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Foroukh Farrokhzâd – il n’y a que la voix qui reste


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peinture:  Arpad  Szenes

Pourquoi m’arrêterais-je, pourquoi?
Les oiseaux sont partis en quête d’une direction bleue
L’horizon est vertical
L’horizon est vertical, le mouvement une fontaine
Et dans les limites de la vision
Les planètes tournoient lumineuses
Dans les hauteurs la terre accède à la répétition
Et des puits d’air
Se transforment en tunnels de liaison.
Le jour est une étendue,
Qui ne peut être contenue
Dans l’imagination du vers qui ronge un journal

Pourquoi m’arrêterais-je?
Le mystère traverse les vaisseaux de la vie

L’atmosphère matricielle de la lune,
Sa qualité, tuera les cellules pourries
Et dans l’espace alchimique après le lever du soleil
Seule la voix
Sera absorbée par les particules du temps
Pourquoi m’arrêterais-je?
Que peut être le marécage, sinon le lieu de pondaison des insectes de pourriture
Les pensées de la morgue sont écrites par les cadavres gonflés
L’homme faux dans la noirceur
A dissimulé sa virilité défaillante
Et les cafards…ah                 Quand les cafards parlent!
Pourquoi m’arrêterais-je?
Tout le labeur des lettres de plomb est inutile,
Tout le labeur des lettres de plomb,
Ne sauvera pas une pensée mesquine
Je suis de la lignée des arbres
Respirer l’air stagnant m’ennuie
Un oiseau mort m’a conseillé de garder en mémoire le vol
La finalité de toutes les forces est de s’unir, de s’unir,
À l’origine du soleil
Et de se déverser dans l’esprit de la lumière
Il est naturel que les moulins à vent pourrissent
Pourquoi m’arrêterais-je?
Je tiens l’épi vert du blé sous mon sein
La voix, la voix, seulement la voix
La voix du désir de l’eau de couler
La voix de l’écoulement de la lumière sur la féminité de la terre
La voix de la formation d’un embryon de sens
Et l’expression de la mémoire commune de l’amour
La voix, la voix, la voix, il n’y a que la voix qui reste
Au pays des lilliputiens,
Les repères de la mesure d’un voyage ne quittent pas l’orbite du zéro
Pourquoi m’arrêterais-je?
J’obéis aux quatre éléments
Rédiger les lois de mon cœur,
N’est pas l’affaire du gouvernement des aveugles local
Qu’ai-je à faire avec le long hurlement de sauvagerie?
De l’organe sexuel animal
Qu’ai-je à faire avec le frémissement des vers dans le vide de la viande?
C’est la lignée du sang des fleurs qui m’a engagée à vivre
La race du sang des fleurs savez-vous?

Traduction de Mohammad Torabi & Yves Ros.

 


Nicolas Sarafian – foule et solitude


 

Erevan et mont Ararat  :  provenance

 

Nicolas  ou Nigoghos   Sarafian est un auteur  arménien,

qui s’est exprimé  sur le génocide perpétré en son pays,  et dont  on peut  retrouver  des extraits  sur cette page  pdf

 

http://bibliotheque.agbueurope.org/wp-content/blogs.dir/19/files//2007/10/expo_armenie_extraits_litteraires.pdf

 

ainsi  que  dans le blog  de poésie  arménienne   (  quelques  textes  sont  traduits  en français)

« J’aimais la foule, quelquefois. Dans la grande ville, de rue en rue, les soirs, je me livrais au courant du fluide électrique émanant de milliers de corps. Je m’enivrais au bruit marin des innombrables pas. Mais peu à peu, au fil des ans, cette foule m’a jeté dans la solitude. J’ai reconnu la différence entre eux et moi. Et j’étais seul dans ma différence. Et une nuit, sur un trottoir visqueux de

pluie, dans les lumières diverses qui étincelaient au fond du miroir noir, je me suis soudain senti
au-dessus du vide. L’étranger.Mais également un mal plus cruel encore. La terre était seule, errante dans l’espace. Seuls et errants étaient les êtres. Et en même temps l’individu était absent.

Je songeais que l’homme avait été ainsi depuis l’époque préhistorique. Il marchait, parlait, mangeait,

copulait,riait, pleurait, se sacrifiait, poursuivant toujours un mirage, attendant toujours un avenir
qui ne vient pas. Le trottoir bouillonnait sous mes pieds, des pourritures de milliers d’années. Et
moi, seul et errant, je me demandais ce qui se préparait.
Un chrême* ou une mixture infernale ? Le

trottoir mouillé du sang d’innombrables vers écrasés. Et les lumières blanches et rouges, vertes et
jaunes des boutiques de luxe qui éclairaient les teignes de la pluie par milliards et qui donnaient
aux passants un masque funèbre comme s’ils fussent tous des morts, se reflétaient dans le trottoir
mouillé, remuaient là quelques générations de méduses et de vipères visqueuses et grouillantes.

J’avais vu la civilisation, mon rêve d’adolescence…

Je l’avais vue et je m’y perdais… »


Françoise Ascal – 3


Nouvelle  et dernière  « parution » sur cette  suite  qui en comporte cinq…

découvrir  autrement Françoise  Ascal, c’est  sur le site  de Claude Ber,  qui nous fait partager des créations littéraires intéressantes…

 

 

photo: Alvarez-Bravo: photographe mexicain

 

3

“Travail de deuil”…
Ne veux pas le faire, ce boulot. Veux laisser les plaies ouvertes, veux être traversée par d’éternelles douleurs intimes. Veux les nourrir, leur donner la becquée pour que jamais jamais ne meurent les visages aimés. Un jamais de pacotille, on le sait, à la mesure du dérisoire, un jamais naïf de fillette, une promesse d’ivrogne, une volonté d’irréalité, une crispation d’utopie, une insoumission . Non. Pas de travail de deuil. Pas d’accommodement. Pas de douceur. Pas de résignation. Pas de sagesse. Mais le mal nourricier, la blessure fertile, la blessure-rivière-vive travaillant au secret du corps, irriguant la chair, jaillissant en rébellion, en étincelles de tristesses lumineuses. Contre l’oubli.

Et pourtant.

“ Mémoire qui tue…
mémoire qui étouffe à petit feu..”. Excès de déchets organiques, pourriture lente formant vase au fond du cœur. Et l’on suffoque, et l’on s’égare à vouloir trouver le chemin inédit, le sans-trace, le non-balisé par les ancêtres, par la forge du temps, par la puissance de l’Histoire ou la pression des événements, même futiles, même anodins, même attendus. Sortir. Out. Sortir. Out. EXIT. SORTIR. ANY WHERE OUT THE WORLD. Trouver la passe, trouver l’issue, trouver la fente la faille la fêlure la fenêtre la face ou la farce, mais sortir. Sortir du pré du pré vu du pré paré du pré cité du pré posé du pré dit , quitter les pré dispositions, abandonner tout centre de gravité, rejoindre le nu d’un intervalle, la vacuité d’un interstice, percer la poche du circonscrit.

 

 


Emily Dickinson – la Terre est brève


peinture: artiste non identifié ( faisant partie d'un dossier sur les artistes noirs-américains)

 

 

Je me dis : la Terre est brève –

L’Angoisse – absolue –

Nombreux les meurtris,

Et puis après ?

 

Je me dis : on pourrait mourir –

La Meilleure Vitalité

Ne peut surpasser la Pourriture,

Et puis après ?

 

Je me dis qu’au Ciel, d’une façon

Il y aura compensation –

Don, d’une nouvelle équation –

Et puis après ?

 

On apprend l’eau – par la soif

La terre – par les mers qu’on passe

L’exaltation – par l’angoisse –

La paix – en comptant ses batailles –

 

L’amour – par une image qu’on garde

Et les oiseaux – par la neige

 

I reason, Earth is short—
And Anguish—absolute—
And many hurt,
But, what of that?

I reason, we could die—
The best Vitality
Cannot excel Decay,
But, what of that?

I reason, that in Heaven—
Somehow, it will be even—
Some new Equation, given—
But, what of that?

Émily Dickinson

 

Curieusement  ayant cherché  « l’original »,  je  n’ai trouvé  que trois  strophes…

 

image - artiste non identifié, même provenance que plus haut