Alejandro Oliveros – Table de travail

Table de travail Au petit matin, avant que les coqs ne se perdent dans le ciel, j’écris sur tes jambes et restent au sol mes plumes et mes livres. Voici ma table de travail : ici j’écris de mes doigts contes et poèmes sur les feuilles de ton corps. Dans une maison lointaine sont restés tous mes livres et mes papiers, les éditions de Catulle et d’Horace et le théâtre complet de Shakespeare. Loin de mes cahiers, seul me reste le papier de ta peau, en ce si petit matin où les murs sont aveugles.
Mesa de trabajo En las horas más pequeñas, antes que los gallos se pierdan en el cielo, escribo entre tus piernas, donde quedaron mis plumas y libros en el suelo. Es mi mesa de trabajo, aqui escribo con mis dedos los cuentos y poemas en las hojas de tu cuerpo. En una casa lejana han quedado todos mis libros y papeles, las ediciones de Catulo y Horacio y el teatro entero de Shakespeare. Lejos de mi cuadernos, solo me queda el papel de tus pieles, en estas horas mas pequeñas, cuando son ciegas las paredes.
Le Royaume perdu
Editions CONFERENCE
Gaston Miron – La braise et l’humus

Rien n’est changé de mon destin ma mère mes camarades
le chagrin luit toujours d’une mouche à feu à l’autre
je suis taché de mon amour comme on est taché de sang
mon amour mon errance mes murs à perpétuité
un goût d’années d’humus aborde à mes lèvres
je suis malheureux plein ma carrure, je saccage
la rage que je suis, l’amertume que je suis
avec ce bœuf de douleurs qui souffle dans mes côtes
c’est moi maintenant mes yeux gris dans la braise
c’est mon cœur obus dans les champs de tourmente
c’est ma langue dans les étapes des nuits de ruche
c’est moi cet homme au galop d’âme et de poitrine
je vais mourir comme je n’ai pas voulu finir
mourir seul comme les eaux mortes au loin
dans les têtes flambées de ma tête, à la bouche
les mots corbeaux de poèmes qui croassent
je vais mourir vivant dans notre empois de mort
extrait de « la vie agonique »
Jean-Claude Pinson – En été je préfère me tenir loin des plages
En été je préfère me tenir loin des plages
pourtant si proches pour un peu
j’entendrais leur rumeur
un mélange de vent clair
de cris de vagues au ralenti
je reste dans la chambre
où j’ai fait mon bureau
guettant dans le temps suspendu
la venue incertaine de la fameuse inspiration
en réalité fabriquée avec des livres pillés
des papiers raturés
des allées et venues à la fenêtre
à rêver devant la vacuité des jardins ouvriers
au mois d’août délaissés
je note des petits riens
espérant par la suite
les faire monter en neige
pouvoir les baptiser poèmes
à condition que s’y retrouve
comme un jus concentré
de la vie
et pourquoi pas un goût de plage
sans la plage cocktail de glace,
d’ambre solaire de baisers
sous les pins, ou
quelque chose d’avoisinant .
–
extrait de« J’habite ici » de Jean-Claude Pinson
Lambert Savigneux – Nuit
Nuit
by Lam – dans ses « feuillets pouvant servir à la poésie )
–
Je pourrai comme un sanglier mourir là dans mon sang
les arbustes et les fleurs tâchés de mes poèmes
les étoiles étrangères et la lune compatissante
nuit sans que rien ne te trouble toi qui ne me lit pas
–
Alda Merini – Les plus beaux poèmes s’écrivent sur les pierres
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Les plus beaux poèmes
s’écrivent sur les pierres
genoux écorchés,
esprit aiguisé par le mystère.
Les plus beaux poèmes s’écrivent
devant un autel vide,
encerclés par des agents
de la divine folie.
Ainsi, fou criminel que tu es
tu dictes des vers à l’humanité,
vers de la rescousse
et prophéties bibliques
tu es frère de Jonas.
Mais dans la Terre Promise
où germent les pommes d’or
et l’arbre de la connaissance
Dieu n’est jamais descendu ni ne t’a jamais maudit.
Toi si, tu maudis
heure par heure ton chant
car te voilà descendu dans les limbes
où tu respires l’absinthe
d’une survie refusée.
–
Le più belle poesie
si scrivono sopra le pietre
coi ginocchi piagati
e le menti aguzzate dal mistero.
Le più belle poesie si scrivono
davanti a un altare vuoto,
accerchiati da agenti
della divina follia.
Così, pazzo criminale qual sei
tu detti versi all’umanità,
i versi della riscossa
e le bibliche profezie
e sei fratello a Giona.
Ma nella Terra Promessa
dove germinano i pomi d’oro
e l’albero della conoscenza
Dio non è mai disceso né ti ha mai maledetto.
Ma tu sì, maledici
ora per ora il tuo canto
perché sei sceso nel limbo,
dove aspiri l’assenzio
di una sopravvivenza negata.
–
François Piel – Eloge des rêves
–
ELOGE DES RÊVES
En rêve
Je peins comme Vermeer de Delft
Je parle couramment grec et pas avec les seuls vivants.
Je conduis une auto qui m’est très docile.
Je suis doué, j’écris de longs poèmes.
J’entends des voix
pas plus mai que les saints les plus sérieux
Vous seriez étonnés du brio de mon jeu au piano.
Je vole comme il se doit, c’est-à-dire de moi-même.
Si je tombe d’une toiture
je sais me recevoir doucement dans l’herbe.
Il ne m’est pas difficile de respirer sous l’eau
Je ne me plains pas : j’ai pu découvrir l’Atlantide
Je me réjouis de ce qu’avant de mourir je parviens toujours à me réveiller.
Dès qu’une guerre éclate je me tourne d’un meilleur côté.
Je suis, mais sans y être obligé enfant de mon époque.
Il y a quelques années j’ai vu deux soleils.
Et avant hier un pingouin.
On ne peut plus distinctement
François Piel (1972)
–
Abdellatif Laâbi – Quatre ans
Quatre ans
Cela fera bientôt quatre ans
on m’arracha à toi
à mes camarades
à mon peuple
on me ligota
bâillonna
banda les yeux
on interdit mes poèmes
mon nom
on m’exila dans un îlot
de béton et de rouille
on apposa un numéro
sur le dos de mon absence
on m’interdit
les livres que j’aime
les nouvelles
la musique
et pour te voir
un quart d’heure par semaine
à travers deux grilles séparées par un couloir
ils étaient encore là
buvant le sang de nos paroles
un chronomètre
à la place du cerveau
C’est encore loin le temps des cerises
et des mains chargées d’offrandes immédiates
le ciel ouvert au matin frais des libertés
la joie de dire
et la tristesse heureuse
C’est encore loin le temps des cerises
et des cités émerveillées de silence
à l’aurore fragile de nos amours
la fringale des rencontres
les rêves fous devenus tâches quotidiennes
C’est encore loin le temps des cerises
mais je le sens déjà
qui palpite et lève
tout chaud en germe
dans ma passion du futur.
–
Richard Brautigan – Un carnet dans la même poche que mon passeport

poème-affiche du site des ArtPenteurs
–
Les cinq poèmes
que j’ai écrits aujourd’hui,
ils sont dans un carnet
dans la même poche
que mon passeport. C’est
la même chose.
–
Richard Brautigan, Journal Japonais
–