Pourquoi écrivons-nous? Question qui nous laisse au bord de la route. Pour habiter, peut-être. Oui, pour habiter le rapport aux autres, à nous, au monde. Enfin, écrire pour avoir confiance.
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Ou peut-être écrivons-nous car la langue commune est desséchée. Commune et courante. Que faire avec ces pauvres mots du quotidien? Nous ne pouvons pas respirer. Elle n’a pas d’autre horizon qu’elle-même. Or, nous désirons tant les horizons.
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En réalité, c’est le malaise qui nous pousse à écrire. Malaise indéterminé. Quel désir nous brûle, nous porte au-delà de nous-même? Pourquoi l’écriture, aussi, est une demeure précaire?
Sur un fauteuil style Louis XVI sorti de chez l’antiquaire il y a les mains de ma mère ( qui auraient pu préférer les chaises ) …. Pour être plus précis dans le décor, celui-ci n’a rien de spécial, mais quand même, c’est pas normal… il y a juste les mains, pas le corps .
Il existe peut-être, mais dans l’au-delà : – en tout cas on ne le voit pas – : ça a l’allure d’un spectre qui voudrait se faire inviter pour partager le dessert avec mon frère à l’heure du thé :
C’est une sorte d’ambassadrice , qui ne s’encombre pas d’apparence et joue sur la transparence , ( sauf pour ses mains lisses ) Elles n’ont rien de squelettiques , pleines de jeunesse, elles sont d’une tendresse bien énigmatique….
Ces mains , d’une autre époque se posent doucement , plutôt affecteusement , quand c’est le « five o’clock » ; – toujours avec exactitude – , avant bientôt, de s’évanouir comme un tendre souvenir ( un rendez-vous quotidien, dont j’ai pris l’habitude ).
photo Sandra Santos extraite du numéro de revue Photo 456
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Ou peut-être écrivons-nous car la langue commune est desséchée. Commune et courante. Que faire avec ces pauvres mots du quotidien? Nous ne pouvons pas respirer.
Elle n’a pas d’autre horizon qu’elle-même. Or, nous désirons tant les horizons.
Au retour du sommeil,
Vite,
Attrape de quoi,
Fixer au passage,
ce ruban de mots,
Qui s’enchevêtrent,
Et n’est pas encore poème,
Avant que ce chant,
Ne se détruise,
Lorsque la conscience,
Aura repris le dessus.
L’espace entre les mots,
Amène les sensations,
Et les images la saveur,
Des couleurs encore inconnues,
Dépèche-toi de les transcrire,
Qu’elles ne restent pas prisonnières
De ta tête.
Le futur immédiat,
Fait que l’on néglige souvent,
Ces formations fragiles…
Ces boucles lovées sur elles-même
Se fanent si vite.
Dès qu’elles sont exposées,
A la lumière du jour.
Doit-on en conclure,
Qu’elles devraient
Rester proches de l’obscur
Et appartiennent à la nuit ?
C’est sans doute
Dans les corps oubliés
A eux-même,
Et proches dans l’immobilité,
D’une mort dessinée,
Que travaillent le mieux,
Les cerveaux libérés.
C’est une danse farandole ,
Au creux du repos,
Où les âmes recueillent,
Ce qui reste de l’essence des jours.
En extraire quelques gouttes,
Est toujours un exercice
D’équilibriste…
Les mots répugnent à se fixer
Sur le papier,
Regroupés en strophes.
Ils nous observent de loin,
Les prélever intacts,
Et garder leur fraîcheur,
N’est pas des plus simple.
Peut-être faut-il les laisser ,
Vagabonder à leur aise,
Si volatils.
Ils agissent à leur guise.
Et se moquent de notre quotidien
De nos détours du jour,
Pour mieux s’emballer
Dès que le noir fait son retour.
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Il doit être important qu’un jeune homme toujours occupé à étudier, à tourner des pages, à se tirer les yeux, ait fait sa grande poésie sur les moments où il allait sur le balcon, sous le bosquet, sur la colline ou dans un champ tout vert. (Silvia latini, Vie solitaire, Souvenirs) La poésie naît non de l’our life’s work, de la normalité de nos occupations mais des instants où nous levons la tête et où nous découvrons avec stupeur la vie. (La normalité, elle aussi, devient poésie quand elle se fait contemplation, c’est-à-dire quand elle cesse d’être normalité et devient prodige.)
On comprend par là pourquoi l’adolescence est grande matière à poésie. Elle nous apparaît à nous — hommes — comme un instant où nous n’avions pas encore baissé la tête sur nos occupations.
20 février
La poésie est non un sens mais un état, non une compréhension mais un être.