Purgatoire – ( Susanne Derève)

Aimais les dernières feuilles rousses
aux arbres
de celles qui s’accrochent
aux branches nues comme un adieu
tandis que l’hiver facétieux fait table rase
des feuillées,
s’étiolent dans un souffle
que la lune ranime
d’un pâle éclat de givre dans la nuit
de Janvier
Aimais les froids matins d’hiver,
ensommeillés de gel,
le tintement grêle de la cloche à midi
zébrant le ciel à la volée,
d’un bleu de porcelaine
plus pur qu’au plein d’été
Et sur le parvis glacé dessous
la flèche du clocher les messieurs
à bedaine et les dames serrées
dans leurs manteaux de laine
noirs
les enfants lorgnant
les flaques du trottoir
avant d’aller docilement s’asseoir
près du bedeau
(en purgatoire)
Aimais par-dessus tout
pendant ce temps
– étais-tu suspendu à l’instant ? –
paresser au lit avec toi
guetter le froissement silencieux
du dégel
le floc des paquets de neige
chutant mollement des toits
Aimais le désordre des draps
et le va et vient de tes doigts
sur ma peau
là où nait le désir qui vous emporte
sur son aile comme un oiseau
l’ aile du désir est si pure
je la confisque
aux anges en robe de bure
veillant le carré des fidèles
tandis qu’aux cantiques se mêle
de nos ébats le doux murmure
Personnages de la balustrade – ( RC )
fresque : San Antonio de la Florida : F Goya
–
–
Tout autour de la balustrade ,
sont rassemblés des personnages
comme dans un tribunal:
Ils semblent être dans l’attente
d’un évènement peu banal
qui ne saurait tarder.
Au-dessus, passent des nuages,
et quelques anges , très sages..
dans un paradis de stuc et de rocs .
On ne sait d’où ils s’échappent,
ni ce qui les dérangent
ou les provoquent .
Tout ce monde se déhanche,
en étoffes et effets de manches…-
mais leur attitude se fige :
Eveillés par le moindre bruit,
leurs têtes, d’un même mouvement,
se penchent brusquement …
Leur regard me suit, mécanique ,
de manière insistante et maléfique ,
dès que je me déplace…
Descendus du monde céleste ,
ce sont comme des rapaces ,
épiant chacun de mes gestes…
Un regard de glace ,
qui vous figerait le sang :
immobilisés sur place …
ce qui me ramène pourtant
des siècles en arrière,
quand les trompettes altières
résonnent dans l’arène :
– Voila donc l’aubaine
semblent-ils se dire :
une occasion rarissime
pour convoquer les vampires
et désigner la victime ….
L’imagination accompagne presque
le mouvement des ailes
se détachant de la fresque .
Ils vont trouver un motif
pour aiguiser leurs griffes,
et basculer dans le réel…
Déjà, brillent des yeux noirs,
que j’avais entr-aperçus …
acérés et cruels…
Oui, je n’aurais jamais dû
entrer dans cette chapelle:
une sorte de purgatoire
En ce lieu,
où l’on chercherait vainement Dieu
la porte s’est définitivement close .
– …. c’est ainsi que fanent les roses …
–
RC mai 2017
Le terrain vague – ( RC )
–
Entre les façades tristes, et mutiques
des rangées d’immeubles,
gît une zone indéfinie,
et personne ne revendique
les marges floues d’un territoire ;
ce lieu de passage, où rien ne semble certain,
comme l’oeil étrange d’un étang,
habité d’une vie secrète, à quelque distance,
sous la vase.
Les formes, même celles des plus banales,
semblent dériver à force d’abandon,
sans se heurter aux certitudes du ciment
et du goudron.
Des sentiers hésitants contournent des bosses,
évitent des flaques, où courent des nuages gris.
Je les empruntais comme des raccourcis,
ou bien avec les copains, les jours de désœuvrement.
Des bois morts sont des trophées anciens,
où s’accrochent d’anciens pneus de cycles.
Des graminées amères se disputent des tas de gravats .
Surgissent parfois des pierres taillées,
des morceaux de murs bousculés,
où se lisent encore des slogans rageurs,
et graffiti à moitié effacés .
Ce espace échappe à la géométrie,
se rebelle avec le présent, et régurgite de son ventre ,
des objets, qui y étaient enfouis,
lestés de batailles secrètes .
Des objets métalliques dont on ne saurait plus expliquer l’usage,
des tesselles de mosaïque aux couleurs vives,
et même je me souviens, du crâne d’une vache,
aux cornes envahies de mousse .
Ces voyages imprécis, aux abords de la ville,
tenaient d’un purgatoire .
D’une rumeur entre deux rives :
elle confessait la parole d’un passé, pas encore normalisé .
Les parcours capricieux, avaient quelque chose à voir ,
sans doute, avec l’adolescence.
Comme elle, quelques années suffiraient à en interdire l’accès,
à le cerner de murs, avant de le transformer,
en parking de supermarché.
–
RC – janv 2015
Grand tri d’un au-delà ( RC )
Art: manuscrits de l’Apocalypse ( Saint Sever ) XIIè s
–
Si du livre la page
les aventures dessinées
en bandes de destinées
– sur plusieurs étages
Les saints auréolés
D’enluminures, s’empilent
Les cavaliers de l’an mil
Ne vont dégringoler
Que si, des ciels, l’éclipse
Ou les hiérarchies , reculent
Et qu’ainsi, le monde bascule
> Dans l’Apocalypse
Il y a l’ange aux ailes de feu
Qui surveille la scène
Les hommes à la peine
– enfin, les gens de peu –
Que l’on ne voit pas,
Si la bataille s’engage
Alors que le Malin enrage
Promis au trépas.
Car l’on sait la terre
Eloignée des cieux
Le domaine de Dieu
Mais proche de l’enfer.
> Il faut donc choisir
– ce n’est pas banal –
Entre le bien et le mal
Pour bientôt mourir.
Les ailes déployées
Vers un plus bel azur
Du destin futur,
—> Pour l’éternité
Ou bien embrasser Satan
C’est alors rôtir
D’un autre avenir
Et c’est pour longtemps !
Si c’est notre lot,
Si c’est pour demain
A passer l’examen
Tirer l’mauvais numéro
Ou c’est blanc , ou c’est noir
Peu d’élus, beaucoup d’appelés
Ca va être la mêlée
Pour le purgatoire
C’est là, le lieu du tri
Avec ces salades
… Tu es dans la panade
Au milieu des cris
– Origines ethniques ?
– Vous avez une pension ?
– Quelles sont vos opinions ?
– Passé politique ?
Tu viens de quelle région ?
Que font tes parents ?
Et quel est ton rang, ?
Et ta religion ?
………..Il faut être conforme
A l’examen du passé
> Quand on est trépassé
Et surtout dans les normes.
Si t’as une bible
Des cheveux blonds
Et puis quelques ronds
C’est d’ja plus crédible
Carte d’identité ?
Sécurité sociale ?
Et ben t’as la totale
» On va t’inviter ! « .
Mais si t’en n’ as pas
– Ni carte de crédit
Pour le paradis
On étudiera ton cas
Les places sont limitées
Et puis faut pas rêver,
Elles sont réservées
En enfer, va donc t’agiter !
–
RC – 16 septembre 2012
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Saints voyageurs et dive bouteille (RC)
J’ai mis tous ces saints
Dans un litron d’vin
Grand crû, St Emilion
De bonnes sensations
Les saints voyageurs
Etaient bons mangeurs
Se r’trouvant souvent
Au petit restaurant
La dernière station
Avant l’purgatoire
Faut servir à boire
Et faire dégustation !
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Avec pour départ, JoBougon , dans ses saints voyageurs
Et pour rappel, l’expression Dive Bouteiille, nous vient de Rabelais, voir le lien:
peinture: G Braque : nature morte à la bouteille et la langouste