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Pablo Neruda – Ode à la mer


photo RC – îles Perenthian -Malaisie

Ici dans l’île
la mer
et quelle étendue!
sort hors de soi
à chaque instant,
en disant oui, en disant non,
non et non et non,
en disant oui, en bleu,
en écume, en galop,
en disant non, et non.


Elle ne peut rester tranquille,
je me nomme la mer, répète-t-elle
en frappant une pierre
sans arriver à la convaincre,
alors
avec sept langues vertes
de sept chiens verts,
de sept tigres verts,
de sept mers vertes,
elle la parcourt, l’embrasse,
l’humidifie
et elle se frappe la poitrine
en répétant son nom.
ô mer, ainsi te nommes-tu.
ô camarade océan,
ne perds ni temps ni eau,
ne t’agite pas autant,


aide-nous,
nous sommes
les petits pêcheurs,
les hommes du bord,
nous avons froid et faim
tu es notre ennemie,
ne frappe pas aussi fort,
ne crie pas de la sorte,
ouvre ta caisse verte
et laisse dans toutes nos mains
ton cadeau d’argent:
le poisson de chaque jour.

Ici dans chaque maison
on le veut
et même s’il est en argent,
en cristal ou en lune,
il est né pour les pauvres
cuisines de la terre.


Ne le garde pas,
avare,
roulant le froid comme
un éclair mouillé
sous tes vagues.
Viens, maintenant,
ouvre-toi
et laisse-le
près de nos mains,
aide-nous, océan,
père vert et profond,
à finir un jour
la pauvreté terrestre.
Laisse-nous
récolter l’infinie
plantation de tes vies,
tes blés et tes raisins,
tes boeufs, tes métaux,
la splendeur mouillée
et le fruit submergé.

Père océan, nous savons
comment tu t’appelles,
toutes les mouettes distribuent
ton nom dans les sables:
mais sois sage,
n’agite pas ta crinière,
ne menace personne,
ne brise pas contre le ciel
ta belle denture,


oublie pour un moment
les glorieuses histoires,
donne à chaque homme,
à chaque femme
et à chaque enfant,
un poisson grand ou petit
chaque jour.
Sors dans toutes les rues
du monde
distribuer le poisson
et alors
crie,
crie
pour que tous les pauvres
qui travaillent t’entendent
et disent
en regardant au fond
de la mine:


«Voilà la vieille mer
qui distribue du poisson».
Et ils retourneront en bas,
aux ténèbres,
en souriant, et dans les rues
et les bois
les hommes souriront
et la terre
avec un sourire marin.
Mais
si tu ne le veux pas,
si tu n’en as pas envie,
attends,
attends-nous,
nous réfléchirons,
nous allons en premier lieu
arranger les affaires
humaines,
les plus grandes d’abord,
et les autres après,
et alors,
en entrant en toi,


nous couperons les vagues
avec un couteau de feu,
sur un cheval électrique
nous sauterons sur l’écume,
en chantant
nous nous enfoncerons
jusqu’à atteindre le fond
de tes entrailles,
un fil atomique
conservera ta ceinture,


nous planterons
dans ton jardin profond
des plantes
de ciment et d’acier,
nous te ligoterons
les pieds et les mains,
les hommes sur ta peau
se promèneront en crachant
en prenant tes bouquets,
en construisant des harnais,
en te montant et en te domptant,
en te dominant l’âme.


Mais cela arrivera lorsque
nous les hommes
réglerons
notre problème,
le grand,
le grand problème.
Nous résoudrons tout
petit à petit:
nous t’obligerons, mer,
nous t’obligerons, terre,
à faire des miracles,
parce qu’en nous,
dans la lutte,
il y a le poisson, il y a le pain,
il y a le miracle.

Traduit par Ricard Ripoll i Villanueva


Nathaniel Tarn – poissons translucides


montage RC

Entrelacs des sternes sur une eau de velours
écrivant dans l’air les chemins des poissons
traquant leurs victimes en cercles d’anxiété,
leurs cris nous réveillent en sursaut, leur hargne
contre un destin qui refuse subsistance.
Groupes de gens au coucher du soleil sur une plage
aux dimensions du rivage universel, et pâles
de l’attente des miracles – les oiseaux en contraste, noirs
de suie même au crépuscule, patrouilles en vol
avertissant l’assemblée que ce ne peut arriver.
Mais ce grand vaisseau de notre empire d’épouvante
chante dans le vent qui le porte contre ces gens,
toutes voiles déployées, prêt à partir
et aucun homme ayant un peu de cœur à bord
ne pourrait frapper en perçant cette obscurité,
officier ni capitaine – vaste, vaste entreprise,
vaste et vide, et terreur sur tous les océans,
sauvetage de capital en danger de perte.

La mer se ferme sur les yeux, les yeux devenus ciel :
du ciel descendent les poissons translucides,
adoucie par les lèvres de la mer, à l’eau si généreuse,
sa chaleur versant une huile d’hydromel,
les poissons commencent  à l’instant nous entrons –
étant à peine visibles nous ne les voyons pas
jusqu’au moment où nous passons dans leurs bancs
les derniers de la création, l’eau-création,
et puis nous sommes au-dessus d’eux,
glissant à hauteur d’œil dans un sens
suivant notre rêve avant de revenir.


Sous les étoiles liquides – ( RC )


Afficher l’image source

En ton palais fluide,
ta robe de moire
s’orne d’ocelles:
que forment , au fond du lac ,
les ombres frêles des poissons.

Le chemin qui mène à ta demeure
serpente au gré des courants :
c’est un sentier changeant ,
bien oublieux
d’une terre qui se meurt.

De mornes rayons de lune
caressent en nuances de bleu
le balcon de ta nuit étoilée :
éclats de rires diffus
des losanges de ta fenêtre.

Verras-tu mon visage
se penchant sur l’eau ,
à contre-jour
à travers ces vitraux
dont tu ignores les contours ?

Pleureras-tu des larmes de sel
– giboulées légères ;
toi, mortelle emmurée
dans ce temple maudit
au lointain de ton continent englouti ?


Un sphinx contre une intrusion – ( RC )


Viendras-tu risquer quelques pas sur le fond sableux,
sous un lourd scaphandre, chercher les traces d’une épave endormie ,
jouir des reflets changeants des poissons aux milles couleurs,
des dentelles de coraux , et du mouvement lointain des vagues,
qui filtrent la lumière venue de haut ?

Mais c’est un monde qui nous est étranger, même s’il est proche.
Des animaux aux formes curieuses se dissimulent sous les rochers,
ils gardent un domaine, dont on ne sait s’il y a une entrée,
et où elle peut nous conduire .


Avant d’aller plus avant, il faudrait cependant répondre à plusieurs questions,
un peu comme les candidats à un emploi, qui doivent, en outre afficher leurs motivations.

J’imagine un jour être face à face avec un poulpe,
agitant de multiples bras, peut-être en guise de bienvenue.

Mais personne, à ma connaissance, n’est un nouvel Oedipe et le poulpe, – en Sphinx des eaux- , barre le passage .
S’exprimer dans un langage qu’il puisse comprendre, présente déjà une certaine difficulté ,
bien que sa tête volumineuse semble contenir ce qui doit être un cerveau, vraisemblablement doté de capacités dont on n’a pas idée.

Deux yeux sévères nous fixent, et dans chacune des tentacules,
les ventouses rieuses montrent des signes d’impatience .
Il semble s’étonner de notre intrusion, contemple notre rigide apparence,
inversement proportionnelle à sa souplesse .


Il nous parle peut-être, mais nous n’entendons pas .
S’offusquant de notre esprit obtus, il nous fait comprendre que le royaume des mers est sa demeure.
Il nous entoure de ses bras élastiques , sans agressivité, et nous ramène à la surface, dans le monde du dessus, que nous n’aurions jamais dû quitter.


des jours trop longs – ( RC )


Résultat de recherche d'images pour "fishes in the air"

 

Il n’y a que des jours trop longs .
Il faut que je m’habitue aux choses ordinaires
celles qui provoquent en duel
des pommes de terre
au fond de mon assiette,
pendant que des oiseaux chantent
à tue-tête, leur refrain.

Les poissons me regardent,
d’un air effaré,
cachés derrière les images
brillantes des magazines.
S’ils le pouvaient, ils me diraient
de surveiller la cuisson
pour que la confiture de brûle pas.

Mais, comme chacun sait,
les poissons restent muets,
surtout quand ils sont plats,
aussi plats qu’une photographie peut l’être.

Le téléphone sonne toujours par erreur:
il n’y a jamais personne au bout,
ou c’est simplement que personne
( en personne appelle )
mais n’a pas encore trouvé de voix
qui lui convienne.

Il y a des tas de journaux dans un coin
qui me disent les évènements trépassés,
car ce sont des nouvelles qui datent
d’au moins trois ans .
Je cherche à l’intérieur des messages cachés,
car quand on m’écrit, même en caractères d’imprimerie,
c’est qu’on s’adresse à moi.

Je n’ai trouvé rien de spécial
qui me sortirait de ces jours ordinaires.
Je comptais trouver des sourires,
mais à part ceux des dames des publicités,
aucun ne m’est parvenu .

Alors les jours s’alignent,
quelque part dans l’existence,
sur une seule ligne
si mince, qu’on ne la voit pas,
et je fais de l’équilibre dessus.

De bonnes idées me viennent,
tiens, je pourrais en faire un poème,
mais je n’ai pas fait assez attention
à ce que me disaient les poissons :
la confiture a brûlé
pendant que j’écrivais.

C’est donc à mettre au rang des choses ordinaires,
à moins que vous pensiez le contraire .
Tiens quelqu’un m’appelle,
mais il n’y a toujours personne
au bout du fil.

De toute façon j’ai l’habitude
des évènements quotidiens
qui n’en sont pas,
les journaux sont là pour le prouver
les poissons ne me contredisent jamais.
Comme le téléphone, toujours muets.


Bassam Hajjar – Après elle, il n’y avait que la mer


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peinture: Josef Sima

 

Elle se tenait, distraite,

sur le bord du haut belvédère,
et après elle,
il n’y avait que la mer.

Un corps chétif, qu’elle tenait dans ses bras,

et après elle, il n’y avait que la mer,

et des passants qui continuaient des promenades solitaires

comme doivent l’être les promenades

avant le couchant

quand la mer est dans toutes les directions.

 

Elle se tenait, distraite,

et les mouettes répétaient leur vol

parmi les barques rouillées.

Sur le vieux port,

des vendeurs de poisson

des bateaux de pêche, des marins

buvant de l’ouzo glacé.

Vin rouge de Chypre.

Deux vieillards bavardaient en anglais

et prenaient avec joie

des photos de la mer

des rochers du rivage

et de l’air.

Elle se tenait, distraite,

et ne savait pas si elle était triste seulement

parce que la mer était là-bas

dans toutes les directions.

Tu penses, quand succède à ton sommeil

un matin lumineux,

que faire, seul, de ces matins lumineux ?

Heureux et chanceux

dorment afin de reprendre les journées ensoleillées

et leur sommeil se remplit de sable,
de vagues et de sel.

Tu penses, quand succède à ta journée

une lourde nuit,

que faire, seul, de cette quiétude

que vous vous partagez, toi,
la table et les murs ?

Ils sont heureux et chanceux

lorsqu’ils découvrent avec tranquillité

que le temps est emporté par le jardin
et le soleil

et les vendeurs de pistaches
dans les kiosques.

Tu penses, lorsque succède aux pensées

une tristesse légère

que faire, seul, d’un tel bonheur ?

(Limassol, 25 avril 1988)                    –  extrait de  « Tu me survivras »


L’oubli de la pesanteur des choses – ( RC )


photo issue du blog « rencontres improbables.blogspot.fr  »

 

 

La barque fait oublier la pesanteur des choses,
elle, et son reflet,             passante paisible ,
glissent sur le miroir de l’onde
sans la rayer ou la fendre.
>    Elle est en suspension .

Seul le passage furtif de poissons
montre que l’air est habité en-dessous .
Avec les heures,          s’échappe aussi la bulle de la lune .
Elle suit tranquillement une courbe que l’on ne voit pas .
et ne crève pas à la surface,
                                           maintenue par le poids de la nuit.

 

RC     –     juill -2017


Reina Maria Rodriguez – L’île violette


vue  bord fra  arch -0481.JPG

VIOLET ISLAND

…j’ai connu un certain homme, un homme étrange.
il gardait jour et nuit la lumière de son phare
un phare ordinaire qui n’indiquait pas grand-chose,
un petit phare pour embarcations de fortune
et peuples obscurs de pêcheurs, là, sur son île,
il échangeait avec son phare les sensations
attendant jour et nuit cette autre lumière
qui ne surveille la persécution d’aucun objet,
cette autre lumière réflexive, parcourant vers l’intérieur
la distance entre le port sûr de l’endroit
et l’œil qui voit revenir, d’en haut et transparente,
l’illusion provisoire qui s’éternise :
cette courbe de l’être tendue tout contre le phare
sans précaution ni limite, pour être ou avoir
ce qu’imparfaitement nous sommes, rien d’autre
que rêver ce qu’il veut bien rêver et être où il est
au-dessus des eaux tranquilles et éteindre tout dans le tableau
d’un jour et redevenir nouveau au petit matin
près du petit phare perdu d’Aspinwoll
sans même imaginer qu’il pourrait exister le moindre désir
ne serait-ce que celui de désirer la petite lumière qui tombe,
avec la nuit,
sur les eaux tranquilles et les sons déjà morts
de ces vagues, de jouir et souffrir, un refuge sincère.
Comme le gardien du phare d’Aspinwoll, seul sur son phare,
je me suis endormie malgré la lumière intense qui tombe
et se détache au-dessus du temps, malgré la pluie
frappant le miroir des poissons blancs,
malgré cette lumière spéciale qu’était son âme,
je me suis endormie entre le port et la lumière,
sans comprendre : je voulais, je voulais seulement
un peu plus de temps pour recommencer à apprendre,
pas sur le ressac de la commisération
où les désespérés attachent leurs mâts;
pas l’authentique bonheur de vivre sans savoir,
sans se rendre compte; pas la lumière provisoire qui s’éternise
et feint d’être
ce que nous serons
ni la peur de posséder la réalité opaque, immanente,
je ne voulais la vie qu’à cause du plaisir de mourir,
sur les eaux tranquilles,
en compagnie des poissons blancs, et j’attendais impatiente
qu’arrive encore la répétition de mon inconscient
afin que quelqu’un y trouve l’intouché, l’autre voix,
pas de cet être intermédiaire, un corps
pour mesurer les criques basses : un corps pour le viol
d’un moi impraticable :
je me suis endormie, inconséquente, dans l’imagination
de cet être différent dans la distance, suffisamment avancée
pour avoir ma propre illumination à Aspinwoll, mais
fracassée et obscurcie, comme le gardien du phare
au-dessus des eaux tranquilles
de ce qu’imparfaitement nous sommes, dans la petitesse
d’un phare qui n’indiquait pas grand-chose,
à travers la pluie chaude
et réelle de l’impossible.

(poème  extrait d’une  anthologie  de la poésie  sud-américaine)


Un tremblement de terre très doux – ( RC )


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On dirait un tremblement de terre très doux
qui s’accomplit au trentième dessous,
donc tu vois bien que rien ne bouge,
( même le bocal aux poissons rouges) .

Il n’y a que les mots qui se secouent
Ils s’éloignent et se rapprochent tout-à-coup
Tranquilles en apparence
Quand tu fermes les yeux, ils dansent

La nuit est arrivée – sans doute trop brève
Mettant fin au jour qui s’achève
( Tu ne t’en rappelles plus qu’une frange
Mais déjà tout se mélange ! ).

Il n’y a pas besoin de marteau piqueur,
pour que se multiplient les erreurs :
les mots rient sous cape,
les paragraphes dérapent,

Les rimes en font à leur guise,
la mosaïque se défrise ,
Tout cela ne veut plus rien dire :
( En tout cas tu n’as pas voulu l’écrire )

C’est parait-il l’inconscient qui s’exprime
Libéré de l’esprit qui l’opprime
Les mots se libèrent et s’enfuient
A la faveur de la nuit

Peut-être, après une journée torride,
Vas-tu trouver la page vide :
Tous les caractères
Auront pris la file de l’air

Voila ce que c’est de rêver…
Evanouis ….   évaporés
Ou tournant en rond,
collés au plafond :

On les voit encore qui trépignent,
juste extraits de leurs lignes,
partis avant la récolte,
petites graines en révolte,

Il va falloir les aimer,
pour de nouveau les amener,
à correspondre à ce que tu penses,
et respecter leur indépendance…

RC   – juin  2016

 

 

( l’expression   » un tremblement  de terre  très doux« ,  vient  d’une  musique  électro-acoustique du compositeur  François  Bayle )


A pertes de vues – ( RC )


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– Qui connaît le milieu
d’une mer ? : elle se referme sur mes yeux,

>           Je n’en situe pas le centre,
ni ce qui les hante…
bien étanches à des sensations…
autres que celle du glissement de l’eau..
C’est peut-être que ceux-ci deviennent poissons,
et se cachent comme ils peuvent sous les flots,
en fuyant mon visage,
( comme si j’écrivais :  fuyant le rivage… )
La peau en serait la surface,
Elle se ramollit et s’efface,

On n’en saisit plus          les bords
Les yeux fuient bien plus au nord :
On voit bien qu’ils plongent
à mesure que les jours s’allongent,
et le regard se fait plus flou,
en échappant aux remous,
et aux mouvements de l’onde :
>         on dirait qu’ils fondent

ils se dissolvent dans le liquide
en délaissant les rides
accrochées aux paupières :
il y a de moins en moins de lumière
quand on s’écarte du soleil :
>       C’est la porte du sommeil :
Plus rien ne les anime,
au plus profond de l’abîme:

l’eau ruisselle et glisse,
mais sur une face,         désormais lisse :
il n’est pas sûr qu’ils émergent de l’océan :
désormais perdus dans le néant:
Il n’y a plus d’ailleurs
que pour le regard intérieur
comme s’il s’en était allé
dans une immensité d’eau salée…

C’est ainsi que du lointain se dilue
ce que l’on imagine  » à pertes de vues « .

RC – fev 2016


Le jour s’est échoué – ( RC )


 

Braque - barques sur la plage de l'Estaquepeinture: G Braque  – Barques  sur la plage  de l’Estaque

 

 

 

 

Le jour s’est échoué
sur la côte,
comme ces barques
ayant l’aspect de poissons morts,
couchés sur le côté  .

Si je m’approche,
c’est comme si elles respiraient encore,
           à peine,
  et le bois gonflé,
      et la peinture écaillée.

Leur corps est encore tiède
des rayons enfuis,
gonflé et tendu comme un regret,
et cela sent          le goudron,
le sel accroché aux filets .

Le jour s’est échoué
sur la côte.
Il a abandonné aussi
ses couleurs criardes,
pour se parer de soupirs.

On y lirait presque
derrière les filaments blancs
des nuages
                 des noms
comme une énigme.

De ceux
dont on a perdu les clefs du langage,
des fragments          de poèmes,
ainsi les lettres à demi effacées
des noms des bateaux.


RC – janv 2016


Murièle Modely – espérer ton retour


photographe non identifié

photographe non identifié

je devrais pour une fois, plutôt que de malmener la pulpe de mes index
(je ne tape qu’avec deux doigts, tu le sais bien)
je devrais pour une fois espérer ton retour
m’enrouler dans la nuit, ouvrir aux quatre vents ma bouche et mes paupières
je devrais prendre l’air, inspirer par les yeux ce qui de nous s’échappe
ton ombre fabuleuse collée à mes talons, mon mystère poisseux, nos tout petits poissons
est-ce normal dis moi, de boire la tasse sans apaiser sa soif
est-ce normal de jouir ainsi des lettres et des espaces
je m’interroge, tape, diffère, dis verse, diverge
les mots font des bulles au fond de l’océan
je pulse, j’azerty, j’yuiop, pense à toi dans les microscopiques accrocs de mes inspirations
je devrais pour une fois tenir la phrase, énucléer les métaphores
(mais tu sais combien j’aime poser mon corps tout au fond de l’amphore
– et que ne ferai-je pas pour une incise à rimes)
je devrais pour une fois
prendre le mot
pour ce qu’il est
t’attendre
te regarder
ouvrir la porte
dire 
je suis rentré
fev 2015
visible  sur le blog de Murièle Modely

L’eau est morte, ce soir – ( RC )


 

L’eau est morte, ce soir,
Au bord de ses lèvres sales,

Le saule s’y abandonne,
Et égare son reflet,

Au milieu de remous jaunes,
Et d’un ciel

Qui semble ne jamais
S’extirper des marais.

Le profond n’est plus visible  .
… Il pâtit d’incertain.

Quelques poissons,
Au ventre blanc,   dérivent  .

Une barque a coulé,   d’immobile,
Comme sont désertés les souvenirs,

Envahis par la vase,
Et la moisissure.

Le voyage tant espéré,
N’aura jamais lieu.


RC -mars 2014


La figure de proue , interroge les siècles – ( RC )


 

montage perso

montage perso mars 2014–

 

 

 

Quelque part dans le manteau d’eau
Se rencontrent des formes,
– elles n’ont rien de géométriques –
Assouplies aux contacts des courants,
Elles glissent, parfois l’une à côté de l’autre,
Se regardent avec curiosité,
Des cousins lointains,
Dont on aurait oublié la langue…

Et puis ces hommes carapaces,
Se risquant à quitter la terre ferme,
Et reliés d’un tuyau à l’atmosphère
Du sable meuble sous les semelles de plomb,
Communiquant par signes,
Intrus en scaphandriers,
Frôlés par des raies manta,
Aux lentes évolutions sombres.

Les rubans d’algues pendantes,
Les lumières feutrées d’un soleil
Remué de vagues, – plus haut –
Les bancs de poissons argentés,
Jouent, furtifs ,
Dans le gîte de l’épave         d’un voyage arrêté
Dans le silence liquide,
Il y a trois cent années.

Les humains d’aujourd’hui, inspectent sans scrupule,
Le vieux navire , de coquillages incrustés ,
Et ces longues années ,  au sens propre ,                écoulées,
Eléments étrangers, venus crever la surface lisse
Du secret des eaux… réunis…un peu comme la rencontre ,
Sur la table de dissection – de Lautréamont
D’une machine à coudre et d’un parapuie.

Le regard vide de la figure de proue , interroge les siècles.

_

RC –  février  2014


Je ne sais plus parler le langage des songes – ( RC )


gravure maritime  ancienne -  extraite de manuscrit

–                           gravure maritime ancienne – extraite de manuscrit

Je ne sais plus parler

Le langage des songes,

Et les partager avec toi,

C’est une vague,

Elle déferle, lointaine,

Et mélange ses images,

Vue aux lointains,

La vague des rêves,

Une parmi d’autres,

Se fond en léger frisottis,

A la surface des océans.

C’est vrai, il faudrait plonger,

Dans les profondeurs,

Pour suivre les courants,

Et les bancs des poissons.

Ces poissons de rêves,

Que tu chevauches peut-être,

Vers des horizons sous-marins :

Il ne serait pas question

D’en parler, ou seulement,

De façon muette,

Ce serait alors,

Sous les remous,

Sous les bateaux,

Notre façon de traverser,

Les étendues d’eau,

Les étendues de mots,

Et l’on décrirait sans le dire,

Toutes les couleurs,

Des coraux,

Qui peuplent notre esprit.

RC- 5 décembre  2013 bowlsuite-c


La pierre s’était prise à rêver tout haut, qu’elle était un oiseau – ( RC )


encre: oeuvre  d'un artiste chinois

encre: oeuvre d’un artiste chinois

Sans effort apparent,

Le caillou ricoche sur l’onde

Et prolonge sa course, au monde

Aussi loin que la force du jet,

Le lui permet…

Et la tanche regarde perplexe,

De son oeil convexe,

La pierre, toujours bondissante,

Si légère,                … Elle chante

Ayant quitté ma main…

Puis,             attirée par sa propre masse,

Et finissant par percer la surface,

Elle se résoud enfin ,

Finissant de flirter avec l’eau ,

A quitter sa peau,

Et s’enfonce à regrets, dessous,

Après quelques remous,

–       mouillée de ses pleurs amers-

Quittant brusquement l’atmosphère,

Pour se reposer au fond,

…Entourée de poissons.

–               L’eau poursuit vers l’aval,

Sa course,                                ( et l’avale ),

Maintenant bondissant ,

De toute la puissance du courant.

La pierre s’était prise à          rêver tout haut,

Qu’elle était                                  un oiseau… .

RC  – 6 décembre 2013


Enzo Corman – précipitation


dessin perso: encre de chine

dessin perso: encre de chine

précipitation

il pleut je sais
de quoi ça parle flots de bile discours
fleuve il pleut des chiens des pierres des
discordes parole de flaque nom d’un chat
la pluie se noie dans un verre d’eau
à quand l’étincelle qui mettra le feu au lac
au temps des vinyles ne pleut qu’en face b
tout de façade notre accord sonne majeur franc et massif
élection de l’alter ego au suffrage unilatéral
il pleut des bouts de tout pour rien

mettons qu’il pleuve c’est à pleurer
pas si tu lis entre les lignes
voyons nous deux c’est pas seulement
le titre du torchon que lit ta mère en cachette de ton vieux
ça pleut dans l’hlm à verse et quand tu veux tu peux — la preuve par la vie
rongée par tous les bouts — ça fuit de partout mais tu es à l’âge
où on s’en fout pas vrai

tu t’la coules douce bébé la pluie fait des claquettes moi je suis
claqué la vie pleurniche qu’elle a pas l’temps
qu’elle a pas l’choix qu’elle a pas eu ce qu’y fallait pour en particulier comme
en général
le mode d’emploi est tombé dans le puits notre idylle est à l’eau
un et un font deux verres sales et une bouteille vide
un robinet qui goutte un roman qui renifle
d’amour et d’eau sale de l’eau dans le gaz
sombrons corps et biens dans le lac d’indifférence

l’immense majorité de l’humanité se baigne tous les jours dans le même fleuve
la coupe pleine de toute éternité
sommes liquidés dès l’amniotique trempés essorés
la vie est un torrent poissons dans les deux sens le saumon croise la truite
ne cherchez plus il n’y a ni début ni fin
je pleus tu pleus nous pleuvons ils pleurent
haut bas fragile mais c’est égal
éclats d’éclaboussures tout n’est qu’éclaboussure
la lune dans la flaque la flaque dans
la nuit le ciel le cimetière l’arrosoir abandonné
il pleut de la lune du glas des regrets éternels
cordes pleuvant et nœuds coulants
coupe pleine depuis toujours déjà
précipitations désamoureuses sur lit atmosphérique
cataracte tempête

liquidation


Benjamin Fondane – Villes


peinture: Wayne Thiebaud            Sunset Street        1985 ( MoMa)

 

Villes

 

Le silence coula sur mes mains

c’était un orage de sable

la ville était pleine de sable

où donc étaient-ils les humains

j’avais beau courir dans le vide

suivi lentement de mes pas, le vide était plus plein

qu’une poitrine gonflée qui fait sauter les pressions,

le vide était si plein, j’avais si peur qu’il n’éclatât

que soudain j’ai pensé qu’il me fallait crier

ressusciter la vie

souhaiter le sifflet des bateaux, des sirènes d’usine

la rumeur des meetings, des fleuves de glace qui cassent

sous la poussée du printemps, les vitrines brisées des grèves générales, le bruit

strident des rémouleurs aiguisant les ciseaux, les couteaux, la criée des poissons dans les halles, les plaintes des marchands d’habits,

des rempailleurs de chaises, des pianos mécaniques et des musiques perforées.

Je vous appelais du fond terreux de mon angoisse

sonorités des étameurs, des camelots, ô chansons nasillardes

des marchandes de quatre-saisons qui font au printemps maladif

l’opération césarienne  -Et peu à peu je vis céder mon insomnie

mes oreilles bourdonnaient, une sorte d’âcre paix, une paix nauséeuse,

pénétra dans mon sang avec une vieille odeur de draps

et mon sommeil ouvert comme une bouche d’égout

buvait les cantiques pieux des machines à coudre,

le ronflement régulier des tuyaux de vidanges, le souffle léger de la vie qui monte et qui grince, ô poulie !

Le bruit de plus en plus fatigué de la vie.

 

 


Du fond de la grande mer, je m’envolerai ( RC )


Du fond de la grande mer je m’envolerai,



 

je serai


Dauphine, je sortirai de l’ombre.






Au long cours,

les courants glacés,






les algues


rapides,




 

des vaisseaux

lointains




 

des notes d’écume sur le vert mouvant,

 

je serai rapide, je
 serai glissante




 




En Antarctique, de mon voyage

 et 
rejoindre






Celui d’entre les Ices,

celui qui glisse sur les
 glaces




 

celui qui déserta




  Le monde d’en bas, l’étroit






mon phoque, à qui l’on a dit




Tu feras rire les enfants ,

tourner des ballons sur ton
 nez.





Nous reviendrons ensemble

portés de 
lit




 

Traversant des poissons

 les bancs serrés



 

Dialogues en notes d’éclair



Princes du liquide



 

Nous rejoindrons la grande mer,



Et son infini


 

RC- 04 2011

( inspiré par les vagues scélérates ), d’Arthemisia

 


Statue de sel ( RC)


A  trouver   dans le biblique des analogies

Avec les  aventures  de la mythologie

Je  vois  de partout des anges, les ailes

Et  au rivages d’océan, des ptits tas de sel

En pays lointains  et ça  –  c’est pas  de bol –

Que la mer soit morte,  ( et que l’eau  s’envole)

Une histoire  à l’eau de rose

Et voilà le sel qui dépose

Sur l’eau qui devient si dure

Car saturée de saumure

C’est pas de nature  à plaire

Aux poissons  de la mer…

Et même  –                  ça les  énerve !!

De se retrouver              en conserves

Même  si c’est  très pratique

car sans camions  frigorifiques …

 

On parle  aussi des miracles

Qui faisaient grand spectacle

Comme Jésus         faisant des ricochets

Sur  la plage,              pleine de déchets

Ou encore  –  la légende, elle  a bon dos –

Se permettre même, de marcher  sur l’eau

Facilité en cela, par                        la teneur en sel

Que l’on pourrait – on l’a dit – ramasser à la pelle…

 

Mais revenons à nos propos légendaires

A ce qu’on peut,              ou ne pas faire…

C’est comme Orphée qui met tout par terre

En regardant derrière, de retour des enfers

Même  si                   c’était pas le paradis

Ya            toujours et partout des interdits !

Orphée, désobéit…           et va se faire  blouser

A vouloir contempler de nouveau,  son épousée

 

C’est comme l’histoire d’la femme deLoth, sans doute paniquée

–    ……..     les épisodes sont ici, assez compliqués-

En bref,         c’est châtiment et punition des hommes

Lorsqu’on s’ décide         à punir la ville de Sodome

Sodome  et Gomorrhe

–         c’était déjà l’horreur –

Fallait préparer les tombes..

Y avait pas des bombes

Qui tombaient  du ciel

Mais s’activer partout – surtout avec la pelle

C’est comme  Orphée            et son retour d’enfer…

 

MissLoth  ne d’vait s’occuper – que d’ses p’tites affaires

Mais elle est trop curieuse, et va fourrer son nez

Dans c’qui la r’garde pas …          Elle va  se retourner

La voilà d’un coup,              changée en fossile,

En statue de sel         ,      comme une imbécile

On la contemple  encore,              au bord de la flotte..

De cette  œuvre d’art…    – on reconnaît bien   Loth !

On voit bien encore,- sculpture vénérable

Cette statue d’artiste,   au milieu des châteaux de sable.

De toute  façon, ça  fait sensation… !!

…. On en a encore parlé…  aux informations !!


Ile Eniger – Tes mots sont ma maison


Souvenir  de  « visite »,   du blog  poétique  de Simadi…

Ceci dit, j’avais  déja  lu et découvert  de fort belles choses de l’auteure, chez Jean-Marc LaFrenière

 

photo: White Minor, mur à Santa Fe

 

Tes mots sont ma maison, j’y entre. Tu as posé le café sur la table et le pain pour ma bouche. Je vois des fleurs dans la lumière bleue, ou verte.

C’est exactement le paysage que j’aime, il a le visage de ta voix. La pluie rince finement une joie tranquille. Aucune barrière, aucune pièce vide.

Désormais tout s’écrit en silence habité. De cette plénitude, je parcours la détermination des choses. L’…arbre porte fièrement ses cerises comme une belle ouvrage.

Il installe une trêve dans l’interstice des branches. Pas de passion tapageuse mais la rondeur du rouge. Un éclat. Des fleurs, encore lasses d’hiver, se sont maquillées depuis peu.

Le soleil astique le cuivre des terres. Peut-on apprendre à reconnaitre l’existence ?

La rivière miraculeusement pleine, inonde son layon. La carriole du plaisir est de passage. Des oiseaux aux poissons, les rêves quotidiens font bonne mesure. Tout est bien.

ILE ENIGER

 

–  voir  aussi  l’anthologie  de Emmila

 

planche botanique curtis


Augusto Lunel – Chant IV


Augusto Lunel  est un poète  « rare »…  dont j’ai eu beaucoup de mal à me procurer des écrits  sur le net…

mais heureusement  j’avais  des archives   « extra net »,   dont  sont  extraits  ces  « chants »…

 

en mars 2012,  c’est  le  chant  3

—–

vitrail: Georges Braque: oiseau violet - fondation Maeght ( 06)

CHANT IV

Rivière en moi,
oiseau qui vole dans mes veines,
la voix qui ne sortait pas
restait suspendue
dans le précipice de la gorge
ou descendait tailler à couteaux le coeur.

La voix enfermée,
la voix dans la chair,
déchaînait la mer avec une larme.

Mais aujourd’hui est sortie la voix
qui coulait dans les veines,
la voix qui brûlait dans les ténèbres.

Une épée coupa le silence
et des nuages de corbeaux volèrent dans le vide.

La rauque obscurité roula par terre
et la panthère noire
qui se débattait dans mes poumons.
Foudre lente et obstinée,
soleil dans la gorge,
la voix de rocher brisé par la voix
a rompu la bête sans bouche.

peinture; John Marin - The Sea, Cape Split,- Washington, Dc

Les vagues chargées de couteaux
déversent dans l’air
des paniers de poissons.

La voix,
ce moment où le sang est transparent,
cataracte vers le haut,
fleuve qui saute le précipice,
est sortie m’emportant.

La voix poussée par des corbeaux,
poussée par des éléphants sous terre
poussée par des baleines,entre en toi jusqu’aux arbres
ou sans sortir de moi
t’entoure.

L’écho a fait crouler les murs,
le silence a brûlé dans le clocher.

Notre coeur sera bientôt notre bouche,
la voix sera vue, touchée et respirée ;

la pluie, uniquement ce que tu chantes.

Vers ta voix émigreront les hirondelles,
vers ta voix se tourneront les héliotropes.
Clair de ta voix sera l’espace,
profond de ta voix l’abîme.

Aujourd’hui c’est la vendange de l’air.

—-

en cliquant  sur le mot  clef  Augusto Lunel,  – (  lien  en bleu sous l’article )  -vous trouverez  d’autres parutions  liées  à cet auteur péruvien,  dont les  chants précédents,par exemple  le 7


Robert Piccamiglio – Midlands – 01


J’apprécie beaucoup les textes  de Robert Piccamiglio;  Poète, il est aussi l’auteur  de romans  et pièces  de théâtre…

Son grand  récit  « Midlands », fait écho  – hommage, à son père, mineur…

en voici un court extrait…   (  j’ai fait attention à respecter  les  retours de ligne).

peinture: Tentation de St Antoine - Jerome Bosch

 

———

Le matin quand je suis parti

Peggy dormait encore.

Ou faisait-elle seulement semblant ?

Mais quelle importance !

elle avait su se montrer si aimante

malgré la tristesse de ses yeux.

Avant de quitter la chambre une main sur la poignée’ de la porte j’ai fait un signe amical aux poissons multicolores enfermés dans l’aquarium.

Toujours en mouvement. Nageant silencieusement. Sans but.

Mais pourquoi dans le fond faudrait-il toujours chercher un but?

De Denvers nous avions filé dès le lendemain vers le Texas. Houston.. La ville près du désert.

De la fenêtre de l’hôtel je l’apercevais au loin. Charnel. Immobile. Mystérieux.

Avec ces dunes déployées

comme des ailes battant d’une mesure millénaire les promesses de l’horizon.

J’ai fermé les yeux

et j’ai pensé à des épaules dénudées

de femmes.

Ces femmes que nous avons cru aimer.

Ou était-ce nous-mêmes que nous cherchions

à aimer un peu plus à travers elles ?

Le matin la fille est sortie la première de la chambre. Je devais dormir. Ou je faisais seulement semblant