Marcel Migozzi – jardin ouvrier
30 juillet –

Je vois ton jardin ouvrier, tes outils
(ai-je hérité de leur patience ou de leur tranchant ?)
Dans cette lumière délabrée des soirs non loin
du port de guerre, sur 20 m2.
La gravité de ton visage me troublait
Quand tu ouvrais pour les tomates devant moi
Des rayons à fumer d’origine terrestre,
Ou me soulevais dans tes mains d’altiplanos
Pour m’éloigner du puits sans margelle, autrefois.
Souvent je passe entre ces tours de 20 étages
Où grimpent les souvenirs de tes tomates.
Tu as disparu ailleurs, au-delà des mottes.
Le puits s’est tu dans le béton. Souvent je passe
Comme à la recherche de ces graviers humides
Piétines par un père autour d’un arrosoir
Et qui vaudraient une fortune, maintenant
- à mon père –
extrait de « les heures jardinières »
La mer – ( Susanne Derève) –

.
Tapie , retranchée dans la nuit
je la devine à son long battement
de métronome ,
à la fulgurance de ses phares ,
à leur éclat – deux rouges un vert –
marquant l’entrée du port
Je la devine mordant la plage
où la vague prend son essor
tutoie le ciel ,
dérobe un éclat de silence ,
et se saborde sur le sable ,
le sable froid des nuits d’été
La mer …
Je la devine essuyant les rochers
d’un blanc suaire d’écume
sous le vol lourd des goélands,
à son chant de cloche brisée
lorsque forcit le vent .
Départ – ( Susanne Derève)

Un ciel de nuit
mais les nuages à l’horizon blanchissent déjà
Tu pars
les lanternes des grues rougissent comme des phares
silence ensommeillé
qui sonne doucement de l’ébranlement des trains
du chuintement régulier des essieux
de leur halètement sourd
du chant atone des sirènes
– voix de basse des cornes de brume
émergeant du brouillard –
du claquement des toiles au vent
sonne d’un au revoir et d’un baiser mouillé
d’une écharpe qu’on noue
et d’un bonnet serré autour des yeux
Sous la pluie qui noie les lumières de l’aube
Tu pars
Jacques Guigou – Augure du Grau
dessin- aquarelle: Paul Signac
Parti
le port assombri
il frémit
le marcheur de la nuit
grâce à la persévérance des vagues
son pas s’efface
sur la page du rivage
passé la prise d’eau de Salins
il rallie
la course de l’étoile de l’Ourse
elle qui deviendra noire
mais qui pour l’instant
l’irradie »
Jacques Guigou 2012
Le soleil ne déçoit pas les mots – ( RC )
peinture: Albert Marquet: contre-jour à Alger
Je dépose sur la page quelques mots.
Il n’y a pas d’heure, pour ces quelques
flocons noirs éclairant le jour à leur façon.
Une promenade les déplace,
trois silhouettes s’en détachent,
le soleil ne les déçoit pas,
( je n’ai pas encore défini leurs ombres
et j’invente du sable sur une plage,
un port exotique qui n’existe pas encore ).
Je les accompagne
de quelques notes de musique;
elles se dispersent sur la rive .
Un rythme me vient.
Je l’accompagne d’une lueur matinale,
comme une incidence portée dans le texte .
Mon langage parfois m’échappe.
– je suis distrait de mes pensées –
Le bateau est parti sans que je ne m’en aperçoive.
–
RC – dec 2019
Jean- Claude Pinson – le nom des bateaux
Je vais au port pour le drôle de plaisir
de lire les noms des bateaux
ils font comme un poème grandeur nature :
korrigan annaïg scrabic eldorado
canaille ajax cathy jabadao gavroche
liphidy malamok piano-piano
vers l’aventure…
poème écrit en couleurs très criardes
en croyant fermement à la magie du verbe
peut-être la même foi qu’avaient ceux
qui gravaient des signes énigmatiques
sur le granit des tumulus
poème tous les ans refait
d’une couche de peinture marine
il faut bien ça pour résister au temps
qu’on ne voit pas bien sûr
mais sans cesse il racle en sourdine
creusant comme la drague qui geint dans le bassin
poème guttural bercé le long des quais
à la fois d’avant-garde et naïf
à lire sans risquer le haut-le-cœur
ce n’est pas un poème où l’on pleure
sur son sort ou celui des travailleurs de la mer
poème endurci au contraire
par le sel des tempêtes…
A l’aplomb de l’enclume (Susanne Derève)

Pierre Péron – Brest
Miroir de brume
soleil voilé
exactement à l’aplomb de l’enclume
doux reflet du métal
et le bruit sourd que fait le marteau
sur l’étal
Le clapotis de l’eau
dans les soutes
le pas des hommes et le pavé
qui claque
un air de jazz abandonné au vent
et le vent qui l’emporte
et l’emporte le temps
comme le son volé
à la corne de brume
son voilé sitôt dissout
dans la pluie fine froide
je serre sur mes épaules
mon imperméable
j’écoute
la musique de la nuit
au fond des cales
le chant des hommes
celui des gouttes d’eau
dans les flaques
celui du jour qui se lève
avec le long mugissement
de la ville
qui répond
à celui de la mer
à celui des bateaux qui rentrent
au port
à la criée
au jasement des mouettes rieuses
qui tournent tournent longtemps
avant de fondre sur leur proie
leurs ailes battant l’air
j’écoute
la voix de l’homme qui les disperse
et ceux là-bas
qui embarquent
sans repères
passé le dernier fanal
dans le fracas
de la haute mer
Pentthi Holappa – les navires naufragés
peinture: Katheryn Holt naufrage
LES NAVIRES NAUFRAGÉS
Il n’y a pas d’abri contre la douleur, ni sous une cuirasse
ni dans le ventre de la mère. Y en aurait-il dans une
urne funéraire?
Prends garde aux nuits de pleine lune, quand la mer
reflète
les lumières de la ville !
Le ciel pourrait s’effondrer sur tes épaules.
Ta foi fragile dans les anges du ciel pourrait
se briser, si tu les voyais cueillir sur les récifs
les brassées d’or
des navires naufragés.
Tu te mettrais à pleurer, après l’esquisse d’un sourire.
L’homme est un enfant, qui même sous les coups n’apprend pas
que les miracles s’effacent dès qu’on les
contemple.
Ceci
n’est pas le pire malheur, mais plutôt de rester
au port
quand les anges déroutent les bateaux vers les hauts-
fonds.
Dansé sur l’eau (Susanne Derève)
Jean DUFY Le Havre 1888
Grande fille des brumes
épousant la nuit
aux mains de bitume
quand le jour s’enfuit
aux bras de métal,
aux mains de laiton
aux yeux de lagune
et peut-être au fond
tout au fond de l’eau
si le temps est clair
sur le sable gris
ou sur une pierre
une étoile nue
fragile anémone
offrant au reflux
sa longue couronne
Fille de la mer et fille du vent
grande fille des airs
au soleil levant
diluant la brume
étreignant le ciel
et ton cœur qui bat
comme un arc en ciel
comme un sang vermeil
au dessus de l’eau
sauté sur le pont
le pont d’un bateau
qui quittait le port
et dansé là-haut
avec les aurores
Raoul DUFY Le port de New York
D’où partaient les navires – ( RC )
Il y a un port d’où partaient des navires,
( en tout cas, on voit une jetée
qui s’avance, en briques descellées,
d’un timide assaut vers le large,
où le gris s’étale, indifférent ) .
L’endroit est déserté,
de gros anneaux sont rouillés.
Peut-être est-ce le reste d’une ville
se prolongeant au-delà,
engloutie petit à petit,
malgré son orgueilleuse suffisance,
colosse aux pieds d’argile,
dont le corps plonge aussi
dans le sommeil de ce qui a été.
Seules veillent les mouettes.
Il y a un port d’où partaient des navires,
on peut le penser.
Mais , attirés par le lointain,
derrière la ligne pâle de l’horizon ,
ils ne sont jamais revenus,
emportant les derniers habitants
de la cité délaissée,
peu à peu lézardée.
Elle finit par sombrer
comme un de ces vaisseaux
mal entretenus,
où l’eau finit par se faufiler
partout entre les rues .
Seul, un promeneur , venu de nulle part …
–
RC – mai 2016
Jean-Jacques Dorio – Il n’y a pas de mots pour la peinture
pour Guy TOUBON
Il n’y a pas de mots pour la peinture
Il y a le concert dans le champ des couleurs qui s’irisent
Il y a un port vêtu de grandes coques noires et de probité candide
Il y a un port et ses navires au tranchant de la brosse dans les bouteilles d’encre des porte-conteneurs
Il y a ce paysage sans cesse visité dont il ne faut pas faire une montagne mais lumières de pourpre d’or et de mystère,
sur cette toile présente où toute réalité se dissout et nous invite à Renaissances !
—
La lumière a ton regard ( RC )
–
–
À quoi ressembleront tes yeux ,
S’ils reflètent les flaques du ciel,
A travers vents et colère,
Traversant l’amer… ?
–
Se précipite la déchirure du ciel,
Le roulis des nuées grises,
Le plomb du poids des vagues,
S’écrasant sur la coque.
–
Sillage de solitude,
Je suis l’oiseau des îles,
Aux ailes immobiles,
Parcours, inattendu,
–
Sérénité repoussant l’orage,
Dépliant ses pages,
Hors du chaos du monde,
Guidant le voilier à bon port.
–
Si la mer, s’ouvre soudain,
Comme dans la légende,
Et laisse ses murs de verre,
Comme en suspension,
–
Et si tes yeux ainsi,
Retrouvent leur lumière,
Alors, je pourrai peut-être
Croiser à nouveau ton regard.
–
RC – 17 septembre 2013
–
Georges Henein – Beau fixe
BEAU FIXE
dans cinq ans Je serai…
dans dix ans j’aurai…
dans quinze ans on me…
l’avenir occupe un homme
l’avenir presse un homme
l’avenir a de larges poches et l’une d’elles précisément épouse la
forme virile d’un pistolet
un regard sur une carte ; là germe l’ivoire, là le tungstène
II fait noir dans cette île où accoste un homme
il y a des cris étranges dans ce port où débarque un homme
voix et silences se cherchent, — tout est mal réparti
je ne reconnais plus mes silences, dit une femme angoissée dont le
visage n’est pas à décrire
à la douane on déclare ses souvenirs d’enfance
un homme est seul dans une rue qui est la seule rue d’une fie
on a donné à un homme de fausses adresses dans une île des plus closes
vous n’aurez qu’à vous recommander de mol et vous vous verrez
choyé et entouré
mais un homme est des moins choyés et des inoins entourés dans une île qu’il ne prévoyait pas aussi close, il y a un bateau par génération, lui dit-on, d’un air la», au bureau des renseignements d’une île
dans vingt ans un homme voguera de nouveau
l’avenir en tête
la tête blanchie
Georges Henein
• Troisième Convoi », I946
in « Le livre d’Or de la poésie française contemporaine
tome 1
— ( Marabout Université )
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-G Henein écrivait par ailleurs; Il existe des guerres justes. Mais le propre des guerres justes est de ne pas le demeurer longtemps.
Carnet de notes 1940-1973 (1980), L’Esprit frappeur
Source : Georges Henein – Ses citations – Dicocitations ™ – citation
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