Promenade – (Susanne Derève) –

.
Il chemine
Le chemin le précède, bondit à flanc de roche,
enjambe la rivière
et c’est un pont soudain, dont les pierres disjointes
sont envahies de mousses,
puis le village, enfoui dans un repli doré du Causse
où le soleil s’attarde au milieu des vergers.
Il se rappelle avoir observé tout le long du sentier
qui longe le Lot de jeunes arbres fruitiers
fraîchement plantés.
.
Il s’imagine,
loin de l’hiver, reprendre ce chemin
pour en grappiller les fruits mûrs
– poires, coings, cerises –
cerises surtout, en mémoire des bigarreaux volés
de l’enfance,
des mains, des genoux éraflés aux grillages,
des cris, du cœur affolé de la fuite,
– pour finir , ce n’étaient jamais plus de quelques
cerises échappées à la débandade,
écrasées, aigres, doucereuses –
.
Le Lot, fringant des soubresauts de l’hiver,
le sol clair et sonore du sentier.
Au dessus de Changefège, le ciel lui semble
d’un bleu trop pur de photographie truquée,
une fraîcheur nouvelle monte de la rivière
et le fait frissonner,
Il sent le chemin docile sous son pas,
uni, dompté, cueille
dans l’ombre qui s’avance une violette hâtive,
se résout à rentrer.
.
.
Absente aux dahlias – ( RC )

Ô, mon absente,
je vais jeter un pont
entre ces temps
où les jours s’enfuient,
car je t’appelle,
et tu es toujours là:
le cœur ne bat pas
qu’à moitié,
et tu vois,
j’ai redonné de la vigueur
aux couleurs des dahlias,
qui fleurissaient notre jardin…
Ils renaissent à chaque fois
que le cycle de la vie s’embrase,
car tu habites toujours
quelque part, auprès de moi… !
J’attendrai que la lune se lève au-dessus du pont rouge – ( RC )

Est-il vrai que les gouttes de rosée
tombent des yeux de la nuit ? *
Alors j’attendrai que la lune se lève
au-dessus du pont rouge
et qu’elle me sourie,
flottant dans le reflet de la rivière,
alors que les feuilles s’enfuient
pour emprunter ton âme aux nuages…
*(deux vers empruntés à Rabindranath Tagore )
variation sur texte de
Lambert Savigneux
Si tu me demandes où je veux être
Avec toi sous la Lune
Je t’attends sur le pont rouge
Une larme a coulé de la Lune
Le pont rouge est une bouche
Veut-il manger la Lune ?
Sous les arches il y a une barque
L’eau et les fleurs et ton sourire
La lumière de la Lune
Inonde sur la rivière
sur le vieux pont
Nous regardons les feuilles passer.
Le pont de la chanson – ( RC )

Il est ce pont,
ce pont fantôme
qui ne mène nulle part,
– des années folles
où l’on danse
au son du galoubet,
une étrange farandole – ,
le pont de la chanson,
qui s’élance
avec panache
sans filet
sur les eaux du Rhône.
Le pont St Bénezet
avec sa chapelle,
est une sentinelle
qui a perdu ses arches,
l’or de ses pierres,
dans le courant impétueux,
des eaux boueuses.
Appelées par la mer,
luisant comme écailles de poissons,
les eaux du pont dont tu oublies le nom.
Tes fantômes tournant en rond
quand tes souvenirs s’enfuient,
sous le soleil du midi….
le pêcheur à la ligne- Susanne Derève

Georges Seurat – Les pêcheurs à la ligne
L’ombrage,
la dérive lente des corps dans les heures chaudes
de midi,
le lit des eaux de graviers et de pierres,
les berges fraîches des rivières,
le frisson des poissons d’argent.
Sous les arches des ponts ,
le silence habillait le vent d’un tendre écho.
Tu ne me disais rien de sa caresse sur la peau,
du cerne obscur des voûtes grises,
et quittée l’ombre, du soudain vertige
de la lumière, de l’éblouissement du soleil.
Sur la berge dorée, étais-tu ce pêcheur
à la ligne, musette vide,
rêvant d’une truite arc – en – ciel ?
Dansé sur l’eau (Susanne Derève)
Jean DUFY Le Havre 1888
Grande fille des brumes
épousant la nuit
aux mains de bitume
quand le jour s’enfuit
aux bras de métal,
aux mains de laiton
aux yeux de lagune
et peut-être au fond
tout au fond de l’eau
si le temps est clair
sur le sable gris
ou sur une pierre
une étoile nue
fragile anémone
offrant au reflux
sa longue couronne
Fille de la mer et fille du vent
grande fille des airs
au soleil levant
diluant la brume
étreignant le ciel
et ton cœur qui bat
comme un arc en ciel
comme un sang vermeil
au dessus de l’eau
sauté sur le pont
le pont d’un bateau
qui quittait le port
et dansé là-haut
avec les aurores
Raoul DUFY Le port de New York
Anise Kolz – sur moi
peinture P Picasso
J’aime te sentir
sur moi
comme un pont écroulé
ma rivière
polira tes pierres
Florence Noël – branche d’acacia brassée par le vent ( 1 )
Premier mouvement : Presto
et si nous revenions, tu sais, le cuivre des saisons, le parfum blanc l’égarement, si nous revenions à cette source où le jour coule sans discontinuer
et si tu me prenais la main, le premier seuil à dépasser comme un jardin qu’on nomme,
et qu’ainsi on habille et qui s’étonne d’un pied – nous foulons la houle herbeuse
et si nous disions ce mot, éparpillé dans nos silences, rassemblé de ma lèvre, ange, de la mienne pure parce que la tienne, ce souffle encore y œuvrerait
et si nous nous laissions aux berges, main ballante dans l’air levé, si nous nous lisions aux rives, battant l’eau échappée des vapeurs
suffoqués sous les vœux givrés des aubes
encore venir tout de désir
lourds dans la lèvre unique
d’un matin retenir le pelage et sa texture stridulée par le souffle
prodigue et tant penche mon visage qu’il lape
je sais l’enjambée dessus ce pont – profilent ces arbres mères ceinturés de secret – là choit l’enfance et ses sommeils – tu sais ma volte dans leur branches
je sais le précipité de ta silhouette, sa course projetée sur les tessons de pierres, leur vibration de petites ombres, ton corps en avant et tu reçois la première brassée – hoquet brut, poitrine hachurée
je sais le feutre des murmures – ininterrompre laisser fuir – et mon oreille pour les récoltes, tapisserie de lourds dais, nous nous voyions par paravent – vole une feuille colle à ta joue
hurlé au tendre des côtes
la plainte plus tôt forera l’air
en son milieu
par mes poumons orgues à pétrir
cent fois sur le métier pétrir
et de nos blessures
fourrager l’évidence
Marcel Olscamp – Le pont

peinture : Volodia Popov
–
Pendant que nous rêvions
comme des provinces
les secondes s’étendaient
sous le ciel unanime
Maintenant
nous reprenons la route
avec un sentier dans l’oeil
car le pas du monde
recommence à neuf heures
c’est l’heure où l’on se blesse
pour ne pas rentrer
Nous avançons
vers la parole
en prenant soin
de ne pas regarder
les illicites
qui foncent en rugissant
vers la ville
Mais l’heure
n’est jamais la nôtre
et la route s’éloigne
comme un fruit sauvage
sans nous voir
.
Cycle des gouttes recommencées ( RC )
–
A chaque goutte d’eau, le cycle recommencé
ce qui s’enfuit en vapeur, retombe un peu plus tard,
en condensé, et les grandes rivières s’en vont leur chemin
saluées par les arbres qui s’inclinent sur leur destin,
Enracinés d’un apparent immobile,
pendant que plus d’un printemps, des saisons alternées
promettent d’autres senteurs, de nouvelles nappes.
–
On remet de couvert, pour des années dansées,
à l’égard de temps, pour nous, recommencés.
mais en se posant un peu, la tête sur les épaules,
sous les mêmes ponts, coulent des eaux semblables…
la Saône a conservé sa couleur olive,
et le Rhône le bleu-vert , au long cours,
lorsqu’ils se rencontrent en noces liquides.
–
rien ne semble changé, les enfants jouent toujours au parc
nous avons perdu la clé, ce ne sont pas les mêmes,
qui se succèdent, sous l’œil bienveillant
des mères ,tenant par ailleurs très bien leur rôle
à l’ombre des saules…
On aurait pourtant pensé, filmée en accéléré,
que l’éternité se déroulait, recommencée,
–
comme deux gouttes d’eau, dit-on
poursuivant leur cycle
au delà des saisons.
–
RC – 5 mars 2013
–
Après moi, le sommeil ( RC )
-Après moi le sommeil ( à partir d’un tableau de Max Ernst, qui porte le même nom, et qui est le premier que j’ai connu, de cet artiste )
Après moi, le sommeil, s’étend
Lorsqu’un oiseau étend ses ailes,
Je touche le bord de l’étang
Comme si déjà atteint, … il gèle
Souffrir d’arrachement
A partager les rêves
Ni pourquoi, ni comment
Et en phrases brèves
Tu es dans un entre-deux,
Ne plus aimer qu’en rêve,
Ce qui est assez peu,
Pendant que les pierres se soulèvent.
Il n’y a plus d’écho, plus de froid,
Juste un pont suspendu
Entre toi et moi,
La journée s’est perdue.
La chevelure d’un jour automnal,
Emprunte ses couleurs à ma palette,
Ne connaît plus la durée, et s’étale
Comme les restes d’un été en fête.
Après moi l’étendue cassée, de la ligne droite
Par dessus, la ligne de ton épaule,
Après toi le déluge, et ses mains moites
Sous son poids, les branches courbées des saules.
De ton souffle, ll n’y a plus d’horizon,
C’est d’une nuit avant le réveil,
La confusion des saisons,
Pendant notre long sommeil
Où nous voyageons, sans savoir,
L’enchantement d’heures hivernales,
Quelque temps à l’abri des mémoires
Au fond de la nuit, son cristal
RC 28 – septembre 2012
–
Le chemin du rivage ( RC )

une image que vous ne verrez jamais ailleurs, avec le pont de Douvenant, vers St Brieuc ( 22 )
Si le chemin, au bord du rivage
S’allonge au gré de mes pas, c’est errer
Contourner les pentes, dominer les plages
Et emprunter celui des anciennes voies ferrées..
La lumière est mouvante et se déplace
Au gré des courants d’air, qui poussent
aussi les ombres, que des nuées lasses
Déposent en bouquets de couleurs douces
Au delà des sables, les ajoncs
Et le rivage qu’on situe par-delà la baie
Lorsqu’on passe le vieux pont,
Une distance qu’on franchirait d’un trait,
Si on avait les ailes d’une mouette
A voir les choses de haut
En luttant contre l’air qui fouette
le front, au dessus des eaux.
Mais je continue la voie étroite
Suivant les caprices de la côte, le contour
Ne connaissant pas la droite
En impose ses détours
A suivre obstinément le chemin,
Que je parcours sans hâte
Entouré de pins et romarins…
Mais voici que le temps se gâte ….
C’est un prélude à la nuit
Lorsque le ciel s’épaissit
Et qu’arrive aussi la pluie,
Sous un ciel obscurci
Que quelques lueurs parcourent…
Il est trop tard pour l’éviter
Et envisager le retour …
S’il le faut, j’irai m’abriter
Pour l’instant, je poursuis ma route;
Des éclairs lointains l’illuminent
Et tombent, éparses, quelques gouttes
Tandis que je chemine …
Lentement, le paysage défile :
La terre humide, à mon nez , se parfume
La baie s’est emplie de brume,
On distingue à peine les îles…
Une lumière intermittente traverse
Là-bas, la colonne d’un phare
Situé un peu à l’écart
Sous le rideau de l’averse
Dans ma poche, pour écrire, quelques papiers
En hâte, pliés
Mais qui sont déjà mouillés
Et d’un reste d’encre, souillés…
RC – 30 juillet 2012