Anselm Kiefer – peinture & collage de paille Nüremberg 1982
Ces champs de silence impénétrables Les prières doivent faire des détours laissent déjà des traces comme des pattes d’oiseaux ancrées encore dans la chair Néant néant Le souffle savait encore quelque chose de I’amour La mort habite trop près Ici le monde dit : Que cela soit – Amen –
Dans la nuit, Couleur de ma peau, ciment des mystères, Silence du soleil, démence des despotes Un rêve instable murmure les hauts faits de l’histoire Déplisse les cicatrices habitées par le temps
Dans la nuit, Royaume des maudits, forteresse à jeun, Forêt de peurs et de pleurs Le goût de la lumière allumera-t-il la colère Brisera-t-il la tutelle de l’ignorance et de l’impudence ?
Dans la nuit, Baptistère et suaire des prières, Terreau et tombeau des songes, L’étreinte de la douleur vient froisser une tapisserie défaite Elle effrite une mosaïque déjà en miettes
Dans la nuit, Abri et prison du désir et des promesses Mon pays affamé, craquelé, se réveillera-t-il ? Mes frères bâillonnés, malmenés, se lèveront-ils ? Malgré la misère, malgré les chimères Malgré les convulsions des illusions Libéreront-ils des mots d’aurore et d’ambre ? Ils chanteront l’espoir, Sanctuaire de l’audace et de la foi, Demeure de la sagesse qui domine les hasards.
Il y a une contrepartie : On ne peut y accéder qu’après avoir laissé son corps au magasin des antiquités , ceci dit on est beaucoup plus léger
et on ne compte plus ses efforts pour emprunter l’escalier qui a necessité d’abord je ne sais combien de menuisiers.
Au début on est très nombreux à vouloir accéder à l’infini que certains appellent le Royaume des cieux mais certains s’impatientent
ils trouvent la progression trop lente – ( étant pris de doute sur la destination de la route , et pourquoi cette pente ). Bien entendu pour accéder au ciel
il faut penser à l’essentiel, non pas au monotone : et comme pas mal abandonnent – ont-ils perdu la foi ? – pourtant ils ne portent pas de croix !
Toujours est-il que , sur les inscrits les candidats se raréfient, c’est ce qui explique, en toute logique que l’escalier se rétrécit .
La progression est plus facile, quand la population est divisée par mille, – où sont passés les autres encore – ça je l’ignore car ils ne visent pas le haut.
Comme dans les jeux vidéo
ils sont bloqués au niveau inférieur
et pour leur plus grand malheur
ne disposent pas de vie de rechange,
de quelque astuce ou ficelle
( ni de l’aide des anges qui ne prêtent pas leurs ailes ). Et puis — est-ce une vision d’optique, correspondant aux mathématiques : les côtés de l’escalier
sont difficiles à mesurer : la vie éternelle ne tient pas compte des parallèles : ne vous inquiétez pas pour autant: comme je l’ai dit : vous avez tout votre temps
déjà vous avez dépassé les nuages vous êtes sur le bon chemin à cheval sur votre destin n’oubliez pas vos prières, ne croyez pas aux chimères
ne regardez pas en bas – Attention au vertige ! Progressez comme ça : c’est déjà un prodige d’avoir quitté la terre
Comment, vous ne voyez toujours rien ? Ah , mais tous les paroissiens qui entreprennent ce voyage clés en mains ne peuvent tirer avantage
de rencontrer les saints enfin pas tout de suite : la visite, certes, ….est gratuite, mais de ce belvédère il est difficile de voir St Pierre :
Ce n’est pas un défaut de vision, mais cela doit beaucoup aux conditions atmosphériques : même avec un guide c’est encore Dieu qui décide, et ses desseins son impénétrables…
Comment ça, c’est discutable ? Si vous avez une réclamation à faire après votre grimpette adressez-vous au secrétaire qui examinera votre requête…
Le temps rit de toutes ses dents , appelle la calligraphie mobile des arbres, le hennissement des chevaux et l’éternuement des nuages . ( toujours pressés, ceux-là ! ) .
Les hommes se sont un jour approprié le paysage, en traçant de longues pistes, cultivant jusqu’au fleuve.
Pour marquer leur emprise, ils ont construit un temple, aux lourdes pierres, abritant l’esprit des dieux, pensant dialoguer avec l’éternité.
Mais on ne l’a pas à l’usure. La lune brille toujours entre les branches. Oui, ce sont d’autres branches, et d’autres arbres. Et d’autres hommes sont passés,
ont vécu, puis sont partis, abandonnant leurs dieux , coincés dans les sanctuaires. Désormais vides de prières.
Les statues regardent dans le vide, ( ou plutôt leur regard s’est voilé ) , couvert de mousses. La jungle a repris le dessus : > la nature a horreur du vide.
Nous vivons ici-bas une main serrée sur la gorge. Que rien ne soit possible était chose connue de ceux qui inventaient des pluies et tissaient des mots avec la torture de l’absence.
C’est pourquoi il y avait dans leurs prières un son de mains éprises du brouillard.
J’étais endormie quand il est mort. J’ avais appelé l’hôpital pour lui dire encore bonne nuit, mais il avait disparu sous des couches de morphine.
Je tenais le récepteur et j’ai écouté sa respiration laborieuse à travers le téléphone, sachant que je pourrais ne jamais l’entendre à nouveau.
Plus tard, j’ai rangé tranquillement mes affaires, mon cahier et stylo. L’encrier de cobalt qui avait été le sien. Ma coupe de Perse, mon coeur pourpre, un plateau de dents de lait.
J’ai monté lentement les escaliers, comptant les marches : quatorze , l’une après l’autre.
Je tirai la couverture sur le bébé dans son berceau, embrassai mon fils endormi, puis me suis allongée à côté de mon mari et ai dit mes prières.
Il est encore en vie, je me souviens avoir chuchoté. Ensuite je me suis endormie.
Je me suis réveillée tôt, et alors que je descendais l’escalier, je savais qu’il était mort. Tout était calme, il y avait encore le son de la télévision qui avait été laissé dans la nuit. C’était sur une chaîne d’arts . Il y avait un opéra .
J’étais attirée par l’écran quand Tosca a déclaré, avec puissance et tristesse, sa passion pour le peintre Cavaradossi. C’était une matinée froide de Mars et j’ai mis un pull.
Je levai les stores et la lumière est entré dans le studio. Je lissai le lourd tissu de lin drapant ma chaise et ai choisi un livre de peintures de Odilon Redon, l’ouvrant sur l’image de la tête d’une femme flottant dans une petite mer. Les yeux clos. Un univers pas encore marqué ,contenu sous les paupières pâles.
Le téléphone a sonné et je me suis levée pour répondre.
C’ était le plus jeune frère de Robert, Edward. Il m’a dit qu’il avait donné un dernier baiser à Robert de ma part, comme il l’avait promis. Je restai immobile, frigorifiée; puis, lentement, comme dans un rêve, je suis retournée à ma chaise. A ce moment, Tosca a entamé le grand aria «Vissi d’arte. » J’ai vécu pour l’amour, j’ai vécu pour l’art. Je fermai les yeux et croisai mes mains.
La Providence avait choisi comment je pourrais lui dire adieu.
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PS
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(traduction RC )
peinture : Les yeux clos, Odilon Redon, 1890
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I WAS ASLEEP WHEN HE DIED. I had called the hospital to say one more good night, but he had gone under, beneath layers of morphine. I held the receiver and listened to his labored breathing through the phone, knowing I would never hear him again. Later I quietly straightened my things, my notebook and fountain pen. The cobalt inkwell that had been his. My Persian cup, my purple heart, a tray of baby teeth. I slowly ascended the stairs, counting them, fourteen of them, one after another. I drew the blanket over the baby in her crib, kissed my son as he slept, then lay down beside my husband and said my prayers. He is still alive, I remember whispering. Then I slept. I awoke early, and as I descended the stairs I knew that he was dead. All was still save the sound of the television that had been left on in the night. An arts channel was on. An opera was playing. I was drawn to the screen as Tosca declared, with power and sorrow, her passion for the painter Cavaradossi. It was a cold March morning and I put on my sweater. I raised the blinds and brightness entered the study. I smoothed the heavy linen draping my chair and chose a book of paintings by Odilon Redon, opening it to the image of the head of a woman floating in a small sea. Les yeux clos. A universe not yet scored contained beneath the pale lids. The phone rang and I rose to answer. It was Robert’s youngest brother, Edward. He told me that he had given Robert one last kiss for me, as he had promised. I stood motionless, frozen; then slowly, as in a dream, returned to my chair. At that moment, Tosca began the great aria “Vissi d’arte.” I have lived for love, I have lived for Art. I closed my eyes and folded my hands. Providence determined how I would say goodbye.
Les visages apparaissent dans la nuit comme des prières,
avec des hymnes gravés sur leur front,
et comme les rivières l’ont fait, la terre l’a fait,
ce siècle est de les noyer,
les plier dans des pages non lues de l’histoire.
Avril est rempli de sons du printemps
et la voix des duduks sur le sable.
Je ne peux pas enterrer le passé tranquille,
Ainsi, chaque année j’écris au printemps,
lorsque le sang saigne des fleurs.
Faces appear at night like prayers,
with hymns etched upon their foreheads,
and as rivers did, as land did,
this century is drowning them,
folding them into history’s unread pages.
April is full of the sounds of spring
and the voice of duduks on the sand.
I can’t bury the quieted past,
so every year I write in spring,
when blood bleeds from flowers.
–
du site de la poésie arménienne, traduction perso.