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Petite mère (3) – ( Susanne Derève) –


Anna Ancher – Mère de l’artiste –

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Petite Mère qui fredonnes,
tu tiens entre tes bras une poupée de chiffons
et tu fredonnes

Vieille, si vieille tu es,
tu en oublies que tes bras m’ont bercée,
tu en oublies jusqu’à mon nom,

comme ces fleurs de givre
que la nuit a semées et que le jour défait,
tu en oublies les mots de la chanson

et le chant lui-même s’efface, petite Mère,
t’abandonne,

et c’est moi , à présent , qui doucement fredonne

.

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Azem Shkreli  – Le baptême du Verbe




peinture :Ilya Repin – la fille du pêcheur (1874)


Je n’ai pas fait de toi une poupée mais conçu un enfant

Sous le fouet de ta peine étant peut-être torturé moi-même
Tu béniras comme une offrande la soif et la faim
Que te donna un messager attardé, roulant sans amertume

J’ignore les caresses car je t’ai tiré d’un sang
Acre, ce qui rendait vaines les sages leçons
A présent, tu ne souffres pas de ma plaie à moi, mais
De ce qui cause ton désespoir et mes désillusions

Tu suscites et supplies sans fruit
Le silence automnal qui s’insinue de par mes membres
En cette folie qui nous habite tu peux te jeter à ta guise
Mais en aucune façon te soustraire au destin de ta ville de Troie

texte issu du recueil  » Kosovo dans la nuit « 


Bassam Hajjar – Ils recouvrent de blanc ton absence


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Lorsque tu la quittes
ses murs se rapprochent
la maison qui, délaissée,
trouve son âme dans un coin
et devine, depuis un instant seulement,
la toile d’araignée qui pend
dans le familier
devenu vacant.

S’éloigne-t-elle maintenant ?

Ou bien la fais-tu basculer dans le vide

de tes yeux mouillés

dans tes mains

dans le grand air

des lieux éloignés

comme si la fenêtre derrière toi

regardait vers le dedans

et s’éloignait à son tour

tandis que t’absorbent la rue et le tournant
avec une boule dans la gorge
de la taille de l’océan.

Elle ne te voit plus maintenant
la maison qui se blottit dans les entrées désertes de son âme
comme si dans le silence de ceux qui restent, là-bas,
elle baissait la tête et prêtait l’oreille
à l’écho des pas d’hier

à l’écho du rire ou du chuchotement dans les salles de séjour

et les chambres

dans la cuisine

sur les étagères et la table
dans les coeurs étincelants des bouteilles d’eau et de cognac.

Comme si elle devinait
que la petite femme
habitait toujours son coeur
et marchait pieds nus pour ne pas troubler la quiétude
dans son esprit brisé,
comme un murmure
qui s’élèverait en elle, .

et de ses flancs
coulerait l’aigreur de l’attente.

Comme si, quand nous partons, c’était la maison qui nous
quittait,

les tableaux et les étagères descendent des murs
les récipients s’en vont
les meubles aussi
la couleur quitte la maison
tandis que les rideaux restent tirés sur son secret
ainsi que les amantes.

Comme elle est nomade, la lumière
et comme l’ombre est sédentaire

Et les maisons dans la mémoire sont des chambres obscures
des couloirs
la respiration tranquille des draps endormis
réfugiés dans la béatitude de leur bleu
seuls et lisses
seuls et creux comme les veuves
les veuves que sont les maisons
lorsque nous nous éloignons d’elles,
que nous faisons signe de loin
et qu’elles font signe de loin.

Puis la trame de l’horizon se relâche

et l’air se tend,

ni l’oeil ne voit

ni les fenêtres ne clignent

et entre eux la distance commence à se remplir, le temps
commence à creuser.

Ma fille distribue-t-elle en ce moment les rôles du soir ?

Discute-t-elle avec sa voisine la poupée ?

Fait-elle manger Snoopy avec sa petite cuiller ?

Trouble-t-elle l’esprit tranquille de la maison ?
Ou bien dort-elle ?

Et quand la mer passe dans sa nuit
elle se retourne, comme sur l’écume d’une vague,
et son visage s’éclaire, halo de sommeil.

La somnolence c’est aussi les maisons
leur apanage et leurs fantômes cachés
lorsque l’air, alourdi par la fumée et les lampes du soir,
endort la petite femme sur le canapé
tandis que se noie la table du bureau
dans le flot des néons
que bâillent les papiers et les livres
que s’arrête le poème.

Lorsque tu la quittes
ses murs s’écartent

La maison, vaste,
imite le désert des livres
le hurlement des loups au loin
tandis qu’un écho s’écoule de ses flancs.

Qui est l’absent ?

Les choses sont à leur place, sauf toi
les choses sans toi
te cherchent là où tu n’es pas.

Ils te voient là où tu n’es pas.

L’absent est avec eux
dans la photo, sur la chaise, derrière la table,
derrière la fenêtre,

ou bien tu avances, sous leurs yeux, dans la rue
les pieds exilés et le torse maigre.

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Max Jacob – Un chapeau d’instituteur


André Utter

peinture:       Suzanne Valadon

 

Du large je ne reconnais pas ma maison sur la falaise :
on l’a passée au lait de chaux.

Du bourg je ne reconnais pas ma maison sur la falaise :
on a mis de l’ardoise au lieu de chaume.

Du sentier je ne reconnais pas ma maison sur la falaise :
on a mis une grille en fer.

Et du coup mon cœur se fond,
il y a un lit de ville à la place du lit clos.

Je partirai sans vous regarder, Marie,
car sûrement vous avez des paillettes sur votre robe au lieu de broderie,
et une coiffe de poupée sur vos cheveux, effrontée !

Adieu, Marie, il y a une odeur de pipe dans la maison
et un chapeau d’instituteur sur la table.

Max JACOB « Poèmes de Morven le Gaélique » (Gallimard)