprendre à lire, s’accompagne,
De la parole, de celle des autres,
Mais aussi la porte , que l’on ouvre
A la sienne , sa propre voie(x).
Est ouvert alors l’espace,
Au bout des doigts,
Ceux qui tiennent la plume,
Ou le pinceau,
Ou le chant…
A dire ce que l’on sait,
…. Ce que l’on ressent,
De ce qui nous modèle, nous environne,
De l’effleurement d’un regard,
De la marque d’une cicatrice .
L’univers au bout des doigts, touche les couleurs.
Elles sont aussi une rêverie,
Sur les touches d’ivoire d’un piano…
Ainsi, nait, vulnérable,
Une mélodie hésitante,
Une peinture, un récit,
Une empreinte de chair,
Un trait dansé sur les nuages,
Ou reliant les étoiles,
Une parole aimante,
Aimée, parcourue,
Que l’on veut donner,
En échange, Déposer
Une petite lumière,
Ajoutée au ciel nocturne.
–
RC – avril 2014
( en relation avec un écrit de Pierre Dhainaut)
Il doit être important qu’un jeune homme toujours occupé à étudier, à tourner des pages, à se tirer les yeux, ait fait sa grande poésie sur les moments où il allait sur le balcon, sous le bosquet, sur la colline ou dans un champ tout vert. (Silvia latini, Vie solitaire, Souvenirs) La poésie naît non de l’our life’s work, de la normalité de nos occupations mais des instants où nous levons la tête et où nous découvrons avec stupeur la vie. (La normalité, elle aussi, devient poésie quand elle se fait contemplation, c’est-à-dire quand elle cesse d’être normalité et devient prodige.)
On comprend par là pourquoi l’adolescence est grande matière à poésie. Elle nous apparaît à nous — hommes — comme un instant où nous n’avions pas encore baissé la tête sur nos occupations.
20 février
La poésie est non un sens mais un état, non une compréhension mais un être.
Je viens sans fleurs et sans champs
Je viens sans saisons
Rien ne m’appartient dans le sable
dans les vents
dans la splendeur du matin
qu’un sang jeune courant avec le ciel
La terre sur mon front prophétique
est vol d’oiseau sans fin
Je viens sans saisons
sans fleurs, sans champs
Une source de poussière jaillit dans mon sang
et je vis dans mes yeux
je me nourris de mes yeux
Je vis, menant mon existence
dans l’attente d’un navire qui enlacerait l’univers
plongerait jusqu’aux tréfonds
comme un rêve
ou dans l’incertitude
comme s’il partait pour ne jamais revenir
2.
Dans le cancer du silence, dans l’encerclement
j’écris mes poèmes sur l’argile
avec la plume du corbeau
Je le sais: pas de clarté sur mes paupières
plus rien que la sagesse de la poussière
Je m’assieds au café avec le jour
avec le bois de la chaise
et les mégots jetés
Je m’assieds dans l’attente
d’une rencontre oubliée
3.
Je veux m’agenouiller
Je veux prier le hibou aux ailes brisées
les braises, les vents
Je veux prier l’astre dérouté dans le ciel
la mort, la peste
Je veux brûler dans l’encens
mes jours blancs et mes chants
mes cahiers, l’encre et l’encrier
Je veux prier n’importe quelle chose
ignorante de la prière
4.
Beyrouth n’est pas apparue sur mon chemin
Beyrouth n’a pas fleuri – voyez mes champs
Beyrouth n’a pas donné de fruits
Et voici un printemps de sauterelles
et de sable sur mes labours
Je suis seul, sans fleurs et sans saisons
seul avec les fruits
Du coucher du soleil jusqu’à son lever
je traverse Beyrouth sans la voir
J’habite Beyrouth mais je ne la vois pas
L’amour les fruits et moi
nous partons en compagnie du jour
Nous partons pour un autre horizon
–
traduit de l’arabe ( auteur libanais ) – par Anne Wade Minkowski
Chants de Mihyar le Damascène Sindbad
La Bibliothèque arabe 1983
« Tout brille , tout chatoie Tout est lustré, verni « Et les couleurs toutes serties Dansent encore des figures de joie
La danse, justement, s’anime, Traverse la toile , en spirales Gerbe de lignes, et trois tons qui s’étalent Sans décor, d’aspect anonyme
Bleus et verts s’affrontent, lisses avec des roses et orangés, L’écho des odalisques, allongées Des intérieurs fleuris, de Matisse
peinture H Matisse: intérieur rouge, intérieur jaune et bleu
Les bocaux de poissons devant la fenêtre Voisinent des lignes arabesques, Azurs teintés de rythmes, presque Tout est verni, lustré, prêt à naître.
dessin : H Matisse : portrait de Marguerite
Mais aux portraits à la plume, en séries Les formes jouent de lumière offerte Et dialoguent, du papier blanc, ouvertes.
Le décor des motifs , le même que la tapisserie Transmet à l’oeil son doute Comme s’il faisait fausse route …
Dans les courbes et dans l’épure Luxe, calme et volupté, point de lutte Entre harmonie, enchaînement des volutes Où la ligne ondule et s’aventure …
Puis la traversée d’un ciel, par les ciseaux, Couleurs franches et gouaches découpées, Savamment associées et groupées Comme l’aventure migratoire des oiseaux…
Jazz- HM –
Jazz ( et rythmes déhanchés), Bal des feuilles de figuier, détachées Dans un autre espace , s’élance L’art du peintre, par excellence.
NB les deux premiers vers » Tout brille , tout chatoie Tout est lustré, verni », est une citation de H Matisse lui-même.
Je confierai ma plume à la foudre et aux vents,
Aux furieuses tempêtes, aux fauves tremblements.
Je la veux souveraine, insolente et fantasque,
Insensible à la haine, sans faiblesse, sans masque.
Je la veux intrépide, courageuse et libre
Ecrivant sans ambages mon ivresse de vivre.
Quand les vents des passions se seront apaisés
Ma plume cheminera aux sentiers irisés
Des tendresses du soir entre des bras fragiles
Quand la force est vaincue par un battement de cils.
Elle se fera pinceau aux encres de couleurs
Traçant sur le papier les signes du bonheur.
Elle glissera ses mots au milieu de silences
Quand il faudra se taire devant une souffrance.
Je la veux enjouée, folle, primesautière
Sautant dans les ruisseaux, remontant les rivières
Tirant du fond de l’ombre, des perles, des diamants
Accrochant à ses lignes de jolis cerfs volants.
Je dirai à ma plume d’écrire des poèmes
Sur tous les vagabonds et leur vie de bohème
Sur les cris des enfants à la récréation
Sur les mots des amants au feu de la passion.
Et lorsque fumera mon dernier feu de bois
Elle inscrira encore aux branches d’une croix
« Pardonnez lui, Seigneur, d’avoir pris du plaisir »
« Aux rimes polissonnes.., il aimait trop écrire !»
Ma vie n’est qu’attente, j’aime méditer où que je sois, il me suffit d’un peu de silence et d’un beau paysage, je m’assoie et je ne pense plus à rien, c’est une parenthèse, un moment à moi, je rêve, je réfléchis, je me laisse aller à mes états d’âme, sans risque d’une remarque, d’un jugement, d’une compassion maladroite, je m’identifie au grain de sable qui voyage dans le désert ou à la plume qui se détache d’un oiseau, ces instants peuvent être violents quand je prends soudain conscience de quelque chose ou quand je me rappelle d’un disparu, ces derniers jours je pense au Japon, à Fukushima, le sentiment d’absurdité et de néant est encore plus intense, alors ce matin en hommage à tous ces prisonniers du rien, à tous ceux qui affrontent là-bas une menace invisible, j’ai gonflé ces ballons pour les lâcher et ainsi apaiser un peu leurs douleurs.