voir l'art autrement – en relation avec les textes

Articles tagués “point

Pierre Garnier – Jean-Louis Rambour – Ce monde qui était deux


img779 -Still life  with omega paper flowers.jpg

 

peinture  Duncan Grant –       Still life with omega paper flowers

Chacun portait sa croix, laissait sa croix,
la table était couverte de fenêtres qui donnaient
sur d’autres parties du monde –
l’idée que se faisait du monde l’escargot
n’était pas la même que celle d’une huître
« autant de coquilles, autant de monde », pensait l’enfant.
nous, les enfants de la guerre, quand nous
écrivions un poème
c’était avec le compas,
nous enfoncions la pointe sèche dans la chair,
et la mine douce, dont nous pouvions effacer le
trait,
faisait la carte du ciel où elle ne marquait que
les étoiles
nous, les enfants de la guerre, nous avons vécu
en papillons
pour échapper aux bombes le mieux était encore
d’être papillon,
et nous laissions notre écriture en grandes
taches blanches sur les feuilles

notre écriture était de nature
celle du poème
qui est vague feuille fleur grenouille,
notre écriture se déposait :
écailles des ailes de papillon et pollen

quand nous écrivions le poème sur une feuille,
ce que nous marquions c’étaient nos doigts,
notre main, notre poing,

c’était ce point acéré, dur, aigu, percé
qui marquait le centre du monde

nous, les enfants de la guerre, avons échangé
l’homme et sa mort
contre la vie des moules et des huîtres
et nous sommes restés dans la mer

notre écriture, ce fut longtemps de la craie sur les doigts.

 

texte paru aux éditions  des vanneaux


Pierre Reverdy – Mémoire


00abstract_0015.jpg

Une minute à peine
Et je suis revenu
De tout ce qui passait je n’ai rien retenu
Un point
Le ciel grandi
Et au dernier moment
La lanterne qui passe
Le pas que l’on entend
Quelqu’un s’arrête entre tout ce qui marche
On laisse aller le monde
Et ce qu’il y a dedans
Les lumières qui dansent
Et l’ombre qui s’étend
Il y a plus d’espace
En regardant devant
Une cage où bondit un animal vivant
La poitrine et les bras faisaient le même geste
Une femme riait
En renversant la tête
Et celui qui venait nous avait confondus
Nous étions tous les trois sans nous connaître
Et nous formions déjà
Un monde plein d’espoir

Pierre Reverdy

 

Les ardoises du toit,
: La plupart du temps (coll. Poésie/Gallimard, 1989)


Sourd une lumière noire ( RC )


peinture: Adolph Gottlieb:       Ascension        1958

D’un tout petit point,

Encore lointain,

Sourd une lumière noire,

Elle aspire,

Dans la démesure,

De l’immensité à parcourir,

Ce qu’il y a,

Qui remplit nos yeux,

Nous dilate.

Dans ce que nous voyons,

La vie se poursuit,

( Un monde où j’habite ).

Je ne pose pas de questions,

Les vagues succèdent aux vagues,

Et les jours entre eux.

Et le corps transpire les années,

Comme en rides insensibles,

L’espace a rétréci            – un peu…

Puis, sans qu’on y prête trop attention,

Ses murs se sont rapprochés,

Et teintés de couleurs lasses…

Comme une bouche d’ombre,

Le soleil noir est visible,

« Clairement »   dirait-on,         cynique,

Et s’il boit peu à peu les choses,

  • Comme la gorge de la nuit.

S’il faut se tenir aux bords,

>      Un seul faux pas,

Et nous voilà de l’autre côté,

Chutant dans l’infini…

RC – 16 septembre 2013


Ta voix franchit l’épaisseur de la nuit ( RC )


photographe non identifié: lieu abandonné

photographe non identifié: lieu abandonné

>             Pourtant marchant dans une vallée d’ombre
Où aucune chose ne m’atteignait , cette vibration en moi,
L’onde de ta parole,       toi que personne n’écoutait,        et n’entendait

Je l’ai entendue,          au  travers de ta poésie torturée,
Les cris                         franchirent l’épaisseur  de ta nuit,
L’oppression des vagues,

Sous leur fracas contre les roches
Noyant le sentiment  commun,   fermant les yeux à chacun,
>      Mais pas ta voix…

Elle  s’élève  ,         au-dessus de la masse indistincte,
Comme un point lumineux,     clignotant,       fragile,
Mais têtue, …   tel un phare vers lequel je me dirige .


RC –  20 mai 2013


Charing Cross, au matin ( RC )


peinture André Derain: Charing Cross Point 1906

 

 

 

 

 

Je  vois      une  large avenue  en arc,    verte
Où balbutient des branches  sans feuilles,
Et de vielles  autos      bleues
Le long d’un quai de Tamise
C’est un Londres ,    au matin
Encore  sous l’émotion de sa brume changeante,
En touches suspendues
D’ors  d’ocres et verts incertains,
Charing Cross, dans un tableau de Derain
Devant les barres bleues d’ombre
Ces bâtiments vides
Je ne distingue plus les voix,
Seulement le murmure, d’une ville
Qui s’éveille et s’étire aux heures,

Et la patience immobile
Des statues  sur leur  socle
Encombrées de mousse,
Au charme  des squares,
Encore à l’ombre,      à cet instant.
Une nappe de vapeur s’étale
Et glisse ,        nonchalante
Des péniches lourdes,
Jusqu’aux berges lasses.
Les verticales des réverbères
Sont, aux quais, des signes bleutés
Qui attendent,
La musique  du jour
Et les cris  des marchands de journaux
En décalquant l’invisible

RC   – 24 octobre  2012